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Article de revue

« Mettre la Parole au centre » : l’expérience naissante d’une région de Suisse romande

Pages 459 à 464

Notes

  • [1]
    Évêque de Bâle, Une Église rayonnante de l’Évangile. Orientations pour la mission des catholiques du Jura pastoral, Delémont, 2010.
  • [2]
    À propos de « la sacramentalité de la Parole » : « La perspective sacramentelle de la Révélation indique […] la modalité historico-salvifique par laquelle le Verbe de Dieu entre dans le temps et l’espace, devenant l’interlocuteur de l’homme, qui est appelé à accueillir dans la foi le don qui lui est fait. » (Benoît XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique post-synodale sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église, Rome, 2010, n° 56).
  • [3]
    Bill Huebsch, La catéchèse de toute la communauté. Vers une catéchèse avec tous, par tous et pour tous, Lumen Vitae/Novalis/Bayard, coll. Pédagogie catéchétique no 17, Bruxelles/Montréal/Paris, 2005.
  • [4]
    Bill Huebsch propose prioritairement de partager autour de questions posées dans l’homélie du dimanche précédent : ainsi, les baptisés se nourrissent durant la semaine suivante du passage d’évangile proclamé à la messe. Dans l’absolu, c’est certainement une démarche excellente, qui donne au dimanche sa place de premier jour de la semaine et qui permet d’inviter particulièrement à vivre de la Parole, à la mettre en pratique. Pragmatiquement, j’ai préféré commencer d’introduire la démarche par un partage biblique durant la semaine autour de du passage d’évangile du dimanche suivant. Cela me paraissait plus facile pour permettre au plus grand nombre d’y entrer progressivement. De plus, un excellent support est proposé chaque semaine sur Internet pour vivre cette démarche, auquel il est possible de s’abonner gratuitement : www.versdimanche.com. Mettre une communauté en route dans cette perspective prend du temps, plus que de l’énergie. Une fois une bonne culture du partage d’évangile établie, il me semble qu’il est plus facile de passer à l’approche idéale de Bill Huebsch. Lui-même présente comme possible les deux approches.
  • [5]
    À noter que, d’accord avec l’évêque, dans le Jura pastoral et l’ensemble du diocèse de Bâle (comme d’ailleurs dans les autres diocèses de Suisse alémanique), les agents pastoraux laïcs (détenteurs d’un diplôme universitaire) sont autorisés à faire le commentaire liturgique dominical de la Parole, en alternance avec les agents pastoraux ordonnés, prêtres et diacres.
  • [6]
    Après l’écoute de la Parole et une relecture en silence, chacun peut évoquer un passage qui l’a interpellé ou nourri, en expliquant simplement pourquoi. Il est possible de faire encore plus simple, surtout si le groupe est nombreux, en invitant les participants à la rencontre à redire spontanément juste un mot ou un bout de phrase qui les a marqués dans la péricope. C’est toujours la prodigieuse surprise de découvrir alors des mots ou des passages qui nous avaient échappé, ou alors de les voir soulignés d’une façon particulièrement éclairante. Cette dernière approche rend la démarche plus accessible pour des adolescents et des jeunes, souvent moins enclins à prendre la parole.

1Le Jura pastoral est une région qui couvre la partie francophone du diocèse de Bâle. De Bienne à Boncourt, elle regroupe environ 100 000 catholiques dans des Unités pastorales essentiellement rurales et de petites cités industrielles. Grâce à son statut de minorité linguistique, elle jouit d’une relative autonomie dans le diocèse. Au cours des années 2000, un processus de type synodal appelé « projet pastoral » y a vu le jour, donnant naissance à des Orientations pastorales spécifiques pour la région, intitulées Une Église rayonnante de l’Évangile[1] et promulguées en 2010 par l’évêque d’alors, Mgr Kurt Koch.

2Ces Orientations pastorales reposent sur plusieurs options fortes pour passer d’une Église en surplomb à une Église levain dans la pâte (cf. Mt 13, 33) : renouvellement complet de la catéchèse favorisant le cheminement, avec notamment une plus grande place réservée à l’intergénérationnel et aux adultes, mais aussi souplesse concernant l’âge requis pour vivre les parcours des sacrements d’initiation ; attention particulière portée aux familles en deuil par la mise sur pied d’Équipes d’accompagnement lors des funérailles ; participation favorisée de l’assemblée lors des liturgies dominicales ; etc.

