Terres inconnues, mers inexplorées, sommets invincibles, espaces jamais traversés, tout avait fini par céder à l’usage conquérant. L’impérialisme humain avait eu raison de ce bas-monde. Restait le ciel. Le champ des majuscules, Air, Lumière, Vide, Atomes, Feu, Ordre et Chaos. L’horizon de nos paysages que se disputaient la Raison et les Mythes, la Physique et l’Imagination. Condamnés à l’observation, les cosmologistes expérimentaient peu. La guerre et la balistique militaire brusquèrent les choses. On lança à l’aide d’une foudre fabriquée des ustensiles divers. L’aventure spatiale débutait, toujours entre l’esprit ludique d’enfance et les arrières-pensées des stratèges. Précédé par quelques chiennes, ambassadrices du vivant, Youri Gagarine fut le premier représentant de l’humanité dans l’outre-terre, le premier à franchir personnellement les véritables limites du monde.
Emmanuel Levinas tint à célébrer l’événement dans un très court article. Dans le recueil Difficile liberté, les textes ont été rassemblés sous divers titres. C’est sous l’intitulé « Distances » que figure désormais cette réflexion. Ni « Ouvertures » ni « Polémiques » qui voisinent ici ne convenaient. La distance inouïe d’une démesure, le sol quitté et heureusement retrouvé qualifient l’envol exceptionnel. Gagarine est parti pour un sans-lieu, il en est exactement revenu, pour nous parler, pour se montrer à nous, intact et souriant.
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Levinas, pensant à Gagarine, pense à Heidegger et aux heideggériens…