« Le fusil a fait pousser un cri d’homme à l’éléphant ». C’est par ce proverbe bantou qu’André Schwarz-Bart, mort le samedi 30 septembre 2006, à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe, expliquait jadis la nécessité qui l’avait poussé à devenir écrivain : nulle vocation, disait-il, mais un événement qui l’avait amené « à proférer des sons inusités ».
L’événement déclencheur, ce fut l’extermination par les nazis, avec la complicité de leurs acolytes, de la civilisation dont il était issu, la civilisation juive d’Europe de l’Est, l’assassinat programmé d’une partie de sa famille et de sa communauté d’origine (ses parents, deux frères et sa grand-tante déportés). Ce Juif, né à Metz en 1928, avait pour langue maternelle le yiddish que parlaient ses parents d’origine polonaise et les Juifs miséreux de son quartier, le Pontiffroy, sur les bords de la Moselle. Son quartier a été rasé et le complexe moderne qui le remplace ne conserve aujourd’hui que le souvenir du nom des rues de son enfance. Sa langue a été assassinée. Seuls de rares survivants préservent encore les berceuses, les légendes, l’humour et la tendresse d’une littérature foisonnante. Mais Schwarz-Bart était aussi français. Il avait conquis de haute lutte la langue et la culture de son pays natal et c’est en terre française qu’il vient de mourir, dans la contrée d’élection qu’il s’était choisie, les Antilles, aux antipodes des salons littéraires et des certitudes de l’Hexagone. Le 22 septembre dernier, le ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres, en visite en Martinique et en Guadeloupe, l’élevait au rang d’officier dans l’ordre des Arts et des Lettres, parmi d’autres « représentants éminents de la culture guadeloupéenne »…