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Article de revue

Décider en temps réel : une activité située et distribuée mais aussi disloquée

Pages 31 à 54

Notes

  • [1]
    Perspective qui s’inscrit dans le prolongement des travaux sur la Naturalistic Decision Making (Szambok et Klein, 1995). Les chercheurs privilégient une étude de la prise de décision en situation réelle et ils mettent en œuvre une méthodologie visant à observer les individus quand ils sont dans leur milieu de travail et qu’ils sont confrontés à des situations concrètes de prises de décisions en temps réels.
  • [2]
    Le terme « actant », emprunté à la sémiotique, renvoie à des entités humaines et non-humaines (Latour, 2006) et désigne les êtres, les choses, les événements qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, agissent dans et sur le déroulement d’une interaction communicative.
  • [3]
    La notion d’histoire interactionnelle chez Vion (2000) correspond en fait à une version élargie de la notion d’histoire conversationnelle chez Grunig (1989) et Golopentja (1988).
  • [4]
    Voir par exemple la réflexion de Descombes (1996) sur les « institutions du sens » pour un développement systématique de cet argument. Pour une analyse des différentes conceptions de la notion de cadre dans l’analyse des interactions, voire l’excellente étude de Dewulf et al. (2009).
  • [5]
    Cette recherche (portant sur le processus de remémoration organisationnelle) a été menée dans une organisation de la région de l’Outaouais québécois (Canada) et a été financée par le Conseil de la Recherche en Sciences Humaines (CRSH) du Canada dans le cadre du programme Initiative de Développement de la Recherche (IDR).
  • [6]
    Nous avons pu ainsi observer l’ensemble des répartiteurs d’urgence travaillant de jour (six au total) ainsi que trois superviseurs.
  • [7]
    Nous tenons néanmoins à souligner une limite à notre recherche : nous n’avons pas eu l’occasion de filmer les interactions ce qui nous a privé d’un corpus intégrant finement l’ensemble des gestes, mouvements corporels et autres. Nous avons néanmoins tenté de remédier à cette limite en prenant des notes aussi détaillées que possible des mouvements corporels, manipulations d’objets et autres au cours des séances d’observation sur site.
  • [8]
    Précisons que les analyses des séquences conversationnelles reposent sur le modèle de l’analyse interlocutoire (Brassac, 1994 ; Ghiglione et Trognon, 1993). Ce modèle repose sur une dialogisation de la théorie des actes de langage (Austin, 1970 ; Searle et Vanderveken, 1985 ; Vanderveken, 1988, 1990) et sur les principes de l’Analyse Conversationnelle développée par les ethométhodologues (Garfinkel, 1967).
  • [9]
    Nous adoptons les conventions de transcription suivantes : // coupure de parole, symbole repris en début de discours de la personne ayant coupé la parole ; [texte] introduction d’éléments contextuels ; : : : allongement vocalique de la syllabe ; (.) pause brève dans le discours (environ une seconde) ; […] coupure dans la transcription du corpus.
  • [10]
    CH est l’acronyme de Centre Hospitalier.
  • [11]
    « Nous considérons comme présupposées toutes les informations qui, sans être ouvertement posées (i. e. sans constituer en principe le véritable objet du message à transmettre), sont cependant automatiquement entraînées par la formulation de l’énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif » (Kerbrat-Orecchioni, 1998 : 25).
  • [12]
    « [D’un] point de vue logique, les conditions préparatoires d’une force illocutoire déterminent quelles propositions le locuteur doit présupposer lorsqu’il accomplit un acte de discours ayant cette force dans un contexte d’énonciation » (Vanderveken, 1988 : 117).
  • [13]
    Notons que le « tu » marque aussi le fait que le répartiteur se désolidarise de la décision de déplacer une ambulance sur le secteur Plateau (alors que le superviseur faisait usage du « on »).
  • [14]
    Informations que les répartiteurs nous ont confirmées lors des entrevues.

1 Un thème important en théorie des organisations et en communication organisationnelle est la prise de décision. En effet, « des décisions de tous types et de toutes importances forment les organisations et, dans ce sens, [ces dernières] sont des lieux de prise de décision » (Hatch, 2000 : 286). Or, décider se réduit bien souvent à choisir de façon rationnelle une bonne option. Comme le soulignent Fixmer et Brassac :

2

En ce sens, il s’agit de prendre une décision, comme on recueillerait une donnée, comme on traiterait une information, autant d’éléments préexistants à l’action. On trouve cependant des travaux qui abordent la décision sous un angle plus processuel. Elle est alors l’aboutissement, le résultat d’une séquence de plusieurs étapes qui constituent un développement dont le caractère actionnel et cognitif est central. Il s’agit là de construire une décision (2004 : 112, italique dans l’original).

3 L’objectif de cet article n’est pas de reprendre l’ensemble des travaux existant sur la prise de décision en contexte organisationnel, mais de préciser notre « mode d’approche » d’événements décisionnels au cours d’une activité de travail. Pour ce faire, nous nous détacherons d’une vision rationaliste de la prise de décision pour adopter une vision naturaliste et interactionniste [1]. Ainsi, nous allons aborder la prise de décision comme une activité conjointe de production de sens (Weick, 1995). C’est à partir d’un exemple concret (une prise de décision dans un centre de répartition des urgences 911) que nous allons souligner les modes de pensée et d’action que construisent conjointement des individus amenés à travailler ensemble et devant prendre une décision en commun. Plus spécifiquement, nous montrerons en quoi une décision est à la fois locale (inscrite dans l’ici et maintenant de l’interaction) et « disloquée ». C’est-à-dire comment des « actants » [2] extérieurs à la scène interactionnelle (au local de l’interaction) y sont actualisés, « présentifiés », et participent à l’interaction de telle sorte que ce qui s’y passe relève tout autant d’autres lieux dans le temps et dans l’espace que de l’ici et maintenant, d’où la dislocation. Nous verrons donc que même si les décisions sont localement accomplies, elles sont aussi « disloquées », notamment du fait de la présence d’événements passés et d’entités initialement absentes qui sont convoquées au cours de l’interaction.

1. Décider en temps réel : une activité conjointe de construction de sens

1.1. Un point de départ : la prise de décision vue comme une activité située et distribuée

4 Un nombre important d’études en Europe et en Amériques du Nord s'est intéressé au travail dans des centres de contrôle ou d’intervention d’urgences (Heath et Luff, 1992). La plupart de ces travaux s’inscrivaient dans le champ de l’action située et de la cognition distribuée (Artman et Waern, 1999). Le terme d’action située désigne un modèle d’action au sein duquel chaque cours d’action dépend des matériaux utilisés et des circonstances sociales (Suchman, 1987). Les sujets sont en mesure d’identifier les éléments qui dans une situation sont pertinents pour eux. Ces éléments constitutifs du contexte dans lequel ils évoluent, leur permettent d’agir, de raisonner, de comprendre, de décider. Étudier la prise de décision en se référant à la théorie de l’action située, c’est mettre l’accent sur le fait que les décisions se construisent dans l’interaction sociale (Brassac et al., 1997). Les acteurs agissent alors comme les navigateurs micronésiens, ils ont conscience du but à atteindre, mais la façon qu’ils ont d’y parvenir est ambiguë, voire imprévisible. Une autre importante source de l’étude de la décision en contexte naturel est l’approche dite de la « cognition distribuée » (Hutchins, 1995). Cette dernière met l’accent sur l’étude de la cognition humaine en introduisant l’idée que les capacités cognitives des sujets ne sont pas déconnectées de leur milieu naturel (celui-ci étant artificiel mais aussi culturellement et historiquement déterminé). Les connaissances ne sont pas localisées dans la tête des individus mais situées au niveau des interactions entre membres engagés dans une tâche. Le courant de recherche sur la cognition distribuée porte son intérêt non plus sur les seuls processus cognitifs inhérents au sujet lui-même mais prend en compte les processus de coopération et de collaboration entre les sujets, de même qu’entre ces derniers et les artefacts participant à la scène interactionnelle. L’unité d’analyse n’est plus le sujet, mais bien le système composé des individus et des artefacts qu’ils mobilisent.

