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Article de revue

La place des femmes dans la recherche : apprentissage, production et valorisation des connaissances

Pages 61 à 77

Notes

  • [1]
  • [2]
    C. Charle, J. Verger, 1994, Histoire des universités, PUF.
  • [3]
    E. Sartori, 2006, Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle, Plon ; J.-P. Poirier, 2002, Histoire des femmes de science en France, du Moyen Age à la Révolution, Paris, Editions Pygmalion-Gérard Walelet ; N. Witkowski, 2005, Trop belles pour le Nobel. Les femmes et la science, Seuil ; J. Dall’Ava-Santucci, 2004, Des sorcières aux mandarines, Calmann-Levy.
  • [4]
    E. Badinter, 2002, Les passions intellectuelles, Fayard, tome 2.
  • [5]
    M. Perrot, 2001, Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion-Champs ; R. Pernoud, 1978, La femme au temps des cathédrales, Le Livre de Poche ; D. Gardey, 2001, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau. 1890-1930, Belin ; J. Rennes, 2007, Le mérite et la nature, une controverse républicaine. L’accès des femmes aux professions de prestige, Fayard.
  • [6]
    S. Boutillier, B. Laperche, 2005, Production des savoirs scientifiques et valorisation de la recherche, dans Genre, science, recherche. Regards et propositions en sciences sociales, M. Cacouault, D. Gardey (2006dir), Document de travail n°9, MAGE-CNRS ; S. Boutillier, B. Laperche, Savoir et recherche, La place des femmes, le Cas de l’Université du Littoral (Nord/Pas-de-Calais), Cahiers de Labrii N° 116, Janvier ; S. Boutillier, B. Laperche, 2006, Les femmes à l’université, de l’exclusion à la reconnaissance ?, Drôle d’époque, n°18, printemps ; S. Boutillier S., 2004, Femmes et créativité scientifique, la question de la « valeur savoir », dans S. Boutillier, B. Lestrade, dir, Le travail des femmes. Axes d’émancipation, Coll. L’esprit économique, Série Economie et innovation, L’harmattan ; B. Laperche, 2004, L’intégration des femmes dans le système de la recherche en France et en Europe : état des lieux et interrogations, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation, n°20 ; R. Bellais, S. Boutillier, B. Laperche, D. Uzunidis, 2000, La femme et l’industriel, Coll. Economie et Innovation, L’Harmattan.
  • [7]
    Aucun ouvrage, à notre connaissance, consacré à l’histoire des sciences ne contient le moindre paragraphe pour la participation des femmes à la production du savoir, que ce soit B. Gille (1978dir), Histoire des techniques, Encyclopédie de la Pléiade ; A. Koyré, Études d’histoire de la pensée scientifique, Gallimard, 1990 ; C. Ronan, Histoire des sciences, Seuil, 1988.
  • [8]
    Poirier J-P., 2002, Histoire des femmes de science en France, du Moyen Age à la Révolution, Editions Pygmalion-Gérard Watelet, page 394.
  • [9]
    http://cordis.europa.eu ; Ministère délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, 2002, Livre blanc : les femmes dans la recherche française ; Livre blanc : Les femmes dans la recherche privée en France, 2004 ; État des lieux : Les femmes dans la recherche, 2005 ; Rapport sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche, 2006 ; E. Ollangnier, C. Solar (2006dir), Parcours de femmes à l’université. Perspectives internationales, L’Harmattan.
  • [10]
  • [11]
    P. Bollé, 2002, Le travail des femmes dans le monde, Problèmes économiques, n°2759, 1er mai.
  • [12]
    M. Osborn et al., 2000, Science policies in the European Union : Promoting excellence through mainstreaming gender equality, Luxembourg, ETAN network on Women and Science.
  • [13]
    M. Cacouault, 1987, Prof, c’est bien… pour une femme ?, Le Mouvement social, n°140, juillet-septembre, pp.107-119 ; M. Duru-Bellat, 1990, L’école des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Bibliothèque de l’éducation, L’Harmattan ; C. Baudelot, R. Establet, 1992, Allez les filles !, Points Seuil ; M. Duru-Bellat, J.-P. Jarousse, M. A. Labopin, 1993, V. Perrier, Les processus d’auto-sélection des filles à l’entrée en première, L’orientation scolaire et professionnelle, 22, n°3, pp. 259-272 ; N. Mosconi, 1994, Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs, L’Harmattan ; M. F. Fave-Bonnet, 1996, Les femmes universitaires en France : une féminisation et des carrières différenciées, Cahiers du Mage, 1, pp.83-91; N. Becarud, 2000, Les femmes universitaires en France : l’exemple des scientifiques, Diplômées, n°194, pp. 197-203 ; D. Gardey, Histoire de pionnières, 2000, Travail, genre et sociétés, n°4, octobre, pp.29-34 ; C. Christen-Lecuyer, 2000, Les premières étudiantes de l’université de Paris, Travail, genre et société, n°4, octobre, pp. 35-50 ; H. Delavault, N. Boukhobza, C. Hermann, 2002, Les enseignantes chercheuses à l’université. Demain la parité, L’Harmattan.
  • [14]
    J.-B. Say, 1996, Cours d’économie politique, Flammarion-Champs ; OCDE, 1998, La recherche universitaire en transition, STI, OCDE ; D. Uzunidis (2004dir), L’innovation et l’économie contemporaine, De Boeck ; H. Etzkowitz, 2003, Research groups as ‘quasi firms’ : the invention of the entrepreneurial university, Research Policy, vol.32, n°1, pp.109-121.
  • [15]
    M. Levy, J.-P. Jouyet, 2006, L’économie de l’immatériel, la croissance de demain, Rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel, Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.
  • [16]
  • [17]
    D. Uzunidis, 2001, La marchéisation de la recherche publique et la question de la propriété industrielle, dans B. Laperche (dir), Propriété industrielle et innovation, Coll. Economie et innovation, L’Harmattan, pp.159-174 ; B. Laperche, 2003, Les critères marchands d’évaluation du travail scientifique dans la nouvelle économie, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation n°17, pp. 105-138 ; S. Boutillier, 2004, Économie et économistes face à l’innovation, dans D. Uzunidis (dir), L’innovation et l’économie contemporaine, Espaces cognitifs et territoriaux, Bruxelles, Coll. Economie, Société, Région, de Boeck, pp.21-41.
  • [18]
    R. Duhautois, S. Maublanc, 2006, Chercheurs dans le privé : la place des docteurs, Connaissance de l’emploi, CEE, n°26, février.
  • [19]
    J. Perrat, 2006, Division spatiale du travail et des nouvelles organisations : des territoires « segments » aux territoires « modules » ?, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation, N°24.
  • [20]
    B. Laperche, 2002, The Four Keys Factors for Commercialising Research. The Case of a Young University in a Region in Crisis, Higher Education Management and Policy, Vol 14, N°3, pp. 149-171.
  • [21]
    Ministère délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, 2006, Innovation et recherche technologique. État de la situation et bilan au 31 décembre 2005, Direction de la technologie.
  • [22]
    C. Rieg, 2003, 30 % de femmes parmi les créateurs d’entreprises, INSEE Première, n°887, Mars ; S. Boutillier, 2004, L’entrepreneur dans une région industrielle en reconversion. Enseignements théoriques à partir d’une réflexion critique sur le concept de capital social, Lab.RII, Conseil Régional du Nord/Pas-de-Calais.
  • [23]
    J. Le Morzellec, 2006, Les femmes dans la recherche privée, VRS, N° 367, novembre-décembre ; G. Hatet-Najar, 2006, La place des femmes au CNRS, VRS, n° 367, novembre-octobre.

