Notes
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[1]
Je remercie Étienne Verhack pour ses précieux conseils et les nombreuses réflexions qu’il a menées sur la pensée sociale de l’Église.
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[2]
Léon XIII, Encycl. Rerum novarum (15 mai 1891). Cette encyclique a été actualisée par Quadragesimo anno en 1931, puis « radio Message » en 1941, Mater et magistra en 1961, Pacem in terris en 1963, Gaudium et spes en 1965, Populorum progressio en 1967, Octogesima adveniens en 1971, Laborem exercens en 1981, Sollicitudo rei socialis en 1988, Centesimus annus (pour le 100e anniversaire de Rerum novarum) et par Caritas in veritate en 2008 sous Benoît XVI.
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[3]
Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis,1988, n° 41-42.
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[4]
Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, Cerf, Paris, 2005, ainsi que tous les numéros entre parenthèses.
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[5]
Étienne Verhack, “Pour une éthique du management scolaire. La doctrine sociale de l’Église”, Assemblée générale du CEEC à Turcifal, 12 octobre 2012, p. 1.
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[6]
Condition des ouvriers et restauration sociale, lettres encycliques, Pierre Tequi, Paris, 1991, p. 105 cité dans Philippe Brault, Guillaume Renaudineau et François Sicard, Le principe de subsidiarité, La Documentation française, Paris, 2005, p. 15.
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[7]
Ibid.
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[8]
Ibid., p. 6.
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[9]
Henri Derroitte, “De la déclaration Gravissimum Educationis à nos jours. Réflexion sur l’éducation chrétienne”, dans Revue théologique de Louvain 45, 2014, p. 360-388.
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[10]
Déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum educationis, 5.
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[11]
Ibid., 9.
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[12]
« La place et la responsabilité de l’enseignement catholique dans nos sociétés européennes », conférence de Mgr Claude Dagens lors de l’Assemblée générale du CEEC à Paris, octobre 2014.
1L’enseignement catholique européen accueillait, en 2013/2014, huit millions sept cent mille élèves répartis dans trente-quatre mille cinq cents écoles, maternelles, primaires et secondaires, dans vingt-huit pays. C’est dire si tenter de décrire l’approche sociale et la manière dont s’est construite et s’exerce la responsabilité sociale dans un tel continent scolaire nécessiterait une enquête de grande ampleur. Le portrait de la dimension sociale dans l’enseignement catholique que l’on me demande d’esquisser, et les réflexions que j’avance ici, porteront d’abord sur la manière dont cette approche s’est fondée sur la pensée sociale de l’Église. Cet exposé sera illustré d’exemples collectés sur les routes d’Europe et dans les échanges que ce vaste champ d’action autorise [1].
Diversité de l’enseignement catholique en Europe
2L’enseignement catholique d’Europe est divers. L’histoire politique, religieuse et culturelle des pays d’Europe a façonné des réalités scolaires nationales et parfois régionales aux profils très variés. Assez naturellement, l’école catholique s’est plus développée là où vivaient des communautés catholiques significatives, voire dans des pays ou des régions dont le catholicisme était la religion d’État. Cependant, l’importance des communautés catholiques n’explique pas tout. Dans certains pays d’Europe centrale et de l’Est, dans la plupart desquels cet enseignement fut tout simplement interdit pendant quarante-cinq ans, il a ressurgi avec vivacité et repris vie et couleurs. C’est un nouvel enseignement catholique qui a été mis en place, dans des conditions réglées localement par des négociations avec les régimes en place. Aujourd’hui, il y a un vrai renouveau de l’enseignement catholique en Pologne, en Hongrie, en Tchéquie, en Slovaquie, en Slovénie, en Roumanie, en Ukraine ou encore en Albanie. En Albanie par exemple, des communautés religieuses locales soutenues par d’autres communautés d’Europe ont commencé à bâtir, dès la libération du joug de la dictature, des projets scolaires dont l’audace du pari sur l’avenir impressionne. L’enseignement catholique est aussi présent et s’est développé dans des pays où la foi catholique n’est pas majoritaire au sein de la population, comme en Grèce, en Roumanie, en Albanie ou au Danemark, en Suède et en Norvège.
