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Article de revue

Jeunesse africaine et pastorale universitaire en contexte de « paganomodernité »

Pages 207 à 212

Notes

  • [1]
    Jean-Pierre Sironneau, Figures de l’imaginaire religieux et dérive idéologique, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 31.
  • [2]
    Il s’agit d’une classe d’hommes d’affaires ou d’immigrés qui interviennent de manière dynamique dans la construction de l’économie, mais aussi du tissu social sénégalais.
  • [3]
    Tshikala Kayembé Biaya, « Culture du loisir et culture politique », dans Momar-Coumba Diop (dir.), Le Sénégal contemporain, Karthala, Paris, 2002, p. 348.
  • [4]
    Pour reprendre les termes d’Abdourakhmane Seck, La question musulmane au Sénégal. Essai d’anthropologie d’une nouvelle modernité, Karthala, Paris, 2010. Voir également Benjamin Sombel Sarr, Théologie du développement intégral, t. 1, Herméneutique pratique de la charité ; t. 2, Fondements théoriques, praxéologie et praxis de la charité ; t. 3, Herméneutique des champs imaginaires du sous-développement dans la culture et la religion populaire, L’Harmattan, Paris, 2017.
  • [5]
    Benjamin Sombel Sarr, « Les Églises d’Afrique face à l’éducation d’une jeunesse en crise », dans Pentecôte d’Afrique 27, 1999, p. 19-20.

Introduction

1 Le concept de « paganomodernité » rend compte de la situation actuelle de l’Afrique, au-delà des catégories classiques et de la modernité et de la postmodernité qui n’arrivent pas à décrire sa spécificité et sa complexité. La paganomodernité est l’alliage improbable à l’œuvre dans l’Afrique contemporaine entre l’imaginaire actuel de la mondialisation et l’imaginaire ancien : sorcellerie, maraboutage, le tout mêlé à des interprétations, contextualités des religions révélées. Elle est une réalité de bricolage permanent à l’œuvre dans les sociétés africaines contemporaines, où le recours à l’imaginaire du paganisme est une constante. Elle se caractérise par une réalité d’écartèlement, c’est-à-dire de présence en parallèle de plusieurs champs symboliques qui semblent inconciliables ; et une dynamique d’articulation ou de tentative de trouver des chemins de traverse entre ces champs symboliques parfois contradictoires. Les jeunes en sont les acteurs privilégiés du fait de leurs multiples cultures et appartenances. Le phénomène des jeunes en Afrique ne peut dès lors s’étudier avec pertinence en faisant fi de cette réalité et de l’imaginaire qu’elle véhicule.

2 Les sciences humaines et sociales ont montré la complexité du réel et l’importance des symboles et de leur interprétation dans les constructions identitaires et sociales [1]. Les jeunes Africains, du fait de leur poids démographique, proposent de nouveaux références et champs imaginaires qu’il faut prendre en compte pour comprendre, d’une part, l’Afrique contemporaine et, d’autre part, donner une orientation pertinente à la pastorale des jeunes. Cet imaginaire, bien que faisant référence au village et à la ruralité, trouve dans la ville son champ d’élaboration.

3 Cet article est une analyse de l’imaginaire des jeunes Africains sénégalais dans le contexte contemporain et des questions pastorales qu’elle pose en milieu universitaire. Il s’articule en deux parties.

4 La première partie analyse l’imaginaire urbain de la paganomodernité africaine et la seconde propose des pistes de réflexion pastorale. La pastorale universitaire africaine doit savoir lire les signes des temps pour garder sa dimension prophétique.

Les jeunes et l’imaginaire urbain de la paganomodernité

5 La société africaine sénégalaise est caractérisée par une urbanisation galopante et l’importance de la population jeune. Se développe alors une culture périurbaine sur laquelle nous reviendrons plus loin. La population jeune est caractérisée par le phénomène des multiples appartenances. Les jeunes sont membres de plusieurs structures associatives à l’échelle du quartier, du village et de la ville ou du pays. Ils se meuvent aussi à l’intérieur de multiples champs de rationalités, de cadres symboliques, et de milieux d’appartenance, déployant ainsi des stratégies de multiples fidélités. Ce contexte est marqué par la crise des anciennes références et anciens lieux de formation de l’élite comme l’université.