Introduction

1Quelle est la place des femmes dans les universités en ce début de XXIe siècle ? A l’heure de la discrimination positive et de l’égalité des chances, le même constat s’impose, quel que soit le pays considéré, à des degrés divers. Bien que les femmes aient un meilleur parcours scolaire que les hommes, elles sont non seulement beaucoup moins nombreuses que les hommes à poursuivre des études en doctorat, puis elles sont beaucoup moins nombreuses à faire une carrière universitaire. Plus on monte dans la hiérarchie plus elles sont rares. Ce constat est le produit de trois phénomènes bien connus des sociologues : « l’effet ciseau », le « tuyau percé » et le « plafond de verre ». Un vocable imagé pour décrire une situation complexe. Quelques pas dans l’histoire mettent à nu des destins féminins hors du commun qui aujourd’hui peuvent prêter à sourire : faut-il vraiment s’habiller comme un homme pour suivre des cours à La Sorbonne ou à Oxford pour manipuler des éprouvettes ? Nous présenterons dans le cadre de ce texte quelques portraits typiques de femmes scientifiques à différentes périodes de l’histoire.

2Depuis la fin du XIXe siècle, les femmes ont conquis le droit de suivre des cours à l’université (d’abord sous surveillance) puis d’occuper une part majeure dans l’enseignement universitaire et la recherche. Mais, aujourd’hui, en dépit de la disparition des barrières institutionnelles, la participation des femmes à la production scientifique reste marginale. L’attribution du Prix Nobel l’illustre clairement : 784 prix Nobel ont été attribués depuis 1901 (jusqu’en 2006 inclus) dont 34 à des femmes : 2 en physique, 3 en chimie, 7 en médecine, 10 en littérature et 12 pour la paix [1]. Aucune femme n’a, à ce jour, obtenu le prix Nobel d’Économie (partie 1).

3Depuis la fin des années 1990, les institutions du savoir se transforment dans le contexte plus général de l’économie de la connaissance : loi sur l’innovation de 1999, loi de programmation de la recherche de 2006 au niveau français, Sommet de Lisbonne en 2000 au niveau de l’Union européenne. L’accent est mis sur la production de savoirs commercialisables, soit une mission additionnelle qui se surajoute à la recherche fondamentale et à l’enseignement. D’un autre côté, l’université est confrontée à des problèmes budgétaires et doit trouver d’autres sources de financement, mais également placer ses diplômés en dehors de l’institution universitaire, c’est-à-dire dans les entreprises. La valorisation de la recherche passe notamment par la création d’une entreprise innovante ou par le dépôt d’un brevet. Cette mission nouvelle de l’université peut-elle être un tremplin qui facilitera aux femmes l’accès à la recherche ou bien un obstacle supplémentaire (partie 2) ?

1 – La place marginale des femmes dans la recherche

1.1 – Bref historique

4Les femmes ne sont entrées dans l’université qu’au cours du XXe siècle au prix d’une longue lutte qui s’intensifia à la fin du XIXe siècle, période marquée par l’accélération de la production industrielle qui contribue à transformer les comportements sociaux. Ce constat vaut pour la plupart des États, en grande partie en raison de l’influence des grands industriels.

5La première université a été fondée au XIIIe siècle [2]. Paradoxalement, la création de l’institution universitaire a été pour la femme l’institutionnalisation de son exclusion du savoir. Et rares sont les ouvrages traitant de l’histoire des universités qui consacrent un chapitre, voire un simple paragraphe, à ce sujet. Depuis la fin des années 1990, cependant quelques ouvrages spécialisés ont été rédigés sur les femmes scientifiques depuis l’Antiquité. Avant la fondation de l’institution universitaire, on recense des femmes exerçant une activité scientifique qui se caractérise à la fois en termes de production de savoir (théories, ouvrages, etc.) et de reconnaissance par leurs pairs. Dans les couvents, par exemple, les femmes exerçaient une activité intellectuelle ; certaines ont rédigé des traités de botanique ou de pédagogie qui sont parvenus jusqu’à notre ère [3]. Entre la fin du Moyen Age et les années 1860, ce ne fut qu’un interminable tunnel, sauf la parenthèse des salons scientifiques du siècle des Lumières, où les hommes, comme les femmes de la haute société, se passionnaient pour les mathématiques, la physique ou l’électricité [4].

6Si les femmes scientifiques semblent passionner depuis quelque temps les historiens, les sociologues s’interrogent depuis plusieurs décennies, non sans ironie, sur ce qui fait la spécificité d’un métier féminin [5]. Les métiers de femme ou reconnus comme tels s’inscrivent dans le prolongement des fonctions dites naturelles et ménagères des femmes : institutrice, infirmière, assistante sociale, secrétaire de direction, etc. Ce sont aussi parfois des circonstances historiques extraordinaires, comme la Première Guerre mondiale, qui ont donné aux femmes le moyen de conquérir leur émancipation. Certains métiers leur sont réservés par leurs qualités « innées », physiques et orales : souplesse des doigts de la dactylographe, répétition des gestes monotones et réguliers de la chaîne de montage. Pourtant, la notion de métier féminin est relativement récente et semble prendre forme au XXe siècle. Au Moyen Age, les femmes pouvaient exercer la profession de « barbière », métier surprenant sachant que la barbière (ou le barbier) était aussi chirurgien et pratiquait les saignées, médication courante à l’époque. Mais, le métier de barbier-chirurgien était alors considéré comme un métier manuel, exclu de l’université.

