Notes
-
[1]
Cf. Pierre Calliclès, « Mamie fait du catéchisme », dans Cahiers pour croire aujourd’hui, no 170, octobre 1995, p. 3-8, ici p. 7.
-
[2]
Enzo Biemmi, « La nouvelle évangélisation dans l’Église catholique », dans Jérôme Cottin et Élisabeth Parmentier (dir.), Évangéliser. Approches œcuméniques et européennes, Lit Verlag, coll. Théologie pratique, pédagogie, spiritualité, no 9, Zürich, 2015, p. 63-79.
-
[3]
Mariette Martineau, Joan Weber et Leif Kehrwald, Intergenerational Faith Formation. All Ages learning together, Twenty-Third Publishing, New London, 2008.
-
[4]
Holly Catterton Allen (dir.), InterGenerate. Transforming Churches through Intergenerational Ministry, Abilene Christian University Press, 2018, p. 18.
-
[5]
Cf. Mgr Christophe Dufour, « Mettre la parole de Dieu au cœur de la catéchèse », dans La Documentation catholique, no 2391, 2 décembre 2007, p. 1067.
-
[6]
Si dans certains diocèses, les catéchistes sont relativement âgés, on constate ailleurs une tendance à un rajeunissement. Sur le profil des catéchistes et leur mission, voir Catherine Chevalier et Joël Morlet, Être catéchiste. Témoigner d’une expérience. Enquête auprès des catéchistes en Belgique et en France, Lumen Vitae, coll. Pédagogie catéchétique, no 32, Namur, 2015.
-
[7]
Bahija Lamkaddem, « Les temps changent, les grands-parents aussi », dans Le Ligueur, 7 janvier 2004, p. 5.
-
[8]
Thérèse Jeunejean, « Les grands-parents nouveaux sont arrivés », dans Le Ligueur, 10 mars 1999, p. 1-2, ici p. 1.
-
[9]
Bahija Lamkaddem, « Les temps changent, les grands-parents aussi », art. cit., p. 5.
-
[10]
Marcel Rufo, Grands-parents, à vous de jouer, Éd. Anne Carrière, Paris, 2002, p. 71, 76 et 102.
-
[11]
Joëlle Lacroix, « Petits arrangements entre parents et grands-parents », dans Le Ligueur, 15 décembre 2004, p. 5.
-
[12]
Nathalie Vancrayenest, « Grands-parents : quel rôle et quelle place dans la famille ? », dans La Libre Belgique, 15 mars 2018, à lire sur : www.lalibre.be/lifestyle/psycho/grands-parents-quel-role-et-quelle-placedans-la-famille-5aaa3c8bcd709bfa6acb013a (consulté le 5 mars 2019).
-
[13]
Yves de Gentil-Baichis, « Les grands-parents sur la corde raide », dans La Croix, 6 février 1998, p. II (section « Parents et enfants »).
-
[14]
Cf. Anne-Solenn Le Bihan, Si tu dis non, je vais chez mamie !, Larousse, Paris, 2011. Ce livre aborde notamment la question de la juste position et de la responsabilité des grands-parents en cas de divorce et dans les familles recomposées.
-
[15]
Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen, Grands-parents. La famille à travers les générations, Odile Jacob, Paris, 2007, 2e éd, p. 199.
-
[16]
Geneviève de Taisne, « Les grands-parents peuvent transmettre un certain sens de la vie », dans La Croix, 6 février 1998, p. III (section « Parents et enfants »).
-
[17]
Yves de Gentil-Baichis, « Les grands-parents sur la corde raide », art. cit.
-
[18]
Mgr Albert Rouet, « Intervenir dans le domaine religieux », dans Alliances-Couples d’aujourd’hui, no 79, 1992, p. 36-38.
-
[19]
Cf. les réflexions de la psychanalyste Catherine Bergeret-Amselek : « Même s’il n’est pas toujours facile de rester à sa place, même si on n’est pas d’accord avec les principes éducatifs appliqués, la règle d’or que doivent suivre les grands-parents est de ne jamais donner tort aux parents devant leur petit-enfant » (Propos recueillis par Catherine Marchi, « Les grands-parents, c’est important ? », dans Parents, 16 mars 2015, à lire sur : www.parents.fr/enfant/education-et-vie-sociale/les-grands-parents-cest-important-13495 (consulté le 5 mars 2019).
