« A quoi ça sert d’être un petit garçon si c’est pour devenir un homme », soupire Gertrude Stein dans L’Histoire géographique de l’Amérique. La connaissant, on peut sans trop de risques interpréter : à quoi ça sert d’être bouclé, affectueux, inventif, une voix d’ange, pour devenir moustachu, le poil qui pique, pompeux, raseur, autoritaire, brutal, bref : masculin. Au début des Mémoires d’une jeune fille rangée, Simone de Beauvoir évoque son cousin Jacques, de six mois son aîné. Celui-là même que, l’ayant retrouvé dix ans plus tard, elle envisagera, non sans de fortes réticences et tergiversations qu’elle raconte en détail, d’épouser : « Avec son teint vermeil, ses yeux dorés, ses cheveux brillants comme l’écorce d’un marron d’Inde, c’était un très joli petit garçon. » A dix-huit ans, il est resté joli, il rappelle à Simone l’enfant qu’il fut : « Jacques était beau, d’une beauté enfantine et charnelle ; pourtant, jamais il ne m’inspira le moindre trouble ni l’ombre d’un désir. » Décidément, ce cousin d’enfance, ce petit fiancé de jadis, n’était pas fait pour sa vie d’adulte. Simone de Beauvoir n’était pas faite pour devenir Madame Laiguillon (nom fictif, à la Feydeau, donné dans les Mémoires).
Devenir adulte : merci du cadeau ! Les mères de ce temps-là étaient terribles, les pauvres. Ce temps-là ? 1929 : pas si loin de nous, en somme. Zaza a une mère, Madame Mabille (nom fictif à la Labiche, cette fois : Souvenons-nous du bal Mabille dans La Fille bien gardée). Cette mère lui ordonne : « Tu ne verras plus Pradelle », et Zaza cesse de le voir…