7L’acquisition de connaissances par un petit nombre de femmes s’est généralement opérée dans le cadre familial (le rôle du père, de la mère, mais aussi de l’époux est souvent fondamental en la matière). Ces siècles perdus expliquent la faible production scientifique des femmes à ce jour [6]. Cette place marginale se mesure notamment à partir des publications traitant de l’histoire des sciences [7].

8Nombreux sont les cas où la femme a acquis des connaissances, voire une notoriété, grâce à son conjoint. Certaines ont ainsi écrit des traités à deux mains. Martine de Bertereau (1578-1642) travailla avec son mari à l’élaboration d’une méthode scientifique en géologie et minéralogie. D’autres encore durent user de stratagèmes pour acquérir la connaissance. Marie-Sophie Germain (1776-1831) acquiert une vaste culture scientifique grâce à la bibliothèque paternelle, mais très rapidement elle ne lui suffit plus. L’École polytechnique, créée en 1794, est interdite aux femmes. Pour correspondre avec les professeurs dont elle s’est procurée les cours, elle se fait passer pour un garçon et utilise un pseudonyme, « Le Blanc, élève de l’École polytechnique ». Mais, le mathématicien Lagrange, intrigué par la pertinence de ses propos, souhaite la (le) connaître, et c’est à titre privé qu’il lui donne des cours. Elle entretient une correspondance scientifique avec d’autres mathématiciens, notamment Adrien-Marie Legendre qui publie, en 1798, La théorie des nombres. Elle lui adresse des remarques qui ont été incluses dans la deuxième édition de l’ouvrage. Les apports de Marie-Sophie Germain aux mathématiques ne sont pas négligeables. Elle a calculé tous les nombres premiers inférieurs à 200. « Depuis, on appelle nombre premier de Sophie Germain, tout nombre premier n tel que 2n + 1 le soit aussi » [8]. Elle entretient aussi une correspondance scientifique avec Gauss qui ne découvre sa véritable identité qu’au bout de plusieurs années. En 1816, elle est la première femme qui reçoit le Prix de l’Académie des sciences, mais son mémoire n’est pas publié à la différence d’Émilie du Châtelet, physicienne et égérie de Voltaire, qui n’obtint pas le prix, mais dont le mémoire fut publié. Elle publie quelques traités : en 1821, Remarques sur la nature, les bornes et l’étendue de la question des surfaces élastiques et équations générales des surfaces, puis un mémoire sur La courbure des surfaces. L’exemple de Marie-Sophie Germain est assez symptomatique de ces femmes de science contraintes de rester dans la clandestinité du savoir en dépit de leurs grandes capacités intellectuelles.

9Certaines se sont contentées de tenir salon – quoique les salons avaient une importance considérable dans la diffusion des idées nouvelles –, d’autres ont élaboré des traités de mathématiques, de chimie ou d’éducation – le traité d’éducation le plus ancien a été écrit au IXe siècle par Dhuoda. Ce traité était d’abord destiné à son fils. Telles les femmes savantes de Molière, nombreuses ont été celles qui ont installé dans leurs appartements un laboratoire de chimie ou encore une lunette pour observer les astres.

10Les parents sont souvent pris au dépourvu quand ils constatent que leur fille est davantage attirée par les sciences que par le mariage. Que va-t-elle devenir parce que l’étude et la vie familiale ne vont pas de pair, sauf dans l’hypothèse où un couple de scientifiques se constitue. Ainsi, se forme une espèce de micro-cellule sociale spécialisée dans la recherche scientifique. Ce fut le cas (très connu) des Curie et Joliot-Curie, mais aussi des Lavoisier et des Roland. Marie-Anne Lavoisier travailla en étroite collaboration avec son mari, elle rédigea notamment avec lui un traité de chimie. Elle a quatorze ans quand elle épouse Antoine-Laurent Lavoisier alors âgé de 28 ans, qui l’initie à la science qui deviendra le seul objectif de son existence. Jeanne-Marie Philipon, plus connue sous le nom de Madame Roland, fut une enfant précoce. Elle lit avec passion les philosophes des Lumières. Ses parents veulent la marier, mais elle refuse les maris qu’on lui présente. Elle se marie (enfin) à l’âge de 22 ans avec Jean-Marie Roland de la Platière de vingt ans son aîné. Il est inspecteur des manufactures de Picardie. Ils rédigent ensemble plusieurs discours et rapports techniques. Elle participe aussi à la rédaction de trois volumes des Manufactures, Arts et Métiers que Jean-Marie Roland a accepté de préparer. Ces quelques exemples montrent que le couple semble former une espèce de sas à partir duquel la femme peut travailler et conquérir une reconnaissance de la communauté scientifique. Mais, ils restent l’exception.

11C’est en 1863 qu’une femme obtient le droit pour la première fois en France de s’inscrire à l’université. Ce fut à Lyon, puis plus tard à Paris. Dès la fin des années 1860, les premières femmes obtiennent des diplômes universitaires en sciences et en lettres. Marie Curie est la première femme en France qui obtient son doctorat de sciences physiques. Elle ne deviendra professeur à la Sorbonne qu’à la mort de son époux, Pierre Curie, titulaire de la chaire. Mais, en l’espace d’un siècle, la situation change radicalement. En 1970, le nombre de bachelières est supérieur à celui de bacheliers, pourtant il faut attendre 1972 pour que l’École polytechnique devienne mixte. Petit à petit, les obstacles institutionnels se sont levés. Mais aujourd’hui la place des femmes reste encore très marginale. Les femmes, quelle que soit leur place dans la hiérarchie universitaire, sont fréquemment contraintes de faire un choix entre carrière et famille. Les universitaires ne sont certes pas les seules dans ce cas, mais leur statut de scientifique ne leur permet guère de déroger à cette loi sociale.

