Il alla chez le jeune ouvrier avec lequel il s’était lié depuis qu’il travaillait à l’usine et dans la cellule d’entreprise. [...] Il essaya de décrire à Wolfgang la façon dont il avait couru à travers les rues. « Tu dois avoir pas mal de loisirs », dit Wolfgang. Lenz se sentit incompris. « Je me rends bien compte de ce qui t’arrive, dit Wolfgang [...] Tu aimerais bien croire que nous, les ouvriers, nous sommes aussi des hommes à qui on peut parler, mais tu n’en es pas encore persuadé. En réalité, tu vois en moi quelqu’un à qui tu aimerais ressembler. [...] Tu n’as pas appris à défendre ta peau, il faut donc que moi je sois grand et fort et que je cogne tout de suite à coups de poing quand quelque chose ne me va pas. Tu n’as que tes histoires d’amour en tête, par conséquent moi, je ne dois rien avoir d’autre en tête que l’usine et l’exploitation subie. Comme tu vacilles à tout bout de champ, il faut que je sois inébranlable et que je n’aie rien d’autre à faire que des barricades. Mais des sentiments comme les tiens, ça, ça m’est interdit, tu te les réserves. C’est vrai, je n’ai pas les mêmes sentiments que toi, et j’en suis plutôt heureux. »
Cet extrait du roman de Peter Schneider, Lenz (1973), ouvrage emblématique de toute une génération, met en évidence la crise d’identité que vécut, dans les années 1970, une partie de la jeune intelligentsia allemande et européenne qui s’interrogeait sur son rôle dans la société. Entre pressions pour intégrer les classes dirigeantes et difficulté…