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Article de revue

Découvrir ensemble la braise sous la cendre

Un style renouvelé d’évangélisation

Pages 63 à 67

Notes

  • [1]
    À partir de cette observation, l’auteur a rédigé un texte qui a été traduit en diverses langues : Miteinander die Glut unter der Asche entdecken, Kloster, Einsiedeln, 2013 ; Fuoco sotto cenere, Milano, Edizione San Paolo, 2013 ; Embers in the Ashes. New Life in the Church, Mahwah NJ, Paulist Press, 2013 ; Découvrir ensemble la braise sous la cendre, Paris, Bayard, 2013 ; Las os sammen obdage gloden under asken, Kobenhavn, 2013 ; Samen de gloed onder de as ontdekken, Amsterdam, 2013.
  • [2]
    Benoît XVI, Porta fidei, lettre apostolique par laquelle est proclamée l’année de la foi, Rome, 2011, n° 2.
  • [3]
    Jean-Paul II, Dives in misericordia, lettre encyclique sur la miséricorde divine, Rome, 1980, n° 1.
  • [4]
    Cf. M. Werlen, Heute im Blick. Provokationen für eine Kirche, die mit den Menschen geht, Freiburg i.Br., Herder, 2015.

1 L’Église est confrontée à un immense défi. Ce qui appartenait à l’Église depuis des siècles comme allant de soi, disparaît maintenant avec autant d’évidence en quelques années. Les statistiques le montrent avec beaucoup de netteté. Il s’ensuit d’une part de la résignation et d’autre part du cloisonnement ou de l’activisme.

2 En Suisse, en ce qui concerne l’appartenance à une religion, les chrétiennes et les chrétiens forment depuis de nombreux siècles le groupe le plus important, et même presque exclusif. Un autre groupe ‒ depuis peu le deuxième en importance ‒ est tout particulièrement en train de se développer. Il comprend déjà plus de 20 % de la population. Si l’on organisait une enquête, la plupart des autorités religieuses et des baptisés feraient un rapprochement avec l’islam. Mais il n’en est rien. Le deuxième groupe en importance est formé de loin par les personnes qui n’appartiennent à aucune confession religieuse. La plus grande partie de ce groupe comprend des baptisés ou des personnes issues de familles chrétiennes, qui se sont détournées de l’Église ‒ quelles qu’en soient d’ailleurs les raisons. L’Église n’a manifestement plus rien à leur dire. Le problème n’est donc pas la diminution du nombre de membres, comme on le prétend souvent, mais l’incapacité à annoncer aux hommes la joie de l’Évangile.

3 L’Église est sans doute arrivée dans une impasse ‒ d’ailleurs depuis bien longtemps. Le pape Jean XXIII voulait au Concile Vatican II placer l’Église croyante dans le courant de l’histoire. Mais le cheminement dans le temps n’a avancé depuis qu’avec le frein à main serré [1]. Au cours des dernières décennies, l’Église a perdu beaucoup de sa crédibilité. Comment l’Église réagit-elle à cela, comment le font ses membres ? Beaucoup de commentaires ne témoignent pas de la foi : « L’Église a déjà survécu à de nombreuses crises », « Cela ne s’est jamais arrêté », « Nous comptons en siècles », « La faute est chez les autres : les médias, la sécularisation, l’individualisme ». Avant et à l’occasion du Synode extraordinaire des évêques en octobre 2014, on a aussi pu entendre : « Il suffit de continuer comme avant, mais avec plus d’intensité ». C’est de la résignation.

4 Un regard plus attentif sur l’histoire de l’Église ouvre d’autres perspectives. Comment donc ont réagi les personnes en temps de crise, elles qui sont honorées aujourd’hui comme des saints ? Elles ne se sont pas résignées. Elles ne se sont pas consolées en faisant abstraction des situations. Elles y ont cherché Dieu et elles ont entendu sa voix. Elles se sont converties et elles ont appelé à la conversion ‒ pas d’abord à celle des gens de l’extérieur ou des lointains étrangers, mais à celle des membres de l’Église. Elles en avaient bien conscience : quand quelqu’un est dans une impasse, il est bon qu’il ne se contente pas uniquement d’attendre que tout l’environnement se transforme. Il faut se convertir. L’Église perd toute crédibilité si elle ne cesse pas d’exiger que l’on se convertisse, mais qu’elle-même n’est manifestement pas prête à se convertir. Le pape Benoît XVI en avait bien conscience quand il déclara de façon claire et nette lors de la proclamation de l’année de la foi : « L’Église dans son ensemble et ses pasteurs doivent absolument se mettre en route »[2].

