Notes
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[1]
L’intégralité des transcriptions de ces deux textes était donnée en annexe ; nous ne pouvons les reproduire ici pour des questions de respect des droits d’auteur.
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[2]
Le texte intégral du jugement du 24 février 2009 est consultable en ligne à l’adresse : http://www.juritel.com/Ldj_html-1401.html
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[3]
La première illustration, sur la section gauche de la colonne et ouvrant la chronique, représentait deux femmes, l’une portant une longue robe et un voile couvrant ses cheveux (vraisemblablement une Musulmane telle que décrite par le paragraphe attenant) et l’autre une tenue noire (vraisemblablement une Catholique, telle que décrite par le paragraphe). Le deuxième dessin à la droite de la colonne, au centre de la chronique, était enchevêtré dans le texte du deuxième paragraphe et représentait une femme vêtue d’une robe blanche à pois montant un escalier (vraisemblablement Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion, telle que décrite par le paragraphe). Enfin, le troisième paragraphe présentait un dessin, situé à la gauche de la colonne, où une femme vêtue d’une robe imprimée et d’un fichu assorti, présentée par le panneau « station Mme Irma », lisait l’avenir dans une boule de cristal et disait : « je vois des cumulo nimbus » – vraisemblablement une météorologue dépeinte en voyante, ainsi que le texte le précise.
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[4]
“A linguist’s hearing may be no better than a juror’s hearing, but the linguist’s listening skills are finely honed by training and experience. Listening goes beyond hearing. It involves finding the patterns that exist in language. It includes attending to many things that average listeners overlook when they hear speech. It requires consciously attending to the “little” things that most people ignore as they try to understand the “big” things they hear. Native speakers know their language so well that they filter out all the tools of phonology, morphology, syntax, and discourse that they subconciously use to make meaning out of what is said in their presence”.
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[5]
J’ai produit deux transcriptions de l’extrait complet, qui durait en tout plus de 3 minutes (je ne cite ici que le début de la première séquence à titre d’exemple) : la première en code écrit avec ponctuation (présentée ci-dessus) et la seconde avec le codage ICOR, qui rendait mieux compte des faits suprasegmentaux. N’étant pas spécialiste de ce type de codage, j’ai demandé à Hugues de Chanay de le vérifier ; il m’a aussi fourni un traitement de la phrase litigieuse en codage PRAAT. Rien n’empêche en effet des collaborations entre spécialistes pour ce type de dossier, et je serais même assez partisane d’une systématisation du procédé : tout comme il ne viendrait à l’idée de personne de consulter un ORL pour des problèmes cardiaques, il ne paraît pas logique de se constituer expert d’un domaine pour l’occasion alors que de vrais spécialistes peuvent prendre en charge sérieusement l’une des dimensions de l’analyse. Tout dépend des barrières déontologiques que chacun se fixe.
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[6]
Quoique l’affaire autour de l’interview par L’Express de Jean-Marc Rouillan à l’automne 2008 a eu des conséquences tout à fait importantes sur la liberté de l’accusé, puisqu’à l’issue de ce procès Monsieur Rouillan a perdu son statut de liberté conditionnelle.
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[7]
Voir ici même l’article de Diane Vincent.
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[8]
Le séjour plus ou moins long en salle des témoins avec les autres personnes qui comparaissent n’arrange rien dans la mesure où chacun est convaincu du bon droit de sa connaissance, voire ami – les deux bords cohabitant souvent plusieurs heures.
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[9]
Procès Ministère Public (Ministère des Armées) vs. Condkoï, appel, sept. 2004 ; procès Ministère Public (Ministère de l’Intérieur) vs.. La Rumeur, appel après cassation, juin 2007 ; procès Ministère Public vs.. Jean-Marc Rouillan, novembre 2008 ; procès Maurice Sinet vs. Claude Askolovitch, janvier 2009 ; procès LICRA vs. Maurice Sinet, janvier et octobre 2009. L’analyse produite pour le procès Condkoï a été publiée sous forme raisonnée dans Lagorgette (2009).
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[10]
Pour les procès Siné, il s’agissait des travaux de Charaudeau (2005), Maingueneau et Charaudeau (2002), Maingueneau (1995), Amossy (2008), notamment. Pour La Rumeur, une approche sociolinguistique avait été choisie.
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[11]
Toutes ces analyses ont été produites pour les 6 procès.
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[12]
www.atilf.fr
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[13]
De même, pour le procès de La Rumeur, la consultation de première main du texte de Paul Nizan (Les chiens de garde) a apporté un éclairage nouveau sur le texte d’Hamé.
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[14]
Pour le procès La Rumeur, il s’agissait de Jean-Luc Einaudi (historien), Jean-Pierre Garnier (sociologue), Grégory Protche (spécialiste du rap), Maurice Rajsfus (historien).
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[15]
Une version commentée de l’analyse produite pour le procès Condkoï a été publiée (Lagorgette 2009).
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[16]
Et j’en profite pour remercier vivement Maître Richard Malka, Maître Dominique Tricaud et Maître Jean-Louis Chalanset pour leur confiance et leur patience durant la phase percevalienne de mes questions naïves.
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[17]
Mais comme le précisent dans leurs contributions D. Vincent et M. Coulthard, rien n’empêche de décrire le fonctionnement des actes de langage selon « nos » critères ; la nuance est fine, mais elle existe.
1 Ce que les media et de très nombreux sites internet ont rapidement nommé « l’affaire Siné » aura fourni à l’été 2008 son feuilleton annuel : à partir de la mi-juillet, difficile en effet de ne pas entendre parler de-ci de-là des démêlés opposant Maurice Sinet, dit Siné, dessinateur caricaturiste au journal Charlie Hebdo, et son rédacteur en chef, Philippe Val. Ce débat, qui aurait pu rester strictement circonscrit au monde de la presse, s’est finalement trouvé porté sur la scène pénale après que, d’une part, Siné a porté plainte contre le journaliste Claude Askolovitch pour diffamation et que, d’autre part, la LICRA a attaqué Siné pour complicité de provocation à la discrimination. Comme dans bien d’autres affaires de presse, la composante publique des différentes attaques et joutes a modifié la portée des échanges, puisque la circulation des discours pour ou contre a largement amplifié débats et procédures. Je ne présenterai ici que ce qui relève strictement du domaine linguistique, dans la mesure où deux analyses ont été produites pour les trois procès qui ont suivi.