3Parfois, ce sont les aléas des législations qui orientent des développements inattendus. C’est ainsi qu’avec la loi instaurant la laïcité en 1905 en France et les turbulences qui la précédèrent, de nombreuses congrégations franchirent les frontières espagnole, britannique ou belge, notamment pour y fonder de nouvelles écoles, et contribuer à faire de la Belgique par exemple, une exception culturelle en matière d’enseignement en Europe.
Prise en compte de la question sociale dans l’Église : Rerum novarum
4On admet généralement que c’est l’encyclique Rerum novarum, de 1891, promulguée par le pape Léon XIII, qui consacre l’effort des catholiques sociaux au sein de l’Église et donne une impulsion nouvelle à leur mouvement. Ce texte diffuse la doctrine sociale de l’Église, une doctrine que plusieurs papes qui se sont succédé ont actualisée [2].
5Ce texte marque le début de l’intérêt porté par les papes aux questions sociales. Cette encyclique a fortement influencé les pays de tradition catholique dans leur législation, en exhortant les hommes politiques à une intervention plus forte de l’État dans les domaines sociaux : législation protégeant le travail, création des allocations familiales, émergence des associations de travailleurs, création d’écoles…
6Cela fait donc plus d’un siècle que les catholiques ont analysé les enjeux de la vie en société pour proposer des principes fondamentaux, dégager des critères de jugement et suggérer des orientations concrètes. C’est là ce que l’on appelle la « doctrine sociale catholique ».
7Pour donner une idée de l’importance qu’on y accorde aujourd’hui encore, on peut relire ce qu’en disait Jean-Paul II :
La doctrine sociale de l’Église n’est pas une « troisième voie » entre le capitalisme libéral et le collectivisme marxiste, ni une autre possibilité parmi les solutions moins radicalement marquées : elle constitue une catégorie en soi.
Elle n’est pas non plus une idéologie, mais la formulation précise des résultats d’une réflexion attentive sur les réalités complexes de l’existence de l’homme dans la société et dans le contexte international, à la lumière de la foi et de la tradition ecclésiale.
Son but principal est d’interpréter ces réalités, en examinant leur conformité ou leurs divergences avec les orientations de l’enseignement de l’Évangile sur l’homme et sur sa vocation à la fois terrestre et transcendante ; elle a donc pour but d’orienter le comportement chrétien. C’est pourquoi elle n’entre pas dans le domaine de l’idéologie, mais dans celui de la théologie et particulièrement de la théologie morale.
L’enseignement et la diffusion de la doctrine sociale font partie de la mission d’évangélisation de l’Église. Et, s’agissant d’une doctrine destinée à guider la conduite de la personne, elle a pour conséquence l’« engagement pour la justice » de chacun suivant son rôle, sa vocation, sa condition.
[…] Je voudrais signaler ici l’un de ces points : l’option ou l’amour préférentiel pour les pauvres. C’est là une option, ou une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Église. Elle concerne la vie de chaque chrétien, en tant qu’il imite la vie du Christ, mais elle s’applique également à nos responsabilités sociales et donc à notre façon de vivre, aux décisions que nous avons à prendre de manière cohérente au sujet de la propriété et de l’usage des biens.
Mais aujourd’hui, étant donné la dimension mondiale qu’a prise la question sociale, cet amour préférentiel, de même que les décisions qu’il nous inspire, ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et, par-dessus tout, sans espérance d’un avenir meilleur : on ne peut pas ne pas prendre acte de l’existence de ces réalités. Les ignorer reviendrait à s’identifier au « riche bon vivant » qui feignait de ne pas connaître Lazare le mendiant qui gisait près de son portail.
9La conviction sous-jacente de Rerum novarum est que l’Évangile n’est pas seulement une Bonne Nouvelle pour la vie personnelle et la sphère privée, mais l’est aussi pour l’organisation des structures de la société.
10C’est globalement la doctrine sociale de l’Église qui oriente l’approche sociale dans l’enseignement catholique. Quels sont donc les grands principes de cette doctrine sociale qui va orienter l’action de l’école catholique ?