3Au cœur des Orientations se situe un « appui » fondamental, fruit quasi unanime de la réflexion des 300 personnes membres des vingt-deux groupes locaux qui ont échangé durant la phase préparatoire : soigner le « vivre ensemble ». Et en regard, cette petite phrase au double-sens : « faire circuler la P(p)arole ». C’est-à-dire donner à chacun la parole autour de la Parole.

4L’idée n’est pas seulement de constituer des groupes spécifiquement dévolus au partage biblique et à la lectio divina, il s’agit bien plus encore de faire circuler la parole autour de la Parole également au cœur de toute activité pastorale « ordinaire ». C’est bien là une visée nouvelle.

5La conviction qui guide cette démarche se laisse vérifier en permanence : Dieu est à l’œuvre. C’est Lui qui donne la foi, se révèle à nous, c’est Lui à qui revient toujours l’initiative d’établir un lien entre chacun. Autrement dit, c’est Dieu qui initie à sa présence en nous et entre nous. Et la Parole est un lieu éminent de cette Révélation. Une Parole qui nous travaille bien plus encore que nous la travaillons. Nous sommes comme l’argile dans la main du potier (cf. Jr 18, 6). Il n’est dès lors pas usurpé d’évoquer une présence sacramentelle du Christ dans l’Évangile, Lui, le Verbe incarné [2]. Elle est un des signes tangibles de sa Présence toujours actuelle et renouvelée.

6À titre personnel, il y a une dizaine d’années, c’est le livre de Bill Huebsch, La catéchèse de toute la communauté. Vers une catéchèse avec tous, par tous et pour tous[3] qui a été pour moi un vrai déclencheur : il décrit de manière très concrète et pratique comment procéder pour mettre en place cette approche où la Parole vient féconder tous les lieux de vie pastorale, y compris dans le lien avec la liturgie et notamment au niveau de l’homélie. Il s’agit simplement de prendre le temps, durant chaque rencontre des groupes paroissiaux, pour vivre un partage autour du passage d’évangile du dimanche à venir : ainsi, nous nous laissons non seulement rejoindre par la Parole mais nous préparons également nos cœurs à célébrer le Christ présent en elle. Lorsque nous nous sommes déjà familiarisés avec l’évangile, lorsque nous nous sommes enrichis mutuellement par les regards croisés autour de lui, nous nous sentons plus que jamais invités à venir célébrer ensemble le Seigneur dans la liturgie dominicale. Et l’attention de chacun est décuplée pour le temps de la Parole au cœur de cette célébration [4].

7Cette expérience que je vis en pastorale depuis maintenant dix ans, donne de beaux fruits : fréquenter la Parole apporte aux baptisés que nous sommes, une vraie familiarité avec l’Évangile. De plus, vivre la démarche fréquemment permet à la Parole d’éclairer la Parole, puisqu’avec la régularité, les passages de l’Évangile s’éclairent mutuellement. En corollaire, il est aussi possible d’y découvrir la cohérence et la continuité des passages choisis pour la liturgie au fil des dimanches. À force de partager autour de la Parole, semaine après semaine, on fait des liens : « Ah oui, c’est comme dans le passage que nous avons vu la semaine passée… » De plus, ils découvrent que si méditer seul autour de la Bible peut apporter beaucoup, ils sont plus intelligents à plusieurs. Les regards croisés enrichissent la (re-)découverte de l’Évangile qui retrouve alors son sens de Bonne Nouvelle, faisant expérimenter à chacun la force d’être Église. Cela permet de développer une dimension ecclésiologique locale qui ne demande pas d’explications, qui s’expérimente naturellement.

8Un point d’attention cependant : ceci est possible s’il n’y a pas un agent pastoral (prêtre, diacre, religieux ou laïc) qui « monopolise » le savoir. Même si nous avons évidemment aussi notre place à prendre au cœur du peuple de Dieu, il est important de ne pas accaparer la parole en premier, de laisser chacun s’exprimer en évitant de jouer le rôle du « spécialiste » qui a réponse à toutes les questions.

