Répondant à l’invitation de prendre part au débat sur la pensée politique de Heidegger, nous croyons utile de souligner que notre réponse envisage ce problème sous un angle que le phénoménologue appellerait « eidétique ». Nous n’entendons en aucune façon nous prononcer sur l’attitude personnelle de Martin Heidegger à l’égard du national-socialisme. Il nous importe seulement de savoir si la philosophie de Heidegger est intrinsèquement liée au national-socialisme ou si elle y conduit logiquement, abstraction faite des réactions personnelles heureuses ou malheureuses, justes ou injustes, cohérentes ou incohérentes, héroïques, lâches ou criminelles d’une personne privée. Nous ne nions pas que cette dernière question présente une considérable importance historique, mais elle est sans portée décisive pour l’étude de la doctrine puisqu’un philosophe peut être infidèle à son propre enseignement et incapable, par faiblesse, opportunisme ou ambition, d’en percevoir ou d’en porter les conséquences politiques. Seule la question doctrinale retiendra notre attention. Au surplus, nous partageons entièrement sur la question de fait l’opinion émise par la rédaction des Temps Modernes en présentant les notes, contradictoires, que lui envoyèrent, il y a plus d’un an, MM. de Towarnicki et de Gandillac.
Si les pages qu’on va lire tentent de dissocier la philosophie de Heidegger et le national-socialisme, cela n’implique pas qu’aucune critique ne doive, à d’autres points de vue, être adressée à cette philosophie, nous avons eu l’occasion de nous expliquer sur ces problèmes et ne pouvons que maintenir toutes nos objections…