Les principes de la doctrine sociale de l’Église
La dignité de la personne humaine
11Le fondement des principes et contenus de la doctrine sociale de l’Église est l’« intangible dignité » de la personne humaine. L’homme a cette dignité parce qu’il est à l’image de Dieu. En tant que personne, l’homme n’est pas seulement « sujet actif, capable de se donner et d’entrer en communion avec d’autres personnes », mais il est aussi « sujet responsable de son processus de croissance, avec la communauté dont il fait partie » (n° 133) [4]. Au sein de l’école, cela signifiera que le jeune est en partie responsable de sa propre formation. La dignité de l’homme invite et enjoint celui-ci à créer en faisant usage de ses talents. Mais cette dignité crée en même temps une responsabilité, pour soi-même et pour les autres. Le principe de l’« humanisme intégral et solidaire » encouragera nos écoles à traduire cette inspiration en une prise de responsabilité proposée dans un projet éducatif qui mobilise et la personne humaine, et l’ensemble de la communauté éducative. La gestion d’un établissement scolaire ou d’un service diocésain pour l’école catholique ne se limite pas à une pure question de management. Il s’agit surtout d’une invitation à créer les conditions de l’éducation chrétienne, les conditions de la rencontre humaine [5].
12Il s’agit aussi de la dignité de tous les hommes, ce qui représente le fondement ultime de l’égalité et de la fraternité. Il s’agit aussi de la dignité de tout l’homme : notre éducation aura donc comme objectif la formation de l’homme intégral.
13Le respect de la dignité humaine implique le respect des droits de l’homme, et un de ceux-ci est le droit à construire son avenir en donnant une éducation appropriée à ses jeunes générations.
14Il y a aussi la dignité du travailleur et du travail pour l’enseignement, cette conception du travail valorise aussi la formation : chacun a le droit de maintenir ses compétences ou d’acquérir de nouveaux savoirs.
15Ce principe de la dignité est un des piliers de l’école catholique et il se décline en « Référer à Dieu comme Créateur et Rédempteur », « une formation de la personne intégrale », « La priorité aux plus faibles » et « L’importance de la dimension communautaire ».
16Quelques exemples concrets pourront éclairer notre propos.
17L’enseignement catholique veille partout à ne pas limiter son action aux scores des études internationales, aux benchmarks qui sont aujourd’hui outils de pilotage des politiques de l’enseignement. Non que ces études soient dénuées d’intérêt, ni qu’elles ne donnent pas d’utiles indications, mais bien parce qu’au-delà de chiffres, il y a toujours une personne derrière chaque élève, un groupe de personnes dans chaque classe. La politique de l’éducation ne peut être finalisée en projets à caractère uniquement économique, social et politique.
18L’école catholique accorde une importance à la totalité de la personne de l’élève, comme de l’enseignant d’ailleurs. Il y a une exigence du respect de la personnalité de l’enseignant dans sa totalité. Cette exigence nécessite quelquefois des arbitrages difficiles dans la gestion des horaires par exemple. Face à différentes demandes motivées et contradictoires des enseignants, à qui donner la prévalence ?
19La dignité, c’est aussi accueillir les élèves et les professeurs dans des bâtiments décents. Selon les moyens de financement dont bénéficient les écoles, les responsables scolaires ont parfois de grosses difficultés à maintenir les bâtiments scolaires dans un état de confort minimal. Cette dimension d’un environnement digne, d’une architecture équilibrée, d’un mobilier confortable et soigné est une dimension parfois sous-estimée, alors que ces éléments sont profitables à l’étude et au bien-être, à la dignité des élèves.
20Le pluralisme religieux et convictionnel entre professeurs et élèves doit être mené de telle sorte que chacun puisse atteindre sa perfection en totalité et avec aisance. Une vaste enquête sur les pratiques interculturelles et interreligieuses dans les écoles catholiques d’Europe est en cours de réalisation au sein du CEEC. Les premiers résultats montrent que cette question, qui s’impose dans toutes les sociétés européennes à la faveur de leur pluralisation, fait l’objet d’une intense réflexion et voit l’implantation de pratiques réflexives et prospectives nouvelles.
Le bien commun
21Le bien commun peut être compris comme la dimension sociale et communautaire du bien moral. Par « bien commun », on entend « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (n° 164).
22Une des exigences du bien commun concerne « la prestation des services essentiels aux personnes, et dont certains sont en même temps des droits de l’homme : alimentation, logement, travail, éducation et accès à la culture, transport, santé, libre circulation des informations et tutelle de la liberté religieuse » (n° 166).
