Je me souviens de la sortie, en 1976, du livre de Germaine Tillion, Le Harem et les cousins. L’article qui lui fut consacré par Jeune Afrique donna un bel exemple de notre folie douce collective. Le livre était sorti en plein débat autour de la Charte nationale que le Pouvoir avait imaginée pour redorer son blason. Sa charte nationale pour enterrer définitivement les vieux textes et les vieilles promesses révolutionnaires. L’anthropologue des Aurès, la résistante, la militante pour l’indépendance de notre pays, qui nous observait depuis longtemps, ne se réfugiait pas derrière le savoir anthropologique, elle se jetait dans la bataille en apportant la preuve et les raisons de notre avilissement. C’était trop. Et une Française en plus. On avait oublié qu’elle avait été de notre côté pendant la guerre d’Algérie. « Elle défendait l’honneur français, alors qu’elle nous laisse tranquilles ! » disaient les voix suraiguës des femmes en pleine crise de nationalisme. Touche pas à mon pays. La journaliste faisait la comparaison entre une dactylo occidentale dévergondée et une étudiante algérienne vivant harmonieusement sa tradition. Elle concluait : « On donnerait volontiers son appartement, sa voiture, son paquet d’amants et son chapelet d’aventures pour une part de vrais sentiments. » Plume mercenaire. Mercenaires, nous l’étions toutes et tous d’une certaine manière. Mea culpa encore. Quelle prose ! Quel esprit tordu ! Difficilement explicable avec le recul, à moins de renverser la phrase, d’y lire les désirs refoulés de toute une génération de femmes coupées entre deux mondes et toujours promptes à défendre le leur au prix d’acrobaties et de mensonges vis-à-vis de leurs aspirations profondes…