5 Approcher la prise de décision comme une activité située et distribuée, c’est donc à la fois insister sur le caractère collectif de cette activité, mais aussi sur les modes de partage des savoirs au sein de situations « naturelles » et particulières (Cicourel, 1994). Ajoutons, comme l’écrit Valléry, que ces courants de l’action située et de la cognition distribuée partagent une même position théorique et méthodologique : « une centration fine sur des situations ‘réelles’ comme lieu privilégié d’étude in situ des activités cognitives » (2004 : 122). À tous ces travaux qui ont le mérite de resituer les processus cognitifs et interactionnels, dont les processus de décision, dans leur contexte naturel, toujours local et particulier, nous voudrions ajouter que ces contextes naturels, y compris dans ce qu’ils ont de particulier et de contingent, sont en fait plus étendus qu’on ne le reconnaît généralement. Ils sont toujours « connectés » à d’autres sites et d’autres temps par les actants même que les analyses naturalistes ont mis en évidence. Comme l’écrivent Cooren et Robichaud : « Les analystes des interactions [ont raison] d’insister sur leur caractère local et situé, mais il nous semble que de ce fait même, ils ont tendance à négliger les effets de dislocation – qu’ils soient discursifs ou technologiques – […] » (2006 : 129).

1.2. Penser la décision comme « disloquée »

6 Toute conversation s’inscrit dans ce que Vion (2000 : 99) nomme « l’histoire interactionnelle [3] d’un individu » qui est « constituée de la totalité des interactions auxquelles il a participé ou assisté ». Vion mobilise cette notion pour sortir d’une conception statique et in situ de l’interaction et il écrit : « Face aux risques encourus d’une approche statique ou microsociologique de l’interaction, le concept d’histoire interactionnelle permet de réintroduire l’ordre du social sans rencontrer d’entrée des notions comme structure ou système » (2000 : 100). Par ailleurs, Latour (1994) nous rappelle que les interactions humaines sont loin de se dérouler à huis clos et sont prises dans un « écheveau échevelé » soit un réseau infini d’acteurs, d’actions et d’artefacts venus d’ailleurs. Vion et Latour (chacun à leur manière) tentent de mettre en évidence une certaine élasticité et extension spatio-temporelle du contexte interactionnel dans lequel se déroule une conversation. Ils soulignent le fait qu’une interaction (dite locale) est connectée à d’innombrables interactions locales distribuées ailleurs dans le temps et dans l’espace. Ces « histoires interactionnelles » vont d’une certaine manière et sous certaines conditions agir sur l’ici et maintenant de l’interaction.

7 Pour opérer cette « extension » de l’analyse, nous allons toutefois avoir besoin d’une notion de cadre profondément revue. Certes, toute interaction humaine est cadrée, comme l’a reconnu toute une variété de théoriciens de l’interaction, allant de Bateson (1979) à Goffman (1991) jusqu’aux analystes de la conversation (Drew et Heritage, 1992 ; Kerbrat-Orecchioni, 2005). Pour certains, héritiers de Bateson et des sciences cognitives, le cadre est essentiellement une réalité « mentale » ou psychologique (Descombes, 1995), alors que pour d’autres les cadres sont constitués d’un matériau foncièrement social et institutionnel, au sens par exemple de Berger et Luckmann (1986) [4]. Dans les deux cas, cependant, c’est le « symbolique », au sens large, qui occupe l’avant-scène de la construction interactionnelle, qui fait « tenir » pour ainsi dire l’interaction et lui donne une portée dans le temps et dans l’espace. À l’encontre de ce présupposé central des analyses de l’interaction et du social, Latour soutient que c’est par le partage de l’action et de l’interaction avec des entités non-humaines que l’interaction est rendue non seulement possible mais extensible dans le temps et dans l’espace. C’est parce qu’il « prend corps » que le cadre a ses effets, et surtout que l’interaction hérite quelque chose du passé et a des chances d’avoir une suite dans des interactions à venir. L’interaction est bel et bien cadrée, mais ce cadrage est réalisé par une variété d’acteurs hétérogènes qui jouent les deux rôles paradoxaux de contenir l’interaction dans un espace-temps que les interlocuteurs peuvent gérer, et en même temps de la relier à une foule d’autres lieux et d’autres temps qui continuent ainsi d’agir à distance sur la situation présente. Nous dirons, pour reprendre un terme à Latour (1994) que l’interaction est ainsi « disloquée » :

8

Par opposition à l’interaction sociale des singes, l’interaction sociale des humains paraît toujours plus disloquée. On ne peut y retrouver ni simultanéité, ni continuité, ni homogénéité. Loin de se limiter aux corps présents l’un à l’autre par leur attention et leur continuel effort de vigilance et de construction, il faut toujours, chez les humains, faire appel à d’autres éléments, à d’autres temps, à d’autres lieux, à d’autres acteurs, afin de saisir une interaction. (1994 : 595) […] En déhanchant l’interaction pour nous associer à des non-humains, nous pouvons durer au-delà du temps présent, dans une autre matière que celle de notre corps et interagir à distance, chose absolument impossible à un babouin ou à un chimpanzé. Simple berger, il suffit que je délègue à une barrière en bois la tâche de contenir mes moutons, pour que je puisse dormir avec mon chien. Qui agit pendant que je dors ? Moi, les charpentiers, et la barrière. Me suis-je exprimé dans cette barrière comme si j’avais actualisé hors de moi une compétence que je possédais en puissance ? Pas le moins du monde. La barrière ne me ressemble aucunement. Elle n’est pas l’extension de mes bras ou de mon chien. Elle me dépasse tout à fait. Elle est un actant de plein droit. […] Il s’agit bien d’un actant à part entière qui s’ajoute dorénavant au monde social des moutons bien qu’il ait des caractéristiques totalement différentes des corps. À chaque fois qu’une interaction dure dans le temps et dans l’espace, c’est qu’on l’a partagée avec des non-humains. (1994 : 603-604)