2 Cette présentation sera menée en trois temps : je commencerai par resituer les faits et en particulier les textes incriminés ainsi que le métadiscours qu’ils ont généré ; ceci nous permettra d’y voir un peu plus clair dans l’enchevêtrement des niveaux de discours imbriqués. Je présenterai ensuite la méthodologie choisie pour chacune des analyses fournies aux avocats. Enfin, je passerai à la description de la dernière étape, la comparution au tribunal. Cet ensemble sera réinséré dans les réflexions menées par les spécialistes « historiques » de la linguistique pénale (Shuy, Coulthard) afin de les resituer dans leur propre champ. Mon objectif est de montrer comment l’examen linguistique permet d’apporter aux débats une lecture systématique, reposant sur un cadrage théorique spécifique, celui de l’analyse de discours, tout en offrant des outils jusqu’alors peu ou pas employés dans ce type de procès en France. C’est essentiellement en termes méthodologiques que sera menée cette analyse, dans la mesure où il semble important de décrire les étapes de construction des documents produits, plutôt que d’entrer dans le détail des démonstrations, par ailleurs trop longues pour cette contribution ; les procès seront donc ici exclusivement évoqués à titre d’exemple.
1. Un enchevêtrement de voix discordantes
1.1. Résumé des deux affaires
3 Tenter un résumé de ces deux affaires est en soi un exercice périlleux, dans la mesure où les points de vue antagonistes proposaient chacun une lecture très marquée des événements ; j’essaierai de me limiter strictement aux faits, en suivant l’ordre chronologique.
4 L’été 2008 a vu s’opposer, sur la scène médiatique française, deux camps autour d’une chronique du dessinateur Siné, parue le 2 juillet 2008 dans l’hebdomadaire Charlie Hebdo, au sein de la rubrique « Siné sème sa zone ». Suite à cette chronique, Philippe Val demande à Siné de faire des excuses car certains lecteurs ont signalé au rédacteur en chef qu’ils trouvaient le contenu antisémite ; Siné refuse et on lui signifie la semaine suivante son renvoi du journal. Voici le paragraphe en question (je ne cite pour l’instant que lui car il était la cible de la plupart des commentaires à l’époque, et il semble que ce soit exclusivement lui qui ait circulé, ainsi qu’en témoigne le métadiscours sur les forums ou dans les media : « j’ai vu dans l’article de X que Siné disait Y ») :
(1) « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet (encore lui !) a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de DARTY. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »
6 Ce sont principalement les deux dernières phrases qui mettent le feu aux poudres : plusieurs articles dans la presse nationale ainsi que des prises de position à la radio déchaînent un débat polémique de plusieurs semaines, avec notamment la production de textes de soutien aux deux protagonistes et une pétition en faveur de Siné. Le 17 juillet, une plainte est déposée par Siné contre un journaliste du Nouvel Observateur, Claude Askolovitch, qui est intervenu en direct sur le plateau de l’émission « On refait le match » sur RTL, animée par Nicolas Poincaré le 8 juillet : je présenterai dans un instant la transcription de ce passage car, étant elle-même litigieuse, elle a été au centre de l’analyse. La LICRA déclare vouloir poursuivre Siné le 29 juillet, et c’est finalement le 18 août qu’une plainte est déposée par son avocat, Maître Alain Jakubovitch (du barreau de Lyon) : elle ne porte plus exclusivement sur la chronique du 2 juillet mais aussi sur une chronique antérieure, datée du 11 juin ; voici respectivement le dernier paragraphe du 2 juillet (2.a) et le premier du 11 juin (2.b) tels qu’ils apparaissent dans le journal [1] :
(2.a) La semaine dernière, « L’Express » titrait son édito « ISLAM : Cette religion doit abjurer les archaïsmes les plus flagrants de son dogme. » Croyez-vous que ce Christophe Barbier qui se permet d’admonester les musulmans, les enjoignant brutalement d’abandonner leurs traditions, aurait le même culot pour s’adresser aussi violemment aux juifs ? Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est fait !
(2.b) Je n’ai jamais brillé par ma tolérance mais ça ne s’arrange pas et, au risque de passer pour politiquement incorrect, j’avoue que, de plus en plus, les musulmans m’insupportent et que, plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j’ai envie de leur botter violemment le cul ! J’ai toujours détesté les grenouilles de bénitier catholiques vêtues de noir et sentant le pipi, je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeante et véritables épouvantails à bites ! Leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique n’ont rien à leur envier point de vue disgracieux. Ils rivalisent de ridicule avec les Juifs loubavitch ! Je renverserais aussi, de bon coeur, le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de bouffer du cochon à la cantine. Quand on a des parents aussi bornés que les leurs, le seul remède est de leur désobéir et de les envoyer se prosterner ! Et quand ils prétendent que c’est pour des raisons d’hygiène qu’ils refusent le porc, évoquant des maladies datant du temps de leur prophète mais éradiquées depuis belle lurette, mon sang ne fait qu’un tour et se transforme aussitôt en boudin ! La bêtise n’a pas de limites, c’est connu, mais arrêtons de la respecter et, qui plus est, de l’entretenir au nom d’une indulgence dont ils ne font, eux, aucune preuve !
8 Les trois passages sont attaqués pour « complicité de provocation à la discrimination nationale, raciale, religieuse par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique » (jugement du 24 février) [2]. Les procès suivront durant l’année 2009 : le 21 janvier, la 17e Chambre correctionnelle de Paris voit le procès Siné contre Askolovitch pour diffamation publique (relaxe du prévenu le 2 mars 2009) ; suit le procès LICRA contre Siné, le 27 janvier, à la 6e chambre correctionnelle de Lyon (relaxe du prévenu le 24 février), puis le procès en appel à la Cour d’Appel de Lyon le 15 octobre (relaxe du prévenu le 27 novembre). Le procès Siné contre Askolovitch n’a pas donné lieu à une procédure d’appel, mais le procès LICRA est toujours en cours (pourvoi en cassation déposé par la LICRA).
9 Mon intervention a été demandée pour le premier procès par Maître Dominique Tricaud (barreau de Paris) qui représentait Siné ; nous avions déjà collaboré pour le procès en appel opposant le Ministère Public au groupe de rap La Rumeur. La demande de Me Tricaud portait sur la production d’une analyse linguistique des textes et propos à l’antenne des deux parties. Cette analyse a été versée au dossier soumis au tribunal par la partie civile. J’ai produit une seconde analyse pour le procès opposant la LICRA à Siné, soumise au tribunal par la défense. Dans cette dernière affaire, qui m’a échu après le premier procès, outre l’analyse écrite, j’ai été citée en tant que témoin au procès en première instance et au procès en appel. Lorsque j’ai rédigé la première analyse, j’ignorais que j’aurais à produire la seconde : la chronique du 11 juin n’a donc pas été en arrière-plan de ma première étude ; en revanche, de nombreux éléments de la première ont été repris dans la seconde.
