Notes
-
[1]
Giovanni Guareschi, Le petit monde de Don Camillo, Seuil, Paris, 1996.
- [2]
-
[3]
Topher Mills, The bicycle is an easy Pancake, Red Sharks Press, Cardiff, 1987.
-
[4]
Simone de Beauvoir, La force de l’âge, Gallimard, Paris, 1960.
-
[5]
Jules Romains, Les copains, Gallimard, Paris, 1922.
-
[6]
Iris Murdoch, Pâques sanglantes, Gallimard, Paris, 1989.
-
[7]
Angela Carter, « L a dame de la maison d’amour », dans La compagnie des loups, Seuil, Paris, 1985.
-
[8]
Robert James Muir, Plato’s Dream of wheels, Unwin, 1902.
-
[9]
Richard Ballantine, Richards’ Ultimate Bicycle book, The Overlook Press, New York, 1974.
-
[10]
Paul Fournel, Besoin de vélo, Seuil, Paris, 2001.
-
[11]
Madeleine Delbrêl, Humour dans l’amour, Œuvres complètes, t. 3, Nouvelle Cité, Paris, 2005, p. 68-70.
-
[12]
Didier Tronchet, Petit traité de vélosophie. Le monde vu de ma selle, Plon, Paris, 2000.
-
[13]
Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, Paris, 1985.
-
[14]
Olivier Razemon, Le pouvoir de la pédale. Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, Rue de l’Échiquier, Paris, 2014.
-
[15]
Interview dans Le Point du 1er août 2019.
« Faire du vélo, c’est comme aller à l’église — beaucoup d’adeptes, mais peu qui comprennent. »
Église et cyclisme, deux mondes qui s’ignorent ?
1En l’an 2000, lorsque la paroisse de Montoire-sur-le-Loir organise le premier Championnat de France cycliste du clergé, l’arbitre de la FFC (Fédération française de cyclisme) s’exclame : « Le vélo n’était pas en odeur de sainteté. Enfin, il retrouve sa place dans l’Église. » Il est vrai que le vélo est une sérieuse concurrence à la messe du dimanche matin, et que pour beaucoup, il est devenu le premier rite dominical, avant l’apéritif et le repas familial. Sa réputation a aussi été entachée de multiples affaires de dopage, auquel ce sport est souvent associé. Ce championnat venait donc à pic pour une réconciliation entre deux mondes qui s’ignorent. Il accomplissait la prophétie de Don Camillo : « “Avez-vous quelque idée de ce à quoi un prêtre peut avoir l’air sur un vélo de course ?”, ricana Peppone. Don Camillo vient s’asseoir près de lui sur le mur. “Mon fils, vous devez vous préparer à voir toutes sortes de choses dans ce monde” [1]. » Le championnat commença à douze concurrents au début de ce siècle et il a célébré sa 20e édition pour la première fois en Bretagne, avant de se rendre en 2020 en Ardèche, deux hauts lieux de cyclisme.
2Pourtant, les liens entre Église et cyclisme sont plus anciens, comme en témoigne l’existence en Europe du Sud de trois chapelles dédiées au vélo : en Italie, c’est dès 1948 que le pape Pie XII a proclamé la Madone de Ghisallo « Patronne universelle des cyclistes ». Un flambeau béni par le Pape a été alors porté de Rome jusqu’à la chapelle par des relayeurs dont les derniers étaient deux héros du cyclisme italien : Gino Bartali et Fausto Coppi. La présentation du sanctuaire commence ainsi : « Puis Dieu créa la bicyclette afin que l’homme en fasse un instrument d’effort et d’exaltation sur le dur itinéraire de la vie. » En France, il s’agit de la chapelle Notre-Dame des Cyclistes, dans la commune de Labastide-d’Armagnac, dans les Landes, qui est le lieu d’une vraie pastorale cycliste [2] et en Espagne, Nuestra Senora de Dorleta, au Pays basque, semble quelque peu délaissé.
