1Nous nous sommes retrouvées à cinq et avons adapté nos langues afin de pouvoir échanger et nous comprendre. Une brève introduction tente de retracer ces échanges, puis trois exposés vous seront présentés. Nous avons tout au long de cet atelier, en postulat, utilisé le terme de « barbarie » avec le sens de « celui qui parle une autre langue ». Des langues différentes, qui ne se comprennent pas, comme quand on ne parle pas la même langue, ce qui rend la rencontre lointaine, voire impossible. On dit passer à côté de quelqu’un, lui rester étranger.
2En interrogeant « la psychanalyse : une barbarie ordinaire ? », nous voulions questionner ce qu’il en est de la relation analytique, ce qui se passe dans le transfert. Comment la barbarie est à l’œuvre au cœur du transfert, au quotidien, de façon banale ? Nous avons pensé cette relation analytique des deux côtés, ce qui se passe pour le patient et aussi pour l’analyste.
3Nous relevons d’emblée qu’une question d’altérité est ainsi posée. Accepter, accueillir l’étranger, celui qui parle autrement, avec une autre langue, inscrit la notion d’altérité. Comment amener, soutenir chacun à parler sa langue, comment accrocher un transfert ?
4Il y a de la barbarie dans l’art ; civiliser est un acte barbare. L’analyste ne peut être trop civilisé. À quelle place se met-il quand il reçoit certains patients ? Quelle langue va-t-il parler ? Pourquoi ? Relevons là tous les risques de « malentendu » et d’« incompréhension » dont l’analyste peut être partie prenante. Ainsi l’analyste ne risque-t-il pas de conduire son bateau bien trop loin du sujet qui se présente à lui ?
5Par ailleurs, nous savons combien l’interprétation est violence, voire barbarie quand les mots de cette interprétation ne prennent pas sens, restent sourds, sans entendement. Attention à nos surmois respectifs qui peuvent faire acte de civilité mais qui nous laissent de part et d’autre, analyste et patient, dans nos mondes respectifs, celui des maîtres et théories pour l’analyste, celui des parents et grands-parents pour le patient ! « Qui parle ? » serait alors la question, chacun pouvant rester à côté de sa vérité.
6De plus, la psychanalyse oblige à aller au plus près de nos expériences intimes. Or l’intime ne désigne-t-il pas le vif, le cru de chacun de nous ? Comment le parler ? Et comme souvent, nous pouvons nous retrouver, adultes, enfants, psychanalystes, analphabètes de nos émotions ! Le barbare ne serait pas toujours celui qu’on croit. Et encore, il y aurait une banale barbarie qui aurait à voir avec une sorte de paresse psychique. Un analyste qui laisse le temps s’écouler face à un patient morne, qui vient avec des actes minuscules. La banalisation est en soi assez terrifiante. Et n’avons-nous pas à considérer barbare le fait de se maintenir ainsi sans pensée ?
7Nous avons remarqué que les trois exposés qui ont été préparés s’appuient sur des textes littéraires. Les textes littéraires permettent de créer des fictions, ils facilitent la sortie du trauma… Pierre Fédida écrit dans Humain/déshumain (p. 32) : « Freud recommande la lecture des romanciers et des poètes. Si les romanciers sont nos maîtres, c’est qu’ils ont le pouvoir, mieux que d’autres, de nous permettre de nous identifier à la vocation meurtrière destructrice de tel ou tel personnage qui accomplit par notre lecture son destin et le nôtre. »
8C’est Agnès Verlet qui a avancé l’expression d’une « barbarie ordinaire » pour désigner ces expériences qui désubjectivent et laissent l’autre en rade. Quand il y a perte de son destin historique, tout un travail est à entreprendre pour remettre de l’historicité, du généalogique… Mais ne risquons-nous pas de devenir barbares en touchant les édifices de nos patients ?
9Françoise Ponticelli va nous présenter le difficile retournement qu’elle a dû opérer pour sortir de mal-entendus.
10Martine Villenave a trouvé dans le Robinson de Michel Tournier une métaphore de la situation barbare par excellence, celle du silence par l’absence d’autres. L’absence de paroles fait que la personne se délite et se perd.