9Comme agent pastoral, je puis dire les avantages retirés de cette démarche vécue : à titre personnel, cela m’a apporté une familiarité avec la Parole de Dieu que mes longues études théologiques n’étaient pas parvenues à me transmettre aussi profondément ; au quatrième ou au cinquième partage du même passage d’évangile, parfois en partie avec les mêmes personnes, je reçois des éclairages multiples et toujours nouveaux par les regards croisés pertinents des bénévoles, sources d’inspiration pour toute intervention pastorale et notamment pour la prédication ; enfin, et c’est peut-être le plus important, cela me donne de découvrir toujours plus que nous sommes nous aussi, agents pastoraux, en situation de recevoir et pas seulement de donner. Au final, cette prise de conscience salutaire amène une nouvelle manière de vivre l’Église dans son advenir pastoral. Encore un fruit de la Parole à l’œuvre aujourd’hui !

10Pour avoir vécu cette démarche régulièrement avec des catéchistes, notamment avec une équipe d’animation d’un parcours confirmation, je peux aussi témoigner du temps bien investi que cela représente : en bilan d’année, c’était pour les bénévoles le point le plus régulièrement cité comme réussi, essentiel même à la dynamique de l’équipe. Il a pu arriver que nous partagions trois quarts d’heure sur la Parole pour une rencontre de deux heures. Et nous n’étions pas moins efficaces. Je me souviens qu’au départ, choisir le thème du parcours prenait toujours beaucoup de temps. À force de fréquenter la Parole, cela coulait de source. Nous nous attelions à l’évangile prévu dans la liturgie du dimanche de la confirmation et le thème s’imposait par lui-même… Une expérience édifiante pour toute l’équipe !

11Par ailleurs, je remarque chez les paroissiens qui vivent régulièrement le partage du passage de l’évangile du dimanche suivant un intérêt marqué pour l’homélie [5] : « Est-ce que ce que l’une ou l’autre de nos découvertes rejoindront ce qui sera dit dans l’homélie ? Est-ce que la prédication pourra nous donner des compléments de réponses aux questions que nous nous sommes posées ? Est-ce que ce que nous avons partagé en présence de l’agent pastoral qui fait l’homélie se retrouvera dans sa prédication ? » Sur ce dernier point, j’ai eu plus d’une fois des échos très positifs de paroissiens fiers d’avoir contribué au contenu de l’homélie par le simple partage vécu durant la semaine précédente. C’est aussi une source de motivation et d’inspiration pour moi dans mon ministère. De plus, cela contribue concrètement à décloisonner de façon profonde et efficace les différents lieux de la pastorale que sont la vie des groupes et mouvements, la catéchèse et la liturgie. Le tout dans un esprit de communion qui est nourri par la démarche !

12Afin de favoriser la découverte des fruits de la Parole de Dieu partout en pastorale, notre région diocésaine, pour concrétiser l’intention mentionnée au cœur de nos Orientations pastorales, s’est dotée d’un support largement répandu dans les communautés locales : nous avons établi un document didactique qui invite à vivre cette démarche sous une forme plus ou moins développée : cela peut aller de la simple écoute de l’évangile jusqu’à une véritable lectio divina en passant par une démarche de partage de la Parole simple [6]. Toujours, nous invitons à inscrire ce partage d’évangile dans une dimension de prière : invoquer l’Esprit Saint avant que la Parole soit proclamée ; nous placer dans la présence du Seigneur ; Lui confier le fruit de nos découvertes ; prier ensemble ensuite grâce au Notre Père : autant d’éléments qu’il est possible d’ajouter selon le lieu et le temps à disposition. Il ne s’agit pas nécessairement de faire une démarche longue et élaborée à chaque rencontre, il est possible de commencer très simplement et brièvement. L’appétit vient en mangeant…

13Quelques années de mise en œuvre dans notre région, c’est peu à l’échelle de l’histoire de l’Église. Nous sommes encore aux balbutiements de la démarche. Pourtant, là où nous osons nous lancer, elle donne déjà des résultats encourageants. Nous avons la volonté de poursuivre en ce sens. Il ne s’agit pas de mettre plus d’énergie : cette démarche ne coûte presque rien en temps à investir. Il s’agit en premier lieu de changer de perspectives pastorales, de partir du présupposé que Dieu est déjà à l’œuvre et de Lui donner toute la place qui Lui revient pour qu’Il puisse se révéler à chacun. C’est un levier puissant que la capacité transformatrice de la Parole de Dieu dans la vie des communautés !

