Couverture de LSDLE_473

Article de revue

Le point de vue de patientes sur la prise en charge en secteur ambulatoire : mutations ou permanences du modèle de santé français ?

Pages 13 à 40

Notes

  • [*]
    Chercheuse contractuelle en socio-anthropologie, Lasco-Sophiapol, Université de Nanterre-La Défense.
  • [1]
    La lutte contre le cancer demain : des engagements et des actes. Les propositions d’UNICANCER aux candidats à la présidentielle 2012. En ligne [http://www.unicancer.fr/sites/default/files/appel_projet/Propositions_UNICANCER _candidats_presidentielle_2012.pdfien], consulté le 04 juillet 2013.
  • [2]
    Parcours dans la maladie chronique : connaître les maladies, reconnaître les personnes malades. 1res rencontres annuelles de la maladie chronique, Paris, 11 mai 2010.
  • [3]
    Voir encadré ci-dessous.
  • [4]
    S. Fainzang. Du sens unique au sens interdit. Les malades et l’épreuve de la maladie. In : colloque « La philosophie du soin, Ethique, médecine et société », Paris, 12 juin 2009. Paris : PUF, 2010.
  • [5]
    Selon son représentant lors du premier séminaire du Groupement d’enseignement et de recherche interdisciplinaire : « Cancer, Santé, Société », Université Paris-Ouest, 15 novembre 2011.
  • [6]
    Selon leur charte commune, en ligne [http://www.unicancer.fr/patients/la-charte-unicancer], consulté le 11 juin 2013.
  • [7]
    Communiqué diffusé lors des dernières rencontres annuelles consacrées à cette thématique. En ligne [http://www.apmnews.com/les-inegalites-sociales-face-aux-cancers-se-creusent-en-France-NS_231987.html], consulté le 04 juin 2013 (Sources : site HOSPIMEDIA, 04.12.2012 - 17 :52).
  • [8]
    Nous remercions dans ce cadre Fanny Soum Pouyalet, Ibtissem Ben Dridi, et en particulier Myriam Joël-Lauf.
  • [9]
    Cette diminution renvoie à la fois à des raisons de gestion des coûts, de progrès médical et de politiques de santé publique (Ménoret, 2007, p. 63 ; Bataille, 2003, p. 80).
  • [10]
    Coordination des soins ambulatoires durant la phase thérapeutique aiguë du cancer, étude en cours de finalisation au LASCO (Sophiapol, université Paris Ouest-Nanterre), financée principalement par l’INCa.
  • [11]
    Au final, les femmes, en particulier les enquêtées ayant un cancer du sein, ont été les plus nombreuses (cf. Infra).
  • [12]
    Nous ne traiterons pas ici de la place des bénévoles et des psychologues, ni du rôle essentiel des aidants à domicile (familiaux et professionnels).
  • [13]
    Le parcours de soins en HDJ est généralement divisé en des temps successifs d’accueil administratif, de prises de sang et d’autres examens, à la suite duquel le médecin « valide » le dossier de chaque patient : il contrôle les résultats biomédicaux et fait le bilan des effets secondaires permettant ou non de recevoir les produits par transfusion.
  • [14]
    Plusieurs patientes critiquent le fait que les dates de soins soient imposées sans consultation et données au fur et mesure.
  • [15]
    Une étude serait à réaliser sur les pharmacies qui semblent compter parmi les lieux les plus « à part » de l’hôpital.
  • [16]
    Les proches vont parfois jusqu’à enregistrer les consultations médicales.
  • [17]
    L’Hexagone figure toujours parmi les derniers pays européen en termes de connaissance de la prise en charge. Si la France consacre 11 à 12 % du PIB aux dépenses de santé, ces chiffres sont dus « avant tout à des volumes de prescriptions médicamenteuses trop élevés mais aussi à la mauvaise coordination des acteurs de santé » (Sources : Base de données de l’OCDE sur la santé 2011 ; Base de données de l’OMS sur les dépenses mondiales de santé).
  • [18]
    Ces patients sont plutôt traités en hôpital public, où le recrutement se fait à proximité locale et souvent en lien « avec des proches de milieux populaires et précaires ». (Apartés lors de la journée de réflexion Cancéropôle du Grand Sud-Ouest, Toulouse, 15 mars 2013).
  • [19]
    Cancérologues comme spécialistes en sciences humaines font toujours le constat d’arbitrages obscurs faits par les médecins, la sécurité sociale et l’hôpital (Kristeva et. al., 1999), d’autant qu’il n’existe pas de registre national du cancer.
  • [20]
    Celles-ci prennent le temps de traduire les discours médicaux et d’écouter les patients. Cependant, elles n’étaient pas toujours localisées par les patientes dans deux des centres étudiés (ces nouveaux rôles restent en effet au stade expérimental).
  • [21]
    Ils jouent un rôle important dans la gestion des difficultés post-opératoires (dont les patientes sont peu informées par les chirurgiens) contre les effets iatrogènes de chirurgies, lors d’apparition d’effets secondaires non répertoriés, et pour modérer la rupture avec l’hôpital en fin de traitement (sentiments d’abandon, angoisses et solitude).
  • [22]
    Ceci a été observé en particulier pour les patientes d’un des CLCC qui incite à la pratique des examens en ville faute de place suffisante (déplacement à la fois fatiguant, peu rassurant et difficile à organiser selon des enquêtées, notamment âgées).
  • [23]
    Cela pose quelquefois des problèmes de compréhension aux patients.
  • [24]
    Voir la mesure 18 (2-3) du plan Cancer 2009-2013, Robelet (2005) et Bungener et al. (2009).
  • [25]
    La grande majorité des généralistes ne peut intervenir dans la gestion des effets secondaires, d’une part, car leur formation sur le cancer reste limitée, et, d’autre part, car les traitements se sont multipliés et complexifiés (comme pour le sida).
  • [26]
    Plusieurs patients ont rapporté des discours contradictoires et des problèmes de transmission d’informations entre médecins du CLCC, entre intervenants des centres et hors des murs.
  • [27]
    Elle est souvent associée à des pratiques non scientifiques, voire à du charlatanisme et pensée comme un risque de se substituer aux traitements biomédicaux.
  • [28]
    Bégot, 2008 ; Anthropologie et santé, 2011, n° 2.
  • [29]
    L’exercice de la médecine face aux mutations du modèle libéral, journée d’étude, MSH de Nantes, 24 janvier 2013 (actes parus dans la revue Droit Sanitaire et social, n° 4, 2013).
  • [30]
    Colloque « La fabrication du soignant », Dijon, 13-14 juin 2013 (dont les travaux de M. Jaisson, 2002).
  • [31]
    Comme cela se fait déjà dans les pays anglo-saxons.
  • [32]
    On constate l’existence d’une relève en sociologie de la santé et en sciences de l’éducation. Mais ces deux disciplines méconnaissent les travaux de nombreux anthropologues outre-Atlantique, comme ceux de Byron Good, Arthur Kleinman et de John Abramson.
  • [33]
    Indiquons tout de même que la toute première étude entreprise en 2012 par la Fédération UNICANCER et ses vingt CLCC soulignait déjà l’ensemble « des points faibles » expérimentés par les patientes enquêtées : « difficultés à obtenir une information univoque, claire et précise sur les traitements, le déroulement des soins », « temps d’attente qui, sans explications données, placent le patient en situation d’objet d’un traitement, plutôt que sujet de ce dernier », « morcellement de la prise en charge créatrice d’insécurité », « patients souvent mal informés de leurs droits et des aides existantes ». « La transparence et la transmission de l’information » est le premier « point faible » souligné par cette étude (Prise en charge hospitalière, 2012. En ligne [http://www.unicancer.fr/sites/default/files/Synthese_pec_hospitaliere_cancer_ attentes_patients_unicancer.pdf] consulté le 04 juin 2013.
  • [34]
    Certaines ont eu la possibilité d’accéder à des dépistages plus poussés, puis ont bénéficié d’interventions chirurgicales plus rapidement moyennant finances (cf. Infra).
  • [35]
    Elles attendent ainsi longuement avant de consulter, y compris aux urgences et en cas de fortes douleurs. Elles ont tendance à davantage banaliser et à sous-déclarer les douleurs ressenties. Ces tendances sont présentes chez les enquêtées les plus âgées et sont en lien avec les expériences d’autres maladies passées.
  • [36]
    Rappelons que les enquêtées ne sont pas issues de catégories sociales défavorisées (aucune ne bénéficiait de la CMU et/ou était en situation de grande pauvreté).
  • [37]
    Dans l’un des centres, on considère encore que « moins le patient en sait et mieux c’est ».
  • [38]
    En témoignent les critiques exprimées à l’endroit des idéologies du type « vous allez guérir », « l’ambiance ‘bats-toi, accroche-toi’ » et des discours optimistes sinon dénués de fondements, du moins tenus sans association du patient au processus de décision (Bataille, op. cit ; Vega, 2012a).
  • [39]
    Des patientes se constituent des dossiers dès le début de leurs traitements.
  • [40]
    Ceci confirmerait que les usagers sont de plus en plus vigilants par rapport aux effets des interactions médicamenteuses et aux risques de sur-prescription (Vega, 2012b).
  • [41]
    Cette tendance est également formulée de façon implicite dans les travaux de Patrick Castel, selon l’auteur lui-même.
  • [42]
    Massage, yoga et danse permettent à la fois de lutter contre les handicaps, de « retrouver » son corps et de se remettre en forme (également en vue de reprendre le travail). Ces activités sont synonymes de douceur et de plaisirs, notions qui réapparaissent à la fin des chimiothérapies (Vega 2012a).
  • [43]
    Dans ce sens, avoir eu un cancer peut « paradoxalement » avoir été un soulagement, en particulier lorsque les charges de travail étaient devenues insupportables.
  • [44]
    Plusieurs patients ont souligné qu’ils auraient apprécié un entretien avec un nutritionniste à l’occasion de leur première chimiothérapie.
  • [45]
    Ils cumulent la prise en charge des cancers incurables et celle des personnes âgées (Apartés lors de la journée de réflexion Cancéropôle du Grand Sud-Ouest, op. cit). Il s’agirait peu ou prou des mêmes profils que les patients exclus des essais cliniques innovants (Colloque international « sélection, tri et triage en médecine », Université Paris Diderot, 19-21 novembre 2012).
  • [46]
    Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Paris, 10-11 décembre 2012. Travaux préparatoires en ligne [http://www.gouvernement.fr/gouvernement/conference-nationale-contre-la-pauvrete-et-pour-l-inclusion-sociale-10-11-decembre-2012] consulté le 04 juillet 2013.