10 Une complète liberté m’a été laissée par le cabinet Tricaud et Traynard pour ce travail ; j’avais du reste prévenu les avocats que le contenu de mon analyse pouvait ne pas servir leur cause, selon les résultats qui en émaneraient. Ainsi, jusqu’au dernier moment n’étais-je pas sûre que ce travail soit utilisé : le statut de témoin et non d’expert est en effet problématique de ce point de vue, puisque l’on travaille un certain temps (ici, plusieurs dizaines d’heures, au bas mot) sans avoir la certitude que cet ouvrage aura une quelconque utilité in fine. Bien entendu, aucune rémunération n’est associée (statut de témoin oblige).
11 Ce cadre étant posé, voyons maintenant plus précisément comment se sont constitués les corpus primaire et secondaire des analyses : dans le cadre de la linguistique légale, le corpus est en effet au centre même des préoccupations de l’ensemble des parties, dans la mesure où chaque élément discursif a son importance et permet de fonder les commentaires de chaque camp. Dans ce cas précis, nous allons voir à quel point l’établissement même des textes a eu de l’importance, puisque, pour faire un bon mot, on pourrait dire en l’occurrence que presque tout s’est joué sur une virgule et un conditionnel présent.
1.2. Délimitation et composition du corpus
12 Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le corpus même à analyser est souvent bien plus complexe qu’il n’y paraît : en effet, il peut apparaître sous deux formes, celle de la plainte, et celle de sa production initiale. On ne peut mettre les deux éléments sur le même plan, puisque la plainte fragmente généralement un tout pour en extraire une section qu’elle présente comme litigieuse. Cette section est resituée dans un contexte qui est reprofilé par le plaignant dans une optique argumentative ; les citations sont donc insérées dans un discours modalisé qui présente un système de lecture sémantico-pragmatique spécifique, puisqu’il faut pouvoir justifier le choix de la qualification de l’infraction ou du délit. Outre le fait que la plainte ne donne pas accès aux contextes gauche et droit, ni à l’entier du texte, peut aussi s’ajouter un problème bien plus inattendu, celui de l’établissement même des données poursuivies. De plus, si l’on intervient après la première instance (en appel, par exemple), d’autres documents sont aussi disponibles : le jugement et parfois les notes d’audience prises par le cabinet d’avocats. Le texte là encore est passé à travers un filtre et peut apparaître modifié. Nous avons donc plusieurs corpus : d’une part, celui constitué par les documents originaux (pas toujours faciles à obtenir), que j’appellerai « corpus primaire », et celui constitué par le métadiscours pénal sur ces textes (« corpus secondaire »). Bien souvent, là où l’on s’attendrait à ce que les citations soient conformes d’un corpus à l’autre, on a quelques surprises.
13 Dans les procès Siné, un premier point important dans les étapes de la réflexion a tout d’abord été de préciser les données du corpus primaire : en effet, que la source soit un texte écrit ou oral, les deux plaintes adverses contenaient un certain nombre d’approximations (nous les signalons entre crochets en (3)). Dans le cas de la plainte déposée par la LICRA, la transcription du texte du 11 juin présentait deux omissions, ainsi que deux pluriels erronés et un futur simple à la place d’un conditionnel présent (je renverserai, au lieu de je renverserais) :
(3.a) Je n’ai jamais brillé par ma tolérance mais ça ne s’arrange pas et,
au risque de passer pour politiquement incorrect, j’avoue que, de plus en plus, les musulmans m’insupportent et que, plus je croise les femmes voilées qui prolifèrent dans mon quartier, plus j’ai envie de leur botter violemment le cul !
J’ai toujours détesté les grenouilles de bénitier catholiques vêtues de noir [< et sentant le pipi], je ne vois donc pas pourquoi je supporterais mieux ces patates à la silhouette affligeantes [< s] et véritables épouvantails contre la séduction [contre la séduction < à bites] !
Leurs maris barbus embabouchés et en sarouel coranique sous leur tunique n’ont rien à leur envier point de vue disgrâcieux. Ils rivalisent de ridicule avec les juifs loubavitchs [< s] ! Je renverserai [< renverserais] aussi de bon coeur le plat de lentilles à la saucisse sur la tronche des mômes qui refusent de manger du cochon à la cantoche.
15 Le texte du 2 juillet comportait trois omissions (deux virgules dans le troisième paragraphe et l’ajout d’un adverbe dans le paragraphe final ; nous ne citons que les phrases erronées du paragraphe 3 (3.b) et du paragraphe final (3.c)) :
(3.b) Ce n’est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d’épouser sa fiancée, juive [< juive, ] et héritière des fondateurs de DARTY. Il fera du chemin dans la vie [< vie, ] ce petit.
(3.c) Moi, honnêtement, entre une musulmane en tchador et une juive rasée, mon choix est vite [< vite] fait !
17 Ce constat fait, j’ai produit une transcription reprenant la présentation initiale du texte : dans la mesure où il s’agissait d’une chronique écrite à la main, on peut comprendre que certains passages aient été mal aisés à décrypter, et il était important de fournir une transcription exacte, s’attachant à toutes les composantes graphiques de l’ensemble (incluant donc la ponctuation, bien évidemment). De plus, les trois dessins qui accompagnaient les paragraphes en cursive n’étaient pas sans intérêt : la comparaison des deux chroniques montrait un schéma très régulier de renforcement du texte par l’image, voire d’intertextualité (la chronique étant régulière, une certaine connivence, dont la routine est une des composantes non négligeable, s’établit, permettant des références extratextuelles au dessinateur). Dans le cas de la chronique du 11 juin, les trois dessins représentaient des femmes et encadraient littéralement le texte, proposant un cheminement graphique des unes à l’autre [3] ; en ce qui concerne le texte du 2 juillet, les inserts étaient soit des dessins, soit des coupures de presse ; le paragraphe 3 n’en contenait pas (ce qui a eu son importance, on le verra), tandis que le dernier paragraphe était clôt par un dessin représentant deux femmes, en gros plan, l’une à la tête voilée, l’autre rasée.