9 Penser l’interaction comme « disloquée », c’est donc repenser du tout au tout le cadrage et le caractère local présumé de l’interaction. D’une part, le cadre est forgé, littéralement, non seulement par le travail interprétatif des interlocuteurs, mais tout autant par les lieux et les dispositifs qui participent de l’interaction, par les textes qu’ils produisent ou qu’ils convoquent. C’est parce qu’ils participent au cours de l’action que Latour les qualifie tous d’« actants », une expression empruntée à la sémiotique narrative qui compose depuis longtemps avec des entités aux ontologies multiples (Greimas, 1986). Le cadre de l’interaction, et plus globalement la composition du « social », passe par l’association d’actants hétérogènes, à la fois naturels, sociaux et discursifs (Latour, 1991, 2006). D’autre part, Latour nous invite à explorer la face cachée des cadres de l’interaction, à savoir celle où ne domine plus sa capacité à circonscrire, isoler, confiner l’interaction à l’abri de tout le reste du monde social et des biographies des interlocuteurs, mais où surgit au contraire sa capacité égale à assurer les liens de cette interaction avec une foule d’autres interactions, d’autres récits, d’autres acteurs, devenus ici et maintenant silencieux mais dont l’action se fait toujours sentir. La barrière confine le troupeau de moutons, mais attache ces derniers et leurs comportements présents au travail du charpentier, de ses fournisseurs, etc. Loin de seulement localiser l’interaction, les actants qui en constituent le cadre forment cette « membrane à double paroi », pour reprendre l’expression même de Latour, qui relie autant qu’elle isole, qui globalise autant qu’elle localise, qui inscrit l’ici et maintenant dans une histoire et une continuité lui procurant une extension dans le temps et dans l’espace.

10 On peut déjà entrevoir la portée de cette conception de l’interaction pour notre réflexion sur la décision. En premier lieu, donc, notre approche répond à l’invitation faite par nombre de chercheurs d’enquêter sur la prise de décision dans son contexte naturel, en la traitant comme un processus fondamentalement interactionnel (Mondada, 2002 ; Huisman, 2001) de production de sens, dans le cadre de situations elles-mêmes évolutives (Weick, 1995). En second lieu, toutefois, il s’agira pour nous d’aller un peu plus loin en montrant comment ce processus est également anticipé et produit par une foule d’actants hétérogènes venus d’ailleurs qui « disloquent » l’interaction où se construit la décision. Cette dislocation relie la décision à plusieurs autres sites et acteurs qui rendent possible son émergence mais sans jamais lui retirer sa foncière indétermination.

2. Analyse d’une prise de décision dans un centre de répartition des urgences 911

11 Nous avons entrepris en 2006, une recherche exploratoire dans un centre de répartition des urgences [5]. Ce centre est le lieu où convergent les appels téléphoniques du 911 (service d’urgence nord-américain), où se prennent des décisions d’intervention, où se coordonne le déplacement des véhicules ambulanciers répartis sur l’ensemble d’un territoire à couvrir (dans notre cas le territoire de l’Outaouais québécois). Dans le cadre de cette recherche, nous avons mené des observations (avec prise de notes) dans la centrale de répartition sur une durée de trois semaines (nous avons procédé à des séances d’observation de 4 heures lors des quarts de travail de matinée – soit de 8h00 à 12h00 – et d’après-midi – soit de 14h00 à 16h00 –) [6]. Des enregistrements audio de conversations [7] se déroulant dans la centrale de répartition ainsi que des entrevues avec les répartiteurs et le directeur des ressources humaines ont été réalisés. Les conversations enregistrées dans la centrale de répartition ont été retranscrites et soumises à une analyse des interactions communicatives (Grosjean, 2008). Ce type d’analyse est pour nous un moyen de rendre compte de l’activité des répartiteurs et notamment des processus communicationnels par lesquels s’élaborent des cognitions, se négocient des rapports sociaux, se construisent des décisions. La méthode d’analyse [8] mise en œuvre rend compte de l’activité des répartiteurs en procédant à une analyse des actions tant langagières que non langagières.

2.1. Contexte organisationnel

12 Le personnel de l’organisation rattaché aux services d’urgence se compose des ambulanciers (paramédics) et des répartiteurs qui sont sous l’autorité hiérarchique des superviseurs aux opérations. Le répartiteur d’urgence a la responsabilité de recueillir, transmettre et enregistrer les appels au 911. Il doit aussi assurer la gestion des véhicules d’urgence (les ambulances) en les répartissant de façon à assurer une couverture du territoire qui soit optimale. C’est-à-dire que les répartiteurs doivent s’assurer que les véhicules ambulanciers couvrent des points stratégiques du territoire en vue de répondre dans les meilleurs délais qui soient aux différents appels d’urgence. Pour assurer une couverture optimale du territoire, les répartiteurs doivent suivre « un protocole de déploiement des véhicules ambulanciers » (Politiques, directives et procédures, 2006). Les répartiteurs doivent aussi gérer les changements de quart des ambulanciers et s’assurer qu’aucun secteur ne soit démuni pendant cette transition (c’est-à-dire qu’il leur faut éviter de rentrer toutes les ambulances en même temps à la caserne ce qui pourrait créer un problème majeur en cas de nécessaire intervention sur le lieu d’un accident ou autre). Ils doivent aussi faire attention aux règlements internes (négociés dans le cadre de la convention collective) régissant les horaires et autres conditions de travail des ambulanciers (prises de repas, débordement, c’est-à-dire heures supplémentaires).

13 Ainsi, lors de leur prise de décision de déplacement d’un véhicule ambulancier, les répartiteurs d’urgence doivent tenir compte de multiples paramètres. Nous allons voir qu’ils adoptent une démarche que nous qualifions de naturelle, exploitant les multiples possibilités et les différentes ressources (données numériques, notes personnelles, protocoles, coéquipiers, etc.) qu’offre la situation afin d’adapter leurs actions aux imprévus, de corriger des choix, c’est-à-dire de définir progressivement les actions à entreprendre.

2.2. Contexte de l’échange analysé

14 La situation au cours de laquelle l’interaction analysée a lieu est la suivante. Nous sommes au moment d’un changement de quart de travail des ambulanciers. Ce moment est toujours difficile pour les répartiteurs, comme nous l’avons souligné précédemment, car ils doivent faire rentrer progressivement les véhicules ambulanciers à la caserne tout en s’assurant que leur territoire est toujours couvert de manière optimale. Dans la centrale de répartition, nous avons deux répartiteurs (dont un termine son quart de travail et donne les consignes à son collègue qui lui le débute) et un superviseur. L’extrait ci-dessous montre, à partir d’une transcription [9], comment deux membres du centre de répartition (S1, un superviseur et R1, un répartiteur) négocient leurs propositions respectives sur le déploiement des véhicules ambulanciers et comment ils construisent progressivement une décision de déplacement d’un véhicule particulier.

