Les poèmes de Paul Celan — lettres noires sur papier blanc, ombres grises surgissant du néant, voix venues d’outre-tombe, d’outre-ciel, d’outre-cendres — m’accompagnent depuis longtemps. Depuis que Jean Bollack me les a fait lire, me les a transmis, comme un cadeau, « lis et tente de comprendre ! », ils sont un message à transmettre lui aussi, qui est témoignage et appel. Les poèmes témoignent de la réalité de « ce qui advint » (das, was geschah), manière exclusive dont Paul Celan désignait la Shoah. Les vers et le silence aussi entre les vers, lourd de paroles, la re-composent en même temps qu’ils cherchent à l’atteindre.
Cette réalité que le poème de Celan vise fut le Rien (Nichts), la réduction au Rien (Vernichtung), la réduction à la chose et au néant de millions d’être humains, voulue sans traces, dans la nuit et le brouillard :
Le poème cependant ne vise pas seulement cette dimension référentielle qu’il énonce de manière bien souvent hermétique. « Que l’on ne reproche pas aux poètes leur hermétisme, nous en faisons profession », écrivait Celan, car ce qui a été difficile à formuler ne doit pas être moins difficile à comprendre. Et cet effort de compréhension nous rend celui-ci et la signification du poème, chers.
Ce que Celan écrivait à Char peut nous aider à concevoir comment il aurait aimé que sa propre poésie puisse être appréhendée :
« Voyez-vous j’ai toujours essayé de vous comprendre, de vous répondre, de serrer votre parole comme on serre une main ; et c’était, bien entendu…