18 Pour revenir maintenant à la première procédure, le texte même de l’intervention radiophonique était à éditer : comme l’ont bien établi les travaux en linguistique de corpus depuis les années 80, avec notamment l’intérêt suscité par l’étude du français parlé autour de Claire Blanche Benveniste et du Groupe Aixois de Recherche en Syntaxe, la transcription n’est jamais ni aisée ni rapide. Dès lors, on ne s’étonnera pas que des non spécialistes aient été perturbés par le matériau parlé et aient commis des erreurs, comme le note Shuy (1993 : XVII-XVIII) [4]. Ce sont en effet bien souvent les “petits” faits de langue qui passent inaperçus, et l’on a vu avec les transcriptions des textes que ce phénomène ne se limite pas à la seule couche vocale. Ce domaine particulier sera clairement un enjeu de taille pour la linguistique légale dans les années à venir, puisque les formations de sciences du langage proposent toutes des modules de transcription – et l’on sait combien ce genre d’exercice est périlleux, même pour des auditeurs experts. Les nombreux travaux de la linguistique légale anglo-saxonne dans ce domaine sont d’une grande utilité : on pensera ici par exemple aux exercices proposés dans les formations de Forensic Linguistics délivrées par Aston University ou par le Text Institute, pour ne citer que l’Europe de l’Ouest.
19 Dans le cas qui nous intéresse, plusieurs erreurs étaient donc notables (elles apparaissent en italiques dans le texte original ci-contre ; je ne présente que la transcription en code écrit, faute de place) [5]. En termes de corpus primaire, une fois les textes établis, il restait à produire une méthodologie pour en mener l’analyse. Le corpus secondaire, constitué par le métadiscours des avocats et magistrats, était à prendre en compte, mais s’est aussi manifesté, pendant cette étude, le besoin de constituer un corpus tiers : dans la mesure où une grande quantité de discours était en circulation et, qui plus est, dans la mesure où la chronique du 2 juillet de Siné appartenait au genre discursif de la revue de presse, il paraissait important de vérifier si certains items étaient déjà apparus en co-occurrence dans d’autres textes médiatiques. J’ai dans cette optique d’abord consulté un moteur de recherche internet, puis interrogé la base de données Factiva : les résultats se sont révélés tout à fait étonnants, dans la mesure où ils m’ont permis d’établir que le paragraphe 3 de Siné (2 juillet) était en fait une citation non marquée (article de Libération, cf. les annexes du plan en 2.2 ci-après), et non une invention lui étant propre. On voit ici combien les simples limites du seul texte cité dans la plainte sont réductrices : établir que le texte appartenait au genre de la revue de presse n’était donc pas un détail.
20 Pour présenter plus schématiquement les corpus, on se trouve donc face à :
- Un corpus primaire prêt à l’emploi : les textes attaqués en justice. Ici les articles de Siné, Charlie Hebdo des 11 juin et 2 juillet 2008 ; intervention de Claude Askolovitch, 8 juillet 2008
- Un corpus secondaire : Le discours de la Cour. Ici, dans le procès Siné vs. Askolovitch : la plainte (non fournie) ; procès LICRA vs. Siné en1e instance : la plainte et le jugement.
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Un corpus tiers : le corpus créé par l’analyste :
- Bases en ligne [BFM, BTMF, Frantext ; Factiva, etc.] ;
- Moteurs de recherche Internet [Google] ;
- Corpus « manuels » [polars, chansons].
2. Construire une analyse scientifique pour un public non expert
2.1. Principes et objectifs
22 Comme pour tout travail d’expertise, deux paramètres président à l’organisation même de l’analyse : d’une part être clair, et d’autre part ne pas sacrifier pour autant la rigueur de la démonstration. Se greffent à ces deux contraintes un certain nombre de principes déontologiques dont tout chercheur a les règles en tête : l’objectivité, l’honnêteté et le respect du lecteur. Dans le domaine du droit, un paramètre de plus s’ajoute : la notion de responsabilité vis à vis des deux parties, dont le sort peut dépendre de manière plus ou moins forte des conclusions de l’étude. Si l’on est bien loin dans les affaires de presse que j’ai eu à traiter des conséquences qui d’ordinaire suivent les jugements aux Assises [6], il n’en reste pas moins que la question de l’honneur ne doit pas être traitée à la légère – et les accusations de racisme et d’antisémitisme, au dire de l’accusé et de ses proches, frappaient de plein fouet sa réputation. D’où la nécessité absolue dans ce type de cas de résister à la tentation de vouloir à tout prix avoir raison : il ne s’agit pas là de défendre sa propre réputation de spécialiste mais bien de livrer un document avec lequel chacune des parties doit pouvoir travailler. L’équilibre peut s’avérer difficile à trouver, mais éviter d’ajouter un degré d’argumentation tendancieuse alors que l’on cherche précisément à dégager les niveaux argumentatifs est crucial – d’autant que le statut de témoin mandé par un camp contre l’autre place d’entrée l’analyste dans une position où sa neutralité est en cause.
23 La question de la posture du chercheur est au coeur, surtout en analyse du discours et en sociolinguistique, de bon nombre de réflexions actuelles, très stimulantes : de plus en plus souvent ancrées dans des pratiques de terrain impliquant de rendre accessibles les résultats de leurs analyses (autrefois plus confinées au dialogue entre pairs), les linguistes redéfinissent sans cesse leur rôle et leur position lorsqu’ils s’engagent dans une démarche de réponse à la demande sociale. On est bien loin de la tour d’ivoire dans ce type de cas, et beaucoup reste à faire pour arriver à un consensus sur les principes éthiques à partager (degré d’implication de l’enquêteur dans son recueil de données [7], dans sa manière de communiquer ses résultats, dans sa transmission de recommandations, notamment). Un guide très utile dans le cas qui nous occupe a été la liste des principes du forensic linguist établie par Roger Shuy (2006, passim), parmi lesquels on relève (je traduis) : « Soyez prêt à être attaqué » (pp.57-58), « le camp adverse peut aussi avoir un linguiste » (122-123), « N’acceptez pas de cas pour lesquels vous n’êtes pas qualifié » et « N’acceptez pas de cas dans lesquels vos convictions morales personnelles vous empêcheront de faire pour le mieux » (20, 124), « Ne vous racontez pas que vous pouvez sauver les cas désespérés » (23), « Ne devenez pas un avocat du client. Notre seule responsabilité est d’analyser les données aussi objectivement que possible. Un moyen de tester cela est d’être certain que vous auriez fait exactement la même analyse si vous aviez été dans l’autre camp » (125), « Ne cédez jamais à la tentation d’altérer « un peu » la vérité (71) ; Nous devons dire la vérité tout le temps » (123). Certains critères sont donnés par les Cours même : ainsi, les conditions pour l’obtention du statut d’expert sont clairement énoncées sur la plupart des sites internet des Cours d’appel.