15

S1.1 On as-tu envoyé quelqu’un d’autre vers le Plateau ?
R1.2 Non : : parce que tu pourras pas
[Appel radio - Une ambulance signale sa position]
R1.3 15h03 pour le 7 [à haute voix]
S1.4 Je l’ai : :
R1.5 La raison c’est parce que il ne te reste plus que le 21 comme véhicule comme c’est là. Ton 26 est tout fini, ton 10 est tout fini, t’as le 11 qui est au C. H [10] de Gatineau, t’as le 7 qui est au C.H. de Hull. Je vais te l’écrire comme ça le prochain il va le savoir. T’as le 27 qui est en direction pour un appel, le 8 qui finit le troisième, qui lui est au pavillon de Papineau/
S1.6 //Oui : : lui il couvre Buckingham, tout ton Est
R1.7 Le 25 aussi est à la caserne. Le 21, ce qu’il faudrait faire c’est de l’emmener soit St-Louis, soit Plateau, parce t’as un véhicule (.)
S1.8 J’aimerai mieux Plateau, parce que si je le mets à St-Louis il va venir ici
R1.9 C’est sûr, on l’a vécu encore
S1.10 Ou mets le Hull
R1.11 [allume la radio et s’adresse aux ambulanciers] mobile 21-2-1. [S’adresse au superviseur] Hull ça n’existe pas, c’est St-Laurent. [Parle dans le micro et s’adresse aux ambulanciers] Plateau pour le 21

16 L’analyse de cet échange tentera de mettre en perspective le caractère à la fois collaboratif et dynamique d’une prise de décision dans un centre de répartition des urgences. En effet, la décision finale (décision « agie » par le répartiteur), qui est de déplacer l’ambulance 21 sur le secteur du Plateau, ne se présente pas comme étant le résultat d’un processus unilatéral et imposé (notamment par le superviseur comme on pourrait l’envisager du fait de sa position hiérarchique), ou même par les procédures, à première vue très claires et très présentes. Au contraire, c’est en définissant conjointement et progressivement la situation et surtout en justifiant leurs définitions par la mobilisation de divers « actants » (règles, procédures, protocoles, événements passés) que les interlocuteurs construisent leur raisonnement et esquissent progressivement une décision. Dans l’analyse qui suit, nous chercherons à mettre en évidence les différents événements, savoirs, protocoles, règles (autrement dit « actants ») mobilisés, actualisés, présentifiés par les acteurs au cours de l’interaction. Pour ce faire, nous décrirons les processus conversationnels et argumentatifs qui conduisent les deux interlocuteurs à construire conjointement une décision de déplacement d’un véhicule. En effet, nous verrons comment à partir de positions initiales divergentes, ils aboutissent à une décision mutuellement partagée et comprise. Ainsi, nous verrons que le processus décision relève de ce que nous appelons un travail de « dislocation » de l’interaction, c’est-à-dire que des règles, des événements, des connaissances passés sont « présentifiés », « traduits » (déplacés et recrées) dans l’ici et maintenant de la situation et « agissent » sur la situation (Cooren, 2008).

2.3. Analyse de l’échange entre le répartiteur et le superviseur

2.3.1. Le problème initial

17 Le superviseur (S1) s’adresse directement au répartiteur (R1) et énonce littéralement une demande d’information (S1.1). À ce moment de l’échange, le superviseur souhaite s’assurer du fait qu’un autre véhicule ambulancier a bien été envoyé sur le secteur du Plateau. Plus spécifiquement, on peut extraire de cette énonciation la présupposition [11] suivante : le superviseur présuppose qu’une ambulance peut être envoyée sur le secteur Plateau. Il est particulièrement intéressant de regarder plus en détail la réponse du répartiteur (R1.2) qui à la fois satisfait la demande d’information du superviseur, tout en mettant en jeu la présupposition. En effet, le répartiteur dit « non » (R1.2) en réponse à la demande d’information. Littéralement, il précise qu’aucun véhicule n’a été envoyé sur le secteur du Plateau. Nous pouvons néanmoins dire que R1 : (a) remet en cause la présupposition qui est liée au contenu propositionnel de l’énonciation S1.1 et ; (b) ouvre une négociation sur les conditions préparatoires [12] de l’acte de langage de S1 (la requête). Regardons ceci plus en détail.

18 En énonçant « On as-tu envoyé quelqu’un d’autre vers le Plateau ? », le locuteur (ici le superviseur) présuppose que « On » (impliquant l’auditeur et le locuteur) est en mesure d’accomplir l’action invoquée (envoyer une ambulance sur la zone du Plateau). En effet, « À la force directive est associée la condition préparatoire d’un auditeur capable d’accomplir l’action qui lui est demandée » (Ghiglione et Trognon, 1993 : 162). De plus en accomplissant une requête, le locuteur (ici le superviseur) présuppose être dans une relation d’autorité. Ce qui est vrai du fait de sa position hiérarchique. Néanmoins, lorsque le superviseur énonce « On as-tu envoyé », il utilise un procédé de « mitigation » visant à « adoucir », à éviter une formulation « menaçante » tant pour lui que pour son interlocuteur. L’énonciation de « On as-tu envoyé », suggère que l’interlocuteur n’a pas à porter seul le blâme dans la négative, autrement dit qu’« on forme une équipe ». Ce qui est intéressant, c’est la réponse du répartiteur. Après avoir énoncé « Non », le répartiteur enchaîne (R1.2) rapidement avec « parce que » (connecteur argumentatif) « tu pourras pas ». Il ne répond pas avec « On » mais « Tu » (« parce que TU pourras pas »). L’usage du « Tu » [13] introduit une moins grande distance et une certaine familiarité, il re-symétrise la relation. Mais, paradoxalement, il resitue la responsabilité d’envoyer un véhicule sur le Plateau sur le superviseur. En effet, c’est le superviseur qui est ici positionné (dans le discours du répartiteur) comme étant en « pouvoir » ou « ne pas pouvoir » d’agir. C’est un peu comme si le répartiteur réaffirmait explicitement la relation d’autorité que le superviseur gardait voilée (avec son « On »), parce que c’est LUI qui ne pourra pas, ce n’est pas toute l’équipe, ni un autre membre. Le répartiteur conteste explicitement la capacité du superviseur à envoyer un véhicule sur le secteur du Plateau, tout en reconnaissant et en instanciant, avec son TU, son autorité sur les opérations.

19 Nous allons voir dans la suite de la conversation comment le superviseur ré-instancie, actualise la proposition de déplacer un véhicule sur le secteur du Plateau en convoquant alors divers « actants » qui lui permettent de redéfinir la situation et ainsi d’agir sur celle-ci.

2.3.2. Actualisation de divers « actants » au cours de l’échange

20 Par la suite le répartiteur explique la raison de son désaccord en précisant (R1.5) : « la raison c’est parce que il ne te reste plus que le 21 comme véhicule comme c’est là ». La raison énoncée par le répartiteur prend appui sur une règle inscrite dans les procédures de l’organisation. D’après cette règle, lorsqu’il ne reste qu’un véhicule de disponible (comme c’est le cas ici, seul le véhicule 21 est disponible selon la description de la situation formulée par le répartiteur en R1.5) celui-ci doit alors se positionner au point de service St-Louis afin de couvrir l’ensemble du territoire urbain de manière optimale.

21 Le répartiteur énonce ensuite où sont localisés les autres véhicules. C’est en mobilisant des savoirs acquis ailleurs que le répartiteur en vient à affirmer les raisons qui l’on conduit à mettre en défaut la possibilité d’envoyer une ambulance sur le secteur du Plateau. Les compétences (connaissance de la règle) du répartiteur s’actualisent ici au cours de l’interaction et ce à travers l’énonciation des raisons qui l’ont conduit à remettre en cause le déplacement d’un véhicule sur la zone du Plateau. Nous pouvons dire aussi qu’au cours de cette énonciation, le répartiteur rend présente et actualise une règle qui pour lui non seulement fait autorité et devrait avoir préséance, mais surtout est pertinente et concourt à l’intelligibilité de sa conduite. Cooren (2008, sous presse) parle d’« effet de ventriloquie » pour décrire ce type d’action à distance ; effet qui consiste en fait à instancier, à « faire parler » dans l’interaction des entités absentes et autrement muettes.