3Mais il ne suffit pas de citer ces exemples pour accréditer l’existence d’une spiritualité cycliste. Nous voulons montrer dans cet article que le vélo est le lieu d’une véritable expérience spirituelle qui a de profondes résonnances avec la foi chrétienne et qui peut servir d’appui à une pédagogie sportive. Quelques thèmes s’imposent alors : l’effort et la grâce, la personne et l’équipe, l’homme et son outil, la fragilité et la liberté, la dimension politique du vélo.
L’effort et la grâce
4Comme tout sport, le cyclisme est une pratique dont il faut faire l’expérience. Le mensuel Le cycle est d’ailleurs sous-titré Le magazine numéro 1 des pratiquants. On ne peut pas faire du vélo par procuration. Personne ne peut pédaler à ma place si je ne pédale pas de même que si je ne me mets pas à prier, personne ne vivra l’expérience spirituelle à ma place. Il faut monter en selle, se mettre à pédaler, avancer. Le vélo, c’est d’abord une expérience de mise en mouvement : « M’arracher et pédaler,/appuyer et tirer/je me mets en danseuse/appuyant de tout mon poids/pédalant, m’arrachant/m’arrachant, pédalant [3]. » Cette expérience de l’effort qui nous arrache à la pesanteur, qui nous met en mouvement est particulièrement forte dans les longues ascensions des cols, lorsqu’il faut sans cesse appuyer sur les pédales, dans la régularité de l’effort.
5Mais en même temps, le vélo nous permet de faire l’expérience d’être porté : la machine nous porte, nous ne touchons plus terre directement, elle avance, elle nous porte, elle nous permet d’avancer bien plus vite et bien plus loin qu’à pied, mais en même temps elle n’avance pas sans nous, sans notre effort continu et persévérant. Le vélo n’a pas d’autre moyen de propulsion que celui qu’il porte. Mais quelle ivresse de pouvoir à certains moments se laisser porter par le mouvement, en descente ou grâce à l’inertie du mouvement. Plus d’effort, le vélo nous porte loin, nous bénéficions de nos efforts précédents.
6Le vélo nous permet d’aller au-delà de certaines de nos limites. Une des découvertes fondamentales de la vie chrétienne est de découvrir la grâce d’être porté. Nous ne sommes pas seuls : Dieu nous porte dans notre vie. Dieu nous mène là où nous ne pensons pas aller, où nous ne serions pas allés seuls. Et en même temps, Dieu ne fait rien sans nous. Il a besoin de notre collaboration, de notre effort. Il a besoin que nous nous arrachions de nous-mêmes pour sortir de nous-mêmes. Cet effort pour aller au-delà de ses limites, la tradition spirituelle le traduit en termes d’extase, la sortie de soi-même.
7L’effort est continuel, mais il est aussi variable. On ne le produira pas de la même façon en promenade, en sortie, en entraînement, en course en ligne ou contre la montre. Il y a mille et une manières de faire du vélo, ou de la bicyclette. On va fournir un effort plus intense à un moment, changer de rythme, et à d’autres moments se laisser porter : « Sartre préférait de loin la bicyclette à la marche dont la monotonie l’ennuyait ; à bicyclette, l’intensité de l’effort, le rythme de la course varient sans cesse. Il s’amusait à sprinter dans les côtes ; je m’essoufflai, loin derrière lui ; en plat, il pédalait avec tant d’indolence que deux ou trois fois, il atterrit dans le fossé. “Je pensais à autre chose”, me dit-il. Il aimait comme moi la gaieté des descentes. Et puis le paysage changeait plus vite qu’à pied [4]. »
8Le vélo est aussi l’expérience de l’endurance, d’un effort qui peut se prolonger de nombreuses heures et qui va amener à faire parfois l’expérience de ses limites. Certes, il partage cela avec la course à pied ou la marche, à l’heure où se développent les trails. Mais cette expérience de l’endurance est venue très tôt dans l’histoire du vélo : c’est dès 1891 que le Bordeaux-Paris est créé (600 km) ainsi que le Paris-Brest-Paris (1 200 km). Des milliers de cyclistes amateurs continuent d’honorer cette tradition. Aussi, la vertu qui lui est associée est la ténacité ou la persévérance, bien nécessaires aussi dans la vie spirituelle. À l’heure du vieillissement de la population, le vélo permet aussi de conserver une pratique sportive plus longtemps. Alors que la course à pied fait souffrir les articulations, le mouvement continu et sans choc du vélo a permis à Robert Marchand (né en 1911, âgé aujourd’hui de 107 ans) de battre à plusieurs reprises le record de l’heure à vélo des plus de 100 ans, catégorie dans laquelle il n’a, il est vrai, pas beaucoup de concurrents. Tout le monde n’ira pas jusque-là, mais on a vu des concurrents de 80 ans prendre le départ du Paris-Brest-Paris.