-
[20]
Geneviève de Taisne, « Les grands-parents peuvent transmettre un certain sens de la vie », art. cit.
-
[21]
Maurice Fourmond et Rosine Legrand, « Les grands-parents jouent-ils un rôle ? », art. cit., p. 29-31, ici p. 30.
-
[22]
Les « jeudis des grands-parents » se déroulent en l’église Saint-Ignace, église jésuite de Paris VIe ; voir : https://stignace.net/portfolio-items/familles-co (consulté le 5 mars 2019).
-
[23]
Un bel exemple de ce type de production est : Traci Smith, Faithful Families. Creating sacred Moments at Home, Chalice Press, Saint-Louis (Missouri), 2017.
-
[24]
Cardinal Maurice Piat, « “Va, aime, sois témoin”. Lettre pastorale 2019 », dans La Vie catholique – Magazine de la famille mauricienne, 7 mars 2019, p. 4-25.
1À la question de savoir si les grands-parents d’aujourd’hui peuvent entretenir des liens avec la catéchèse, la réponse semble évidente. On pourrait y répondre six fois « oui ».
2Comme acteurs ou comme destinataires de la catéchèse, les grands-parents sont bien présents dans la réflexion pastorale contemporaine. On les retrouve dans la plupart des textes d’orientation sur la catéchèse et sur la vie chrétienne en communauté. D’un point de vue statistique ou sociologique aussi, il serait aisé de montrer que les grands-parents sont très présents dans les paroisses, dans les équipes d’animation pastorale ou encore sur les bancs de nos facultés de théologie. Les « aînés » (mais est-ce le bon terme pour parler d’eux ?) sont peut-être même parmi les plus actifs des chrétiens. Le nombre de prêtres, de catéchistes, de lecteurs, de marguilliers ou encore de bénévoles dans des associations caritatives d’obédience chrétienne sont très nombreux, en bien des cas ils sont majoritaires. Or donc, ce n’est pas un sujet anecdotique, secondaire ou périphérique que d’examiner quels liens les grands-parents entretiennent de nos jours avec les lieux habituels de la catéchèse.
Des grands-parents concernés par la catéchèse
3On peut tenter une typologie de ces multiples liaisons et connexions entre catéchèse et grands-parents, à partir de deux postures.
4Il y a d’abord les grands-parents qui pourraient être choyés au titre de destinataires de propositions catéchétiques.
5La catéchèse des adultes, depuis le Directoire général de Catéchèse de 1971, est régulièrement décrite comme « la forme privilégiée » (DGC, no 20) de la catéchèse. L’exhortation apostolique post-synodale de 1979, Catechesi tradendae, rappelle que « pour être efficace, la catéchèse doit être permanente et elle serait bien vaine si elle s’arrêtait juste au seuil de l’âge mûr » (CT, no 43). Le Directoire général pour la catéchèse de 1997 quant à lui consacre plusieurs paragraphes aux « personnes âgées », dont les grands-parents. Ce document magistériel souhaite pour elles une « catéchèse de l’espérance » (DGC, no 187), une catéchèse qui pourra conduire à la plénitude ou apporter une « lumière nouvelle ».
6Une autre manière de faire des grands-parents des destinataires privilégiés en catéchèse est d’adopter une voie plus inductive. Les transitions à vivre au-delà de 55 ans, par exemple, sont légions : passage vers la fin de la carrière professionnelle, transition vers un autre rythme de vie, réduction des rentrées financières après la retraite, épreuves parfois de la souffrance, du deuil. Bien des personnes dans la dernière partie de leur vie rencontrent parfois un sentiment d’inutilité [1], on parle parfois de déprimes ou de dépressions. Tous ces moments existentiellement intenses et restructurants, toutes ces « transitions de vie » sont, en creux, autant d’appels possibles à revisiter sa foi, à réentendre une « seconde nouvelle annonce », à passer à une nouvelle étape dans la vie de foi [2]. Les chercheurs spécialisés dans l’articulation entre sciences humaines et théologie de la catéchèse ont depuis longtemps pointé ces étapes, ces passages comme des opportunités fortes à reproposer une catéchèse appropriée. Aller vers la maturation de la foi, changer et rester quand même disciple de Jésus, tous ces moments rendent plus disponible et souvent plus motivé pour « aller au cœur de la foi », autrement, avec une autre sagesse, une autre profondeur peut-être.