22 Ensuite, lorsque R1 dit « le 8 qui finit le troisième, qui lui est au pavillon de Papineau » (R1.5), il précise ici que le véhicule ambulancier (nommé dans le jargon du métier le mobile 8) est en fait en route pour terminer son changement de quart. Le superviseur enchaîne sur ce que vient de dire R1, en lui coupant la parole, et déclare (S1.6) : « lui il couvre Buckingham, tout ton Est. ». Alors que le répartiteur est en train d’énumérer les activités des différents véhicules pour démontrer leur non-disponibilité (« il ne te reste plus que le 21 comme véhicule comme c’est là »), le superviseur offre littéralement une redéfinition de la « réalité » ou du statut du véhicule 8 selon laquelle il devient disponible : « il couvre tout ton Est ». Pour le superviseur, pendant son déplacement, ce véhicule couvre un territoire à savoir le territoire à l’est d’une rivière (qui joue le rôle d’une ligne de démarcation entre les territoires) ce qui n’était manifestement pas la définition initiale de la situation proposée par le répartiteur (R1.5).

23 L’extrait du tableau (tableau 1 ci-après) représentant les règles de déploiement des véhicules ambulanciers sur le territoire va nous permettre de mieux comprendre les enjeux de l’intervention du superviseur (S1.6) et l’enchaînement (la proposition) du répartiteur (R1.7). Pour le superviseur, si le territoire à l’Est est couvert par ce véhicule 8, nous n’avons plus un mais bien deux véhicules définis comme « disponibles ». Or, d’après les règles de répartition des véhicules, qui sont très présentes dans la situation non seulement à l’esprit des acteurs, mais également sur une feuille de papier collée bien en vue à hauteur des yeux sur le poste de travail du répartiteur, si l’on dispose de deux véhicules, l’un d’entre eux doit couvrir l’est de la ville depuis le point de service Paiement (le 8 dans ce cas-ci) et l’autre, la partie à l’ouest, le point de service Plateau (ici le 21). En somme le superviseur propose ni plus ni moins qu’une autre lecture de la situation. Cette lecture est hautement et doublement pratique : elle permet d’abord au répartiteur d’envoyer le véhicule 21 sur le secteur du Plateau comme il le souhaite (il ne dissimule pas sa préférence à cet égard, voir S1.8). Mais, surtout, elle engage l’interaction et le cours de la décision dans une toute nouvelle voie en modifiant le cadre même de la décision, ce qui nous a fait dire un peu plus haut qu’il « déclarait ». Son intervention (S1.6) : « lui il couvre Buckingham, tout ton Est. » a en effet les ingrédients essentiels du déclaratif indirect dans la mesure où l’énonciation change le statut du véhicule 8 et sa réalité à toutes fins pratiques, et ne se limite pas, dans sa signification et sa portée, à une simple assertion. On le voit encore plus clairement en examinant la réaction du répartiteur.

Tableau 1

Déploiement dynamique des véhicules ambulanciers par points de service : secteur Urbain (extrait du document Politique, directives et protocoles, 2006)

Nombre de
véhicules
ambulanciers
Points de service
Intersection
principale
Couverture territoriale
1
St-Louis
St-Louis
& autoroute 50
Ensemble du territoire urbain
2

Plateau

St-Raymond
& du Plateau
Tout le territoire urbain à l’ouest
de la rivière Gatineau (excluant
boul. Fournier)


Paiement

Montée Paiement
& du Plateau
Tout le territoire urbain à l’est de
la rivière Gatineau (excluant
boul. Fournier)
figure im1

Déploiement dynamique des véhicules ambulanciers par points de service : secteur Urbain (extrait du document Politique, directives et protocoles, 2006)

24 On peut voir que le répartiteur a fort bien saisi la nature et les enjeux de l’énonciation précédente de son superviseur puisqu’il reprend, en R1.7, son analyse de la situation, mais cette fois en prenant en compte cette nouvelle réalité et les possibilités qui s’ouvrent alors. Il énonce : « Le 21, ce qu’il faudrait faire c’est de l’emmener soit St-Louis, soit Plateau, parce que t’as un véhicule ». Le temps de verbe est intéressant car à ce moment précis, le répartiteur passe au conditionnel (« ce qu’il faudrait faire »). Le conditionnel renforce l’idée d’une action (déplacer le véhicule 21) qui est soumise à une pré-condition (un accord sur le lieu de son déplacement). En d’autres termes, notre répartiteur ne tient pas encore tout à fait pour acquise ou établie la réalité projetée par son superviseur, malgré l’autorité formelle de ce dernier, et maintient ouverte pour un bref moment la possibilité pour eux de revenir à la définition initiale qui elle a pour conséquence pratique d’envoyer le 21 à St-Louis (et non à Plateau). Deux possibilités s’offrent à eux en termes de décision à prendre : soit (a) demander à l’ambulance 21 de se positionner sur le point de service St-Louis car comme le mentionne la règle quand un seul véhicule est disponible alors le point de service est St-Louis ; soit (b) demander à l’ambulance 21 de se positionner sur Plateau car on considère que l’on a deux véhicules de disponibles (en comptant le 8 qui se déplace pour rentrer à la caserne et terminer son quart de travail).

25 La raison du conditionnel et de cette « ouverture » laissée par l’alternative entre deux options que déploie le répartiteur dans sa réplique en R1.7 nous est fortement suggérée par les deux tours de parole suivants : la déclaration du superviseur modifiant les paramètres de la décision, loin de se suffire de la seule autorité formelle de ce dernier pour être effective, doit être motivée et sa rationalité intersubjectivement produite, comprise et admise. C’est le travail auquel s’attaquent ensuite nos deux interlocuteurs. Le superviseur, en S1.8, mentionne nettement sa préférence pour le choix (b) en énonçant « j’aimerais mieux Plateau ». Et, dans la seconde partie de son énonciation il introduit (« parce que ») un argument (« si je le mets à St-Louis il va venir ici ») qui, comme on va le voir avec la réponse du répartiteur, renvoie à un Événement passé que ni l’un ni l’autre n’ont envie de voir se reproduire. Clairement, comme l’enseigne toute la tradition ethnométhodologique, l’interaction est conduite par un impératif d’intelligibilité qui est d’ailleurs réflexif. Le superviseur fournit ainsi les motifs qui rendent maintenant intelligibles sa déclaration en S.1.6 et les suites qu’il privilégie : il veut éviter que le 21 ne se retrouve à la caserne. Mais le travail de justification doit toujours être un travail conjoint dans la mesure où la signification et la légitimité d’un motif sont des réalités qui doivent impérativement être partagées, dû moins localement dans un contexte d’action et de décision. Le répartiteur participe pleinement à l’établissement du caractère à la fois raisonnable et légitime de la préférence de son superviseur non seulement en alignant son attitude à la sienne, mais en fournissant à son motif un fondement additionnel dans leur histoire interactionnelle : « C’est sûr, on l’a vécu encore », renvoyant alors ici explicitement à une expérience commune passée. En effet, le positionnement du véhicule 21 à St-Louis n’apparaît pas souhaitable à nos interlocuteurs car par le passé les ambulanciers ont eu pour conduite de rentrer directement à la caserne (ceci contrariant alors l’ordre de rentrée des véhicules ambulanciers à la caserne à la fin du changement de quart), plutôt que de rester positionnés sur St-Louis (car la rue St-Louis est la rue où est située la caserne), perturbant ainsi la gestion des changements de quart [14].