Sport individuel et sport d’équipe
9Le vélo est à la fois un sport individuel et un sport d’équipe. On peut le pratiquer bien sûr en solitaire, enfourcher sa bécane pour aller là où l’on a besoin ou envie d’aller. On est seul sur son vélo, mais dans un peloton, on peut expérimenter une vraie communion avec les autres cyclistes : communion dans l’effort, dans le mouvement, dans le partage d’une passion. Chacun est responsable des autres dans un peloton, on doit veiller les uns sur les autres, car un mouvement de travers ou mal maîtrisé peut causer une chute. La communion chrétienne dans la foi nous met aussi en mouvement vers un même but, dans un même effort, mais laisse chacun responsable de ses actes. Elle demande cette même attention mutuelle. L’Église est bien une communauté en mouvement, en chemin, pour gagner la couronne qui ne se flétrit pas. On sait qu’on a besoin les uns des autres, et qu’ensemble on va plus loin que seul. Celui qui se cale dans la roue de l’autre bénéficie de son sillage. Dans les courses, le travail des équipiers au service d’un leader qu’ils doivent placer le mieux possible pour la victoire finale sera souvent décisif. L’esprit d’équipe est bien de compter les uns sur les autres et, en même temps, chacun fournit l’effort nécessaire pour le bien de tous et ne se contente pas de compter sur les efforts des autres.
L’homme, l’outil, la nature
10« Je suis heureux ! Tout est admirable ! Et nous glissons à travers tout sur de souples et silencieuses machines. Je les aime, ces machines. Elles ne nous portent pas bêtement. Elles ne font que prolonger nos membres et qu’épanouir notre force. Le silence de leur marche ! Ce silence fidèle ! Ce silence qui respecte toute chose [5]. »
11Parmi les véhicules, seul le vélo est silencieux, seul le vélo ne consomme pas d’énergie fossile pour avancer. « La bicyclette est le moyen de transport le plus civilisé connu de l’homme. Les autres formes de transport deviennent chaque jour plus cauchemardesques. Seule la bicyclette reste pure au cœur [6]. » On peut faire cette expérience du silence sur des routes désertes, ou dans de grandes épreuves cyclistes où des milliers de cyclistes montent en silence des cols, comme une longue ascension vers les sommets, où chacun est face à soi-même, face à la nature.
