A la question « Qu’est-ce que la critique ? », on peut répondre longuement, savamment, paradoxalement. Il arrive qu’on exagère son importance ou qu’on affirme avec force qu’elle n’est rien. Et même moins que rien. Il arrive aussi que l’on réconcilie ces contraires — selon l’intérêt du moment. Parfois, conformément à une vieille tradition, on soutient que la critique, la pauvrette, ne peut avoir qu’une ambition : celle d’arriver, au mieux, à la cheville de la littérature ; en fait, si l’on en croit Pierre Jourde, son unique vocation est d’être son « parasite » ! On comprend aisément que cette position subalterne et humiliante la rende jalouse, atrabilaire, haineuse. « Je conçois cette haine, persiflait Théophile Gautier dans sa préface à Mademoiselle de Maupin. Il est douloureux de voir un autre s’asseoir au banquet où l’on n’est pas invité, et coucher avec la femme qui n’a pas voulu de vous. Je plains de tout mon cœur le pauvre eunuque obligé d’assister aux ébats du Grand Seigneur. » Un peu plus tôt, selon cette même rhétorique qui fit naître tant de vains discours, Diderot définissait ainsi la « sotte occupation » du critique : « [...] nous empêcher sans cesse de prendre du plaisir, ou [...] nous faire rougir de celui que nous avons pris. » Par ce « nous », un territoire est strictement défini, une jouissance désignée, desquels le critique est exclu.
Ces pétitions de principe qui font du critique un personnage éminemment négligeable ne protégèrent pas d’innocents écrivains pleins de promesses contre les assauts de la jalousie féroce des critiques : on en vit censurés par des jugements iniques, réduits à l’impuissance, acculés au désespoir…