Introduction

Le caractère heuristique des recherches sur le cancer

1Le cancer est un enjeu de société à plusieurs titres. Chaque année, le nombre de malades recensés augmente [1]. Première cause de mortalité dans le monde, il implique aussi, dans les sociétés avancées, des chances de survie variables, selon le type de cancer, le stade de la maladie et la capacité de résistance individuelle. De plus en plus de personnes doivent vivre avec la maladie pour un temps indéterminé, parfois dans la longue durée. Le cancer s’inscrit de fait dans un contexte de recrudescence des maladies chroniques, enjeu de santé publique renvoyant aux problématiques du handicap, de la dépendance et de la solidarité [2]. Il induit à la fois des aménagements dans le quotidien des personnes concernées et un changement de paradigme en médecine (approche multidisciplinaire, multi secteurs prenant en compte la « voix » du patient et/ou de ses représentants).

2Ces transformations du champ de la santé, tant épidémiologiques que sociales, s’accompagnent enfin d’une augmentation des dépenses à laquelle participe la prescription de médicaments anticancéreux (la chimiothérapie est en effet devenue le traitement de référence de nombreux cancers en France). Les préoccupations de gestion des coûts de la santé ont pour conséquence majeure une augmentation du temps passé à domicile et du nombre des hôpitaux de jour (HDJ). Ces structures intermédiaires entre l’hôpital et la « ville » permettent en effet de regrouper sur une ou deux journées seulement les séries de consultations d’examens et de soins en structure hospitalière classique (chimiothérapies, radiothérapies, rééducations).

3Au regard de ces nouvelles configurations entre médecine et société – incluant également la diffusion d’informations par le canal d’Internet – il nous a semblé essentiel de mener des entretiens approfondis avec des patients [3] en élargissant les questions de recherches traditionnelles. Il ne s’agissait pas seulement de s’intéresser au sens que le malade donne à son mal, aux représentations qu’il s’en fait et au système symbolique ou cognitif dans lequel il l’intègre, mais aussi d’interroger la perception qu’il a de l’activité médicale et de la prise en charge dont il fait l’objet [4]. Pour ce faire, nous avons privilégié des recrutements en Centres de Lutte Contre le Cancer (CLCC) qui relèvent du secteur privé à but non lucratif et qui se trouvent à l’origine de nombreuses innovations. Exclusivement dédiés à la lutte contre le cancer, ils font référence en termes de soins (aussi bien pour le dépistage que pour les diagnostics, la chirurgie ou la chimiothérapie), d’enseignements et de recherches internationales. Ils revendiquent également le fait d’être « porteurs d’un modèle de prise en charge globale et multidisciplinaire » dans leur charte commune. Autrement dit, ils affirment être pionniers dans l’accompagnement complet et personnalisé du patient, travailler « pour et avec » ce dernier, érigé comme « partenaire de la recherche », voire comme « expert » dans l’un des trois CLLC étudiés [5].

4L’existence d’une vingtaine de CLCC dans seize régions françaises serait également synonyme d’un « maillage du territoire national pour une plus grande proximité » et d’un « accès à des soins de qualité pour tous » [6]. Or, on assiste aujourd’hui à un accroissement des inégalités sociales de santé en France (Fassin et al. 2000 ; Carricaburu & Ménoret 2004), particulièrement visibles dans le cancer en dépit de l’adoption des trois derniers plans Cancer. Ainsi, en 2012, l’Institut National du Cancer regrettait que « les personnes issues des catégories socioprofessionnelles les moins favorisées souffrent et meurent plus du cancer que les autres » [7]. Les inégalités se révèlent également au travers de l’exposition aux facteurs de risque, du recours au dépistage, de l’accès aux soins et à l’information, de la « qualité de vie » après le cancer, notamment en termes de retour à l’emploi.

5Les premières données recueillies auprès de femmes atteintes d’un cancer du sein [8] nous ont conduits à explorer d’autres pistes de recherche, dont les résultats sont exposés ici successivement. Nous avons réalisé des observations en hôpital de jour – cette structure cristallisant les doléances de la plupart des enquêtées – et mené des entretiens auprès des professionnels de santé y travaillant. Cette double approche s’est révélée pertinente pour cerner les spécificités des CLCC et, à un niveau plus général, pour analyser les rapports soignants-soignées, les stratégies développées par les patientes et leur travail sur leurs émotions (Marche, 2006 ; Bilhaut, 2007). Elle a permis de mettre en lumière des dysfonctionnements inhérents à l’organisation des soins, encore peu repérés ou méconnus par l’institution et les médecins. Par voie de conséquence, cet article s’inscrit autant au sein d’une sociologie critique (Baszanger et al. 2002 ; Fassin, 2009) que dans un travail compréhensif des acteurs – dans un contexte dramatique, certains étant aujourd’hui décédés.

6Leurs doléances, stratégies et pistes d’amélioration attestent-elles d’une évolution du statut des patients dans l’hexagone ? En quoi l’étude des hôpitaux de jour est-elle révélatrice de caractéristiques du système de santé français, voire de normes culturelles implicites ?

