Je n’ai jamais rien décidé, dit-il.
« Je n’ai jamais rien décidé, dit-il » est une citation, une greffe. Une hypothèse. C’est elle qui le dit. L’écrivain Hélène Cixous le dit ici à propos du philosophe Jacques Derrida. Déjà, il s’agit d’une scène entre deux amis, une scène d’aimance, sinon amoureuse. Derrida serait donc celui qui dit n’avoir jamais rien décidé. Toutefois c’est elle qui le dit. En le disant ainsi, elle se le garde. Elle se garde Derrida et le protège de lui-même. Il n’a d’autant rien décidé que c’est elle — Hélène — qui le dit ici à sa place et qui dit que Derrida l’a dit sans dire où et quand et comment il l’a dit et s’il lui a dit, à elle, ou à un autre, ou par écrit, s’il l’a dit.
Il est arrivé à Derrida de se citer ainsi. Par exemple, ici même, dans Les Temps Modernes. « Vive Les Temps Modernes ! Salut à vous ! Oui, je voudrais saluer votre avenir. Mais votre avenir comme le nôtre. Le nôtre, dit-il […]. » Derrida se cite ici en quelque sorte à la troisième personne. Il a coutume de le faire. « Je n’ai jamais rien décidé, dit-il » pourrait être un énoncé qu’il a lui-même dicté ainsi, voire écrit. Si le philosophe a lui même dit, ou écrit, « dit-il », pour ponctuer cette affirmation au sujet de la décision, alors l’énoncé prendrait une autre valeur, il subirait — abus — un autre tour. Ce « dit-il » appellerait un clin d’œil. Cher à Marcel Duchamp, l’anglais tongue-in-cheek n’a pas d’équivalent idiomatique en français. L’expression pourtant s’impose ici…