La paganomodernité et le déclin de l’université

6 La culture périurbaine est celle qui fait tomber le mythe de l’école. Cette dernière n’est plus la seule voie du salut. D’autres types de réussites sociales apparaissent à travers la figure des « Moodou Moodu[2] » peu scolarisés et très entreprenants, mais aussi les champions sportifs et les stars de la musique. Le relief que prend la lutte traditionnelle sénégalaise sur les autres sports et sa sortie des ghettos des arènes de la banlieue pour s’exporter à Paris et aller à l’assaut de la mondialisation via la télévision et Internet, est un élément intéressant da la paganomodernité sénégalaise. En effet, elle consacre la revanche de la culture rurale sur celle de la ville [3] : la culture paganomoderne renversant la perspective senghorienne des élites « toubab bu gnoul ». « Les nègres blancs » étant coincés dans les quartiers résidentiels, cela fait de la banlieue le lieu d’écriture d’une nouvelle modernité [4]. Dans ce contexte, l’université n’est plus le lieu central de la réflexion et de la construction du pays. Surgissent dans le contexte sénégalais de nouveaux types « d’intellectuels communautaires » peu diplômés, dans les mouvements citoyens et le mouvement hip-hop, périurbain, qui imposent un débat de fond sur la société sénégalaise avec d’autres grilles d’analyse.

7 Ces mouvements, qui ont joué un rôle prépondérant dans les deux alternances politiques du Sénégal, proposent comme modèle social le NTS (nouveau type de Sénégalais). Ce dernier doit être entreprenant, enraciné dans ses valeurs traditionnelles et ouvert au monde. Il est citoyen modèle et éclairé. Ce détrônement de l’université comme lieu de proposition et du modèle de l’intellectuel jugé déraciné et inefficace, n’est que la résultante de ses crises répétitives et de la triste réalité qui la caractérise. Elle est perçue comme fabrique de chômeurs déconnectée des réalités du pays et de ses besoins en matière de développement. C’est dans ce contexte que se pose la question de la pastorale universitaire.

Quelle pastorale universitaire en contexte de paganomodernité ?

8 Or, la pastorale des jeunes en milieu universitaire n’a jusque-là pas changé ses méthodes pour prendre en compte l’imaginaire de la paganomodernité, les défis actuels de l’université en crise et les questions pastorales et théologiques qui en découlent, et dont nous énumérons trois.

  • D’abord, l’ampleur des questions de survie rend insuffisantes les catéchèses et la formation classique autour d’une figure du Christ éloignée des préoccupations existentielles. Il apparaît alors que les mouvements charismatiques s’imposent au cœur même de la jeunesse estudiantine africaine. À Saint Dominique de Dakar, une des aumôneries les plus grandes et plus anciennes de l’Afrique de l’Ouest, se presse le vendredi une foule immense de jeunes étudiants, pour participer à la prière du renouveau et entendre des paroles de vie sur leurs préoccupations de réussite sociale, de succès aux examens et de triomphe sur les forces du mal symbolisées par les sorciers.
  • Ensuite, la question de l’écartèlement que vivent les jeunes entre les références du monde d’Internet et de l’hyper connectivité et les références imaginaires profondes, qui sont encore celles du village et du paganisme africain, n’est pas assez prise en compte. Dans ce contexte, les échecs ne sont pas objectivés, mais attribués à l’influence des forces maléfiques sorcellaires. Les situations d’échecs favorisent un christianisme populaire autour des pratiques de guérisons et d’une théologie de la prospérité.
  • Enfin, les quêtes existentielles de salut et de discours christologiques à l’œuvre dans les mouvements de jeunes à l’université sont très éloignées des élaborations théologiques classiques. Les pasteurs pensent que les intellectuels ont besoin d’une formation dogmatique solide, les concernés pensent que cette formation dogmatique ne répond pas à leurs préoccupations. Devant cette situation, quelle pourrait être la contribution de l’Église et de sa pastorale universitaire ?

9 La première contribution pourrait porter sur la réflexion quant à l’université elle-même, sa mission, sa pédagogie. Cette dernière ne doit pas être un lieu où on forme des diplômés, mais des acteurs capables de répondre aux défis de l’Afrique contemporaine. Pour ce faire, il me semble important que les curricula et programmes répondent à de véritables questions et besoins. Ensuite, la déconnexion de l’université avec les réalités de la société pourrait être réglée par l’aboutissement de tout programme dans des activités d’engagement social et citoyen en guise d’application pratique.

10 S’il semble que le reproche fait à la pastorale universitaire classique c’est de répondre à des questions que personne ne pose et d’être déconnectée des réalités, il est important de procéder à une démarche pédagogique en vue de faire des étudiants chrétiens de vrais transformateurs de société.

11 Il s’agira d’analyser la réalité du contexte africain contemporain pour en lire les signes des temps. De ce point de vue, la pastorale universitaire doit être plus engagée et prophétique. Sortant des sentiers battus de la catéchèse classique et des mouvements d’action traditionnels de nos campus universitaires, elle doit rejoindre les étudiants là où ils se trouvent avec leurs préoccupations. Il faudra alors trouver des liens entre la catéchèse, la formation doctrinale, et les actions d’engagement pratiques ainsi que des formes de suivi, d’écoute et de prise en charge existentielle. « Une catéchèse adaptée à cette jeunesse confinée dans la lutte pour la survie devrait aider à découvrir le Christ dans cette réalité peu favorable et y saisir l’actualité et la pertinence de son combat pour l’homme… S’inscrivant dans une démarche initiatique, elle trouverait d’autres étapes pour les jeunes adultes… débouchant sur de nouveaux types d’engagements [qui] pourraient être des ouvertures vers de nouveaux ministères[5] », facilitant l’engagement social et la communion fraternelle.

