Bénéficier des enthousiasmes et de l’admiration de Michel Onfray est bien pire que servir de cible à son agressivité. La lecture de L’Ordre libertaire déconcerte. Non par la haine de Sartre qui s’y exprime, puisqu’elle est devenue, chez l’« auteur d’une cinquantaine de livres » (je crains d’ailleurs qu’il n’y en ait plus), un fait de nature, aussi incontestable que le retour des saisons, la température d’ébullition de l’eau ou la loi de la chute des corps. Mais bien en raison de la force d’âme qu’il faut au lecteur pour continuer, en dépit de ces cinq cents pages logorrhéiques, à aimer Camus et la Méditerranée. De ce tsunami de rhétorique, de manichéisme, de malveillance et d’hagiographie perversement accouplées, on émerge quasi suffoqué, comme sauvé de justesse de la noyade et complètement hagard. Mais où donc sont passés la douceur des étés, les dentelures du sel qui sèche sur la peau, les grains de figues entre les dents, les grains de sable entre les orteils, les cheveux emmêlés d’eau de mer, les rais de lumière à travers les persiennes, l’odeur interminable des pins et des eucalyptus ? Et où la joie violente de la lecture ? Où, par exemple, L’Etranger qui, au gré et par la grâce d’une écriture ténue et infiniment subtile, nous avait emmenés dans l’inconnu, aux lisières des pâles indécisions de l’existence, de la tragédie et de la métaphysique ? Où donc ce coup à l’estomac, cette sidération que nous ressentions, insoucieux encore de L’Ordre libertaire, à chaque fois que notre main retombait sur un vieux « Folio » jauni, effrité, le même depuis nos ving…