1.2 – Une place toujours marginale au XXIe siècle

12Les statistiques sur la place des femmes dans la recherche et l’enseignement supérieur en Europe et en France [9] permettent de faire quatre constats : 1/ les femmes sont minoritaires dans les effectifs de la recherche en Europe ; 2/ la proportion de chercheuses varie selon la discipline scientifique et le pays ; 3/ le « plafond de verre », que l’on peut constater dans l’emploi féminin, est particulièrement présent dans l’enseignement supérieur et la recherche ; 4/ alors que la proportion de femmes et d’hommes est la même en première année, environ 50 %, au cours des années, le phénomène du « tuyau percé » entre en œuvre, le nombre de femmes diminue progressivement, d’où un « effet en ciseaux » : à partir de la première année, la proportion d’hommes dans les études universitaires augmente progressivement, alors que celle des femmes suit le chemin inverse.

13Les femmes représentent en moyenne en 2002 dans l’Europe des 15, comme des 25, environ 34 % de la recherche académique (taux qui est resté constant depuis). En revanche, dans la recherche industrielle (secteur des entreprises), les femmes représentent autour de 17 % des chercheurs. La France se situe dans la moyenne européenne. En 2004, les femmes représentent en France 28 % des chercheurs (public et privé confondus). Leur situation est meilleure dans la recherche publique (33 % des chercheurs) que dans les entreprises (21 %). Dans la recherche publique et privée, les femmes renforcent leur présence. De 1992 à 1999, les effectifs féminins dans la recherche (publique et privée) ont progressé de plus de 30 %, soit une croissance supérieure à l’ensemble des emplois de chercheurs : 21 % de croissance dans la recherche publique et 11 % dans la recherche privée. La participation des femmes dans la recherche privée est ainsi nettement moins importante que dans le public. Dans les entreprises, de manière plus spécifique, la part relative des chercheures augmente avec la taille de l’entreprise, alors que l’entreprise consacre aussi une part de plus en plus importante de son chiffre d’affaires à la recherche-développement.

14Dans l’université française plus spécifiquement, 17 % des professeurs et près de 40 % des maîtres de conférences sont des femmes, alors que ces taux étaient respectivement de 9 % et 30,4 % au début des années 1980. La tendance est par conséquent à l’amélioration, d’autant que le nombre de femmes est supérieur à celui des hommes : en lettres, chez les maîtres de conférences pour les moins de 45 ans, ainsi que pour les maîtres de conférences en santé pour les moins de 59 ans. Ce constat ne sied que pour les maîtres de conférences, pour les professeurs, le nombre d’hommes est toujours supérieur à celui des femmes. Le nombre de femmes est inversement proportionnel au niveau hiérarchique. Les femmes représentent 40 % des MCF toutes disciplines et tous âges confondus, mais ne représentent plus que 20 % des professeurs d’université de seconde classe, contre environ 15 % pour les première classe, environ 2 % pour les professeurs d’université de classe exceptionnelle. On ne compte que 9 femmes parmi les 89 présidents d’université. Sur les 71 sections du Conseil national des Universités (CNU), on ne recense que 10 présidentes [10].

15L’amélioration relative de la place accordée aux femmes, dans la recherche en général et dans l’université en particulier, s’inscrit dans celle de la population active française puisque la part des femmes est passée de 44 % en 1992 à environ 46 % en 2006. Dans l’emploi total, la part des femmes exerçant le métier de professeur ou une profession scientifique (y compris professeurs du secondaire) est plus élevée que la part des hommes, et l’écart entre la proportion d’hommes et de femmes exerçant ces professions augmente constamment depuis le milieu du XXe siècle. Pourtant, la proportion de femmes enseignantes et chercheuses à l’université est très en deçà de la proportion qu’elles ont réussi à conquérir comme étudiantes : en 2004-2005, les étudiantes françaises représentent globalement 56,5 % des étudiants à l’université. Mais leur proportion diminue au fil des diplômes : 57 % des étudiants en licences, 56 % au niveau Master et 45 % au niveau du doctorat. Les étudiantes s’orientent aussi plus volontiers vers les formations dites professionalisantes comme les licences ou les masters professionnels ; illustration tangible de l’effet ciseau.

16En France, comme en Europe, les femmes choisissent en premier lieu, lorsqu’elles sont étudiantes mais aussi enseignantes ou chercheuses à l’université les sciences humaines et sociales, les sciences du vivant, la chimie et la médecine ; les proportions étant plus faibles dans les mathématiques et la physique, mais aussi dans les sciences de l’ingénieur. Les branches d’activité des entreprises présentant les plus fortes participations des femmes, recoupent les disciplines les plus féminisées de la recherche publique : les femmes sont plus présentes dans l’industrie pharmaceutique, la chimie et les industries agro-alimentaires, de même que dans les sciences du vivant et la chimie en université, alors qu’elles boudent les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique, de même que les sciences pour l’ingénieur à l’université.

17Le constat du « plafond de verre », qui évoque la difficulté pour les femmes d’atteindre des postes de pouvoir, existe tant dans le domaine de l’enseignement et de la recherche que dans les autres activités professionnelles [11], en Europe [12] comme en France. La promotion des femmes est toujours plus difficile que celle des hommes. Les explications privilégiées par les socio-logues [13] pour expliquer cette faible reconnaissance des femmes et leur faible place résident, d’une part, dans leur lent accès à ce « monde d’hommes » et, d’autre part, dans la division du travail qui s’opère à l’université (les femmes se retrouvant surtout dans les activités d’administration des formations et de la recherche). Elles sont relativement moins présentes dans la recherche, alors que l’avancement dans la carrière est exclusivement basé sur la participation à des programmes de recherche et les publications. Elles résident aussi dans leur socialisation particulière, qui explique le choix de discipline et leur faible représentation dans les postes de pouvoir.

2 – Évolution des missions de l’Université : une opportunité à saisir ?

2.1 – Une nouvelle mission pour l’université : la valorisation de la recherche

18Les universités, à l’image de l’entrepreneur défini par J.-B. Say, doivent devenir l’intermédiaire entre le savant qui produit la connaissance et l’ouvrier qui l’applique à l’industrie [14]. Mais, la métaphore va même plus loin puisque le scientifique doit devenir entrepreneur. Certes, l’institution universitaire n’est pas à sa première crise. Depuis le XIIIe siècle, l’université a traversé différentes étapes, en s’émancipant du religieux (développement du droit et de la médecine), puis à partir du XIXe siècle en s’orientant vers des savoirs plus opérationnels tournés vers l’industrie (chimie, physique, ingénierie, etc.).