Méthode

Cette étude s’inscrit dans le prolongement d’une première enquête collective menée en CLCC (Vega & Soum Pouyalet, 2010 ; Vega 2012a). Dans le contexte de la diminution constante du temps passé à l’hôpital [9], nous nous sommes recentrés sur le moment où les patients se déplacent depuis leur domicile vers les centres pour leurs cures de chimiothérapie [10]. Nous avons rencontré une soixantaine de patients atteints des quatre cancers les plus fréquents (sein, prostate, côlon et poumon [11]). Afin d’étudier les différents temps du cancer (Ménoret, 2007), ils ont été interviewés à deux reprises sur leur prise en charge : lors de leur retour à domicile après leurs premières chimiothérapies, puis quelques mois plus tard. Les entretiens se sont déroulés soit à domicile, soit dans les centres. Le guide d’entretien visait à identifier la place et l’apport des différents intervenants (professionnels, représentants de médecines complémentaires, proches, associations, etc. [12]) et à susciter le récit des patients sur les pratiques médicales (relations soignant-soigné, prises en charge, écoute, coordination des soins, etc.). Nous avons privilégié une approche comparative interrogeant le rôle joué par les caractéristiques sociales des patients, les expériences de dégradation brutale de la santé, le type et l’évolution de leur cancer, l’établissement où ils étaient traités.

1 – Attente, opacité de l’organisation des soins et éloignements des centres

7L’ensemble des enquêtées plébiscite les personnels et les soignants des CLCC. Ni les prises en charge paramédicales, ni la qualité des traitements, ni l’information sur leurs effets secondaires ne sont remis en cause. En revanche, les principales doléances portent sur les conditions d’accueil et sur l’organisation des soins en HDJ. Les observations menées en ce lieu intermédiaire au sein de l’hôpital permettent de mieux comprendre les séries de contraintes auxquelles les soignées sont exposées avant de recevoir leur traitement.

1.1 – L’hôpital de jour : centre administratif ou salle des pas perdus ?

88 h 12. Dans la salle d’attente, le port de foulards indique les effets des traitements et l’on sent un peu partout de l’inquiétude sur les visages. L’attention est focalisée sur les professionnels qui parlent entre eux, passent et repassent indéfiniment. De fait, les récits d’attente longue et inexpliquée sont récurrents dans les témoignages des enquêtées, avec des cas vécus et/ou rapportés de patients convoqués à huit heures et « libérés » à dix-sept heures. Ces attentes sont à l’origine de désarrois, particulièrement prononcés chez les nouveaux venus :

9

« On ne sait pas comment ça se passe », « pourquoi ils nous convoquent tous à la même heure ? ».

10Les conditions d’attente sont parfois jugées indignes de la réputation des centres : fauteuils ou chaises pliantes inconfortables, promiscuité, grincements des portes et des chariots, lumière artificielle, etc. Par ailleurs, les enquêtées indiquent ne pas comprendre comment s’organise l’ordre de passage :

11

« On ne sait jamais quand on va être appelé par le médecin » [13], « en fonction de quoi les médecins nous prennent ».

12Les patients sont donc soumis à une épreuve de patience indépendamment du degré de gravité de leur cancer, de leur âge, ou du temps qu’ils ont passé à se rendre dans les centres (cf. infra) ; ce qu’exprime la récrimination réitérée d’être traité comme « un numéro ».

1310 h 20. Ils sont finalement nombreux à avoir les yeux fixes, ou à somnoler. Certaines personnes n’osent pas bouger par crainte « de perdre leur tour », tandis que d’autres finissent par partir résignés dans le hall de l’hôpital, à la cafétéria ou dehors, à errer ailleurs. De nombreux patients sont en tous les cas absents lorsqu’on les appelle.

1.2 – L’incertitude au centre des récits : « c’est comme dans un restaurant : on ne sait pas ce qui se passe à la cuisine »

14Les patients sont pensés comme toujours disponibles, ce qui contraint les actifs à s’organiser à l’avance pour être entièrement libres les jours de convocation [14]. À l’entrevue médicale succèdent souvent en effet de longues attentes avant le début effectif du traitement. Les infirmières elles-mêmes n’ont pas d’explications claires à ce sujet et si certaines relayent les doléances des patients, en déclarant par exemple à la pharmacie [15] « qu’au bout de la poche il y a une personne », aucun changement véritable n’est entrepris.

15Les traitements du cancer et leurs préparations sont tous différents, comme en attestent les multiples effets du passage des produits dans les corps : alopécies, perte des ongles, nausées, hypersensibilité aux odeurs, gênes occasionnées par un goût métallisé dans la bouche, perte du goût et de l’appétit, problèmes veineux, affections chroniques de la bouche et du nez, baisse ou disparition de la libido, bouffées de chaleurs, vaginites, etc. Certains effets secondaires sont particulièrement éprouvants, dont les fatigues, les pertes de mémoire, les problèmes de fertilité et les processus de dépersonnalisation (« Je ne me reconnais pas »). Les chimiothérapies peuvent entraîner de réels handicaps, la dégradation de l’état général étant rétrospectivement assimilée à une « quasi mort ».

16Dès la première cure, certaines patientes cumulent d’emblée les effets secondaires tandis que d’autres expriment la satisfaction de n’avoir « toujours rien eu jusqu’à présent ». Néanmoins le passage à une nouvelle molécule peut tout remettre en cause et les nouvelles cures de chimiothérapie sont de plus en plus mal supportées. Avec le cancer, le temps se précipite : la finitude se rapproche ou devient omniprésente, a fortiori pour les patientes en situation de rechute ou d’emblée métastasées. Dans ce sens, les enquêtées privilégient des stratégies de réaménagement du quotidien (siestes, adaptation et/ou anticipation de l’activité).

1.3 – Des fonctionnements défavorables aux plus démunis

17Endurer une cure de chimiothérapie, « c’est encore plus fatiguant qu’une journée de travail ». En effet, le regroupement des rendez-vous en début de matinée constitue un réel problème pour les personnes habitant loin, soit la majorité des patients des CLCC. Aux temps de transport s’ajoutent des difficultés d’accès : absence de transports en commun desservant le site, embouteillages, parkings saturés ou payants. Enfin les patients ignorent parfois qu’ils ont la possibilité de venir en taxi conventionné. Cette ignorance de leurs droits leur impose de s’organiser, notamment en sollicitant les proches.

18D’autres inégalités sociales se dessinent du fait d’entrevues médicales jugées trop rapides, d’autant plus quand l’obstacle de la langue nécessite l’accompagnement d’un traducteur officieux [16]. Les patientes atteintes d’un premier cancer, sans expérience ni réseaux de proches (para)médicaux, soulignent également un manque d’explication vis-à-vis de leur parcours de soins, concernant autant les possibilités de transport, d’aide à domicile et de soutien social, que de mise à disposition de nombreux services par les CLCC, dont paradoxalement les centres d’information (ERI). Leurs témoignages confirment la persistance de deux logiques dominantes dans notre système de santé, particulièrement visibles en cancérologie (Ménoret, op. cit ; Fainzang, 2006 ; Saint Marc, 2012, p. 257). D’une part, le manque de coordination des soins – problème récurrent en France [17] – occasionne des problèmes d’anticipation, ceci se révélant défavorable aux personnes issues des milieux populaires qui questionnent peu les médecins. D’autre part, la diffusion de l’information médicale est moindre quand les patients sont perçus comme issus de milieux défavorisés, certaines enquêtées ignorant de fait la gravité réelle de leur cancer.

19L’étude révèle un troisième présupposé du même ordre : du point de vue médical et institutionnel, la bonne information du patient est synonyme d’une multiplication des supports écrits au début de la prise en charge. Or les enquêtées les jugent inutiles si leurs contenus ne sont pas relayés et répétés oralement. Par ailleurs, les campagnes d’information par voie d’affichage présupposent une autonomie des patients (capacités à questionner, à chercher et à trouver par eux-mêmes l’information) au demeurant très relative, a fortiori pour les primo arrivantes. Fatiguées, découragées, elles ne voient pas ou ne lisent pas les messages qui leur sont destinés.

20Les patients les plus démunis socialement sont quant à eux confrontés à des difficultés de transports pour venir à l’hôpital, d’hébergement à proximité, pour communiquer avec les intervenants, comprendre leurs instructions, ou encore être joints par téléphone. Ces obstacles occasionnent des rendez-vous ratés et un manque de possibilités de récupération à domicile (Lasne, 2002, pp. 46-47). Les expériences de ces patients restent cependant à explorer, les CLCC n’accueillant que peu de patients bénéficiant de la CMU et/ou en situation de grande pauvreté [18]. En dépit d’un système de santé théoriquement unifié, on retrouverait donc en cancérologie une opacité des modes de sélection – inégalitaires – des patients dans les différents types d’établissements [19].