23C’est le lieu du choix prioritaire pour les pauvres. Dans la mise en œuvre de la clé d’interprétation et de discernement que constitue le bien commun dont nous parlons ici, le chrétien doit faire intervenir le critère spécifique d’inspiration évangélique : le choix prioritaire des pauvres (ou « l’option préférentielle pour les pauvres »). Il s’agit de la volonté consciente de regarder la réalité sociale à partir du point de vue particulier des plus faibles.
24Commençons par quelques exemples concrets illustrant la mise en œuvre du principe de bien commun en matière d’enseignement.
25Afin de veiller à rester fidèle à l’option préférentielle pour les pauvres, il faut aussi éviter l’abus d’offres et initiatives payantes dans les écoles. Pour ne pas se priver de ces initiatives et offres payantes, à financer par les parents d’élèves, de nombreuses écoles partout en Europe ont développé des initiatives de solidarité. Des élèves, des classes ont mis en œuvre des moyens de récolter de l’argent en offrant des biens ou des services dans l’espace scolaire, à destination des élèves, des parents ou encore plus largement à l’extérieur de l’école. Des initiatives visant à susciter la solidarité chez et entre les parents, par le biais de constitution de fonds sociaux par exemple, sont également développées. Ces initiatives sont parfois soutenues ou initiées par les associations de parents, là où elles existent. Il restera alors encore à réfléchir sur les principes de répartition des sommes collectées. C’est le principe « on n’organise rien qui ne soit accessible à tous » qui guide généralement ce débat.
26La constitution des horaires dans les écoles est également un moment où la recherche du bien commun constitue la ligne d’horizon. Comment arbitre-t-on les priorités dans la constitution des horaires, entre le bien commun des élèves, entendu comme un optimum pédagogique, et le bien commun ou le confort des professeurs ?
27L’allocation des ressources des écoles, rares par définition, aux différents besoins et secteurs de l’école révèle aussi de nombreux arbitrages qui peuvent être tranchés en regard du principe du bien commun. On doit par exemple veiller à ce qu’il y ait un équilibre entre les investissements qu’on fait dans quelques disciplines et ceux qu’on fait au service de toutes les disciplines. Évidemment, un laboratoire de chimie coûte cher, mais un professeur de géographie compte aussi. Quel équilibre trouver ? Une commission des investissements ? Un budget par discipline ? Cette réflexion sur l’affectation des moyens se retrouve à tous les niveaux. On peut mener la même réflexion au niveau des investissements diocésains.
Le principe de subsidiarité
28Dans l’encyclique Quadragesimo anno (1931), le pape Pie XI accorde une place centrale à ce principe dans sa vision sociale : « On ne saurait ni changer ni ébranler ce principe si grave de philosophie sociale : de même qu’on ne peut enlever aux particuliers, pour les transférer à la communauté, les attributions dont ils sont capables de s’acquitter de leur seule initiative et par leurs propres moyens, ainsi ce serait commettre une injustice, en même temps que troubler d’une manière très dommageable l’ordre social, que de retirer aux groupements d’ordre inférieur, pour les confier à une collectivité plus vaste et d’un rang plus élevé, les fonctions qu’ils sont en mesure de remplir eux-mêmes. L’objet naturel de toute intervention en matière sociale est d’aider les membres du corps social, et non pas de les détruire ni de les absorber. [6] »
29« Ce dont la société civile est capable ne doit pas être attribué aux pouvoirs publics ; au sein des collectivités publiques, la collectivité “supérieure” ne doit pas s’attribuer ce dont la collectivité “inférieure” est capable. La prise en compte de ces deux facettes est présentée comme une condition de légitimité de l’action publique, puisque c’est l’objet naturel de celle-ci qui est en jeu et que le principe de subsidiarité ne peut être ni “changé” ni “ébranlé” [7]. »
30C’est à l’aune de ce principe ainsi énoncé que l’on peut comprendre l’incroyable vitalité créative des diocèses, des congrégations, des communautés ou groupes chrétiens, dans la construction d’hôpitaux, d’écoles, d’institutions de soins, maisons de repos et autres formes d’institutions sociales ou culturelles. C’est aussi à partir de ce principe que l’on peut comprendre la concurrence à la légitimité qui se joue parfois encore entre les institutions chrétiennes et les états.