Conclusion

12 La pastorale des jeunes en milieu universitaire africain ne semble plus adaptée du point de vue de la méthode et des stratégies. Bien qu’en crise, l’université africaine demeure un lieu de lecture intéressant de l’Afrique contemporaine. Prise d’assaut par les politiques qui y instaurent un climat de violence et d’insécurité et les mouvements ésotériques, elle développe en son sein des radicalismes religieux (pentecôtistes ou musulmans), qui interpellent l’Église. Cette modeste contribution a voulu simplement donner une grille d’analyse de la situation actuelle et proposer des pistes de réponses.

Bibliographie

Bibliographie

  • Benoît XVI, Africae Munus, Éd. Paulines, Abidjan, 2011.
  • Benoît XVI, Caritas in veritate, Éd. Paulines, Abidjan, 2009.
  • R. E. Brown, La mort du messie, encyclopédie de la passion du Christ, de Gethsémani au tombeau, Bayard, Paris, 2005.
  • B. Chenu, L’Église au cœur. Disciples et prophètes, Centurion, Paris, 1982.
  • B. Chenu, L’urgence prophétique. Dieu au défi de l’histoire, Bayard/Centurion, Paris, 1997.
  • J.-M. Kusiele Dabire, L’Église-Famille de Dieu. Approche théologico-doctrinale et pastorale, Imprimerie de la Savane, Bobo Dioulasso, 1992.
  • V. Diambanza, La communauté, lieu de l’accueil mutuel. Vivre en communautés missionnaires internationales, Médiaspaul, Kinshasa, 1996.
  • J.-C. Larchet, Théologie du corps, Cerf, Paris, 2009.
  • F. Kabasele Lumbala, Alliances avec le Christ en Afrique, inculturation des rites religieux au Zaïre, Karthala, Paris, 1994.
  • J.-P. Meier, Un certain juif, Jésus, les données de l’histoire, t. I, Les sources, les origines, les dates ; t. II, La parole et les gestes, Cerf, Paris, 2005.
  • B. S. Sarr, Sorcellerie et univers religieux chrétien en Afrique, L’Harmattan, Paris, 2008.
  • B. S. Sarr, La guérison divine en Afrique : questions théologiques et pastorales, L’Harmattan, Paris, 2009.
  • B. S. Sarr, Théologie du développement et inculturation. Questions de fondements, L’Harmattan, Paris, 2011.
  • B. S. Sarr, Les Pères de l’Église et l’inculturation, L’Harmattan, Paris, 2013.
  • B. S. Sarr, Théologie de la vie consacrée, questions d’inculturation, L’Harmattan, Paris, 2014.
  • J.-P. Sauzet, Renouveau charismatique : les catholiques du New Age ? Effusion de l’esprit, prophéties, guérisons, Éd. Golias, Villeurbanne, 1994.
  • V. Savane – S. Baye Makebe, Y en a marre. Radioscopie d’une jeunesse insurgée au Sénégal, L’Harmattan, Paris, 2012.
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  • S. Sempore, Propositions pour un synode et après…, Éd. Pentecôte d’Afrique, Cotonou, 1994.

Date de mise en ligne : 08/12/2019.

https://doi.org/10.2143/LV.00.0.0000000

Notes

  • [1]
    Jean-Pierre Sironneau, Figures de l’imaginaire religieux et dérive idéologique, L’Harmattan, Paris, 1993, p. 31.
  • [2]
    Il s’agit d’une classe d’hommes d’affaires ou d’immigrés qui interviennent de manière dynamique dans la construction de l’économie, mais aussi du tissu social sénégalais.
  • [3]
    Tshikala Kayembé Biaya, « Culture du loisir et culture politique », dans Momar-Coumba Diop (dir.), Le Sénégal contemporain, Karthala, Paris, 2002, p. 348.
  • [4]
    Pour reprendre les termes d’Abdourakhmane Seck, La question musulmane au Sénégal. Essai d’anthropologie d’une nouvelle modernité, Karthala, Paris, 2010. Voir également Benjamin Sombel Sarr, Théologie du développement intégral, t. 1, Herméneutique pratique de la charité ; t. 2, Fondements théoriques, praxéologie et praxis de la charité ; t. 3, Herméneutique des champs imaginaires du sous-développement dans la culture et la religion populaire, L’Harmattan, Paris, 2017.
  • [5]
    Benjamin Sombel Sarr, « Les Églises d’Afrique face à l’éducation d’une jeunesse en crise », dans Pentecôte d’Afrique 27, 1999, p. 19-20.
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