2 – Hiérarchisation des tâches et spécialisations : les formations médicales en question

21L’organisation dominante des soins dans les centres observés renforce trois difficultés déjà centrales dans le vécu du cancer : l’absence de maîtrise de son temps (Ménoret, op. cit), des fatigues et souffrances (Carlson et al., 2004) et des inégalités sociales. Les témoignages des patientes, croisés à ceux de professionnels travaillant en hôpital de jour, renvoient à d’autres permanences dans les prises en charge en France.

2.1 – Des personnels non médicaux à revaloriser

2210 h 40. Devant le centre, c’est un véritable ballet de véhicules immatriculés dans toute la France. A l’HDJ, la situation est identique :

23

« c’est le défilé ».

24Comme à l’accueil central, la secrétaire garde le sourire quoi qu’il arrive. Les attitudes des personnels en blouse blanche semblent plus hétérogènes : certains répondent aux notes d’humour des patients d’un ton neutre, voire morne, et d’autres prennent le temps de les prévenir des retards ou les accueillent avec un franc sourire en leur serrant la main.

25Difficile de distinguer les médecins des infirmières. L’HDJ est en effet un lieu à part au sein de l’hôpital où, aux dires des infirmières elles-mêmes, les rapports entre les professionnels sont plus égalitaires. Leur rôle « relationnel » est également plus développé (notamment si les équipes comprennent des infirmières d’annonce ou coordonnatrices [20]). Si elles se satisfont du retour à domicile des patients après leurs traitements, elles sont cependant amenées à les suivre tout au long de leur maladie et sont donc parfois confrontées à leur décès. Enfin, parce qu’elles représentent les seules équipes permanentes assurant la continuité des soins, elles occupent une place intermédiaire leur imposant officieusement de palier à l’ensemble des dysfonctionnements.

26Les patientes sont conscientes des difficultés de travail des personnels administratifs et paramédicaux qu’elles jugent très professionnels (prises en charge de qualité, efficacité, patience). Non seulement, elles les plébiscitent, mais elles prennent leur défense contre des patients « violents » ou contre des violences institutionnelles. Cependant, c’est avant tout le rôle de conseil des infirmières (y compris en secteur libéral) qui est apprécié. Parce que les patientes ont une vision globale de leur prise en charge, les discours recueillis mettent également en lumière l’importance d’autres acteurs sous-estimés par les médecins et les CLCC dans le parcours de soins : les kinésithérapeutes, les infirmières libérales [21], les pharmaciens, les personnels des laboratoires et d’examens de « ville » [22], sans oublier les transporteurs, les coiffeuses et/ou les représentants de médecines complémentaires (cf. Infra).

2.2 – Des besoins exprimés de prise en charge centralisée par de « vrais » médecins « ouverts »

27Selon les patientes,

28

« les médecins ne vous parlent pas de tout ce qui existe, ils vous parlent du protocole et c’est tout ».

29En sus de cette focalisation sur le traitement curatif du cancer, les discours font état d’interlocuteurs changeants, ce qui s’avère peu favorable au « suivi personnalisé » revendiqué par les CLCC. Les jeunes médecins de passage (internes), pour la plupart d’origine étrangère [23], usent parfois de stéréotypes minorants en réponse à l’expression des effets secondaires par les patients (« c’est comme ça, c’est la chimio ! »). Bien que présentés ou se revendiquant comme des acteurs centraux de la coordination des soins [24], des médecins généralistes apparaissent dans les discours des enquêtées comme des acteurs secondaires, peu compétents et non spécialistes :

30

« Ils n’y connaissent rien » [25], « il vaut mieux avoir affaire au Bon Dieu qu’à ses saints ».

31Les patientes souhaitent davantage être suivies par la personne qui les a traitées (c’est-à-dire l’oncologue détenteur d’informations sur leurs cas) que par leur médecin traitant, le plus souvent sollicité pour le renouvellement d’autres traitements ou en cas d’indisponibilité des oncologues. Enfin, elles aimeraient regrouper leurs examens, leurs consultations et leurs demandes dans les murs des CLCC, ce qui les rassurerait et leur permettrait de diminuer les déplacements entre médecins de ville et des hôpitaux. Comme dans d’autres études conduites en ville, les patientes aspirent donc à pouvoir se reposer sur un seul interlocuteur « central » plutôt que d’avoir affaire à une succession de professionnels (Castel, 2005 ; Lustman & Vega, 2007), a fortiori quand elles doivent palier des difficultés de coordination [26].

32Ces aspirations restent en décalage avec les logiques médicales. Alors que l’HDJ est considéré comme un lieu de passage essentiel par les enquêtées, le travail médical est en effet assimilé dans les centres à une prise en charge protocolisée et routinière. La plupart des (futurs) oncologues reste d’ailleurs persuadé que la meilleure prise en charge se décompose en une série de recours spécialisés, la chimiothérapie étant revendiquée comme une nouvelle expertise. Spécialisation ou non, une part des enquêtées critique le manque d’ouverture des médecins aux médecines complémentaires [27], en dépit de leur promotion dans les communications des CLCC. Il s’agit pourtant d’un recours majeur dans le cancer [28], en particulier comme complément permettant de pallier les effets secondaires des traitements.

2.3 – Des formations médicales révélatrices de permanences culturelles

33Contrairement à l’image véhiculée par les CLCC, les prises en charge semblent donc encore centrées sur des logiques strictement biomédicales. En lien avec des traditions hexagonales, ces prises en charge vont de pair avec un fractionnement à l’origine de difficultés pour le patient (Charlot et al. 1995). La coordination n’existe ni dans les textes ni dans les formations dispensées dans les facultés de médecine en France [29]. Les jeunes médecins sont toujours peu préparés à travailler avec de simples usagers de la médecine ou des non-médecins et ne sont pas davantage formés à échanger sur leurs pratiques (Froment, 2001 ; Peneff, 2005 ; Vega, 2012b). Les apprentissages restent hospitalo-centrés et reproduisent les hiérarchies entre spécialités montantes et « dominées » et entre segments médicaux [30]. En conséquence, les internes se destinant à la cancérologie se révèlent incapables de dire précisément en quoi consiste la coordination des soins. Malgré leur peu d’expérience de travail en secteur libéral, ils pensent déjà être plus compétents que les médecins traitants, y compris sur des sujets où ils admettent n’avoir pas eu de formations (Coindard, 2012). Comme dans d’autres spécialités, la coordination et la pluridisciplinarité se résument le plus souvent à des décisions de traitements partagées entre « experts » médicaux hospitaliers, à une transmission des résultats des spécialistes hospitaliers vers les praticiens de ville et à une relégation en chaîne de la prise en charge des stades dépassés de cancers et des situations d’échec thérapeutique. L’absence de formation des médecins à la relation thérapeutique [31] serait par ailleurs à l’origine de difficultés pour les soignés. Ainsi, certaines patientes ont jugé que les oncologues étaient peu rassurants car fermés, « secs », « froids », « stressants » voire brutaux, ou qu’ils se comportaient comme de « grands mandarins ». D’autres en revanche ont témoigné de relations dynamiques fondées sur l’écoute attentive, l’accompagnement conciliant et/ou la plaisanterie.

34Si les liens entre l’hétérogénéité des prises en charge et la formation médicale méritent d’être mieux étudiés [32] (Ménoret, 2003), l’affirmation par les CLCC de progrès continus gagnerait également à être interrogée. Dans cette perspective, il ne s’agirait pas seulement de questionner les patients sur la qualité des traitements médicaux et de l’information sur les effets secondaires (les deux points forts des CLCC), comme cela a déjà été fait dans diverses études par questionnaires, mais aussi « de leur demander leur avis sur les sujets qui fâchent »[33]. À l’instar des médecins, les commanditaires des études semblent toujours oublier un point essentiel : les usagers sont particulièrement bien placés pour proposer des pistes d’amélioration de leur prise en charge. Un tel oubli signe le manque de culture participative ou démocratique dans le champ de la santé en France, en dépit d’améliorations notables en termes de droits des patients et de représentations des usagers dans les instances de décisions.