7Et il y a de manière encore plus naturelle et évidente une troisième manière de parler des grands-parents comme destinataires de catéchèse : dans le cadre de rassemblements, de « catéchèse intergénérationnelle » (CIG). Dans cette forme très prisée de nos jours de catéchèse, chaque baptisé est non seulement appelé à partager et à exprimer sa foi et son cheminement. Chaque participant est aussi nourri par ces multiples témoignages, de chrétiens d’âges différents, de profils sociaux différents, d’expériences humaines différentes [3]. Les rassemblements intergénérationnels se préparent et se développent à partir d’un fondement clair, simple mais profond : quel que soit son âge, on n’a jamais fini de grandir dans la foi. C’est le témoignage de tous qui nourrit la foi de chacun.
8La deuxième posture sera de considérer les grands-parents comme acteurs en catéchèse. Et ici encore, il est possible de détailler plusieurs approches complémentaires.
9D’abord, comme l’autre pan du volet intergénérationnel, il est clair que ces « communautés d’apprentissage », où tous les âges sont en présence, à recevoir témoignages et soutiens les uns des autres, place aussi les aînés, dont les grands-parents dans une situation donatrice : leur fidélité dans la vie de foi, leur persévérance ou leur découverte du message, tous les aspects de leurs liens avec la Parole de Dieu et avec la vie communautaire peuvent être des apports précieux pour les générations plus jeunes. Selon une des chercheuses les plus reconnues à propos de la CIG, Holly Catterton Allen, il ne s’agit pas seulement de penser la communauté chrétienne comme « multi-générationnelle » (ce qui signifierait que la communauté est diverse et vit cette pluralité d’âge de manière seulement polie et superficielle), ni même comme « trans-générationnelle » (là où certains échanges entre générations existent mais sans réelle transformation, ni individuelle ni collective), mais réellement comme inter-générationnelle (avec mutualité et réciprocité, dans une logique transformative tant individuelle que collective) [4].
10Une autre approche qui honore les grands-parents comme destinateurs et acteurs dans la catéchèse est celle de les qualifier d’« aînés dans la foi ». Attention à bien comprendre ce terme. L’expression fait florès, en particulier dans l’accompagnement des catéchumènes et dans certains pays pour parler d’une pédagogie d’initiation. Le concept d’« aîné » ne signifie pas directement ici une notion d’âge avancé, mais d’antériorité dans la foi. On peut être un « aîné dans la foi » même en étant soi-même bien jeune ? Mais le rôle des trois fois vingt, par exemple, est lui aussi d’être « aîné dans la foi », en ce sens précis d’être pour d’autres des transmetteurs de ce que l’on a soi-même reçu, en fidélité avec la Parole de Dieu et la tradition chrétienne. Être aîné dans la foi, c’est être un passeur soutenant, avec ses limites, être parfois une référence pour celles et ceux qui nous sont confiés. Être aîné dans la foi comme un art de vivre, comme la reconnaissance d’une fraternité entre les chrétiens, des témoins-accompagnateurs [5].
11Il convient enfin de rappeler que les grands-parents, dans les paroisses, constituent une part importante des acteurs de la catéchèse, parfois même ils composent l’essentiel de l’équipe des catéchistes [6].
Les grands-parents et la transmission religieuse
12Prenons maintenant le temps d’examiner en quoi les grands-parents dans leur rôle et leur statut familial spécifique de grands-parents sont concernés par la transmission religieuse. Une catéchèse familiale avec les grands-parents, est-ce crédible et envisageable de nos jours ?
13Afin de ne pas bâtir un discours déconnecté des réalités sociales contemporaines sur le statut et le rôle des grands-parents dans nos sociétés occidentales, il faut d’abord rappeler quelques données communes.