14

La pluie et la neige qui descendent des cieux n’y retournent pas sans avoir abreuvé la terre, sans l’avoir fécondée et l’avoir fait germer, donnant la semence au semeur et le pain à celui qui doit manger ; ainsi ma parole, qui sort de ma bouche, ne me reviendra pas sans résultat, sans avoir fait ce qui me plaît, sans avoir accompli sa mission.
(Is 55, 10-11)

Notes

  • [1]
    Évêque de Bâle, Une Église rayonnante de l’Évangile. Orientations pour la mission des catholiques du Jura pastoral, Delémont, 2010.
  • [2]
    À propos de « la sacramentalité de la Parole » : « La perspective sacramentelle de la Révélation indique […] la modalité historico-salvifique par laquelle le Verbe de Dieu entre dans le temps et l’espace, devenant l’interlocuteur de l’homme, qui est appelé à accueillir dans la foi le don qui lui est fait. » (Benoît XVI, Verbum Domini, Exhortation apostolique post-synodale sur la Parole de Dieu dans la vie et dans la mission de l’Église, Rome, 2010, n° 56).
  • [3]
    Bill Huebsch, La catéchèse de toute la communauté. Vers une catéchèse avec tous, par tous et pour tous, Lumen Vitae/Novalis/Bayard, coll. Pédagogie catéchétique no 17, Bruxelles/Montréal/Paris, 2005.
  • [4]
    Bill Huebsch propose prioritairement de partager autour de questions posées dans l’homélie du dimanche précédent : ainsi, les baptisés se nourrissent durant la semaine suivante du passage d’évangile proclamé à la messe. Dans l’absolu, c’est certainement une démarche excellente, qui donne au dimanche sa place de premier jour de la semaine et qui permet d’inviter particulièrement à vivre de la Parole, à la mettre en pratique. Pragmatiquement, j’ai préféré commencer d’introduire la démarche par un partage biblique durant la semaine autour de du passage d’évangile du dimanche suivant. Cela me paraissait plus facile pour permettre au plus grand nombre d’y entrer progressivement. De plus, un excellent support est proposé chaque semaine sur Internet pour vivre cette démarche, auquel il est possible de s’abonner gratuitement : www.versdimanche.com. Mettre une communauté en route dans cette perspective prend du temps, plus que de l’énergie. Une fois une bonne culture du partage d’évangile établie, il me semble qu’il est plus facile de passer à l’approche idéale de Bill Huebsch. Lui-même présente comme possible les deux approches.
  • [5]
    À noter que, d’accord avec l’évêque, dans le Jura pastoral et l’ensemble du diocèse de Bâle (comme d’ailleurs dans les autres diocèses de Suisse alémanique), les agents pastoraux laïcs (détenteurs d’un diplôme universitaire) sont autorisés à faire le commentaire liturgique dominical de la Parole, en alternance avec les agents pastoraux ordonnés, prêtres et diacres.
  • [6]
    Après l’écoute de la Parole et une relecture en silence, chacun peut évoquer un passage qui l’a interpellé ou nourri, en expliquant simplement pourquoi. Il est possible de faire encore plus simple, surtout si le groupe est nombreux, en invitant les participants à la rencontre à redire spontanément juste un mot ou un bout de phrase qui les a marqués dans la péricope. C’est toujours la prodigieuse surprise de découvrir alors des mots ou des passages qui nous avaient échappé, ou alors de les voir soulignés d’une façon particulièrement éclairante. Cette dernière approche rend la démarche plus accessible pour des adolescents et des jeunes, souvent moins enclins à prendre la parole.
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