3 – Au-delà de la déclinaison des stratégies et du cancer

35Concernant les usagers, l’étude a mis à jour une série d’autres permanences permettant de comprendre pourquoi les patients contestent si peu les décalages entre l’image affichée par les CLCC et leur vécu.

3.1 – S’entraider et donner une bonne image de soi : une problématique féminine ?

3611 h 25. La salle d’attente de l’HDJ est complètement remplie, certaines personnes patientent même debout. Aujourd’hui rien ne va : la secrétaire est seule et la queue se rallonge sans cesse. Deux patientes déjà très fatiguées manquent de tomber par terre. C’est une autre patiente qui vient les soutenir. Ensuite tout le monde se remet à patienter gentiment. C’est toujours ainsi, l’émotion retombe vite grâce aux interventions du personnel non médical, entraîné à désamorcer les velléités de rébellion. L’arrivée de personnes en fauteuil et en lit jette un froid dans la salle, spectacle « éprouvant » incitant de nombreux accompagnants à attendre ailleurs.

37Comme dans les anciennes salles communes, les débordements sont auto-contenus ou vite limités par les personnels. Le cas échéant, ce sont les patients ou les accompagnants qui interviennent directement, à l’instar de cette femme âgée qui va spontanément s’occuper de sa voisine en pleurs. La quasi-absence d’extériorisation des émotions en public tranche avec d’autres univers culturels où les malades sont plutôt habitués à exprimer colère, tristesse et désarroi. Dans les institutions de santé françaises, le « mauvais » malade, celui qui continue de se plaindre malgré les interventions du personnel, est vite rappelé à l’ordre : il n’est pas seul et il y a plus malade que lui (Vega, 2000). Parce qu’ils ont intériorisé ce contre modèle dominant, les patients de l’HDJ et leurs accompagnants se taisent ou jouent le rôle de modérateurs, en dépit de leur impatience ou de leur inquiétude. Si l’on se permet de « craquer », c’est chez soi et seul, afin d’éviter tout à la fois une démoralisation contagieuse, un « stress » susceptible d’aggraver son mal et une colère épuisant des forces souvent manquantes donc précieuses.

38Le travail sur les émotions est prédominant dans le cancer, mais il semble particulièrement développé chez les femmes. La préservation d’une bonne image de soi malgré la maladie constitue une norme qu’ont intériorisée les enquêtées, ou qui s’est imposée à elles au travers des regards des bien-portants dans la rue. En amont comme en aval des soins, il convient de cacher au mieux les traces d’une maladie atteignant non seulement le cœur symbolique du féminin (les seins, la fertilité), mais aussi le visage et l’ensemble des phanères du corps (cheveux, cils, sourcils et ongles), traditionnellement objets de soins chez les femmes. Sont également signalées dans le discours des prises de poids importantes et un vieillissement prématuré. Ces transformations physiques expliquent l’importance accordée par les patientes au recours aux diététiciennes, aux esthéticiennes et aux coiffeuses, recours renvoyant à des épisodes marquants telle la tonte ou l’achat de perruques. Ces stratégies sont particulièrement développées chez les personnes issues des milieux populaires pour qui rester une femme « soignée » est essentiel, au même titre que de savoir « tenir » sa maison. Le travail sur le visage pour soi et pour les autres se double d’engagements féminins dans la sphère domestique. Il convient de ne « rien laisser paraître », afin de préserver les siens et de ne pas impliquer les hommes de la famille – en particulier les conjoints – dans les tâches de care auxquelles ceux-ci sont peu socialisés. En témoigne la constitution de réseaux d’alliées féminines, a fortiori au sein de familles monoparentales. Au-delà du genre, ces stratégies visent aussi à se prémunir de la pitié (Jacques, 2009) et à contrecarrer des risques de stigmatisation.

3.2 – Le primat de l’expérience pour réussir son passage devant le médecin

39En matière de stratégies, il existe des disparités selon les catégories sociales des enquêtées. Les patientes issues des groupes supérieurs ont bénéficié ou ont cherché d’emblée à accéder plus rapidement aux soins [34], en mobilisant des réseaux médicaux et administratifs. Le recours aux recommandations – que l’on observe également chez les patientes exerçant des professions apparentées à la santé – leur a permis d’être mieux informées, d’être admises plus tôt dans les centres, d’avoir l’assurance d’être soignées par « le meilleur professeur », mais aussi de faire preuve d’exigence et d’esprit critique. À l’inverse, les discours des patientes issues et restées au sein de milieux populaires expriment des habitudes d’endurance [35] excluant la recherche d’informations sur les modalités de leur prise en charge. Beaucoup valorisent leur conformité avec le modèle du « bon malade » qui appréhende la maladie de manière positive, s’en remet aux médecins et écarte les recours aux médecines complémentaires et à Internet.

40Cependant, les origines sociales n’expliquent pas tout. Ainsi, plusieurs enquêtées issues des milieux populaires (mais ayant accédé à des postes de responsabilité) ont pointé les défaillances du système en termes de coordination, d’organigrammes, d’explications médicales et d’égalité de prise en charge. Il convient de souligner qu’une part des enquêtées s’est exprimée avec moins de craintes et de façon plus critique hors enregistrement, au cours de discussions informelles. Certaines ont par ailleurs multiplié les stratégies en glanant des informations auprès d’autres patientes, lors des attentes en HDJ et/ou sur Internet (cf. infra). Mais surtout, l’ensemble des patientes a développé des tactiques dès la première expérience du cancer [36], la maladie et sa prise en charge institutionnelle s’expérimentant de manière progressive. Plusieurs enquêtées ont vite découvert les figures secondaires de la « mauvaise » patiente en France : celle qui pose trop de questions [37], en particulier sur des sujets qui fâchent comme le recours aux médecines complémentaires. Elles ont alors appris à cacher aux médecins leurs consommations, y compris celle de produits homéopathiques jugés peu toxiques, moins coûteux et/ou déjà expérimentés pour leurs enfants.

41La plupart ont simplement constaté qu’« il ne faut pas trop demander aux médecins », ce qui a pu les amener à faire preuve de pragmatisme face aux lacunes du système : elles se sont trouvé des alliés au sein de l’institution (des professionnels « ressources ») ainsi que des hébergements à proximité des centres (constitution de réseaux de solidarité entre patients, pratique du camping). Au fur et à mesure de leurs parcours dans le cancer, non seulement elles ont fini par connaître les rouages institutionnels, mais elles se sont affirmées et ont négocié avec plus de fermeté. Et pour peu qu’elles aient été confrontées à de nouvelles épreuves, elles sont devenues généralement plus critiques à l’égard des discours optimistes médicaux [38]. Fortes de leurs expériences en CLCC mais aussi de leurs expériences de santé positives ou négatives passées (Vega, 2012a), l’ensemble des patientes fait donc preuve de réalisme quant à l’image promue par les centres. Devant le cancer comme face à d’autres maladies, les trajectoires individuelles prévalent comme élément explicatif.

3.3 – Une forte légitimité de la médecine malgré de nouveaux recours à Internet

42Ces premiers résultats invitent à nuancer la spécificité de la prise en charge revendiquée par les CLCC et la conformité (apparente) des patientes au modèle dominant du « bon malade ». De gré ou de force, les enquêtées sont plus actives qu’elles n’y paraissent. Dans ce sens, une partie d’entre elles s’est trouvé un nouvel allié : Internet. Cet outil est d’abord appréhendé comme un moyen de palier l’ensemble des dysfonctionnements susmentionnés, en particulier le problème de décryptage du langage médical dans le cas où l’on ne dispose pas de réseaux médicaux. Un autre usage fréquent renvoie au besoin de disposer d’informations médicales précises sur la gravité de la maladie et de connaître ses possibles évolutions [39]. Internet permet en outre de mieux supporter l’inquiétude liée à l’attente des résultats, d’activer des prises en charges en court-circuitant les chaînes d’intervenants et de recueillir des informations pour mieux gérer la maladie au quotidien ou la vie après-cancer.