12Rien n’est plus simple qu’un vélo : deux roues, un cadre en forme de triangle, un guidon, une selle, un pédalier. Ce qui est frappant, c’est que dès son invention, qu’on peut dater en 1861, lorsque Pierre Michaux eut l’idée de fixer un pédalier sur la roue avant d’une Draisienne, l’essentiel est là. Il va bien sûr sans cesse se perfectionner, mais la forme fondamentale n’a pas changé depuis un siècle et demi. Le vélo prolonge notre effort. La capacité de la raison humaine, c’est d’inventer des outils qui prolongent son corps (depuis la masse). Le vélo, en ce sens, est l’invention la plus parfaitement correspondante à la capacité de mouvement. Il est la capacité de transformer le rond en ligne. L’invention du vélo est comme produit de la pure raison, de la capacité de l’homme appliquée au mouvement, prolongement de l’invention fondamentale de la roue pour la civilisation : « Il a choisi le mode de transport le plus rationnel du monde pour son voyage autour des Carpates. Aller à bicyclette constitue en soi-même une certaine protection contre les peurs superstitieuses, puisque la bicyclette est le produit de la pure raison appliquée au mouvement. La géométrie au service de l’homme [7] ! »
13Être à vélo, sur un vélo, c’est vivre un certain rapport entre notre corps et la machine, qui devient presque un prolongement du corps. Le vélo n’enferme pas, il laisse à l’air libre, il laisse en communion avec les éléments. Il est comme un prolongement du corps pour accroître sa capacité de mouvement : « L’homme doit parfaitement informer la bicyclette et faire corps avec elle, tout comme l’âme informe le corps. Aussi peut-on l’appeler l’âme de la bicyclette, et lorsqu’il quitte la bicyclette, celle-ci demeure aussi inerte que le corps lorsque l’âme l’abandonne [8]. » Ainsi, on dit qu’on ne peut pas oublier comment faire de la bicyclette une fois qu’on a appris, comme l’homme ne peut oublier la marche ou la parole. Comme si ce mouvement circulaire allait de soi. « Si l’idéal de la culture grecque classique était d’atteindre la plus parfaite harmonie du corps et de l’esprit, alors un homme et une bicyclette synthétisent parfaitement le corps et la machine [9]. »
La liberté, l’insécurité et la fragilité
14Le vélo, c’est aussi l’expérience de l’équilibre dans le mouvement : expérience de faire face à la peur de tomber au début, lorsque nous avons fait nos premiers tours de roue sans les petites roues : « Le vélo commence toujours par un miracle. Pendant des jours on tremble, on hésite, on se dit que jamais on ne se libérera de cette main qui nous guide sous la selle [10]. » Et puis, un jour, on prend son élan, on se met à rouler seul, et on peut aller de plus en plus loin. Cet équilibre, c’est celui de toute notre vie : on ne peut pas tenir debout sans avancer. Il y a une sorte de miracle à découvrir cet équilibre dans le mouvement, équilibre impossible à l’arrêt. Madeleine Delbrêl est partie de cette idée, dans son court poème intitulé « Spiritualité du vélo » :
« “Allez…” nous dites-vous à tous les tournants de l’Évangile. Pour être dans votre sens, il faut aller même quand notre paresse nous supplie de demeurer.
Vous nous avez choisis pour être dans un équilibre étrange, un équilibre qui ne peut s’établir et tenir que dans un mouvement, que dans un élan.
Un peu comme un vélo qui ne tient pas debout sans rouler, un vélo qui reste penché contre un mur tant qu’on ne l’a pas enfourché, pour le faire filer bon train sur la route.
La condition qui nous est donnée c’est une insécurité universelle vertigineuse. Dès que nous nous prenons à la regarder, notre vie penche, se dérobe.
Nous ne pouvons tenir debout que pour marcher, que pour foncer dans un élan de charité.
Tous les saints qui nous sont donnés pour modèles, ou beaucoup, étaient sous le régime des Assurances — une espèce de Sécurité spirituelle qui les garantissait contre les risques, les maladies, qui prenait même en charge leurs enfantements spirituels. Ils avaient des temps de prière officiels, des méthodes pour faire pénitence, tout un code de conseils et de défense.
