« Genet est un antisémite. Ou plutôt, il joue à l’être. On imagine bien qu’il lui est difficile de soutenir la plupart des thèmes de l’antisémitisme. Refuser les droits politiques aux Juifs ? Mais il se moque de la politique. Les exclure des professions libérales, leur interdire tout commerce ? Cela reviendrait à dire qu’il se refuse à les voler, puisque les commerçants sont ses victimes. Curieux antisémite qui se définirait par sa répugnance à voler les Israélites. Veut-il donc les tuer par grandes masses ? Mais les massacres n’intéressent pas Genet ; les meurtres dont il rêve sont individuels. Alors ? Poussé dans ses derniers retranchements, il déclare qu’il “ne pourrait pas coucher avec un Juif”. Israël peut dormir tranquille. Dans cette répugnance je vois seulement ceci : victime des pogromes et de persécutions séculaires, l’Israélite fait figure de martyr. Sa douceur, son humanisme, son endurance et son intelligence aiguë commandent notre respect mais ne sauraient lui conférer de prestige aux yeux de Genet. Puisque celui-ci veut que ses amants soient ses bourreaux, il ne saurait se faire sodomiser par une victime. Ce qui répugne à Genet chez l’Israélite, c’est qu’il retrouve en lui sa propre situation. »
Je tiens le premier énoncé de cette longue note de Jean-Paul Sartre, extraite de son interminable chef-d’œuvre, Saint Genet comédien et martyr, pour le plus profond de tout ce livre et le plus remarquable. L’audace et la profondeur ne sont pas ce qui caractérise habituellement ce type de propos ; il s’agit en général de dénonciations, voire de délations ou de stigmatisations…