A l’occasion de la commémoration de la « libération » du camp d’Auschwitz, un symptôme révélateur est apparu sur la scène française : le refus par certains d’employer le terme de Shoah pour rendre compte de l’extermination des Juifs. Ce fut une attaque en règle, un tir groupé : le 3 février 2005 paraissait dans Libération un article d’Esther Benbassa, intitulé « Après le devoir de mémoire » ; le 20 février, Le Monde publiait l’article d’Henri Meschonnic, « Pour en finir avec le mot “Shoah” ». Deux articles parallèles, quasi simultanés, écrits par des personnalités bien différentes, qui se rejoignent dans une même certitude : pour dire le génocide perpétré par les nazis, il faut se débarrasser du mot Shoah. Dans le concert commémoratif et unanime du premier trimestre 2005, ces attaques étaient étonnantes ; elles manifestaient aussi, par le rejet même qu’elles lui opposaient, les enjeux du terme Shoah.
L’article d’Esther Benbassa commence par les meilleurs sentiments du monde. Commentant et justifiant la commémoration de la libération du camp d’Auschwitz, l’auteur se félicite de l’ampleur et de la résonance des manifestations et souligne le « relief » particulier de cet événement en France. Après cette introduction rassurante, le ton change : cette commémoration aurait donné lieu à un « déferlement d’images frisant le voyeurisme » ! Puis, immédiatement, comme pour atténuer la note critique, l’auteur précise sa crainte : « Tout cela risque de banaliser un peu plus le crime nazi qui interpelle l’humanité tout entière…