Mais pour nous, c’est dans un libéralisme un peu fou que joue l’aventure de votre grâce. Vous vous refusez à nous fournir une carte routière. Notre cheminement se fait de nuit. Chaque acte à faire à tour de rôle s’illumine comme des relais de signaux. Souvent la seule chose garantie c’est cette fatigue régulière du même travail chaque jour à faire, du même ménage à recommencer, des mêmes défauts à corriger, des mêmes bêtises à ne pas faire.
Mais en dehors de cette garantie, tout le reste est laissé à votre fantaisie qui s’en donne à l’aise avec nous [11]. »
16À l’époque où Madeleine Delbrêl (1904-1964) écrit, le vélo est par excellence le moyen de transport des classes populaires dont elle a choisi de partager la vie en allant s’installer à Ivry-sur-Seine, ville marxiste, dès 1933 et où elle vivra jusqu’à sa mort. Elle a choisi une vie pour Dieu dans le monde, une vie de laïque avec quelques compagnes, tout entière donnée à Dieu et aux autres, sans autre règle que la charité. Il y a dans la vie laïque une répétitivité des mêmes efforts au quotidien, de mêmes gestes qu’on retrouve aussi dans l’expérience du vélo. Il y a aussi l’expérience de ne pas voir à l’avance le chemin, mais de le découvrir au fur et à mesure des événements et rencontres, et donc de devoir être prêt à affronter chaque jour des surprises, qui éclaireront le sens du chemin et aideront à aller plus loin. Et il y a surtout dans le vélo le fait de ne pas pouvoir s’arrêter d’aller. Elle y voit donc le sens de sa vie, elle ne trouve son équilibre que dans la réponse à ce commandement fondamental de l’apôtre : « Allez ! »
17Cette insécurité qu’elle caractérise comme absence de garantie et de certitudes sur le chemin, le cycliste moderne la vit aussi comme sa fragilité au milieu de la circulation automobile et de tous les dangers possibles de la route. Il n’est pas protégé par la carcasse de la voiture, il est livré toujours à la chute possible. Et en milieu urbain, il y faut une attention constante. On ne peut pas s’endormir à vélo : « Le sentiment de fragilité qui habite le cycliste aiguise son attention au monde. Il le partage avec la gazelle et bénéficie en retour, comme elle, de ce supplément d’exaltation à vivre chaque instant, commun à toutes les espèces menacées [12]. » Si l’attention est la clef de la vie spirituelle, comme l’affirmait Simone Weil, dans « Réflexions sur le bon usage des études scolaires en vue de l’amour de Dieu [13] », on pourrait dire alors que le vélo est une bonne école de vie spirituelle, par la qualité d’attention, condition nécessaire de la survie : « Procurez-vous une bicyclette, vous ne le regretterez pas — si vous restez en vie » (Mark Twain).
18Cette insistance sur l’attention manifeste que le danger ne vient pas seulement de l’extérieur, mais du cycliste lui-même, d’une distraction possible, d’une erreur d’appréciation et de trajectoire, et justement de ce qui est sa force qui est la vitesse et qui rend la chute plus dangereuse et brutale. Cette fragilité existe dans la vie spirituelle : la foi n’est pas protégée par des carapaces, elle est toujours fragile, et mise en cause dans un monde où Dieu est silencieux, par les épreuves ou les hommes qui nient Dieu. Croire, c’est aller, c’est être en mouvement. Si je ne cherche pas à avancer vers Dieu, à mettre en pratique ma foi, à nourrir ma vie de la prière, de la Parole de Dieu, elle s’atrophie. La foi est en ce sens, comme le vélo, un exercice, une pratique.