19On objectera que l’université entretient de longue date des liens étroits avec l’industrie. Louis Pasteur, bien qu’universitaire, travaillait en étroite relation avec des industriels (ex. les producteurs de vers à soie) ou encore que les travaux de Thomas Edison sur l’électricité découlent directement de connaissances théoriques très poussées. Ces faits ne peuvent être niés. Mais, aujourd’hui, une nouvelle étape a été franchie, celle de la production de connaissances marchandes ; étape nouvelle de l’évolution de la société industrielle, marquée par le poids croissant de l’immatériel qui représenterait, selon le récent rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel, environ 17 % de la valeur ajoutée et plus de 13 % de l’emploi hors administrations publiques [15].

20Si, globalement, les dépenses de RD ont considérablement augmenté au cours des décennies 1980-1990 dans les pays de l’OCDE (2,2 % du PIB de la zone en 2003 avec toutefois de fortes disparités entre pays) [16], ce sont les entreprises qui en financent la part la plus importante (soit environ 60 % pour l’OCDE) mais aussi dans son exécution (environ 70 %). Ceci traduit leur intérêt, d’autant qu’elles financent une part croissante (même si elle reste faible) de la recherche des universités et des centres publics de recherche. Selon l’OCDE, 4,1 % de la recherche menée par l’État et 6,1 % de celle menée par l’enseignement supérieur sont financés par les entreprises. Les financements publics ont, eux, tendance à se réduire, ce qui répond aux déficits budgétaires croissants des États. Cette réduction touche surtout les entreprises et le secteur de la défense, mais le soutien public à la recherche fondamentale ne montre pas encore un déclin significatif. Il évolue toutefois dans ses objectifs, la nature et les modalités du financement : l’octroi de crédits est conditionné par la performance (publication et valorisation), ce qui engendre une tendance ou une volonté de concentration des unités de recherche.

21La valorisation de la recherche, que l’on peut définir comme le processus de transformation de savoirs fondamentaux en nouveaux produits commercialisables, devient une mission à part entière de l’université, aux côtés de ses fonctions traditionnelles d’enseignement et de recherche. Elle s’effectue par le biais de la coopération entre la recherche publique et les entreprises et par la mobilité des chercheurs. Elle stipule le plus souvent une appropriation privée (exclusive ou non) des produits de la recherche. Les formes principales de valorisation de la recherche publique que l’on peut identifier sont : 1/ la signature de contrats de recherche par les universités et les centres publics de recherche avec les entreprises ; 2/ l’exploitation des résultats de la recherche (dépôt de brevets par les universités et négociation de licences d’exploitation rapportant une rémunération aux universités) ; 3/ la mobilité des chercheurs : de jeunes doctorants appartenant à un laboratoire de recherche public vont préparer leur thèse dans une entreprise (la thèse est financée en partie par l’entreprise) ; un chercheur ou une équipe de chercheurs apporte son concours scientifique ou son conseil à une entreprise, etc. ; 4/ la création d’entreprises par les chercheurs eux-mêmes. Ces formes de valorisation ne sont pas toutes nouvelles. Les contrats de recherche entre universités, centres publics de recherche et entreprises existent de longue date. Mais il était difficile de les mettre en œuvre, notamment en France, du fait notamment des différences de comptabilité (privée et publique). De même, les cofinancements de thèses ne sont pas choses nouvelles mais la mobilité s’étend aujourd’hui à d’autres catégories de personnels (comme les chercheurs fonctionnaires de l’État). Les deux formes véritablement nouvelles de la valorisation de la recherche publique, pour la France notamment, sont donc la capacité à déposer et exploiter des titres de propriété industrielle et la création d’entreprises à partir de la recherche. Pour résumer, avec la loi sur l’innovation et la recherche de 1999, l’université, garante de la production, de la transmission et du renouvellement des connaissances scientifiques, doit devenir le lieu de naissance et de concrétisation marchande des nouveaux projets innovants (entreprises, inventions techniques) [17]. Les coopérations avec les entreprises constituent aussi des emplois pour les nouveaux docteurs. Sur 10 000 doctorants ayant soutenu leur thèse (dont un peu plus de 6 000 en sciences), les deux tiers ne connaissent pas le chômage, mais la moitié d’entre eux sont embauchés sous contrat à durée déterminée. D’après l’Association nationale de la recherche technique, parmi dix doctorants qui préparent une thèse dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE) quatre restent dans leur entreprise, quatre sont recrutés par une autre entreprise, un entre dans la recherche publique et un est en recherche d’emploi ou en post-doctorat [18].

22Ainsi, les raisons principales présentées par les institutions publiques associent la nécessité de l’excellence scientifique à celle de renforcer la compétitivité économique, qui suppose une coopération efficace entre les entreprises et la recherche. D’un côté, pour être compétitives, et donc « innover » ou encore pour offrir sans cesse aux consommateurs de nouveaux produits et satisfaire leur appétit (largement construit par la publicité) en objets de toutes sortes, les entreprises ont besoin d’entretenir des relations étroites avec les universités et les centres publics de recherche. Ceci afin d’avoir accès le plus tôt possible (et ainsi s’approprier) aux connaissances pures mais aussi de sous-traiter cette partie coûteuse et risquée de leur activité. D’un autre côté, les universités sont incitées à se rapprocher des entreprises, ce qui s’inscrit aussi dans un souci de rationalisation budgétaire. La création récente des pôles de compétitivité s’inscrit dans cette logique [19].