24 Néanmoins, ce qui vaut pour les experts reconnus doit être encore renforcé pour ce que j’appellerais volontiers les « témoins ès qualité » (à savoir les témoins cités pour leurs compétences professionnelles et non pour leur connaissance personnelle du prévenu) : alors que le statut de témoin implique, comme l’étymologie le laisse imaginer aisément, que la personne a assisté sur du plus ou moins long terme à des faits, comportements, etc. de l’accusé (ce qui situe le rapport entre les deux dans les sphères personnelles, selon la terminologie de E.T. Hall (1966 ; 1968) telle que nous l’avons adaptée au champ de l’adresse (Lagorgette 2007)), le témoin ès qualités au contraire n’est présent qu’à cause de ses compétences professionnelles (soit les sphères fonctionnelles). Il est très facile, en particulier durant l’audience, de par son caractère public et aussi du fait des questions plus ou moins bienveillantes des conseils des deux parties, de sombrer dans le tendancieux [8] : c’est certainement le point le plus délicat à gérer, en fait, car quoi qu’il advienne, il est tentant (et assez naturel, en somme) de prendre fait et cause à son tour, surtout lorsque l’analyse délivrée donne raison audit camp, et que l’autre partie choisit une stratégie plus ou moins offensive (ce qui est de bonne guerre mais peut être déstabilisant). Si j’insiste tant sur le statut, c’est qu’il me semble tout à fait crucial de signaler combien le lieu et la place (au sens de « rapports de places » goffmanien) d’où l’on prend la parole sont envisagés puis mis en scène (toujours selon la terminologie de Goffman) de manière différente par les participants de cette interaction très codée et spécifique du procès : comme nous le verrons plus loin, ces statuts, places et rapports se négocient durant toutes les étapes du procès, et de fait doivent être présents à l’esprit du chercheur dès le début de son travail. Ils ont alors, sous cet angle, une part importante à jouer dès la phase initiale de la recherche, tant dans les outils choisis que dans la rédaction du rapport et les interactions avec l’ensemble des acteurs.
25 Pour donner un exemple concret, voici comment j’ai choisi de présenter mes analyses afin que le lieu d’où je prenais la parole soit clairement délimité dès la première ligne :
Analyse linguistique / Procès Siné – Claude Askolovitch
Dans la mesure où Monsieur Claude Askolovitch reprend des propos antérieurs, nous commencerons par examiner ces propos, en l’occurrence le texte de Siné paru dans Charlie Hebdo du mercredi 2 juillet 2008, afin d’en préciser le sens, puis nous analyserons l’intervention de Monsieur Claude Askolovitch sur RTL le 8 juillet 2008 dans la même optique.
26 La pertinence d’une étude linguistique quand des faits de langue et de discours sont incriminés peut sembler aller de soi – pour le linguiste ; mais la rareté même des occasions pour les tribunaux en France de rencontrer notre profession dans leur cadre est telle que c’est toujours l’étonnement qui transparaît dans les commentaires (souvent positifs, du reste) des magistrats lorsqu’un rapport est fourni. Et puis, si l’on veut être tout à fait honnête, il faut bien reconnaître que pour beaucoup de personnes, la linguistique reste mystérieuse, tant dans ses objets que dans ses finalités, quand elle n’est pas tout simplement ramenée, sous l’effet d’un anglicisme inconscient, à la pratique des langues étrangères et à la traduction. A nous, donc, de rappeler notre propre pertinence dans ce type de contexte et d’y gagner une place.
2.2. Méthode et outils
27 Ce n’est pas parce que l’on s’adresse à un public non expert qu’il faut faire l’économie d’un état des lieux précis sur le champ qui servira de cadre théorique à l’analyse ponctuelle : au contraire, il est essentiel de résumer clairement les principes et objectifs de tel ou tel domaine. Dans les 6 procès auxquels j’ai jusqu’alors participé [9], les besoins étaient différents : il ne s’agissait donc pas de plaquer la théorie des actes de langage systématiquement ; au contraire, selon le type de texte mis en cause, il fallait fournir aux avocats et magistrats un arrière-plan global sur la discipline traitant cette sorte de construction argumentative, ainsi qu’une grille de lecture spécifique, dans ce cadre, aux données poursuivies. Ainsi, pour les procès de La Rumeur et de Siné, il était pertinent de se tourner vers l’analyse de discours, et en particulier vers l’étude du discours polémique : les travaux de Marc Angenot (1982) et des autres spécialistes du domaine (Andrès 1976, Avril 1978, Declercq et al. 2003, Dumasy et al. 2001, notamment) ont donc été la clé de voûte permettant d’établir un certain nombre de critères. Avant de mettre en oeuvre une grille de lecture, il va de soi qu’une présentation, même succinte, de l’approche théorique globale est nécessaire, afin que les lecteurs puissent en comprendre la pertinence pour le cas qu’ils ont à défendre ou juger [10]. Il s’agit de toute manière, une fois que l’on s’est familiarisé avec le corpus primaire, de la première démarche de l’analyste : déterminer une bibliographie qui permettra de mieux appréhender les mécanismes de discours en oeuvre et de ressituer un événement discursif dans un contexte plus ample (ou non, si les critères relevés ne correspondent pas).
28 Sans être simple, la tâche s’en trouve tout de même relativement aisée pour la suite de l’étude : l’analyste n’est alors plus « seul » face au texte et aux événements qui constituent l’ensemble de la procédure mais, au contraire, il peut prendre la distance nécessaire à un travail scientifique, aussi neutre que raisonnablement possible, en se saisissant des données et en les repositionnant, hors actualité, dans une perspective de champ disciplinaire. Dans le cas de l’affaire Siné, cette distance était plus que désirable, car le débat allait bon train et il était peu aisé de faire abstraction de l’actualité.
29 De nombreux travaux se sont penchés, dans la tradition anglo-saxonne (pour laquelle les jurés sont au centre des procès et des décisions) sur l’influence de la circulation de discours dans la sphère publique : tant du côté des spécialistes de psychologie sociale (voir par exemple Studebaker et al. 2000, Dexter et al. 1992, Eagly et al. 1978, Moran & Cutler 1991, Otto et al. 1994, Wilson & Bornstein 1998) que du droit (Minow et Cate 1991, Padawer-Singer & Barton 1975, Sue et al. 1974) et du journalisme (Eimermann et al. 1970, Imrich et al. 1995, Simon et al. 1989), les avis convergent et s’accordent sur le fait que l’influence n’est pas un paramètre négligeable. La même question est plus rarement posée en ce qui concerne les experts, et en particulier les linguistes, alors qu’eux aussi sont susceptibles d’être influencés par leur fréquentation des media. D’où la nécessité de s’en tenir strictement aux faits de langue et d’élargir la perspective à un type de discours – tout en restant bien conscient de toute manière que la neutralité est un objectif dont le seul outil de mesure reste, en dernier ressort, le jugement final ; cela dit, la partie adverse, avant cette dernière phase, se charge à la barre, généralement sans nuances (et c’est son rôle), de rappeler à l’ordre par quelques questions bien senties l’analyste qui s’est fourvoyé ; si la réponse ne vient pas, c’est qu’elle n’a peut-être pas tort de douter...