Politique du vélo
19Le vélo n’est pas seulement un sport, c’est aussi un moyen de transport, qui peut devenir un style de vie. Dans son ouvrage Le pouvoir de la pédale. Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées [14], le journaliste Olivier Razemon met en lumière que le vélo est un moyen de transport fiable, rapide, bon marché, peu consommateur d’espace, économe en énergie et non polluant. Il considère que pour les distances comprises entre 500 m et 10 km, le vélo serait le moyen de transport le plus bénéfique pour les villes, le cadre de vie, la santé. Pour Éric Fottorino, grand amateur et auteur de plusieurs ouvrages sur le vélo, « les cyclistes sont porteurs d’un changement politique. Ils nous obligent à faire bouger la ville. Plus ils seront nombreux, plus nous serons obligés de faire un grand Yalta de la rue. Bien sûr que le vélo est politique ! Il propose un autre regard sur le monde qui nous entoure. On n’est pas derrière une vitre [15] ».
20Le vélo est l’un des moyens de sortir de la dépendance au pétrole qui ruine la planète. Pour les chrétiens, prendre la bicyclette peut être un acte militant en faveur de la création dans le cadre de démarches « Église verte » ou Laudato si’. Les sociétés d’Europe du Nord, plus avancées que la France en matière de politique cyclable, ont développé des équipements qui donnent au vélo toute sa place dans l’espace urbain. Une spiritualité écologique et sportive serait aujourd’hui un lieu de dialogue fécond entre l’Église et ces nouveaux courants soucieux d’un meilleur équilibre humain et écologique.
Pour conclure
21L’Église doit-elle se réconcilier avec le cyclisme ? Doit-elle épouser cette pratique montante qui marque aujourd’hui nos sociétés post-modernes ? Le cyclisme dans ses différents aspects est certes le fruit de la modernité industrielle avec sa culture du loisir et de la compétition sportive, qui ont mis à bas les sociétés traditionnelles de chrétienté. Mais l’Église sait qu’elle doit rejoindre les hommes sur leurs routes d’aujourd’hui, et que l’homme en mouvement perpétuel est lui-même la route de l’Église (Jean-Paul II). Aussi, le fait que la pratique cycliste rejoigne divers aspects de la spiritualité chrétienne peut inspirer les chrétiens et les stimuler dans leurs efforts spirituels et sportifs, dans une recherche d’unification personnelle.
22Finalement, pourquoi pédaler, pourquoi avancer ? Tout simplement parce qu’on est vivant, et pour se sentir vivant. Ce qui nous est donné d’expérimenter sur un vélo, dans un mouvement, c’est la grâce de vivre, la grâce d’aller, de sentir en soi cette vie palpiter, la vie vivante, sur des chemins toujours neufs.
Notes
-
[1]
Giovanni Guareschi, Le petit monde de Don Camillo, Seuil, Paris, 1996.
- [2]
-
[3]
Topher Mills, The bicycle is an easy Pancake, Red Sharks Press, Cardiff, 1987.
-
[4]
Simone de Beauvoir, La force de l’âge, Gallimard, Paris, 1960.
-
[5]
Jules Romains, Les copains, Gallimard, Paris, 1922.
-
[6]
Iris Murdoch, Pâques sanglantes, Gallimard, Paris, 1989.
-
[7]
Angela Carter, « L a dame de la maison d’amour », dans La compagnie des loups, Seuil, Paris, 1985.
-
[8]
Robert James Muir, Plato’s Dream of wheels, Unwin, 1902.
-
[9]
Richard Ballantine, Richards’ Ultimate Bicycle book, The Overlook Press, New York, 1974.
-
[10]
Paul Fournel, Besoin de vélo, Seuil, Paris, 2001.
-
[11]
Madeleine Delbrêl, Humour dans l’amour, Œuvres complètes, t. 3, Nouvelle Cité, Paris, 2005, p. 68-70.
-
[12]
Didier Tronchet, Petit traité de vélosophie. Le monde vu de ma selle, Plon, Paris, 2000.
-
[13]
Simone Weil, Attente de Dieu, Fayard, Paris, 1985.
-
[14]
Olivier Razemon, Le pouvoir de la pédale. Comment le vélo transforme nos sociétés cabossées, Rue de l’Échiquier, Paris, 2014.
-
[15]
Interview dans Le Point du 1er août 2019.