43Bien que très controversés en médecine, les forums de discussion constituent un espace d’épanchement apprécié par des patientes : la prise de parole se fait chez soi, de façon anonyme, sans se donner à voir physiquement et « sans user ses proches ». De jeunes mères de famille cumulant des expériences de rechutes et en situation de cancer métastasé ont ainsi pu briser des situations de solitude et d’exclusion. Dans cette perspective, les sites spécialisés sur le cancer du sein participent à l’émergence d’une prise de parole collective induisant un gain de maîtrise sur la prise en charge, particulièrement utile pour rééquilibrer les rapports avec les soignants (apprendre à poser des questions et à dire non, solliciter plusieurs avis médicaux, changer d’établissement ou d’oncologue, interpeller les commissions des établissements, etc.).

44Tous ces usages d’Internet relèvent donc avant tout de stratégies palliatives : en aucun cas ils ne visent « à poser des diagnostics à la place des médecins », ce que craignent de nombreux praticiens. Toutes les enquêtées atteintes d’un premier cancer indiquent d’ailleurs privilégier aux forums et aux blogs le recours aux « sites officiels » (Ligue, INCa, CLCC). Internautes ou pas, elles se conforment aux traitements prescrits en acceptant la chimiothérapie comme un « mal nécessaire » et se réfèrent à leur oncologue pour vérifier la compatibilité de leurs traitements avec leur alimentation, leurs remèdes familiaux et/ou leurs recours aux médecines complémentaires [40]. La médecine conserve donc une forte légitimité, ce qu’exprime en creux le regret des patientes de n’avoir pas été incluses dans des essais thérapeutiques. Même si les usagers ont des croyances réalistes dans la médecine, il y a toujours peu de remises en cause radicales et de désenchantement par rapport aux progrès en France (Hammer, 2010) [41].

3.4 – Des patients « sachant » : pistes d’amélioration et boîte à idées

45En dépit de cette culture positiviste partagée avec les médecins, l’investissement des patientes dans leur expérience de la maladie diminue au fur et mesure des traitements. L’expérience du cancer est en effet marquée par une série de passages traditionnels en anthropologie de la maladie : périodes de séparation accompagnées d’un changement de statut, marges synonymes d’états intermédiaires, et agrégation conduisant à l’adoption d’un nouveau statut ou d’un nouveau regard sur le monde. Ainsi, aux épisodes de rupture (examens, annonces, tontes, hospitalisations) succède une période dangereuse (passage au bloc opératoire, chimiothérapie) durant laquelle il semble difficile aux enquêtées de s’affirmer :

46

« On a peur », « c’est impressionnant », « on n’a pas le choix : on attend ».

47Par la suite, les patientes modèrent leurs critiques tant à l’égard du corps médical que des centres, la fin des traitements par chimiothérapie étant pensée comme le début d’une période de reconstruction. Même si les marques du cancer demeurent, il est alors important d’oublier l’épreuve de la chimiothérapie et plus globalement la maladie. Il s’agit de quitter l’identité de malade (Jacques, op. cit ; Vega 2012a) en côtoyant et en évoquant le moins possible tout ce qui a trait au cancer. Ce désir « de passer à autre chose » ou de revenir à la « normalité » (reprises d’activités domestiques et professionnelles, loisirs) s’observe avec acuité au cours des derniers entretiens : les patientes se projettent dans l’avenir en cherchant à clôturer ce qui appartient déjà au passé par des voyages ou des soins du corps [42], en tentant de « remonter doucement la pente », et en « profitant de la vie qui reste » [43].

48Pour autant, ces passages ne constituent pas des obstacles à la proposition de pistes d’amélioration des prises en charge ambulatoire en CLCC. Loin de prôner des changements révolutionnaires, les enquêtées ne revendiquent pas un statut de patient « expert » devant nécessairement être associé à l’élaboration des protocoles de recherche clinique. Leurs propositions indiquent plutôt quelles seraient les conditions concrètes à la mise en place d’un véritable « parcours personnalisé » et coordonné. Ce faisant, elles complètent la liste des besoins évoqués dans l’article, en révélant les dysfonctionnements des organisations actuelles.

49À défaut de prendre pour modèle d’autres types d’organisation existant déjà au sein d’établissements non spécialisés, diverses améliorations des conditions d’accueil en HDJ sont envisageables. Compte tenu des délais d’attente, de réelles séparations spatiales entre les patients relativement bien portants et les patients dégradés (visiblement condamnés) semblent requises. Il faudrait également penser à aménager des lieux permettant aux patients de « se relaxer », de se « déstresser » et d’échanger entre eux. Il semble tout aussi important de faciliter la passation des examens et les prises de rendez-vous pour les patients fatigués, en situation de premier cancer (a fortiori métastasé) et résidant loin des centres. Lors des chimiothérapies, les patients doivent bénéficier de conditions assurant un minimum de confort : paravents, chambres ou boxes avec fenêtre permettant d’accueillir au moins un accompagnant, fauteuils confortables et accès à des télévisions non payantes. Enfin, une fois les cures de chimiothérapies terminées, il faudrait que les patients aient la liberté de poursuivre leurs traitements à proximité de leur domicile ; et plus généralement penser à délocaliser hors des centres l’ensemble des activités qui y sont proposées (soins de supports, ateliers de loisirs, etc.). En les rapprochant du domicile des patients, l’accès en serait ainsi facilité.

50Une information de qualité implique d’inclure ce qui est considéré comme primordial par les patients, à commencer par les possibilités de transports et d’aides sociales. Elle doit leur permettre d’anticiper d’éventuels problèmes relatifs au budget, aux gardes d’enfants ou d’animaux et aux prises de rendez-vous avec des professionnels travaillant en ville. Cela passe ensuite par la répétition orale des directives et du programme de soins tout au long de la prise en charge. Outre une meilleure compréhension des messages diffusés par les soignants, il s’agirait de veiller à traduire le discours médical et de citer précisément, voire de mettre à disposition des usagers, la liste complète des risques d’effets secondaires de chaque produit. Un meilleur fléchage des acteurs mobilisables s’avère indispensable, en particulier pour ce qui concerne les lieux de « ressources » (tels les espaces d’information qu’il serait judicieux d’ouvrir tous les jours) et les soignants à contacter en cas de difficultés rencontrées au domicile. L’idéal serait, sinon d’avoir la possibilité de joindre directement les oncologues, du moins de savoir à qui téléphoner (en veillant à ce que les numéros de téléphone transmis concordent avec le service appelé et qu’une personne décroche). Au début des cures de chimiothérapie, les intervenants pourraient également venir se présenter, ce qui inciterait les personnes les plus démunies à oser appeler en cas de besoin (« on mettrait un visage sur des listes de noms anonymes »). Mais pour l’ensemble des patientes, la liste des services proposés par les centres doit avant tout être détaillée par écrit et les horaires d’ouverture et de fermeture mieux communiqués. Enfin, les informations sur les possibilités de soins complémentaires, esthétiques et nutritionnels, [44] sont à privilégier, à la fois en amont et en aval des prises en charge. Les supports de type journaux féminins – comme le Magazine Rose – apparaissent comme des modèles à suivre, dans la mesure où ils divulguent l’ensemble des informations sur le cancer. Les comptes-rendus d’ouvrage et les interviews d’anciens patients peuvent également être appréciés, dès lors qu’ils relatent l’expérimentation personnelle de difficultés sociales, psychologiques et sexuelles.

51Pour évidentes qu’elles soient, d’autres pistes d’amélioration méritent d’être signalées : organiser le passage des psychologues dans les salles d’attente des HDJ afin d’aider les personnes en détresse, organiser systématiquement des pratiques de soutien à destination des conjoints, mettre davantage de téléphones à disposition pour joindre les chauffeurs de taxi, instaurer un circuit de dons de perruques pour les femmes les plus démunies, varier la nourriture proposée aux patients, et tout bonnement penser à mettre des boîtes à idées dans les différents espaces des centres !

