Simone de Beauvoir, on le sait, n’avait pas conscience, en écrivant Le Deuxième Sexe, de s’inscrire dans l’histoire du féminisme. Celle-ci était-elle alors si peu développée qu’elle ne l’avait pas rencontrée au cours de son énorme travail de compilation ? Michelle Perrot lui accorde ce crédit : « Elle est d’une très grande ignorance sur le féminisme du xixe siècle, mais ce n’est pas sa faute, il n’y avait pas d’histoire des femmes. » Pourtant, à relire la partie « Histoire » du Deuxième Sexe, on note une connaissance sans doute exceptionnelle à l’époque. Elle cite Poulain de la Barre, Olympe de Gouges et Rose Lacombe, Eugénie Niboyet, Maria Deraismes et Hubertine Auclerc, Mary Wollestonecraft et Virginia Woolf... Elle connaît les suffragettes anglaises et américaines, le mouvement féministe en URSS et la manifestation du 8 mars 1917 à Saint-Pétersbourg. Ce n’est pas tant l’ignorance qui lui fait conclure « toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes » (p. 170) qu’un refus de se situer elle-même dans ce récit.
Elle renvoie dos à dos « l’arrogance masculine », qui a rendu la « question des femmes » si oiseuse, et les arguments féministes : bien souvent le souci polémique leur ôte toute valeur : « […] quand on se querelle, on ne raisonne plus bien. » (p. 28). Les hommes sont juges et parties, souligne-t-elle, les femmes aussi. Elle-même préfère n’appartenir ni au clan des hommes, ni à celui des femmes. Peut-être est-ce pour échapper à ce dilemme qu’elle privilégie les hommes féministes, comme Léon Richier (sic) qu’elle tient pour « le véritable fondateur du féminism…