Jean-Luc Godard, que faites-vous place Edmond Rostand, ce vendredi 10 mai 1968 ?
En milieu d’après-midi, vous vous trouvez sur cette place, exactement à l’intersection du boulevard Saint-Michel et de la rue Soufflot. Sur votre droite le Panthéon vous regarde. Sur votre gauche, la rue de Médicis, qui descend mollement vers l’Odéon, se laisse remonter par une manifestation étudiante de basse intensité qui longe le jardin du Luxembourg. Elle est bientôt invitée à se disperser sur l’injonction d’un leader sorti du rang et qui s’autorise du monopole de la sono. Que faire d’autre que de passer par là, pour peu que l’on sympathise avec le mouvement étudiant ? Ce jour-là, le jardin du Luxembourg était resté fermé au public. Sans doute pour nous rappeler que, si les rues du quartier nous appartenaient plus ou moins depuis quelques jours, l’espace du Sénat par précaution s’était refermé sur son périmètre de sécurité maximum et que cela n’augurait rien de bon. Cela dit, nous ne mesurions pas encore vraiment, ce vendredi 10 mai, que la crise qui se durcissait entre le gouvernement et les étudiants allait se dénouer ce soir-là, à partir d’un projet de sit-in au Quartier latin, visant à reconquérir symboliquement la Sorbonne et à « libérer nos camarades ».
Mais vous, que faites-vous là, Jean-Luc Godard, la tête baissée, le corps penché en avant, comme la vingtaine d’individus qui font la chaîne et qui se passent des pavés de main en main pour « faire tas » au pied de la grande porte du jardin du Luxembourg dans u…