2.2 – La valorisation de la recherche ne se décrète pas

23Mais la valorisation de la recherche ne peut découler uniquement d’une loi. C’est un processus qui – pour aboutir à la naissance de nouveaux produits ou services véhiculés ou non par des nouvelles entreprises – découle d’un savant mélange de quatre ingrédients : une réglementation incitative (mission des universités, fonction publique, droits de propriété intellectuelle), une stratégie de l’université dans ce domaine (développement d’axes stratégiques, intérêt et incitation des chercheurs à la valorisation), l’existence de savoir valorisable et un milieu économique favorable (incitation à la création d’entreprise, demande en matière de science et de technologie). Ces ingrédients ne sont pas toujours rassemblés et expliquent les résultats parfois maigres de la valorisation de la recherche universitaire [20]. Globalement, sur la période 1999-2005, 553 personnes ont profité des mesures de mobilité mises en place par la loi de 1999. 132 seulement ont participé à la création d’entreprises en qualité d’associé ou de dirigeant, 372 ont apporté leur concours scientifique et 29 ont participé au conseil de surveillance ou d’administration d’une société anonyme [21]. Les projets financés par les incubateurs sont à 45 % issus de la recherche publique, valorisant les travaux d’un laboratoire public et, parmi l’ensemble des projets incubés, 11 % seulement des chefs de projets sont des femmes. La proportion de femmes créatrices d’entreprises issues de la recherche est donc inférieure au pourcentage de femmes créatrices d’entreprises tous secteurs confondus en France, soit 30 % [22]. Ces dirigeantes rencontrent les mêmes difficultés que les femmes créatrices d’entreprise en général : problème de financement, déficit de soutien et de conseil. En règle générale, elles font peu appel aux banques, préférant mobiliser leurs propres économies et réseaux économiques informels [23].

24Quelle est la place particulière des femmes dans la valorisation de la recherche ? Les femmes universitaires, nous l’avons dit, sont davantage impliquées dans l’enseignement que dans la recherche. Elles sont plus présentes dans les disciplines des sciences humaines et sociales où les opportunités de valorisation des travaux sont moins nombreuses ou moins systématiques. Elles sont aussi souvent en charge des tâches d’administration de la recherche et s’insèrent moins facilement dans les réseaux. Ceux-ci sont pourtant essentiels pour l’évolution de la carrière mais aussi pour l’activité de valorisation de la recherche qui découle de relations étroites avec de « nouveaux » ou plutôt de plus systématiques interlocuteurs, les entreprises. Compte tenu de ces éléments, cette nouvelle mission des universités risque de rendre alors plus fragile encore la position des femmes, non pas parce qu’elles sont moins aptes à subir la concurrence accrue, mais parce qu’elles sont pénalisées par les activités qu’elles mènent de longue date dans les universités et qui sont celles qui comptent de moins en moins d’après les critères d’évaluation du travail de recherche (l’administration de l’enseignement et de la recherche, l’enseignement). Les critères d’évaluation sont, outre les publications, ceux de la rentabilité à court terme du travail de recherche, c’est-à-dire sa transformation rapide en nouveaux biens commercialisables ou en nouvelles entreprises.

25Plus globalement, la place des femmes dans l’université va de pair avec l’évolution de cette institution. Que les femmes soient plus nombreuses à l’université, en tant qu’étudiante, enseignante, chercheuse est bien sûr une conquête importante. Mais l’opportunité d’apprendre, de transmettre, de donner une valeur aux connaissances dépend bien évidemment du sens, du rôle et de l’intérêt accordé à l’université par l’ensemble social. Et dans ce domaine, la production de savoirs publiables et commercialisables figure aujourd’hui parmi les missions prioritaires des femmes comme des hommes universitaires. Si les financements et le temps existent pour poursuivre les missions traditionnelles d’enseignement et de recherche fondamentale, la valorisation de la recherche pourra se traduire en opportunité pour les hommes, mieux insérés dans le monde des réseaux, mais aussi pour les femmes désireuses d’appliquer leurs connaissances et de les nourrir de l’observation des faits. En revanche, la multiplication des fonctions, à moyens constants voire déclinants, se traduirait inéluctablement par un découragement, notamment de la part de ceux ou de celles, pour qui la place dans l’université est déjà précaire ou les tâches à assumer sont lourdes.

Conclusion

26Le combat des femmes pour entrer de plein pied dans le monde de la connaissance a été long et difficile. Il a connu aussi des mouvements contradictoires depuis la fondation des premières universités en Europe au XIIIe siècle, puisque avant cette période certaines femmes avaient été reconnues pour leur apport intellectuel, en premier lieu dans l’espace des couvents, alors espaces d’érudition. Puis, les femmes savantes (on mesure aussi le caractère péjoratif de cette expression) se sont réfugiées dans leur famille et leur salon.

27La révolution industrielle ouvre l’université sur le monde économique, mais pas encore aux femmes. Péniblement, et parfois dans un climat de violence extrême, quelques femmes ont accédé à la connaissance et ont pu soutenir, sans troubler le jury, une thèse de doctorat. Mais, pour passer de l’acquisition de la connaissance à sa valorisation dans l’entreprise ou l’université, les obstacles seront encore nombreux.

28Aujourd’hui, en dépit de la disparition des obstacles institutionnels, la place des femmes dans la production de la connaissance reste marginale, plus encore dans le secteur privé (les entreprises) que dans le secteur public (universités, centres de recherche). D’un autre côté, les femmes à l’université sont de moins en moins nombreuses au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Une division du travail entre les sexes s’est ainsi recomposée au sein de l’université. Les femmes sont plus enclines (métier de femme ?) à s’investir dans l’enseignement et l’administration que dans la recherche, alors que la carrière académique est essentiellement déterminée par les programmes de recherche et les publications scientifiques.

29La valorisation de la recherche, telle qu’elle est présentée dans la loi sur l’innovation de 1999 et poursuivie dans la loi d’orientation de 2006, constitue un changement important de l’institution dans laquelle femmes et hommes universitaires travaillent. Elle peut donc modifier leur place et leur rôle dans cette institution mais aussi dans la société. La thèse que nous avons mise en évidence est qu’il est important, pour comprendre la place des femmes dans l’université, de s’intéresser aux mutations et aux rôles sociaux de cette institution. Que les femmes soient plus nombreuses et plus visibles est un acquis du XXe siècle. Le XXIe siècle permettra-t-il aux femmes et aux hommes universitaires de montrer leurs compétences, dans l’apprentissage, la production et la diffusion des connaissances ? L’orientation vers la valorisation de la recherche comporte des atouts pour ceux et celles qui sont déjà intégrés dans les réseaux de recherche impliquant des entreprises. Elle peut aussi apparaître comme une contrainte de plus à surmonter, pour ceux et celles dont la place est moins stable ou moins bien reconnue. La recherche d’une amélioration de la place des femmes à l’université dépend-elle aujourd’hui de l’atteinte d’une parité statistique ou bien d’une véritable réflexion sur la signification de l’apprentissage, de la production et de la valorisation des « connaissances » ? C’est sans nul doute cette question qui nous semble la plus pertinente et la plus urgente.