26 La décision manifeste ainsi une rationalité narrative (Fisher, 1984 ; Robichaud, Giroux et al., 2004), où l’évocation d’expériences passées produit une décision dont les interlocuteurs établissent conjointement le caractère compréhensible et raisonnable dans ce contexte particulier. On le voit non seulement dans la justification que donne le superviseur de sa préférence à la ligne S1.8, mais aussi dans la réplique du répartiteur (R1.9) qui sanctionne la validité des motifs du superviseur tirés de l’expérience commune. Le répartiteur ne fait pas ici le récit explicite de l’expérience à laquelle il fait allusion, car cela est parfaitement inutile dans le contexte de l’interaction avec son superviseur. C’est néanmoins une forme courante de la narration dans la conversation que Boje (1991), à partir de ses propres observations, a appelé la narration « évoquée » (terse storytelling). La seule évocation du récit suffit à accomplir la rationalisation et la construction de sens de l’action présente.

27 À ce moment précis de l’échange, le superviseur et le répartiteur « présentifient » donc, pour ainsi dire, une situation passée qui fait son entrée dans la discussion et va contribuer à la décision finale. Comme le diraient Cooren et Robichaud, on voit comment le local se délocalise. « La délocalisation du local passe donc aussi par des liens discursifs multiples que tissent les interactants en projetant en aval des situations futures [ « si je le mets à St-Louis, il va venir ici »] et en reliant en amont des moments passés [ « C’est sûr, on l’a vu »] » (2006 : 124). C’est donc cet Événement passé (qui fait sens pour tous les deux) qui fait autorité (et non plus la règle du 1 véhicule) et va agir sur la prise de décision finale. La dislocation tient aussi à l’hétérogénéité des actants en cause. Il y a des cadres « cognitifs », textuels, techniques qui relient les véhicules et nos interlocuteurs, des textes, et des règles et procédures conversationnelles, et des rapports hiérarchiques, des changements de quart de travail perturbés par les ambulanciers affectés à St-Louis, maintenant silencieux mais toujours agissant. Tous ces actants forment à la fois le caractère situé de la décision, mais la situent précisément dans un « entre-deux », comme un processus d’où émerge une situation nouvelle sans qu’il ait fallu pour comprendre cette émergence oublier tout ce qui l’a anticipée.

2.3.3. La résolution finale : une décision agie

28 En R1.11, le répartiteur « agit » la décision en demandant via la radio au véhicule 21 de se déplacer sur le secteur du Plateau. Il est très intéressant de noter qu’une fois l’énonciation en R1.9 accomplie [C’est sûr, on l’a vécu encore], la délibération est terminée. On ne trouve ni justification additionnelle ni même une verbalisation de la décision découlant des tours de parole précédents. Le répartiteur attrape le micro et ordonne : « Plateau pour le 21 ». La décision et sa mise en action sont ici impossibles à distinguer. C’est pourquoi il convient de parler de « décision agie ».

29 La décision est ainsi en cours de production, pour ainsi dire, tout au long de l’échange, ou pour rendre les termes de Weick (1979, 1995), elle est « enactée ». Comme il insiste pour le répéter, l’environnement et la situation de décision sont eux-mêmes le produit de l’interaction, ils ne sont pas « donnés » même s’ils apparaissent souvent ainsi aux acteurs. Plusieurs sources d’actions sont ainsi en cause à la fois dans la production de la situation et l’émergence d’un cadre permettant une décision. Ces sources d’actions disloquent toutefois le processus de décision de manière variée à chaque étape, selon les actants en scène. Pour combler l’écart inévitable entre d’un côté les règles des positionnements de véhicules ambulanciers, tels qu’ils sont idéalisés dans le tableau de répartition, et de l’autre les multiples actants qui composent chaque scène et moment d’un cours d’action, le répartiteur et son superviseur doivent interpréter l’environnement qui se déploie sous leurs yeux, cadrer conjointement la « réalité » du véhicule 8 en le définissant comme « disponible ». Ce geste conjoint n’est ni arbitraire, ni un écart indu par rapport aux normes de répartition des véhicules. Il est la réalisation, ou la traduction des règles, dans une situation où les acteurs les conjuguent avec toutes les autres contingences de la situation et toutes les sources de savoirs pratiques qui forment leur compétence (l’expérience de situations passées, les compétences et capacités de calcul inscrites dans des artefacts, etc.). Cet accomplissement est rendu compréhensible et légitime (accountable), dans la discussion elle-même, qui bâtit littéralement cette rationalité de l’action, réconciliant les devoirs imposés par les règles, ceux que dicte l’expérience et, surtout, ceux que commande la situation concrète qu’ils affrontent, c’est-à-dire la relève des quarts de travail en cours.

3. Discussion : la décision disloquée

30 Comment la dislocation de l’interaction apparaît-elle dans tout ce qui précède et, surtout, en quoi éclaire-t-elle le processus interactionnel de prise de décision en situation ? Pour répondre à cette question, nous allons maintenant préciser les titres auxquels on peut parler de dislocation. À notre sens, cette perspective révèle au moins trois dimensions de la décision que nous venons d’examiner.

3.1. La dislocation par l’hétérogénéité des actants

31 La dislocation tient d’abord à l’hétérogénéité des actants formant le réseau rendu présent dans la construction de la décision. Dans ce réseau, il y a des concepts et des catégories (la notion « disponibilité »), il y a des traces mnésiques du passé dans l’esprit de nos interlocuteurs, il y a des feuilles de papier, il y a un micro et un dispositif de communication, des immeubles et des rotations de quarts de travail, bref toute une variété d’éléments dont les modes d’existence sont incommensurables les uns avec les autres. La feuille de papier n’est pas une simple extension ou un prolongement des raisonnements et des calculs qui ont conduit au tableau de répartition des véhicules ambulanciers. Elle relève d’une autre ontologie que les discussions qui l’ont produite. Elle a son propre corps, sa propre matérialité, et c’est précisément en cela qu’elle fait une différence. Elle a une certaine restance, une certaine durabilité qui permet aux calculs et délibérations du passé de continuer à agir dans la situation présente. Comme le soutient Latour (1994), c’est parce qu’on les partage avec des non-humains que les interactions peuvent agir dans le temps et dans l’espace.

32 Dans ce premier sens, la dislocation renvoie donc à la reconnaissance de la « discontinuité » ou du hiatus entre les modes d’existence des actants participants à la décision. Cette discontinuité disloque l’interaction au sens où elle ne tient plus d’un seul matériau (comme le « social » ou le « symbolique »), mais tient justement parce qu’elle juxtapose des matériaux variés aux propriétés complémentaires, un peu comme on ajoute des tiges d’aciers aux constructions de béton coulé pour que ce dernier tienne d’une même pièce. Paradoxalement, les sources de dislocation dans le temps et l’espace sont aussi les sources d’intégrité et de durée.