14Parler des grands-parents en général n’a guère de sens. Les experts rappellent volontiers qu’ils « constituent le groupe social le plus varié : on peut devenir grands-parents dès 40 ans [7]. » L’image d’Épinal de grands-parents forcément sages, rangés et chrétiens a fait long feu. Ils ne sont pas forcément des vieillards : ils peuvent être (et sont souvent) actifs, engagés en politique ou dans des associations, grands voyageurs [8], férus de culture… Mais ils ne sont pas forcément non plus débordants de santé et de dynamisme : on connaît aussi des grands-parents retraités qui font face à un sentiment d’échec en regardant ce qu’a été leur vie, parfois un goût amer d’inutilité ou de solitude les étreint. Des statistiques belges du début du siècle notaient qu’on devient, en moyenne grand-mère vers 52 ans et grand-père vers 55 ans. Une autre statistique belge, plus ancienne (1980), révélait que 51 % des grands-parents vivaient à moins de 10 km de leurs petits-enfants [9].
15La mission des grands-parents fait elle aussi l’objet d’études contextuelles, mettant en valeur des principes assez stables, mais vécus dans de plus en plus de particularismes contextuels, variables et parfois assez provisoires.
16On compte que les grands-parents peuvent influer, en matière d’éducation et de transmission intergénérationnelle, en plusieurs domaines. Nous en dresserons la liste. Mais il convient d’emblée de rappeler la position la plus avérée chez les experts en ces matières familiales : c’est la position délicate mais cruciale de se tenir proche sans envahir, de savoir se rendre proche mais sans usurper la place des parents.
17On peut ainsi tenter d’en identifier divers registres, mais de manière non exhaustive. Au mieux, les grands-parents peuvent être :
- Des socles d’identification : Ils racontent d’où vient la famille, ils représentent la mémoire de ce qui a précédé [10]. Ils participent à l’inscription de l’enfant dans le temps et dans la structuration familiale, dans la généalogie. Ils aident à répondre aux questions des origines.
- Des pôles fédérateurs : Ce sont souvent les grands-parents qui réunissent la famille, la fratrie large [11] ; c’est par leur intermédiaire que les liens entre les couples et leurs enfants se tissent et se retissent, notamment au gré des éventuelles recompositions conjugales. Les grands-parents sont aussi le point central pour toutes les informations familiales, une sorte de pivot sur lequel la famille repose.
- Des chroniqueurs du passé et des transmetteurs de la mémoire familiale : Avec les photos, les vieux objets qui ont une histoire dans la famille, des anecdotes du passé, des commentaires : tout cela apporte une forme de pérennité et a des effets stabilisateurs [12]. Ils peuvent aussi narrer comment étaient leurs enfants, avant la naissance des petits-enfants. Ils deviennent en quelque sorte les « meilleurs biographes » des parents des petits-enfants [13].
- Des facilitateurs : Les domaines sont légion : garde d’enfants malades, aide financière, contacts avec des intermédiaires…
- Des médiateurs entre parents et enfants en cas de petits conflits : On pense notamment aux tensions possibles d’un adolescent avec ses parents. Les grands-parents, à bonne distance, peuvent écouter l’adolescent sans le juger.
- De garants de stabilité : Parce qu’ils sont « inconditionnellement » grands-parents, ils offrent une sécurité affective et une présence stable, et cela quand bien même le couple des parents viendrait à vivre des difficultés, voire se séparerait [14]. Et par rapport aux parents, à condition qu’ils restent clairs sur leur place, les grands-parents offrent cette sécurité qu’ils ne détérioreront ni ne disqualifieront pas leur image auprès de leurs enfants.
18Faisons un pas de plus et posons la question religieuse : quel peut être le rôle des grands-parents dans l’éveil religieux et spirituel de leurs petits-enfants ? Est-il réaliste d’espérer que les grands-parents deviennent en quelque sorte les « catéchistes » de leurs petits-enfants ?
19Il est indéniable que les catholiques pratiquants sont plus nombreux dans la génération des grands-parents et que cela fait naître la tentation que ceux-ci puissent combler les lacunes dans la formation religieuse. Alors si beaucoup de grands-parents se sentent investis d’une responsabilité de transmission sur le plan des valeurs, de l’éducation, voire de la morale, qu’en est-il au plan religieux et spirituel ?