La scolarisation des femmes et leur entrée à l’université en France : les grandes dates

1836 : une loi facultative demande aux communes d’ouvrir des écoles de filles. Les maires préfèrent s’en tenir à la tradition et se contentent d’écoles paroissiales dont ils ne payent pas le personnel
1850 : la loi Falloux favorise l’enseignement confessionnel
1861 : Julie Victoire Daubié est la première femme à obtenir le baccalauréat à Lyon
1863 : première inscription féminine à l’université de Lyon
1866 : autorisation donnée aux femmes par Victor Duruy d’assister au cours des universités. Auparavant, seul le droit de passer les examens leur était accordé. Mais les femmes devront se battre pour faire entrer cette autorisation dans la pratique
1867 : loi Victor Duruy. Toute commune de plus de 500 habitants est obligée d’ouvrir une école primaire de filles
1867 : la faculté des Sciences de Paris accueille Emma Chenu, la deuxième bachelière de France
1868 : Emma Chenu obtient la licence ès Mathématiques à la faculté de Paris
1870 : une anglaise, Miss Garret, obtient son doctorat de Médecine à Paris
1871 : première inscription féminine à la faculté de Lettres. Julie Victoire Daubié est la première licenciée en Lettres à la faculté de Paris
1879 : loi Paul Bert. Création de 67 Écoles normales féminines destinées à former les institutrices. Pour les hommes, les écoles normales ont été créées en 1833
1880 : la loi Camille Sée jette les fondements d’un enseignement secondaire laïque pour les filles. Les programmes diffèrent fortement de ceux des garçons : pas de baccalauréat mais un diplôme d’enseignement secondaire délivré cinq ans après l’entrée en sixième. Le latin, le grec et la philosophie ne sont pas enseignés. La loi C. Sée a pour but de former des épouses et des mères cultivées mais non des bachelières
1883 : création de l’École Normale supérieure de Sèvres chargée de former les femmes professeures de l’enseignement secondaire féminin
1884 : première inscription féminine à la faculté de Droit
1887 : Sarmiza Bilcescu (de nationalité roumaine) est la première licenciée en Droit
1888 : Louise Amélie Leblois est la première femme docteur ès Sciences, à la faculté de Paris
1890 : 71,3 % des étudiantes inscrites à l’université de Paris sont des étrangères. Elles ouvrent la voie aux étudiantes françaises. Sarmiza Bilcescu est la première à obtenir le doctorat de Droit
1893 : l’École de Pharmacie accueille sa première étudiante
1895/1896 : E. Barthélémy est la première femme à obtenir le diplôme supérieur de Pharmacie (Montpellier)
1902 : Marie Curie obtient le premier doctorat de Sciences Physiques
1913 : mise en place de l’apprentissage du latin et du grec dans les Lycées et collèges féminins
1914 : pour la première fois, deux femmes obtiennent le grade de docteur à la faculté des Sciences de Paris
1916 : création d’H.E.C. jeunes filles
1924 : décret de L. Bérard, Ministre de l’instruction publique. Les lycées de jeunes filles pourront organiser « un enseignement facultatif dont la sanction est le baccalauréat » où « les programmes appliqués seront les programmes de l’enseignement des garçons »
1925 : création de l’École Polytechnique Féminine (devient mixte en 1994)
1960 : le nombre de bachelière devient égal au nombre de bacheliers
1970 : c’est seulement à partir de cette décennie que l’unification des agrégations, décidée en 1924, est réalisée
1971 : le nombre de bachelières dépasse le nombre de bacheliers. L’effectif des étudiantes égale celui des étudiants
1972 : l’École Polytechnique s’ouvre aux femmes
1990 : l’effectif des étudiantes des universités dépasse celui des étudiants de 70 000
1999 : remise du rapport ETAN au commissaire européen à la recherche qui décrit la situation des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche dans l’Europe des 15
2001 : création d’une « mission pour la parité en science et en technologie » par le ministère de la recherche
Sources : C. Baudelot, R. Establet, (1992) ; C. Christen-Lécuyer C., (2000) ; M. Delorme-Hoechstetter (2000) ; G. Duby, M. Perrot, (tome IV sous la dir. de G. Fraisse, M. Perrot, tome V sous la dir. de F. Thébaud) (2002), Marry (1995) ; Mosconi, (1994) ; Commission européenne, Direction générale de la recherche, Politiques scientifiques dans l’Union européenne : intégrer la dimension du genre, un facteur d’excellence, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2001.

Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/maorg.005.0061

Notes

  • [1]
  • [2]
    C. Charle, J. Verger, 1994, Histoire des universités, PUF.
  • [3]
    E. Sartori, 2006, Histoire des femmes scientifiques de l’Antiquité au XXe siècle, Plon ; J.-P. Poirier, 2002, Histoire des femmes de science en France, du Moyen Age à la Révolution, Paris, Editions Pygmalion-Gérard Walelet ; N. Witkowski, 2005, Trop belles pour le Nobel. Les femmes et la science, Seuil ; J. Dall’Ava-Santucci, 2004, Des sorcières aux mandarines, Calmann-Levy.
  • [4]
    E. Badinter, 2002, Les passions intellectuelles, Fayard, tome 2.
  • [5]
    M. Perrot, 2001, Les femmes ou les silences de l’histoire, Flammarion-Champs ; R. Pernoud, 1978, La femme au temps des cathédrales, Le Livre de Poche ; D. Gardey, 2001, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau. 1890-1930, Belin ; J. Rennes, 2007, Le mérite et la nature, une controverse républicaine. L’accès des femmes aux professions de prestige, Fayard.
  • [6]
    S. Boutillier, B. Laperche, 2005, Production des savoirs scientifiques et valorisation de la recherche, dans Genre, science, recherche. Regards et propositions en sciences sociales, M. Cacouault, D. Gardey (2006dir), Document de travail n°9, MAGE-CNRS ; S. Boutillier, B. Laperche, Savoir et recherche, La place des femmes, le Cas de l’Université du Littoral (Nord/Pas-de-Calais), Cahiers de Labrii N° 116, Janvier ; S. Boutillier, B. Laperche, 2006, Les femmes à l’université, de l’exclusion à la reconnaissance ?, Drôle d’époque, n°18, printemps ; S. Boutillier S., 2004, Femmes et créativité scientifique, la question de la « valeur savoir », dans S. Boutillier, B. Lestrade, dir, Le travail des femmes. Axes d’émancipation, Coll. L’esprit économique, Série Economie et innovation, L’harmattan ; B. Laperche, 2004, L’intégration des femmes dans le système de la recherche en France et en Europe : état des lieux et interrogations, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation, n°20 ; R. Bellais, S. Boutillier, B. Laperche, D. Uzunidis, 2000, La femme et l’industriel, Coll. Economie et Innovation, L’Harmattan.
  • [7]
    Aucun ouvrage, à notre connaissance, consacré à l’histoire des sciences ne contient le moindre paragraphe pour la participation des femmes à la production du savoir, que ce soit B. Gille (1978dir), Histoire des techniques, Encyclopédie de la Pléiade ; A. Koyré, Études d’histoire de la pensée scientifique, Gallimard, 1990 ; C. Ronan, Histoire des sciences, Seuil, 1988.
  • [8]
    Poirier J-P., 2002, Histoire des femmes de science en France, du Moyen Age à la Révolution, Editions Pygmalion-Gérard Watelet, page 394.
  • [9]
    http://cordis.europa.eu ; Ministère délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, 2002, Livre blanc : les femmes dans la recherche française ; Livre blanc : Les femmes dans la recherche privée en France, 2004 ; État des lieux : Les femmes dans la recherche, 2005 ; Rapport sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche, 2006 ; E. Ollangnier, C. Solar (2006dir), Parcours de femmes à l’université. Perspectives internationales, L’Harmattan.
  • [10]
  • [11]
    P. Bollé, 2002, Le travail des femmes dans le monde, Problèmes économiques, n°2759, 1er mai.
  • [12]
    M. Osborn et al., 2000, Science policies in the European Union : Promoting excellence through mainstreaming gender equality, Luxembourg, ETAN network on Women and Science.
  • [13]
    M. Cacouault, 1987, Prof, c’est bien… pour une femme ?, Le Mouvement social, n°140, juillet-septembre, pp.107-119 ; M. Duru-Bellat, 1990, L’école des filles. Quelle formation pour quels rôles sociaux ?, Bibliothèque de l’éducation, L’Harmattan ; C. Baudelot, R. Establet, 1992, Allez les filles !, Points Seuil ; M. Duru-Bellat, J.-P. Jarousse, M. A. Labopin, 1993, V. Perrier, Les processus d’auto-sélection des filles à l’entrée en première, L’orientation scolaire et professionnelle, 22, n°3, pp. 259-272 ; N. Mosconi, 1994, Femmes et savoir. La société, l’école et la division sexuelle des savoirs, L’Harmattan ; M. F. Fave-Bonnet, 1996, Les femmes universitaires en France : une féminisation et des carrières différenciées, Cahiers du Mage, 1, pp.83-91; N. Becarud, 2000, Les femmes universitaires en France : l’exemple des scientifiques, Diplômées, n°194, pp. 197-203 ; D. Gardey, Histoire de pionnières, 2000, Travail, genre et sociétés, n°4, octobre, pp.29-34 ; C. Christen-Lecuyer, 2000, Les premières étudiantes de l’université de Paris, Travail, genre et société, n°4, octobre, pp. 35-50 ; H. Delavault, N. Boukhobza, C. Hermann, 2002, Les enseignantes chercheuses à l’université. Demain la parité, L’Harmattan.
  • [14]
    J.-B. Say, 1996, Cours d’économie politique, Flammarion-Champs ; OCDE, 1998, La recherche universitaire en transition, STI, OCDE ; D. Uzunidis (2004dir), L’innovation et l’économie contemporaine, De Boeck ; H. Etzkowitz, 2003, Research groups as ‘quasi firms’ : the invention of the entrepreneurial university, Research Policy, vol.32, n°1, pp.109-121.
  • [15]
    M. Levy, J.-P. Jouyet, 2006, L’économie de l’immatériel, la croissance de demain, Rapport de la Commission sur l’économie de l’immatériel, Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.
  • [16]
  • [17]
    D. Uzunidis, 2001, La marchéisation de la recherche publique et la question de la propriété industrielle, dans B. Laperche (dir), Propriété industrielle et innovation, Coll. Economie et innovation, L’Harmattan, pp.159-174 ; B. Laperche, 2003, Les critères marchands d’évaluation du travail scientifique dans la nouvelle économie, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation n°17, pp. 105-138 ; S. Boutillier, 2004, Économie et économistes face à l’innovation, dans D. Uzunidis (dir), L’innovation et l’économie contemporaine, Espaces cognitifs et territoriaux, Bruxelles, Coll. Economie, Société, Région, de Boeck, pp.21-41.
  • [18]
    R. Duhautois, S. Maublanc, 2006, Chercheurs dans le privé : la place des docteurs, Connaissance de l’emploi, CEE, n°26, février.
  • [19]
    J. Perrat, 2006, Division spatiale du travail et des nouvelles organisations : des territoires « segments » aux territoires « modules » ?, Innovations, Cahiers d’économie de l’innovation, N°24.
  • [20]
    B. Laperche, 2002, The Four Keys Factors for Commercialising Research. The Case of a Young University in a Region in Crisis, Higher Education Management and Policy, Vol 14, N°3, pp. 149-171.
  • [21]
    Ministère délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche, 2006, Innovation et recherche technologique. État de la situation et bilan au 31 décembre 2005, Direction de la technologie.
  • [22]
    C. Rieg, 2003, 30 % de femmes parmi les créateurs d’entreprises, INSEE Première, n°887, Mars ; S. Boutillier, 2004, L’entrepreneur dans une région industrielle en reconversion. Enseignements théoriques à partir d’une réflexion critique sur le concept de capital social, Lab.RII, Conseil Régional du Nord/Pas-de-Calais.
  • [23]
    J. Le Morzellec, 2006, Les femmes dans la recherche privée, VRS, N° 367, novembre-décembre ; G. Hatet-Najar, 2006, La place des femmes au CNRS, VRS, n° 367, novembre-octobre.

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