30 Dans l’ordre des actions, nous avons donc : prendre connaissance du corpus secondaire, établir le corpus primaire, sélectionner un cadre théorique d’analyse pertinent. Peut alors commencer la phase d’analyse en détail des textes et la construction du rapport. Les modifications des données amènent souvent une lecture autre de la cohérence textuelle : ainsi, les omissions du texte du 11 juin tendaient à réduire le caractère satirique et carnavalesque du texte ; la valeur de l’acte de langage produit par le conditionnel présent (purement hypothétique) changeait radicalement (le futur marquant un projet d’action) ; l’erreur de ponctuation dans le texte du 2 juillet (« juive et héritière » en place de « juive, et héritière ») a induit une lecture moins fine de l’énumération, créant un lien de cause à effet ; la même lecture, dans la production orale radiophonique, est rendue explicite par l’enchaînement (et non la pause) entre les deux segments, tandis que la dernière phrase (« il fera du chemin dans la vie ce petit ») est enchaînée à la précédente, comme si elle la concluait, alors que son statut de closule du paragraphe entier, qui constitue une énumération des dernières nouvelles publiques concernant Mr Jean Sarkozy (« ce n’est pas tout : »), est net. Vient ensuite voire parallèlement l’analyse thématique et structurelle du texte (puis des extraits) : c’est là qu’une démarche de type linguistique énonciative (étude de la construction de la référence, du système verbal, de la deixis, schémas thème/rhème, discours rapporté, par exemple) s’avère éclairante, liée à une étude des schémas argumentatifs (connecteurs, modalisation, etc.) [11]. L’étude du type de discours ouvre encore d’autres perspectives. Les objectifs de cette phase sont multiples et peuvent être résumés par : 1) analyser un système pour le donner à comprendre à l’autre dans ses mécanismes linguistiques et argumentatifs, et 2) expliciter des phénomènes comme la polyphonie, l'ambiguïté (s), la polysémie, les connotations et les actes de langage.
31 Bien souvent, cependant, un troisième corpus peut être utile, afin d’illustrer les analyses en replaçant les textes étudiés dans l’histoire de leur genre discursif : ainsi, pour les procès Siné, une recherche sur les termes précis de « calotte », « grenouille de bénitier » et « proliférer » s’est avérée indispensable ; cette recherche a été menée dans le TLFi et la base Frantext [12], conformément à la méthodologie de la linguistique de corpus [13]. Une approche interdisciplinaire est souvent un plus : le fait d’avoir aussi la « casquette » de littéraire m’a clairement été très utile, notamment pour les questions liées à l’usage argumentatif des tropes (très fréquents dans la forme polémique, en particulier dans le rap conscient ou le discours satirique illustré) mais aussi pour la lecture diachronique du genre discursif : évoquer l’anticléricalisme sans aller consulter la tradition journalistique et littéraire de la fin du 19e siècle, durant toute la phase précédant la séparation de l’Eglise et de l’Etat (tradition dont se revendique depuis le début de sa production Siné), aurait été peu sérieux ; resituer le texte dans un courant politique et un type discursif spécifique a donc éclairé l’extrait du 11 juin 2008 (en fait très référentiel en ce domaine). Le même procédé s’est aussi avéré fructueux pour le texte d’Hamé, comparé à d’autres textes appartenant au rap conscient, dans les traditions francophone et anglophone. A ce stade, les objectifs sont d’expliciter connotations / intertextualité / implicite et de mettre en perspective (diachronique, sociale) le discours attaqué pour les juges et les avocats.
32 Comme c’est arrivé pour le procès de La Rumeur, si des historiens sont convoqués eux aussi en tant que témoins [14] (car nous partageons ce privilège de n’être pas reconnus experts) et font un travail tout à fait précis (chiffré) et sérieux (référencé) dans leurs domaines de spécialité, le paramètre langagier n’était pas pour autant inclus dans leurs exposés (et c’est bien naturel). Les différents témoins ont donc des rôles complémentaires ; pour ce cas précis, je tiens à préciser que nous n’avions pas été en contact avant le procès et que nous ignorions mutuellement les résultats de nos analyses en rédigeant la nôtre. Il se trouve qu’elles convergeaient – autre moyen d’obtenir du feedback, de facto, pour l’analyste se demandant s’il a été sérieux dans son traitement des données.
33 Dans les procès Siné, on peut résumer les différentes composantes méthodologiques par un tableau reprenant l'ensemble comme suit :
procès | corpus primaire |
corpus secondaire |
cadre théorique | méthode | outils |
Procès Siné
vs. Askolovitch |
a) texte du 2
juillet b) émission radiophonique du 8 juillet | plainte |
[Austin Benveniste Hall Shuy Coulthard] Angenot |
1) établir les
données du corpus
1 : transcriptions 2) recherche bibliographique 3) analyse systématique du texte entier (struture thématique ; chaînes de référence ; actes de langage...) 4) analyse de l'extrait | corpus tiers : bases de données ; moteur de recherche internet ; logiciel PRAAT ; |
Procès LICRA vs. Siné (1e instance) |
a) texte du 2
juillet b) texte du 11 juin | plainte | idem + Bakhtine | idem | idem + ajout d'items lexicaux |
Procès LICRA vs. Siné (appel) | idem | jugement du 1er procès, dossier de la défense | idem | idem | idem |
34 Pour donner une idée plus concrète à nos lecteurs de ce à quoi ressemble une analyse lorsqu’elle est finalisée, tout en tenant compte du format dans lequel apparaît cette contribution (les analyses faisaient plus d’une vingtaine de pages chacune sans les annexes, nous ne pouvons donc les exposer ici), nous présenterons maintenant le plan de l’analyse produite pour le procès Siné vs. Askolovitch [15] et le titre des annexes fournies :
-
Analyse du texte de Siné dans Charlie Hebdo (n°837 du 02/07/2008)
1.1. Analyse thématique et structurelle de la chronique du 2 juillet 2008
1.2. Tonalité du texte : une revue de presse satirique
1.3. Analyse du troisième paragraphe
1.4. Conclusions -
Analyse des propos de Claude Askolovitch (RTL, Nicolas Poincaré, « on
refait le monde », 08/07/2008)
- Conclusions de l’analyse
- Références bibliographiques
-
Annexes :
Annexe 1 : Transcription en code écrit ponctué de l’émission de Nicolas Poincaré « On refait le monde », RTL, 8 juillet 2008
Annexe 2 : Transcription en code ICOR de l’émission de Nicolas Poincaré « On refait le monde », RTL, 8 juillet 2008
Annexe 3 : Article de Siné, « Siné sème sa zone », Charlie Hebdo, 02/07/2008
Annexe 4 : Article de Claude Askolovitch, « Bal tragique à Charlie », Le Nouvel Observateur, 17 juillet 2008
Annexe 5 : Article de Christophe Ayad, « Sarkozy comme chez lui en Israël », Libération, 23 juin 2008
Annexe 6 : Résultats Factiva.com
Annexe 7 : Capture d’écran des résultats de l’analyse du logiciel PRAAT
3. Présenter le raisonnement à un public non spécialiste : un discours d’autorité sans statut avec des devoirs