20Beaucoup des grands-parents d’aujourd’hui ont pris des distances avec le catholicisme. Il serait probablement bien léger de croire que la transmission systématique de la foi passera par cette génération-là. Les motivations des grands-parents par rapport à la transmission religieuse au bénéfice de leur descendance sont ainsi fort diverses : « Soit les parents se défaussent de l’éducation religieuse de leurs enfants sur leurs propres parents, soit ils refusent qu’une telle éducation leur soit donnée et au contraire affirment leur laïcité ; au sein d’une fratrie, les destins matrimoniaux et religieux des enfants sont aussi variés, de sorte que l’on peut trouver des couples mixtes, des couples religieux ou pas. L’hétérogénéité des nombreux petits-enfants d’un même couple grand-parental complique le choix des attitudes à adopter [15]. »
21Alors quelle attitude, quelle parole, quel comportement adopter ? Il y a deux règles de base qui pourront être développées. D’abord, il s’agit moins comme grands-parents de chercher à faire de longs discours sur la prière, la foi ou les sacrements, mais d’aborder la transmission comme une manière de faire passer un certain sens de la vie [16]. Ensuite, il faut admettre de manière stricte que « si les parents refusent que leurs gamins reçoivent une éducation religieuse, les grands-parents n’ont pas à faire le forcing [17]. » Il n’est pas question d’une initiation chrétienne « clandestine » ?
22Reprenons ces deux principes et développons-les davantage.
23Les grands-parents ne sont pas condamnés à se taire à propos de leurs propres convictions (ce qu’ils pensent du sens de la vie, de l’amour, de la fidélité, de Dieu, de la vie après la mort…). Mais ce sera sous une forme particulière : plutôt que d’apporter des réponses toutes faites, ce serait plutôt sous forme de récits de vie et de témoignage. Il s’agirait donc d’évoquer les valeurs qui les font vivre et qui donnent une signification à leur existence. Mgr A. Rouet, en 1992, jugeait par ailleurs que le rôle des grands-parents est crucial quand il s’agit de « retrouver ses racines », de « faire mémoire » de l’aventure de la foi dans l’histoire familiale [18].
24Reste ensuite la manière de le faire, le style à adopter. Ici encore tout est question de bonne distance. Il ne s’agit pas de chercher à prouver par des comportements antinomiques à ceux prônés par les parents qu’il y a écart et opposition implicite [19]. Le rôle des grands-parents est « d’être un ferment de solidarité entre les générations et non de division [20]. » Le comportement correct, le style juste, la forme de présence à trouver, voilà sans doute les bases humaines et relationnelles à investir. Comment être à côté de ses enfants et de ses petits-enfants sans les envahir ? Comment respecter les choix éducatifs de ses enfants sans imposer une autre manière de faire ou de voir ? Leur rôle est donc « à la fois discret et fondamental, être témoin. […] En étant eux-mêmes clairs dans leurs convictions comme dans leurs manières d’agir, ils laissent des traces dans l’esprit des enfants, des traces faites d’interrogations, voire d’envie [21]. »
Des initiatives pastorales
25Terminons ce bref tour d’horizon par l’indication d’initiatives pastorales qui impliquent structurellement les grands-parents dans un partenariat à allure intergénérationnelle.
26Premier exemple d’initiative : En bien des lieux, ce sont les grands-parents qui se soucient d’offrir une première Bible, un premier livre de prières ou une BD chrétienne à leurs petits-enfants. Les librairies religieuses sont coutumières de ce genre d’acheteurs, bien intentionnés, mais pas forcément très documentés sur les choix possibles. Or, en matière de littérature religieuse pour les tout-petits, le meilleur côtoie souvent le pire. À côté de productions correctes d’un point de vue exégétique, théologique ou pédagogique, d’autres publications ne respectent guère ni la Parole de Dieu ni l’univers spirituel des enfants. Les grands-parents naturellement aimeraient offrir le meilleur à leurs petits-enfants. Voilà une occasion que certains diocèses ont pu saisir d’offrir un espace d’information ou de formation biblique pour des grands-parents, afin qu’ils puissent choisir quel livre, quelle BD offrir en toute connaissance de cause.