31À l’intérieur de l’organisation scolaire, c’est l’attitude de mise en place d’aide, de soutien, de promotion, de développement par rapport à l’échelon inférieur. Une conséquence concrète de ce principe est la participation. Ainsi, nous voyons émerger non seulement un leadership individuel, mais également partagé dans la co-responsabilité. Les chefs d’établissement ou les directeurs diocésains par exemple ne peuvent ni ne doivent tout faire eux-mêmes. Cette attitude est un excellent moyen pour faire émerger de nouveaux leadership, qui conduiront dans le futur de nouveaux projets scolaires.
Le principe de solidarité
32« Les nouvelles relations d’interdépendance entre les hommes et les peuples doivent se transformer en relations tendant à une véritable solidarité éthico-sociale » (n° 193) en ayant comme perspective la vie de Jésus, « Homme nouveau, solidaire de toute l’humanité jusqu’à la “mort sur la croix” » (n° 196).
33Le principe de solidarité traverse la gestion scolaire dans nombreuses de ses facettes.
34Il ne faut pas de privilèges ni de privilégiés dans l’école catholique, les mêmes chances doivent être accessibles pour tous et toutes. Le chef d’établissement veillera à ce que les professeurs éduquent les élèves à la solidarité. Cette dimension est particulièrement d’actualité, alors que des populations, hier non scolarisées, les enfants de migrants notamment, sollicitent d’y trouver formation et possibilité d’insertion sociale. Partout en Europe, des écoles, des enseignants, des parents se mobilisent pour permettre d’accueillir aussi dans l’école catholique ces enfants, ces élèves.
35On peut envisager un fonds de solidarité, comme nous l’avons déjà mentionné.
36Il faut aussi encourager au plan local et régional, même si cette thématique est sensible et parfois délicate à mettre en œuvre, plus de solidarité entre écoles catholiques. Échange de moyens, appuis divers. En Belgique par exemple, dans les différents diocèses, un pourcentage « d’heures de solidarité », pouvant aller jusqu’à un pour cent du capital horaire des écoles, c’est-à-dire d’heures professeurs, est mutualisé, en fonction de critères de solidarité.
37Quelques exemples pour montrer comment ce principe peut être mis en œuvre.
38De nombreuses écoles catholiques en Europe sont particulièrement attentives à la transmission et la mise en œuvre de ce principe de solidarité. En Allemagne, un projet nommé « Compassion » est né dans les écoles catholiques allemandes. Au sein de centaines d’écoles catholiques allemandes, les élèves de 17 ans font un stage social pendant deux semaines sous l’accompagnement de leurs professeurs. Ce stage social se fait dans des institutions qui accueillent et accompagnent des personnes handicapées physiques ou mentales, dans des crèches, dans des centres d’accueil pour immigrants, dans des maisons de repos pour personnes âgées. Ce stage est préparé dans les cours de différentes disciplines : le cours d’économie par exemple consacre quelques heures au système de la sécurité sociale, le cours d’histoire retrace l’histoire de l’aide sociale, le cours de religion est consacré à la souffrance et au don de soi. Après le stage, les élèves passent une ou deux journées à analyser, partager leurs expériences, leurs sentiments.
39Une initiative analogue s’est développée en Espagne. Là, ce sont les parents qui accompagnent leurs enfants durant un stage, qui se déroule durant une quinzaine de samedis matins durant l’année scolaire. Ces initiatives concrètes d’engagement social dans des hôpitaux, des orphelinats, des centres pour moins-valides, etc. sont rendues obligatoires dans les écoles catholiques espagnoles.
40Une autre initiative de solidarité au Royaume-Uni, à Birmingham. Sept écoles catholiques ont créé des centres « Zachée », pour les élèves difficiles dont le comportement rend leur maintien à l’école aléatoire. Au lieu de les renvoyer de l’école, ils rejoignent provisoirement un petit groupe dans le centre « Zachée » au sein même de leur établissement, où ils continuent à suivre les cours, en étant accompagnés en même temps par une assistante sociale ou un psychologue. Les parents sont invités à participer et accompagnés dans leur rôle de parents. Après deux mois, ces élèves rejoignent leur classe normale, dans laquelle leurs condisciples « sans problème » sont invités à continuer à les encadrer. Le succès de cette initiative tourne autour des 80 %.
41Les valeurs fondamentales de la vie sociale : vérité – liberté – justice – charité. Ces quatre valeurs doivent orienter toute l’organisation dans les écoles catholiques.
42Relativement à la vérité, il s’agira de vivre en cohérence avec ses discours. L’organisation de nos écoles, les organisateurs d’éducation devront promouvoir la recherche de la vérité.