36 Durant la phase de rédaction, se posent des questions purement rédactionnelles : les termes techniques nécessaires au raisonnement ne sont pas connus la plupart du temps des non spécialistes, que bien souvent ils effraient (on appréciera l’ironie de la situation au vu de ce que le grand public qualifie bien souvent lui-même de « jargon juridique »). Comme je le signalais plus haut, ce n’est pas une raison pour simplifier le raisonnement au point de l’en rendre vide. Le rédacteur est en effet pris dans une double tension, qu’a très bien résumée Shuy (2006 : 19) : “Appearing as an expert witness may well be the ultimate test of the applied linguist, since we are expected to be technically expert enough to have useful things to tell the jury but, at the same time, effective enough as teachers to be able to communicate technical informations in ways that can be of immediate interest and usefulness to a jury”. Pour ma part, j’ai choisi (comme je le fais dans d’autres occasions professionnelles, comme les cours de L ou les formations aux collègues d’autres secteurs) de ne pas sacrifier les termes techniques et de les paraphraser : cette double lecture permet aux membres du milieu judiciaire d’avoir accès au sens exact et donne à un autre spécialiste de mon domaine les moyens de resituer mon analyse. Une fois de plus, le principe de coopération de Grice (1975) peut s’avérer une clé méthodologique précieuse : « make your contribution such as is required, at the stage at which it occurs, by the accepted purpose or direction of the talk exchange in which you are engaged » ; ses maximes, translatées dans le domaine qui nous intéressent deviennent : sincérité [qualité], quantité d’information suffisante [quantité], pertinence et clarté [manière]. Autant d’objectifs louables pour le rédacteur qui n’aura comme feedback que les commentaires de l’avocat mandataire, d’où l’importance d’un retour de sa part : il me semble important en effet de lui soumettre le rapport pour lui demander si le texte est, d’une part, lisible (comprendre « pas trop jargonneux et intelligible pour un public non expert ») et, d’autre part, utile pour un tribunal. Il s’agit donc bien du tribunal et non de la simple défense – et c’est d’ailleurs là que l’avocat choisit ou non de produire le texte, puisque la question porte, cela va sans dire mais rappelons-le tout de même (car cette question revient sans cesse de la part de la partie adverse), non pas sur modifier le texte du rapport pour le rendre favorable au camp mandant, mais sur l’éventuelle nécessité de clarifier certains arguments pour les rendre compréhensibles de tous ; rien n’empêche en effet un analyste d’être hors sujet ou opaque.
37 La phase suivante, qui n’est ni obligatoire ni systématique, se chargera de toute manière d’une saine remise en place puisqu’avec l’étape de la comparution vient la présentation très brève (en général, pas plus d’un quart d’heure) du rapport au tribunal. Le linguiste, témoin comme les autres (donc absent de la salle d’audience jusqu’à sa comparution), prête serment et n’a généralement droit à aucun document ; mieux vaut donc avoir son corpus bien en tête (même s’il est parfois autorisé). Suivent les questions du juge et des assesseurs, du procureur, puis de la partie « adverse » et de la partie mandante (phase, donc, ô combien dynamique).
38 Cette présentation doit aller à l’essentiel et constitue un retour sur la façon dont l’analyse a été perçue par les avocats et magistrats, ainsi qu’en témoignent leurs questions - l’ultime retour étant bien entendu le jugement, qui permet de voir si le raisonnement proposé a ou non été pris en compte par les juges. La négociation de la place dans l’interaction peut être plus ou moins longue, selon que le statut de spécialiste est reconnu ou non : le linguiste doit en se présentant décliner ses noms, adresse et qualité, mais rien n’oblige la partie adverse et le jury à reconnaître la pertinence de ce choix stratégique. Il n’est pas rare ensuite d’être ramené au témoignage en tant qu’énoncé d’opinions, et non de conclusions scientifiquement démontrées (c’est généralement la partie adverse qui remet en cause l’analyse, voire l’analyste, ramenant vers les sphères personnelles une présence fondée exclusivement sur du fonctionnel) – c’est là aussi de bonne guerre, après tout, puisque le statut même permet ce doute. La phase des questions est tout à fait cruciale (et l’on pensera ici au même phénomène dans les cours dont nous sommes plus coutumiers, ceux en université) puisqu’elle est la dernière occasion de repréciser ce que l’on a tenté de montrer dans des documents qui peuvent être parfois très (voire trop) denses ; cette phase sert aussi pour les analyses ultérieures, montrant quels éléments ont été jugés utiles ou au contraire sans intérêt.
39 À partir de là s’ouvre un vaste débat, sur lequel je concluerai, dont les questions sont bien posées dans Shuy (2006 : 10-11) : faut-il ou non que le linguiste légal soit formé en droit ? Il me semble que ne pas du tout connaître les règles et procédures pénales n’aide pas ; avoir vu le procès en appel de Condkoï a été pour moi une étape importante car je ne me rendais pas compte, avant d’y assister, de ce qu’impliquait réellement ce type de démarche. Les avocats avec lesquels j’ai travaillé [16] ont aussi tous été de très bons guides dans ce domaine, notamment lorsqu’ils me rappelaient mon rôle : ne pas usurper celui qui leur incombe, celui du juge ou du législateur – très utile lorsque définir l’injure, la diffamation et l’outrage sont des activités de recherche quotidiennes depuis vingt ans, et que la tentation de statuer sur l’acte même est donc brûlante [17]. Les collègues juristes de la Faculté de Droit et d’Economie de mon université ont eux aussi été d’une aide non négligeable lorsque des questions de définition des infractions se posaient : ainsi, la consultation régulière de mon collègue Fabrice Gauvin s’est-elle avérée essentielle (et je ne saurais trop le remercier). Mais il me semble, lorsque l’on travaille dans le champ linguistique, qu’il faut s’en tenir à son domaine de compétences : suivre une formation juridique modifierait certainement mon approche des cas et me ramènerait justement plus fort encore vers la tentation de dépasser mes vraies limites disciplinaires. Or, l’intérêt pour une Cour de solliciter un linguiste est précisément d’avoir un point de vue autre, venant d’une discipline complémentaire, et non formatée par la spécialisation inhérente à toute formation juridique. S’il est certainement important d’avoir un double profil pour analyser le langage du droit, pour le traduire ou pour faire des recommandations au législateur, au contraire la spécialisation hors droit me paraît garante de la non ingérence de l’analyste de cas. Plus encore, j’ajouterai que tous les délits où des faits de langue sont en jeu ne doivent pas échoir au même linguiste : par exemple, refuser une analyse de contrat industriel semble la moindre des honnêtetés lorsque l’on ne connaît pas ce type de discours de spécialité, tout comme refuser de travailler sur la couche suprasegmentale quand on n’a pas de spécialisation nette en phonétique/phonologie - l’un des pré-requis dans le domaine, constamment réaffirmé par la littérature (Shuy 2006 : 9 par exemple), étant que l’expert ait publié de la recherche fondamentale dans le champ dont il applique les théories au terrain.