3.5 – La coordination pour l’équité des soins toujours sur le métier

52En résumé, les notions de « parcours personnalisé », de coordination des soins et de patient « expert » sont régulièrement scandées par les institutions majeures en France, dont les CLCC qui revendiquent une grande qualité de leurs prises en charge. Or, en dépit de nombreux atouts, ceci semble loin d’être le cas en pratique. Les doléances des patientes rencontrées et les observations menées en secteur ambulatoire font état de deux contraintes majeures que sont les difficultés à se rendre dans les centres et les attentes imprévisibles en HDJ. Ces situations attestent de la permanence de logiques bureaucratiques dans le fonctionnement de structures se réclamant à la « pointe » du progrès et de l’innovation.

53Les analyses mettent de plus en exergue certains problèmes persistants dans les prises en charge médicales. Bien que les patients soient atteints de maladies chroniques ou de handicaps graves et/ou de longue durée, les consultations sont souvent menées de façon expéditive et restent focalisées sur l’observance des traitements biomédicaux. La conséquence en est une prise en charge éclatée. La succession des intervenants s’oppose aux besoins de centralisation des usagers qui aspirent à pouvoir se reposer sur un seul interlocuteur médical « sachant » et disponible. Conjointement, on observe un manque de centralisation des informations sur le déroulement du parcours de soins. Les communications, essentiellement écrites, témoignent d’une méconnaissance de la grande disparité des « capabilités » (Sen, 2008) des usagers (adaptation au fonctionnement des institutions, recherche personnelle de l’information sur leurs droits et compréhension du discours médical). Ces constats renvoient aux contenus des formations dans les facultés de médecine françaises, où les apprentissages restent segmentés et où les sciences humaines comme la culture de la coordination centrée sur le patient sont toujours peu transmises.

54Les écarts entre les situations vécues par des patientes et l’image véhiculée par les CLCC renvoient à une dernière constante, celle des répartitions épidémiologiques et sociales selon le type d’établissement en France. Les centres semblent finalement surtout privilégier le traitement des cancers du sein et gynécologiques par des oncologues « experts » en chimiothérapie, au regard de la possibilité de développement de recherches valorisantes qu’ils représentent (contrats avec les laboratoires pharmaceutiques et publications internationales). Les autres cancers, notamment les plus lourds et/ou ayant les plus mauvais pronostics, sont plutôt traités dans les hôpitaux publics [45]. Enfin, peu de patients bénéficiant de la CMU sont soignés dans les centres. À la lumière de ces inégalités – dénoncées depuis des années par la Fédération Hospitalière de France – il semble important pour un chercheur de dépasser les rhétoriques institutionnelles et l’image d’Épinal que chaque type d’établissement, service ou segment professionnel, se donne aux yeux des autres (Vega, 2011).

Conclusion

Inerties et perspectives d’avenir

55Les patientes les plus démunies – celles atteintes d’un premier cancer et dépourvues de réseaux de soutien et de traducteurs médicaux – continuent de se heurter à des logiques et à des opacités médicales, institutionnelles et économiques. Ces opacités sont diversement palliées par des stratégies qui se renforcent au fur et à mesure de l’expérience de la maladie. Elles confirment le rôle de coordinateur des soins endossé de gré ou de force par des patients qui tentent de faire le lien entre les différents services hospitaliers, entre l’hôpital et la ville, entre les médecins et les non-médecins, et entre les médecines officielles et complémentaires. Conduits à se socialiser pendant l’épreuve du cancer, ils font preuve de pragmatisme, de vigilance et de modération. En attestent les processus d’intériorisation des émotions dans les espaces publics de soins, ainsi que les remises en ordre collectives et consensuelles visant à contenir les débordements et à pallier les lacunes du système en matière d’accompagnement, d’écoute et d’information. En revanche, sitôt les cures de chimiothérapies terminées, les mobilisations collectives et les discours critiques tendent à disparaître. Deux raisons sont à évoquer : d’une part, les patientes ne revendiquent pas une position d’« expert » au regard de la faible contestation de la domination de l’institution médicale en France ; et, d’autre part, la fin de la chimiothérapie va de pair avec un désir de retour à la normale et de mise à distance des épreuves passés.

56Si cette recherche sur les prises en charge en ambulatoire dans les CLCC révèle moins des mutations que des permanences du système de santé français, diverses évolutions restent néanmoins à examiner. Outre l’étude critique des formations médicales, il serait intéressant de procéder à une analyse approfondie de la diversité des recours et surtout du recours que constituent les forums sur Internet en termes de liberté d’expression des patients. En effet, c’est plutôt par ce canal que paraissent s’élaborer les changements à venir (Ziebland, 2004). Cette étude pourrait également avoir des prolongements en termes de comparaisons (inter)nationales, afin de mieux appréhender les caractéristiques du « modèle » sanitaire et social français. En dépit d’un système de santé de qualité et théoriquement unifié, force est de constater que les inégalités territoriales de santé persistent. Dans cette perspective, il serait fécond de privilégier la problématique de l’accès à la santé « pour tous » [46], en se recentrant sur le point de vue des patients qui bénéficient d’un moindre accès aux soins et dont les cancers intéressent le moins la recherche médicale. Une telle approche permettrait de mettre en lumière la prégnance des dimensions politiques et économiques dans le champ de la santé, toujours dissimulées ou absentes des communications à destination du grand public en France.

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Mots-clés éditeurs : CLCC (Centres de lutte contre le cancer), hôpitaux de jour, cancer, patientes, inégalités sociales de santé