27Autre exemple : Telle initiative pastorale parisienne qui organise les « jeudis des grands-parents » afin de faire exister un lieu concret de partage d’expériences et d’encouragement entre grands-parents motivés par les questions de maturation de leur foi et de transmission intergénérationnelle, un espace « pour contempler nos relations avec nos enfants et nos petits-enfants, dans le concret de leur vie, dans un éclairage spirituel [22]. »
28Et enfin, dernier exemple : Cette initiative née aux États-Unis s’adresse aux familles où explicitement et intentionnellement il existe un vrai partenariat intergénérationnel entre parents et grands-parents pour un éveil religieux et une transmission des paroles, des gestes et des prières chrétiennes envers les plus jeunes [23]. Ces familles existent aussi chez nous, même si bizarrement on a parfois tendance à les oublier ou à les considérer simplement comme rarissimes. Pour elles, existent des publications remplies de suggestions concrètes à destination de parents et/ou de grands-parents, pour créer « des moments sacrés à la maison » : des mots et des gestes pour ne pas passer à côté de traditions et d’événements spéciaux dans la vie familiale (anniversaires, anniversaires de mariage, temps forts de l’année civile ou liturgique…), des suggestions pour le temps de la mise au lit des enfants, pour les repas en famille. On peut également évoquer des occasions à ne pas galvauder : apprendre à prier en lien avec la nature (le coucher de soleil, les jours de grand vent, les premiers flocons…), la découverte en famille avec des petits-enfants de la contemplation, de la lectio divina… Aussi, pour nos projets en pastorale en ces temps d’un christianisme fragilisé et parfois minoritaire, il ne faudrait pas dédaigner ou ironiser sur de telles initiatives si explicites et spirituelles au prétexte qu’elles ne sont, ni à la mode, ni attendues par le plus grand nombre. La pastorale dans nos Églises occidentales doit aussi tenir bon et offrir des pistes audacieuses, confiantes et explicitement nourrissantes dans l’éveil à la foi de toutes les générations.
Faire ce que nous pouvons
29Dans sa lettre pastorale, rédigée pour le Carême 2019, le Cardinal Maurice Piat, évêque de Port-Louis (île Maurice) offrait à ses diocésains une longue méditation sur la mission aujourd’hui, à partir de réflexions sur la figure du « disciple-missionnaire ». On pourrait aisément transposer aux grands-parents impliqués à quelque titre en catéchèse dans notre Église ce que le prélat mauricien notait pour ses chrétiens de l’Océan Indien : « C’est dans le même Esprit que le Seigneur nous envoie en mission aujourd’hui. Devant les immenses besoins des gens, il ne nous demande pas de déployer de grands moyens, mais il nous invite à nous mettre en route, tels que nous sommes, avec nos limites en lui faisant confiance. Le Seigneur s’engage à déployer sa puissance dans notre faiblesse. Nous nous rendons compte que le succès de la mission ne dépend pas de nos talents ou de nos propres forces, mais du don gratuit du Seigneur qui vient nous sauver. Il nous demande simplement de faire ce que nous pouvons [24]. »
Notes
-
[1]
Cf. Pierre Calliclès, « Mamie fait du catéchisme », dans Cahiers pour croire aujourd’hui, no 170, octobre 1995, p. 3-8, ici p. 7.
-
[2]
Enzo Biemmi, « La nouvelle évangélisation dans l’Église catholique », dans Jérôme Cottin et Élisabeth Parmentier (dir.), Évangéliser. Approches œcuméniques et européennes, Lit Verlag, coll. Théologie pratique, pédagogie, spiritualité, no 9, Zürich, 2015, p. 63-79.
-
[3]
Mariette Martineau, Joan Weber et Leif Kehrwald, Intergenerational Faith Formation. All Ages learning together, Twenty-Third Publishing, New London, 2008.
-
[4]
Holly Catterton Allen (dir.), InterGenerate. Transforming Churches through Intergenerational Ministry, Abilene Christian University Press, 2018, p. 18.
-
[5]
Cf. Mgr Christophe Dufour, « Mettre la parole de Dieu au cœur de la catéchèse », dans La Documentation catholique, no 2391, 2 décembre 2007, p. 1067.