Bibliographie
Bibliographie indicative
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Mots-clés éditeurs : discourspolémique, discours médiatique, analyse de discours appliquée, déontologie, témoignage, linguistique légale
Date de mise en ligne : 23/07/2010.
https://doi.org/10.3917/ls.132.0077Notes
-
[1]
L’intégralité des transcriptions de ces deux textes était donnée en annexe ; nous ne pouvons les reproduire ici pour des questions de respect des droits d’auteur.
-
[2]
Le texte intégral du jugement du 24 février 2009 est consultable en ligne à l’adresse : http://www.juritel.com/Ldj_html-1401.html
-
[3]
La première illustration, sur la section gauche de la colonne et ouvrant la chronique, représentait deux femmes, l’une portant une longue robe et un voile couvrant ses cheveux (vraisemblablement une Musulmane telle que décrite par le paragraphe attenant) et l’autre une tenue noire (vraisemblablement une Catholique, telle que décrite par le paragraphe). Le deuxième dessin à la droite de la colonne, au centre de la chronique, était enchevêtré dans le texte du deuxième paragraphe et représentait une femme vêtue d’une robe blanche à pois montant un escalier (vraisemblablement Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion, telle que décrite par le paragraphe). Enfin, le troisième paragraphe présentait un dessin, situé à la gauche de la colonne, où une femme vêtue d’une robe imprimée et d’un fichu assorti, présentée par le panneau « station Mme Irma », lisait l’avenir dans une boule de cristal et disait : « je vois des cumulo nimbus » – vraisemblablement une météorologue dépeinte en voyante, ainsi que le texte le précise.
-
[4]
“A linguist’s hearing may be no better than a juror’s hearing, but the linguist’s listening skills are finely honed by training and experience. Listening goes beyond hearing. It involves finding the patterns that exist in language. It includes attending to many things that average listeners overlook when they hear speech. It requires consciously attending to the “little” things that most people ignore as they try to understand the “big” things they hear. Native speakers know their language so well that they filter out all the tools of phonology, morphology, syntax, and discourse that they subconciously use to make meaning out of what is said in their presence”.
-
[5]
J’ai produit deux transcriptions de l’extrait complet, qui durait en tout plus de 3 minutes (je ne cite ici que le début de la première séquence à titre d’exemple) : la première en code écrit avec ponctuation (présentée ci-dessus) et la seconde avec le codage ICOR, qui rendait mieux compte des faits suprasegmentaux. N’étant pas spécialiste de ce type de codage, j’ai demandé à Hugues de Chanay de le vérifier ; il m’a aussi fourni un traitement de la phrase litigieuse en codage PRAAT. Rien n’empêche en effet des collaborations entre spécialistes pour ce type de dossier, et je serais même assez partisane d’une systématisation du procédé : tout comme il ne viendrait à l’idée de personne de consulter un ORL pour des problèmes cardiaques, il ne paraît pas logique de se constituer expert d’un domaine pour l’occasion alors que de vrais spécialistes peuvent prendre en charge sérieusement l’une des dimensions de l’analyse. Tout dépend des barrières déontologiques que chacun se fixe.
-
[6]
Quoique l’affaire autour de l’interview par L’Express de Jean-Marc Rouillan à l’automne 2008 a eu des conséquences tout à fait importantes sur la liberté de l’accusé, puisqu’à l’issue de ce procès Monsieur Rouillan a perdu son statut de liberté conditionnelle.
-
[7]
Voir ici même l’article de Diane Vincent.
-
[8]
Le séjour plus ou moins long en salle des témoins avec les autres personnes qui comparaissent n’arrange rien dans la mesure où chacun est convaincu du bon droit de sa connaissance, voire ami – les deux bords cohabitant souvent plusieurs heures.
-
[9]
Procès Ministère Public (Ministère des Armées) vs. Condkoï, appel, sept. 2004 ; procès Ministère Public (Ministère de l’Intérieur) vs.. La Rumeur, appel après cassation, juin 2007 ; procès Ministère Public vs.. Jean-Marc Rouillan, novembre 2008 ; procès Maurice Sinet vs. Claude Askolovitch, janvier 2009 ; procès LICRA vs. Maurice Sinet, janvier et octobre 2009. L’analyse produite pour le procès Condkoï a été publiée sous forme raisonnée dans Lagorgette (2009).
-
[10]
Pour les procès Siné, il s’agissait des travaux de Charaudeau (2005), Maingueneau et Charaudeau (2002), Maingueneau (1995), Amossy (2008), notamment. Pour La Rumeur, une approche sociolinguistique avait été choisie.
-
[11]
Toutes ces analyses ont été produites pour les 6 procès.
-
[12]
www.atilf.fr
-
[13]
De même, pour le procès de La Rumeur, la consultation de première main du texte de Paul Nizan (Les chiens de garde) a apporté un éclairage nouveau sur le texte d’Hamé.
-
[14]
Pour le procès La Rumeur, il s’agissait de Jean-Luc Einaudi (historien), Jean-Pierre Garnier (sociologue), Grégory Protche (spécialiste du rap), Maurice Rajsfus (historien).
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[15]
Une version commentée de l’analyse produite pour le procès Condkoï a été publiée (Lagorgette 2009).
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[16]
Et j’en profite pour remercier vivement Maître Richard Malka, Maître Dominique Tricaud et Maître Jean-Louis Chalanset pour leur confiance et leur patience durant la phase percevalienne de mes questions naïves.
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Mais comme le précisent dans leurs contributions D. Vincent et M. Coulthard, rien n’empêche de décrire le fonctionnement des actes de langage selon « nos » critères ; la nuance est fine, mais elle existe.