43Quant à la liberté, « nul ne peut subir la contrainte en matière de convictions personnelles, et chacun doit pouvoir pratiquer le culte de son choix. Cette liberté répond aux impératifs de la dignité humaine. […] Être directeur diocésain ou chef d’établissement présuppose que l’on ait mené une réflexion personnelle sur la liberté. La liberté est liée à l’image divine. La liberté s’exerce dans la perspective du bien authentique, dans la perspective du bien commun universel, dans la responsabilité. La morale des chrétiens n’est pas faite seulement d’interdits, elle est aussi et surtout un projet positif [8] ».
44La valeur de justice est complexe à mettre en œuvre : tout d’abord la difficulté d’organiser les horaires en fonction des souhaits des enseignants et la politique disciplinaire à l’école.
45Encore un exemple, aux Pays-Bas, le Collège Saint-Norbert à Roosendael propose deux heures de cours d’introduction aux stages sociaux : des élèves de 16 et 17 ans vont rendre visite à des personnes âgées de plus de 75 ans qui vivent isolées. Cette même initiative est organisée en collaboration avec la paroisse locale et se déroule en trente heures par semestre. La même initiative est prise pour des retraités plus jeunes : aide à l’utilisation de l’ordinateur. Après les stages, les élèves se rencontrent et partagent leurs expériences. Deux rencontres sont ensuite organisées entre les élèves et les seniors.
46À l’école Sainte-Liduina, une école catholique néerlandaise pour enfants à apprentissage difficile, des camps sont organisés pour les élèves, avec des adultes volontaires. La commune de Breda, siège de l’école, a érigé une œuvre d’art devant l’école : une énorme chaise renversée de sept mètres de haut avec des nids d’oiseaux accrochés aux pieds comme « symbole du développement des enfants dans cet établissement ».
47En Hongrie, le programme de la dernière année secondaire à l’école catholique comporte 50 heures de « service social ». L’accomplissement de ce service est une condition requise pour obtenir le baccalauréat.
De la déclaration Gravissimum educationis
48En octobre 1965, la déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum educationis est promulguée à l’occasion du concile : « Les points de vue chrétiens sur l’éducation en général, sur les complémentarités entre les différents partenaires éducatifs et sur le rôle, la spécificité et la mission des écoles chrétiennes sont autant de sujets délicats et importants. Dans cette recherche Gravissimum educationis constitue un jalon, un marqueur qui permet de dire d’où l’on vient et quels sont les enjeux qui émergent [9]. »
49Cette déclaration trace donc la voie et le cadre pour l’école catholique contemporaine.
50On lit notamment dans ce texte : « Entre tous les moyens d’éducation, l’école revêt une importance particulière ; elle est spécialement, en vertu de sa mission, le lieu de développement assidu des facultés intellectuelles ; en même temps, elle exerce le jugement, elle introduit au patrimoine culturel hérité des générations passées, elle promeut le sens des valeurs, elle prépare à la vie professionnelle, elle fait naître entre les élèves de caractère et d’origine sociale différents un esprit de camaraderie qui forme à la compréhension mutuelle. De plus, elle constitue comme un centre où se rencontrent pour partager les responsabilités de son fonctionnement et de son progrès, familles, maîtres, groupements de tous genres créés pour le développement de la vie culturelle, civique et religieuse, la société civile et enfin, toute la communauté humaine.
51C’est une belle, mais lourde vocation, celle de tous ceux qui, pour aider les parents dans l’accomplissement de leur devoir et représenter la communauté humaine, assument la charge de l’éducation dans les écoles. Cette vocation requiert des qualités toutes spéciales d’esprit et de cœur, la préparation la plus soignée et une aptitude continuelle à se renouveler et à s’adapter [10]. »
52Et encore : « Ce Concile invite avec force les pasteurs et tous les fidèles à n’épargner aucun sacrifice pour aider les écoles catholiques à remplir chaque jour plus fidèlement leur tâche et d’abord à répondre aux besoins de ceux qui sont dépourvus de ressources financières ou privées de l’affection et du soutien d’une famille ou encore de ceux qui sont étrangers à la foi [11]. » Le texte encourage tous les acteurs de l’Église à soutenir les écoles catholiques dans leur mission sociale.