3.2. La dislocation de l’agentivité et des modes d’actions

33 La question de la dislocation devient centrale au problème de la décision dès lors que l’on prend la mesure dans laquelle l’hétérogénéité des actants disloque la nature de l’action elle-même. Le nombre des actants et la variété des modes d’existence engagés dans l’interaction nous obligent en effet à affronter directement une question difficile : mais qui donc agit ? D’où vient la décision ? Les ambulanciers qui dans le passé sont rentrés à la caserne lorsqu’on les a positionné à St-Louis ? La règle de répartition des véhicules d’urgence, incarnée dans un texte bien en vue sur le tableau de bord de nos interlocuteurs ? Les actes de paroles et présuppositions dont nous avons suivi la trace précédemment ? La « compétence » et la « capacité d’intervenir dans un cours d’action » des agents humains comme le dirait Giddens (1984) ? Le dispositif qui informe nos interlocuteurs de la position des véhicules et de leur disponibilité à prendre en charge un éventuel appel d’urgence ? La structure d’autorité de l’organisation des services d’urgence ? On voit rapidement en examinant cette interaction que toutes ces explications sont à la fois justes et réductrices. Tous ces actants interviennent dans le cours des choses, font une différence, sans nécessairement d’ailleurs faire ce qu’on leur avait demandé de faire, sans se limiter au rôle de simple intermédiaire ou de passeur d’une volonté humaine décalée dans le temps et dans l’espace par rapport à la situation présente. Cela est assurément vrai de nos deux interlocuteurs, qui font preuve comme nous l’avons vu d’une inventivité et d’une intelligence pratique remarquables. Mais nous ne pouvons pas pour autant ramener la source de ce qui se passe à eux seuls, comme si toute cette dextérité existait toujours déjà comme potentialité en eux, en vertu des seules capacités symboliques dont ils disposent ou des propriétés biologiques de leur corps. Les acteurs de notre décision ne sont pas acteurs tout seuls. Leur compétence n’est pas un fond de ressources inertes dans lequel ils puisent comme de l’eau dans un puits, car ces prétendus « ressources » et « outils » justement n’en sont plus dès qu’on reconnaît qu’ils agissent sans se contenter de transporter passivement la volonté et l’intention de leurs créateurs. La compétence et les calculs de nos interlocuteurs sont des activités partagées avec les feuilles de papier qui rappellent les règles (Hutchins, 1995), avec la distribution des immeubles et des rues, avec des dispositifs de communication, avec les préférences et habitudes des ambulanciers sur le terrain, avec les consultants en logistiques qui ont identifié les positionnements optimaux des véhicules en fonction de leur nombre, et avec combien d’autres dont l’action se fait lourdement sentir dans cette scène.

34 De même que la perspective de la dislocation nous amène à accorder un peu plus d’agentivité à une variété d’actants non-humains, elle nous contraint également à reconnaître symétriquement un peu plus de passivité à nos « décideurs » humains. Ces derniers sont passifs (Cooren, sous presse) au sens où ils sont en bonne part agis et mus par des volontés et désirs qui ne leur appartiennent pas en propre, mais qui sont néanmoins rendus présents et traduits dans cette situation par les entités qu’ils font parler, qu’on pense par exemple aux préférences des ambulanciers positionnés à St-Louis dans le passé ou aux autorités qui attendent d’eux le respect des règles. Cette passivité est toujours en tension avec l’activité, car on voit bien aussi que nos répartiteurs ne font pas que se plier à toutes ces volontés, tout en les traduisant bel et bien. Notre répartiteur et son superviseur agissent, et sont agis tout à la fois dans cette situation. C’est pourquoi la décision doit être décrite dans ce qui la disloque, dans ce qui fait éclater son caractère local et situé tout autant que dans ce qui la localise : non pas banalement parce que des entités invoquées ont existé ailleurs et dans un autre temps, mais bien parce qu’ils continuent d’agir à distance, parce que l’action « située » subit en réalité une élongation dans le temps et l’espace de part ses liaisons multiples à des actants d’autres natures. Pour paraphraser l’heureuse formule de Callon (1991), un acteur est ainsi toujours un réseau.

35 Parler de « décision agie » dans la section précédente, était bien pratique, car la forme passive nous permettait justement de ne pas trop nous avancer sur le terrain miné de la théorie de l’action (Joas, 1996). Une description attentive de cette interaction dans ce qui la disloque nous retire cependant toute échappatoire. Elle nous contraint à revoir complètement les vocabulaires et grammaires de nos descriptions de l’interaction pour rendre compte de la manière dont les entités dont nous parlons ne sont pas seulement « mobilisées », comme des corps inertes mis en mouvement par une force (la structure pour les uns ou l’acteur pour les autres), mais qu’ils agissent sur le cours de la situation au nom d’entités absentes et disparues.

3.3. La dislocation de la représentation

36 Enfin cette discussion de la dislocation pourrait donner à penser que l’interaction ne peut qu’éclater dans tous les sens et perdre toute intégrité sous une telle lentille à grand-angle. Ce n’est pourtant pas le cas, précisément parce que les liaisons qui disloquent l’interaction sont aussi les liens qui assemblent les composantes de l’interaction et, plus largement, du monde commun des interlocuteurs. Dans notre analyse, nous avons volontiers eu recours à des expressions telles que « faire parler », « rendre présent » (ou « présentifier »), « invoquer », « traduire » et d’autres qui renvoient toutes à cette capacité de la communication de débrayer de l’ici et maintenant pour l’articuler à d’autres lieux, d’autres temps, d’autres actants. Au tréfonds de la perspective de la dislocation on trouve ainsi la thèse pragmatiste selon laquelle les liaisons ainsi construites, loin d’être de simples activités de « représentation », forment le mode d’existence même de « l’ailleurs », de « l’autre part », et d’une foule d’entités comme les « services d’urgence », les « points de service », les « règles », et d’autres figures qui peuplent nos réalités et nos délibérations en situation.

37 Comment à cet effet passer sous silence les derniers tours de parole de l’interaction que nous avons examinée ici, qui illustrent au mieux le droit de vie et de mort, pour ainsi dire, des processus de traduction. En effet, tout en amenant à l’existence de nombreuses entités peuplant leur monde, nos interlocuteurs/traducteurs sont tout aussi capables d’en « biffer » d’autres comme on le voit en S1.10 et R1.11 :

38

S1.10 Ou mets le Hull
R1.11 [allume la radio et s’adresse aux ambulanciers] mobile 21-2-1. [S’adresse au superviseur] Hull ça n’existe pas, c’est St-Laurent. [Parle dans le micro et s’adresse aux ambulanciers] Plateau pour le 21 (notre souligné).

39 Ainsi, contrairement à bien d’autres actants de cette situation, « Hull » n’est pas encore une boîte noire, une réalité bien stabilisée, pas même un objet de controverse semble-t-il. « Ça n’existe pas ». Le répartiteur croit toutefois savoir au nom de quoi son superviseur s’efforce de parler, puisqu’il ajoute « c’est St-Laurent ». Le répartiteur ne doute donc pas un instant de l’existence du lieu dont on parle, il reconnaît même ce lieu (« St-Laurent »). Manifestement, toutefois, « Hull » est beaucoup plus qu’un simple mot ou une simple manière de désigner un lieu. De même, cependant, « Hull » n’est pas non plus réductible à ce lieu, sans quoi il ne ferait aucun sens de dire qu’il « n’existe pas ». Tout se passe comme s’il y avait bien pour lui quelque chose que le superviseur invoque en parlant de « Hull », une chose à laquelle notre répartiteur refuse brutalement l’existence. Ce qui existe, c’est St-Laurent.

