On a énormément écrit sur Berlin. Berlin est en vogue. Faire l’éloge de Berlin est presque une tâche patriotique. Dénigrer Berlin est marque d’ingratitude. Mais de quelque manière qu’on s’y prenne, écrire sur Berlin produit une gêne. Il y a à cela de nombreuses raisons : politiques, économiques, sociales. L’explication que j’en donne est simple : Berlin est une ville qui n’a pas de présent mais seulement un passé et un futur. La ville est une improvisation permanente. Mais en fut-il toujours ainsi ? Si l’on veut comprendre ce qui se passe en fait à Berlin, on doit se remémorer son étonnante histoire, l’histoire de ses métamorphoses. C’est manifestement le sort de cette ville, comme le disait déjà Karl Scheffler en 1910, de « toujours devenir et de ne jamais être ».
De Berlin il faut parler aujourd’hui comme on parle de Troie. Il y a plusieurs couches archéologiques, auxquelles il faut donner un numéro. II y a des strates de différentes époques, et dans chacune d’elles Berlin a eu une physionomie propre, une personne propre, une vision, un rôle spécifique, et chacune se distingue de l’autre comme si elles n’avaient rien de commun. Ce n’est pas comme à Rome où les traces de toutes les époques cohabitent, les traces sociales et les monuments, et où il y a toujours eu comme une continuité sans rupture à travers les millénaires. Berlin, issu d’une « table rase », s’est toujours réinventé en faisant constamment table rase de son passé. Berlin fut toujours un champ d’expérimentation, un chantier ouvert…