J’ai toujours évité de parler publiquement de mon expérience d’établissement. En 1994, j’accordai un entretien à Virginie Linhart, mais, à la lecture de la retranscription, j’en refusai la publication. Aujourd’hui encore, j’ai longuement hésité avant d’écrire ces quelques lignes. Pourtant, je suis assez souvent invité, notamment par mes proches et par ceux qui connaissent vaguement mon passé, à revenir sur cette période de ma vie. Ils désirent connaître cette expérience originale et en savoir un peu plus sur les motivations d’un tel engagement. Ils veulent comprendre ce qui m’a poussé à la fois à renoncer à la carrière professionnelle qui m’était promise et surtout à rester aussi longtemps « en usine ». Ils vantent généralement le « courage », la « générosité » et surtout l’« honnêteté » qui m’a fait — contrairement à beaucoup d’autres, disent-ils — mettre en conformité mes actions avec mes idées. Et lorsque — pressé par leurs questions — je lève un peu le voile sur mes activités de l’époque, ils ne sont pas trop déçus. J’ai en effet matière à répondre à leur attente. Et pourtant, mes réticences ne sont jamais levées.
Je fais partie des premiers établis et de ceux qui sont restés en usine relativement longtemps. Je suis en troisième année à HEC lorsqu’en décembre 1967 je renonce à mon diplôme et prends le chemin de l’établissement. Je parviens à me faire embaucher sans difficultés à l’Usine d’embouteillage de Contrexéville, dans le département des Vosges. Parallèlement, un autre militant est recruté par l’Usine Perrier à Vergèze, dans le sud de la France…