53À l’occasion du cinquantième anniversaire de la promulgation de cette déclaration, un congrès mondial de l’éducation catholique sera organisé à Rome en novembre prochain, par la Congrégation pour l’éducation catholique, l’Office international de l’Enseignement catholique (OIEC) et la Fédération internationale des Universités catholiques (FIUC).
Être à l’écoute de son temps et répondre à la nécessité sociale : un chemin pour l’école catholique
54Les sociétés européennes modernes sont en profonde transformation. La mutation de l’économie et la sortie de la société industrielle entraînent l’école dans de nombreux changements et dans une redéfinition de ses missions. La « mission de service public » impose peu à peu, partout, d’accueillir tous les publics. Dans beaucoup de pays, c’est seulement le refus des parents de souscrire au projet pédagogique de l’école qui en restreint l’accès. Les écoles de l’enseignement catholique accueillent aujourd’hui tous les enfants, avec parfois plus d’écoles aux deux extrêmes de l’échelle socio-économique : d’un côté des écoles rassemblant des enfants de milieux plus favorisés et de l’autre des écoles rassemblant des enfants de milieux très défavorisés. Comme la société en général, l’école peut être tentée par des logiques institutionnelles qui l’éloignent d’une approche sociale. Cependant, les missions de « socialisation, d’école de la seconde chance », de gestion de la violence, d’accueil des enfants défavorisés s’imposent à tous.
55Lors d’une assemblée récente du CEEC à Paris, Monseigneur Dagens nous indiquait un chemin : « Un autre défi nous attend […] : toutes les institutions éducatives, et donc aussi l’enseignement catholique, sont soumis à des logiques institutionnelles très fortes qui sont d’ordre politique, administratif, juridique, économique et financier. Il ne s’agit pas d’ignorer ou de refuser ces logiques. Il s’agit d’y introduire, d’y inscrire une autre logique, une logique non quantitative, qui fait appel avant tout au respect des personnes et à la pratique de la confiance réciproque. Il faut que la doctrine sociale de l’Église soit mise en œuvre aussi à l’intérieur de l’enseignement catholique, aussi bien en ce qui concerne les choix économiques que la gestion du personnel. L’enseignement catholique, lié, selon des formules très diverses, à l’Église catholique, ne peut pas se confondre avec des entreprises éducatives qui ne fonctionneraient que selon les règles des sociétés marchandes. C’est un grand défi à relever et qui exige beaucoup de détermination [12]. »
Notes
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Je remercie Étienne Verhack pour ses précieux conseils et les nombreuses réflexions qu’il a menées sur la pensée sociale de l’Église.
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Léon XIII, Encycl. Rerum novarum (15 mai 1891). Cette encyclique a été actualisée par Quadragesimo anno en 1931, puis « radio Message » en 1941, Mater et magistra en 1961, Pacem in terris en 1963, Gaudium et spes en 1965, Populorum progressio en 1967, Octogesima adveniens en 1971, Laborem exercens en 1981, Sollicitudo rei socialis en 1988, Centesimus annus (pour le 100e anniversaire de Rerum novarum) et par Caritas in veritate en 2008 sous Benoît XVI.
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[3]
Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis,1988, n° 41-42.
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[4]
Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, Cerf, Paris, 2005, ainsi que tous les numéros entre parenthèses.
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[5]
Étienne Verhack, “Pour une éthique du management scolaire. La doctrine sociale de l’Église”, Assemblée générale du CEEC à Turcifal, 12 octobre 2012, p. 1.
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[6]
Condition des ouvriers et restauration sociale, lettres encycliques, Pierre Tequi, Paris, 1991, p. 105 cité dans Philippe Brault, Guillaume Renaudineau et François Sicard, Le principe de subsidiarité, La Documentation française, Paris, 2005, p. 15.
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[7]
Ibid.
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[8]
Ibid., p. 6.
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[9]
Henri Derroitte, “De la déclaration Gravissimum Educationis à nos jours. Réflexion sur l’éducation chrétienne”, dans Revue théologique de Louvain 45, 2014, p. 360-388.
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[10]
Déclaration sur l’éducation chrétienne Gravissimum educationis, 5.
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[11]
Ibid., 9.
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[12]
« La place et la responsabilité de l’enseignement catholique dans nos sociétés européennes », conférence de Mgr Claude Dagens lors de l’Assemblée générale du CEEC à Paris, octobre 2014.