40 En somme pour que deux choses soient disloquées, il faut bien néanmoins qu’elles soient reliées à un titre ou à un autre. Parler de dislocation, c’est donc aussi parler de mises en relation, de liaisons qui définissent l’identité même des termes ainsi associés et accomplissent ainsi beaucoup plus qu’une simple référence.

4. Conclusion

41 En concluant un ouvrage particulièrement lucide sur les interactions en contexte organisationnel, Boden écrivait, quelques années à peine avant son décès prématuré :

42

People in work settings, from top to bottom, have […] an understanding that any official set of ‘rules’ or ‘regulation’ or ‘procedures’ are simply partly formulated recipes or slogans that have to be worked out on the spot ; […] Modern organizations, from the corner dry-cleaning establishment to the national government, depend utterly on local talent. (1994 : 192-193, italique dans l’original).

43 On pourrait certainement lire l’étude de Boden comme une charge de l’expérience vécue des interactions telles qu’elle les a saisies sur son magnétophone contre les théories et modèles qui ne cessent d’idéaliser les processus de travail, de gestion et de décision. C’est certainement aussi un hommage à la compétence et à la dextérité dont font preuve les acteurs dans leur réalisation interactionnelle de l’organisation comme monde commun et signifiant. Clairement l’échange analysé dans cet article participe pour une part à la même démonstration. En effet, c’est la « façon de décider » d’un collectif en tant qu’action accomplie par des sujets en situation qui nous a intéressés largement dans cet article. En suivant l’accomplissement pratique d’une décision, nous avons pu observer comment les acteurs s’orientent pour organiser leur action, pour lui donner du sens, pour la rendre mutuellement intelligible (accountable dirait Garfinkel, 1967). Cependant, nous avons voulu aller beaucoup plus loin dans ce qui précède en montrant comment une telle description, tout en étant à notre sens juste, riche et nécessaire, n’épuise pas les sources d’action en cause dans la production d’une décision. Une analyse fine des processus de décision devrait non seulement mettre en évidence le caractère situé et contextualisé des décisions qui forgent les organisations, mais aussi leur caractère disloqué dans le temps et l’espace rendu à la fois possible et incontournable par l’hétérogénéité des actants qui participent au processus actionnel. La conversation devient donc le lieu où s’actualisent et se révèlent des entités variées, au nom desquelles les interlocuteurs parlent, assurant ainsi leur existence et leur endurance. Cette perspective est portée par quelques hypothèses fortes sur la nature de l’action et sur les modes d’existence même des actants convoqués dans l’interaction que nous avons tenu à discuter brièvement à la lumière de notre analyse de ce cas particulier. Il ne fait aucun doute pour nous que la valeur heuristique d’une telle perspective et sa capacité à enrichir nos analyses empiriques de décisions en situation restent très largement à étoffer. Nous n’avons ici qu’accomplit un premier pas dans cette direction.

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  • Article reçu en mars 2009. Version révisée reçue en octobre 2009.

Mots-clés éditeurs : analyse des interactions, conversation, actants, dislocation, Processus de décision

Date de mise en ligne : 15/12/2010

https://doi.org/10.3917/ls.134.0031

Notes

  • [1]
    Perspective qui s’inscrit dans le prolongement des travaux sur la Naturalistic Decision Making (Szambok et Klein, 1995). Les chercheurs privilégient une étude de la prise de décision en situation réelle et ils mettent en œuvre une méthodologie visant à observer les individus quand ils sont dans leur milieu de travail et qu’ils sont confrontés à des situations concrètes de prises de décisions en temps réels.
  • [2]
    Le terme « actant », emprunté à la sémiotique, renvoie à des entités humaines et non-humaines (Latour, 2006) et désigne les êtres, les choses, les événements qui, à un titre quelconque et de quelque façon que ce soit, agissent dans et sur le déroulement d’une interaction communicative.
  • [3]
    La notion d’histoire interactionnelle chez Vion (2000) correspond en fait à une version élargie de la notion d’histoire conversationnelle chez Grunig (1989) et Golopentja (1988).
  • [4]
    Voir par exemple la réflexion de Descombes (1996) sur les « institutions du sens » pour un développement systématique de cet argument. Pour une analyse des différentes conceptions de la notion de cadre dans l’analyse des interactions, voire l’excellente étude de Dewulf et al. (2009).
  • [5]
    Cette recherche (portant sur le processus de remémoration organisationnelle) a été menée dans une organisation de la région de l’Outaouais québécois (Canada) et a été financée par le Conseil de la Recherche en Sciences Humaines (CRSH) du Canada dans le cadre du programme Initiative de Développement de la Recherche (IDR).
  • [6]
    Nous avons pu ainsi observer l’ensemble des répartiteurs d’urgence travaillant de jour (six au total) ainsi que trois superviseurs.
  • [7]
    Nous tenons néanmoins à souligner une limite à notre recherche : nous n’avons pas eu l’occasion de filmer les interactions ce qui nous a privé d’un corpus intégrant finement l’ensemble des gestes, mouvements corporels et autres. Nous avons néanmoins tenté de remédier à cette limite en prenant des notes aussi détaillées que possible des mouvements corporels, manipulations d’objets et autres au cours des séances d’observation sur site.
  • [8]
    Précisons que les analyses des séquences conversationnelles reposent sur le modèle de l’analyse interlocutoire (Brassac, 1994 ; Ghiglione et Trognon, 1993). Ce modèle repose sur une dialogisation de la théorie des actes de langage (Austin, 1970 ; Searle et Vanderveken, 1985 ; Vanderveken, 1988, 1990) et sur les principes de l’Analyse Conversationnelle développée par les ethométhodologues (Garfinkel, 1967).
  • [9]
    Nous adoptons les conventions de transcription suivantes : // coupure de parole, symbole repris en début de discours de la personne ayant coupé la parole ; [texte] introduction d’éléments contextuels ; : : : allongement vocalique de la syllabe ; (.) pause brève dans le discours (environ une seconde) ; […] coupure dans la transcription du corpus.
  • [10]
    CH est l’acronyme de Centre Hospitalier.
  • [11]
    « Nous considérons comme présupposées toutes les informations qui, sans être ouvertement posées (i. e. sans constituer en principe le véritable objet du message à transmettre), sont cependant automatiquement entraînées par la formulation de l’énoncé, dans lequel elles se trouvent intrinsèquement inscrites, quelle que soit la spécificité du cadre énonciatif » (Kerbrat-Orecchioni, 1998 : 25).
  • [12]
    « [D’un] point de vue logique, les conditions préparatoires d’une force illocutoire déterminent quelles propositions le locuteur doit présupposer lorsqu’il accomplit un acte de discours ayant cette force dans un contexte d’énonciation » (Vanderveken, 1988 : 117).
  • [13]
    Notons que le « tu » marque aussi le fait que le répartiteur se désolidarise de la décision de déplacer une ambulance sur le secteur Plateau (alors que le superviseur faisait usage du « on »).
  • [14]
    Informations que les répartiteurs nous ont confirmées lors des entrevues.

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