Mise en ligne 21/11/2014

https://doi.org/10.3917/lsdle.473.0013

Notes

  • [*]
    Chercheuse contractuelle en socio-anthropologie, Lasco-Sophiapol, Université de Nanterre-La Défense.
  • [1]
    La lutte contre le cancer demain : des engagements et des actes. Les propositions d’UNICANCER aux candidats à la présidentielle 2012. En ligne [http://www.unicancer.fr/sites/default/files/appel_projet/Propositions_UNICANCER _candidats_presidentielle_2012.pdfien], consulté le 04 juillet 2013.
  • [2]
    Parcours dans la maladie chronique : connaître les maladies, reconnaître les personnes malades. 1res rencontres annuelles de la maladie chronique, Paris, 11 mai 2010.
  • [3]
    Voir encadré ci-dessous.
  • [4]
    S. Fainzang. Du sens unique au sens interdit. Les malades et l’épreuve de la maladie. In : colloque « La philosophie du soin, Ethique, médecine et société », Paris, 12 juin 2009. Paris : PUF, 2010.
  • [5]
    Selon son représentant lors du premier séminaire du Groupement d’enseignement et de recherche interdisciplinaire : « Cancer, Santé, Société », Université Paris-Ouest, 15 novembre 2011.
  • [6]
    Selon leur charte commune, en ligne [http://www.unicancer.fr/patients/la-charte-unicancer], consulté le 11 juin 2013.
  • [7]
    Communiqué diffusé lors des dernières rencontres annuelles consacrées à cette thématique. En ligne [http://www.apmnews.com/les-inegalites-sociales-face-aux-cancers-se-creusent-en-France-NS_231987.html], consulté le 04 juin 2013 (Sources : site HOSPIMEDIA, 04.12.2012 - 17 :52).
  • [8]
    Nous remercions dans ce cadre Fanny Soum Pouyalet, Ibtissem Ben Dridi, et en particulier Myriam Joël-Lauf.
  • [9]
    Cette diminution renvoie à la fois à des raisons de gestion des coûts, de progrès médical et de politiques de santé publique (Ménoret, 2007, p. 63 ; Bataille, 2003, p. 80).
  • [10]
    Coordination des soins ambulatoires durant la phase thérapeutique aiguë du cancer, étude en cours de finalisation au LASCO (Sophiapol, université Paris Ouest-Nanterre), financée principalement par l’INCa.
  • [11]
    Au final, les femmes, en particulier les enquêtées ayant un cancer du sein, ont été les plus nombreuses (cf. Infra).
  • [12]
    Nous ne traiterons pas ici de la place des bénévoles et des psychologues, ni du rôle essentiel des aidants à domicile (familiaux et professionnels).
  • [13]
    Le parcours de soins en HDJ est généralement divisé en des temps successifs d’accueil administratif, de prises de sang et d’autres examens, à la suite duquel le médecin « valide » le dossier de chaque patient : il contrôle les résultats biomédicaux et fait le bilan des effets secondaires permettant ou non de recevoir les produits par transfusion.
  • [14]
    Plusieurs patientes critiquent le fait que les dates de soins soient imposées sans consultation et données au fur et mesure.
  • [15]
    Une étude serait à réaliser sur les pharmacies qui semblent compter parmi les lieux les plus « à part » de l’hôpital.
  • [16]
    Les proches vont parfois jusqu’à enregistrer les consultations médicales.
  • [17]
    L’Hexagone figure toujours parmi les derniers pays européen en termes de connaissance de la prise en charge. Si la France consacre 11 à 12 % du PIB aux dépenses de santé, ces chiffres sont dus « avant tout à des volumes de prescriptions médicamenteuses trop élevés mais aussi à la mauvaise coordination des acteurs de santé » (Sources : Base de données de l’OCDE sur la santé 2011 ; Base de données de l’OMS sur les dépenses mondiales de santé).
  • [18]
    Ces patients sont plutôt traités en hôpital public, où le recrutement se fait à proximité locale et souvent en lien « avec des proches de milieux populaires et précaires ». (Apartés lors de la journée de réflexion Cancéropôle du Grand Sud-Ouest, Toulouse, 15 mars 2013).
  • [19]
    Cancérologues comme spécialistes en sciences humaines font toujours le constat d’arbitrages obscurs faits par les médecins, la sécurité sociale et l’hôpital (Kristeva et. al., 1999), d’autant qu’il n’existe pas de registre national du cancer.
  • [20]
    Celles-ci prennent le temps de traduire les discours médicaux et d’écouter les patients. Cependant, elles n’étaient pas toujours localisées par les patientes dans deux des centres étudiés (ces nouveaux rôles restent en effet au stade expérimental).
  • [21]
    Ils jouent un rôle important dans la gestion des difficultés post-opératoires (dont les patientes sont peu informées par les chirurgiens) contre les effets iatrogènes de chirurgies, lors d’apparition d’effets secondaires non répertoriés, et pour modérer la rupture avec l’hôpital en fin de traitement (sentiments d’abandon, angoisses et solitude).
  • [22]
    Ceci a été observé en particulier pour les patientes d’un des CLCC qui incite à la pratique des examens en ville faute de place suffisante (déplacement à la fois fatiguant, peu rassurant et difficile à organiser selon des enquêtées, notamment âgées).
  • [23]
    Cela pose quelquefois des problèmes de compréhension aux patients.
  • [24]
    Voir la mesure 18 (2-3) du plan Cancer 2009-2013, Robelet (2005) et Bungener et al. (2009).
  • [25]
    La grande majorité des généralistes ne peut intervenir dans la gestion des effets secondaires, d’une part, car leur formation sur le cancer reste limitée, et, d’autre part, car les traitements se sont multipliés et complexifiés (comme pour le sida).
  • [26]
    Plusieurs patients ont rapporté des discours contradictoires et des problèmes de transmission d’informations entre médecins du CLCC, entre intervenants des centres et hors des murs.
  • [27]
    Elle est souvent associée à des pratiques non scientifiques, voire à du charlatanisme et pensée comme un risque de se substituer aux traitements biomédicaux.
  • [28]
    Bégot, 2008 ; Anthropologie et santé, 2011, n° 2.
  • [29]
    L’exercice de la médecine face aux mutations du modèle libéral, journée d’étude, MSH de Nantes, 24 janvier 2013 (actes parus dans la revue Droit Sanitaire et social, n° 4, 2013).
  • [30]
    Colloque « La fabrication du soignant », Dijon, 13-14 juin 2013 (dont les travaux de M. Jaisson, 2002).
  • [31]
    Comme cela se fait déjà dans les pays anglo-saxons.
  • [32]
    On constate l’existence d’une relève en sociologie de la santé et en sciences de l’éducation. Mais ces deux disciplines méconnaissent les travaux de nombreux anthropologues outre-Atlantique, comme ceux de Byron Good, Arthur Kleinman et de John Abramson.
  • [33]
    Indiquons tout de même que la toute première étude entreprise en 2012 par la Fédération UNICANCER et ses vingt CLCC soulignait déjà l’ensemble « des points faibles » expérimentés par les patientes enquêtées : « difficultés à obtenir une information univoque, claire et précise sur les traitements, le déroulement des soins », « temps d’attente qui, sans explications données, placent le patient en situation d’objet d’un traitement, plutôt que sujet de ce dernier », « morcellement de la prise en charge créatrice d’insécurité », « patients souvent mal informés de leurs droits et des aides existantes ». « La transparence et la transmission de l’information » est le premier « point faible » souligné par cette étude (Prise en charge hospitalière, 2012. En ligne [http://www.unicancer.fr/sites/default/files/Synthese_pec_hospitaliere_cancer_ attentes_patients_unicancer.pdf] consulté le 04 juin 2013.
  • [34]
    Certaines ont eu la possibilité d’accéder à des dépistages plus poussés, puis ont bénéficié d’interventions chirurgicales plus rapidement moyennant finances (cf. Infra).
  • [35]
    Elles attendent ainsi longuement avant de consulter, y compris aux urgences et en cas de fortes douleurs. Elles ont tendance à davantage banaliser et à sous-déclarer les douleurs ressenties. Ces tendances sont présentes chez les enquêtées les plus âgées et sont en lien avec les expériences d’autres maladies passées.
  • [36]
    Rappelons que les enquêtées ne sont pas issues de catégories sociales défavorisées (aucune ne bénéficiait de la CMU et/ou était en situation de grande pauvreté).
  • [37]
    Dans l’un des centres, on considère encore que « moins le patient en sait et mieux c’est ».
  • [38]
    En témoignent les critiques exprimées à l’endroit des idéologies du type « vous allez guérir », « l’ambiance ‘bats-toi, accroche-toi’ » et des discours optimistes sinon dénués de fondements, du moins tenus sans association du patient au processus de décision (Bataille, op. cit ; Vega, 2012a).
  • [39]
    Des patientes se constituent des dossiers dès le début de leurs traitements.
  • [40]
    Ceci confirmerait que les usagers sont de plus en plus vigilants par rapport aux effets des interactions médicamenteuses et aux risques de sur-prescription (Vega, 2012b).
  • [41]
    Cette tendance est également formulée de façon implicite dans les travaux de Patrick Castel, selon l’auteur lui-même.
  • [42]
    Massage, yoga et danse permettent à la fois de lutter contre les handicaps, de « retrouver » son corps et de se remettre en forme (également en vue de reprendre le travail). Ces activités sont synonymes de douceur et de plaisirs, notions qui réapparaissent à la fin des chimiothérapies (Vega 2012a).
  • [43]
    Dans ce sens, avoir eu un cancer peut « paradoxalement » avoir été un soulagement, en particulier lorsque les charges de travail étaient devenues insupportables.
  • [44]
    Plusieurs patients ont souligné qu’ils auraient apprécié un entretien avec un nutritionniste à l’occasion de leur première chimiothérapie.
  • [45]
    Ils cumulent la prise en charge des cancers incurables et celle des personnes âgées (Apartés lors de la journée de réflexion Cancéropôle du Grand Sud-Ouest, op. cit). Il s’agirait peu ou prou des mêmes profils que les patients exclus des essais cliniques innovants (Colloque international « sélection, tri et triage en médecine », Université Paris Diderot, 19-21 novembre 2012).
  • [46]
    Conférence nationale de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, Paris, 10-11 décembre 2012. Travaux préparatoires en ligne [http://www.gouvernement.fr/gouvernement/conference-nationale-contre-la-pauvrete-et-pour-l-inclusion-sociale-10-11-decembre-2012] consulté le 04 juillet 2013.
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