-
[6]
Si dans certains diocèses, les catéchistes sont relativement âgés, on constate ailleurs une tendance à un rajeunissement. Sur le profil des catéchistes et leur mission, voir Catherine Chevalier et Joël Morlet, Être catéchiste. Témoigner d’une expérience. Enquête auprès des catéchistes en Belgique et en France, Lumen Vitae, coll. Pédagogie catéchétique, no 32, Namur, 2015.
-
[7]
Bahija Lamkaddem, « Les temps changent, les grands-parents aussi », dans Le Ligueur, 7 janvier 2004, p. 5.
-
[8]
Thérèse Jeunejean, « Les grands-parents nouveaux sont arrivés », dans Le Ligueur, 10 mars 1999, p. 1-2, ici p. 1.
-
[9]
Bahija Lamkaddem, « Les temps changent, les grands-parents aussi », art. cit., p. 5.
-
[10]
Marcel Rufo, Grands-parents, à vous de jouer, Éd. Anne Carrière, Paris, 2002, p. 71, 76 et 102.
-
[11]
Joëlle Lacroix, « Petits arrangements entre parents et grands-parents », dans Le Ligueur, 15 décembre 2004, p. 5.
-
[12]
Nathalie Vancrayenest, « Grands-parents : quel rôle et quelle place dans la famille ? », dans La Libre Belgique, 15 mars 2018, à lire sur : www.lalibre.be/lifestyle/psycho/grands-parents-quel-role-et-quelle-placedans-la-famille-5aaa3c8bcd709bfa6acb013a (consulté le 5 mars 2019).
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[13]
Yves de Gentil-Baichis, « Les grands-parents sur la corde raide », dans La Croix, 6 février 1998, p. II (section « Parents et enfants »).
-
[14]
Cf. Anne-Solenn Le Bihan, Si tu dis non, je vais chez mamie !, Larousse, Paris, 2011. Ce livre aborde notamment la question de la juste position et de la responsabilité des grands-parents en cas de divorce et dans les familles recomposées.
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[15]
Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen, Grands-parents. La famille à travers les générations, Odile Jacob, Paris, 2007, 2e éd, p. 199.
-
[16]
Geneviève de Taisne, « Les grands-parents peuvent transmettre un certain sens de la vie », dans La Croix, 6 février 1998, p. III (section « Parents et enfants »).
-
[17]
Yves de Gentil-Baichis, « Les grands-parents sur la corde raide », art. cit.
-
[18]
Mgr Albert Rouet, « Intervenir dans le domaine religieux », dans Alliances-Couples d’aujourd’hui, no 79, 1992, p. 36-38.
-
[19]
Cf. les réflexions de la psychanalyste Catherine Bergeret-Amselek : « Même s’il n’est pas toujours facile de rester à sa place, même si on n’est pas d’accord avec les principes éducatifs appliqués, la règle d’or que doivent suivre les grands-parents est de ne jamais donner tort aux parents devant leur petit-enfant » (Propos recueillis par Catherine Marchi, « Les grands-parents, c’est important ? », dans Parents, 16 mars 2015, à lire sur : www.parents.fr/enfant/education-et-vie-sociale/les-grands-parents-cest-important-13495 (consulté le 5 mars 2019).
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[20]
Geneviève de Taisne, « Les grands-parents peuvent transmettre un certain sens de la vie », art. cit.
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[21]
Maurice Fourmond et Rosine Legrand, « Les grands-parents jouent-ils un rôle ? », art. cit., p. 29-31, ici p. 30.
-
[22]
Les « jeudis des grands-parents » se déroulent en l’église Saint-Ignace, église jésuite de Paris VIe ; voir : https://stignace.net/portfolio-items/familles-co (consulté le 5 mars 2019).
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[23]
Un bel exemple de ce type de production est : Traci Smith, Faithful Families. Creating sacred Moments at Home, Chalice Press, Saint-Louis (Missouri), 2017.
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[24]
Cardinal Maurice Piat, « “Va, aime, sois témoin”. Lettre pastorale 2019 », dans La Vie catholique – Magazine de la famille mauricienne, 7 mars 2019, p. 4-25.