Pendant très longtemps les livres mettant en scène l’expérience de la solitude dans un environnement naturel, sauvage ou rural, n’ont pas fait partie de l’horizon littéraire français. Le rappel systématique et quasi obligé de la « Cinquième promenade » constitue l’indice paradoxal d’un vide d’autant plus manifeste que les deux mois de loisir oisif que Rousseau a passés à l’île Saint-Pierre, en 1765, n’impliquent aucune activité physique exigeante, de celles nécessaires pour assurer le quotidien dans un milieu inhospitalier ou tout simplement rude.
Avec Jean-Jacques, l’on est loin des lieux sauvages qu’Aldo Leopold définissait, en 1925, dans « The Last Stand of the Wilderness » comme des endroits dépourvus des marques principales de la civilisation et susceptibles d’absorber des marches de deux semaines sans que le randonneur se trouve emmêlé dans ses propres traces. L’on est plus éloigné encore des deux ans, deux mois et deux jours durant lesquels Henry David Thoreau a vécu un peu en dehors de Concord dans une cabane construite de ses mains et avec la volonté de subvenir à ses besoins tout en se ménageant des loisirs pour l’écriture. Walden (1854), le récit qu’il a tiré de cette expérience et qui compte depuis toujours parmi les textes fondateurs de la littérature américaine, s’est imposé aujourd’hui aussi pour une nouvelle génération en France. Henry David Thoreau et Aldo Leopold prennent dans l’imaginaire lié à la nature la place qu’a pu occuper Dersou Ouzala — le personnage du film d’Akira Kurosawa (1975) plus que l’homme du récit de Vladimir Arseniev — pour la génération précédente ou Grey Owl, l’auteur de…