Oser parler d’Aragon, lorsqu’on ne figure pas au nombre des aragoniens confirmés ? On se sent tout intimidé, comme un mouton noir égaré… Mais justement : pourquoi ne pas commencer par se livrer à un travail de dénombrement un peu étrange, mais simple, et donc rassurant — compter sinon les moutons, du moins les chèvres dans le roman d’Aragon qui paraît à la fin de 1942, Les Voyageurs de l’impériale, troisième volume du cycle Le Monde réel ? Qu’on se rassure : l’opération n’est pas dépourvue d’enjeux.
« Le petit jour paraissait à la fenêtre lorsque Pierre céda » (p. 201). Ainsi débute le récit d’une nuit de crise conjugale, l’été 1898, au château de Sainteville. Paulette Mercadier croit en effet, grâce aux bons soins de sa mère Marie d’Ambérieux, que Pierre, son mari et le protagoniste du roman, la trompe avec une Mme Pailleron. Elle s’est alors, de poulette qu’elle était, transformée en loup implacable : « Où trouvait-elle la force, Paulette, de poursuivre, de forcer Pierre de dénis en reniements, de serments en protestations folles ? » (p. 202). La chasse à l’homme est ouverte : « Paulette avait inventé […] un petit système dont c’était le chiendent pour la faire démordre », puisqu’elle « tenait mordicus à son système », si bien qu’à force de lutter « on s’égarait dans des taillis » de douleur (p. 203). Pierre Mercadier est de son côté plus ou moins implicitement assimilé à cette chèvre de M. Seguin, qui fournit son titre à un conte relaté dans les Lettres de mon moulin (1866), d’Alphonse Daudet — un auteur dont le nom est cité parmi les lectures de Pascal Mercadier lycéen (p…