5 L’Église elle-même ‒ la communauté de tous les baptisés ‒ doit découvrir toujours à nouveau la braise qui couve sous ce qui est devenu cendres. Depuis le tournant historique constantinien (312-313), l’Église s’est transformée en puissance qui n’a pas seulement tracé une route à l’Évangile, mais qui a également repris beaucoup de choses qui ne sont pas fondées sur l’Évangile. Il est tragique de constater qu’aujourd’hui encore des fonctionnaires ecclésiastiques se préoccupent de ces aspects-là de la Tradition de l’Église et diagnostiquent une perte de la foi chaque fois que l’on change un aspect superficiel de l’Église. Alors que la Tradition, théologiquement, est bien davantage la fidélité à Jésus-Christ durant le cours changeant de l’histoire. Dans ce cas, c’est justement la situation du moment qui est le défi offert par Dieu de se mettre en route comme Église : découvrir à nouveau que la foi chrétienne n’est pas uniquement un système de pensée, ce que de nombreuses personnes à l’intérieur et à l’extérieur de l’Église semblent hélas percevoir. Par contre, il faut bien le dire : une Église dans laquelle tout est évident n’est pas catholique. Car au centre de la foi se trouve Dieu, qui ne cesse de surprendre. Et au centre se trouve aussi l’homme concret, qui ne cesse de surprendre. Celui qui met vraiment Dieu au centre, place aussi l’homme au centre. Et celui qui met l’homme au centre, met Dieu au centre. Cette vision, le pape Jean-Paul II la considérait comme l’une des visions les plus importantes du concile Vatican II :

6

Tandis que les divers courants de pensée, anciens et contemporains, étaient et continuent à être enclins à séparer et même à opposer théocentrisme et anthropocentrisme, l’Église au contraire, à la suite du Christ, cherche à assurer leur conjonction organique et profonde dans l’histoire de l’homme. C’est là un des principes fondamentaux, et peut-être même le plus important, de l’enseignement du dernier Concile[3].

7 Dieu et l’homme surprennent. Chaque page de l’Écriture Sainte en témoigne. Pourquoi cela serait-il différent aujourd’hui ? Pourquoi Dieu a-t-il tant de peine à surprendre les baptisés ? Sans doute et non en dernier lieu parce que tout est évident. L’Église ne peut annoncer l’Évangile de façon crédible qu’à partir du moment où elle est en chemin avec les hommes et qu’elle se laisse surprendre par Dieu et par les hommes [4]. C’est là l’appel du pape François dans sa lettre apostolique programmatique :

8

Il est évident que Jésus-Christ ne veut pas que nous soyons comme des princes, qui regardent avec dédain, mais que nous soyons des hommes et des femmes du peuple. Ce n’est ni l’opinion d’un Pape ni une option pastorale parmi d’autres possibilités ; ce sont des indications de la Parole de Dieu, aussi claires, directes et indiscutables qu’elles n’ont pas besoin d’interprétations qui leur enlèveraient leur force d’interpellation.
(EG, no 271)

9 L’Église ne peut pas attendre les hommes en leur faisant des reproches, comme elle a eu tendance à le faire d’après les expériences du passé. Elle doit aller à la rencontre des hommes avec un grand amour et cheminer avec eux. La représentation grandiose d’une telle manière de proclamer l’Évangile est le récit des disciples d’Emmaüs (Lc 24,13-35). Les deux disciples de Jésus connaissent les faits, mais ils sentent bien que cela ne suffit pas. Ils ont perdu tout espoir. Ils ne voient plus d’avenir. Voilà que Jésus se joint à eux sans être reconnu. Il leur raconte toute l’histoire du Salut et il leur ouvre les yeux sur la présence de Dieu. C’est ainsi qu’ils se disent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et qu’il nous ouvrait le sens des Écritures ? »

10 Aujourd’hui, l’Église est au défi de se mettre en route avec l’homme concret, avec des hommes qui connaissent beaucoup de faits, mais qui sentent aussi que ce n’est pas suffisant ; avec des hommes dont l’espérance est brisée ; avec des hommes qui ne voient plus d’avenir. L’homme a la nostalgie de la joie de l’Évangile. Sous les cendres de chaque époque, il y a beaucoup de braises : dans notre propre vie, dans la vie de chaque homme, dans la vie de l’Église. Cette braise de la foi, la présence de Dieu, l’Église peut les découvrir à travers un processus communautaire synodal. L’homme doit également au xxi e siècle pouvoir s’écrier dans l’étonnement et la reconnaissance : « Est-ce que notre cœur n’était pas tout brûlant dans notre poitrine, quand, en chemin, il nous parlait et nous ouvrait le sens des Écritures ? » C’est sur ce chemin-là que le pape François veut amener toute l’Église ‒ tous les baptisés. Ainsi se vérifiera ce que Vatican II a proposé à l’Église dans le monde d’aujourd’hui :

11

Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ.
(Gaudium et spes, n° 1)


Date de mise en ligne : 08/12/2019

https://doi.org/10.2143/LV.00.0.0000000

Notes

  • [1]
    À partir de cette observation, l’auteur a rédigé un texte qui a été traduit en diverses langues : Miteinander die Glut unter der Asche entdecken, Kloster, Einsiedeln, 2013 ; Fuoco sotto cenere, Milano, Edizione San Paolo, 2013 ; Embers in the Ashes. New Life in the Church, Mahwah NJ, Paulist Press, 2013 ; Découvrir ensemble la braise sous la cendre, Paris, Bayard, 2013 ; Las os sammen obdage gloden under asken, Kobenhavn, 2013 ; Samen de gloed onder de as ontdekken, Amsterdam, 2013.
  • [2]
    Benoît XVI, Porta fidei, lettre apostolique par laquelle est proclamée l’année de la foi, Rome, 2011, n° 2.
  • [3]
    Jean-Paul II, Dives in misericordia, lettre encyclique sur la miséricorde divine, Rome, 1980, n° 1.
  • [4]
    Cf. M. Werlen, Heute im Blick. Provokationen für eine Kirche, die mit den Menschen geht, Freiburg i.Br., Herder, 2015.

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