Notes
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[*]
Professeur des Universités, UMR « Éducation et politiques », INRPLyon 2.
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[**]
Maître de Conférences, UFR STAPS, Université Toulouse 3.
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[2]
Pour le CAP et le BEP, les écarts de réussite pour l’année 2006 sont quasi similaires. Cf. Ministère de l’Éducation nationale, L’évaluation aux baccalauréats, CAP et BEP de l’enseignement général, technologique et professionnel en EPS, rapport annuel, 2007.
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[3]
Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Éducation physique et sportive. Programmes. Classes de première et terminale, CNDP, 2004. Programmes d’EPS du collège. Bulletin officiel spécial du 28 août 2008, n° 6.
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[4]
Programme d’enseignement de l’éducation physique et sportive pour les CAP, les BEP et les baccalauréats professionnels, Bulletin officiel du ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, 2002, n° 39, p. 2538.
-
[5]
Le caractère supposé universel de ces activités tient en grande partie au fait qu’elles font l’objet de compétitions internationales qui ont une audience planétaire (Coupe du monde de football, Jeux Olympiques, etc.).
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[6]
Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance.
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[7]
La liste des APPN retenues dans l’enquête de la DEPP est la suivante : le ski nordique, le ski alpin, l’alpinisme, l’escalade, la planche à voile, la voile, le canoë-kayak, le parapente, la plongée sous-marine et le VTT. Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive mais toutes les activités concernées partagent un point commun constituant l’une des dimensions fondamentales des APPN : le pratiquant est confronté à l’incertitude due au milieu physique (Parlebas, 1986).
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[8]
Dans le cadre de la pratique des APPN, on distingue généralement deux types de risques : les risques objectifs et les risques subjectifs. Les premiers sont inhérents au caractère dangereux et relativement imprévisible du milieu naturel (chutes de pierres ou de séracs en alpinisme, cisaillements dus aux mouvements désordonnés de la masse d’air en vol libre, etc.). Les seconds sont liés aux fautes et aux imprudences commises par le pratiquant.
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[9]
Les statistiques nationales les plus récentes confortent ce constat. Cf. l’étude déjà citée : Ministère de la jeunesse et des sports et de la vie associative, La pratique des activités physiques et sportives en France, 2005, notamment le chapitre 3, pp. 61-79.
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[10]
Bien entendu, les risques encourus ne sont pas strictement identiques d’une APPN à l’autre. Ceux auxquels s’expose le randonneur pédestre ne sont pas comparables à ceux que rencontre l’alpiniste. Par ailleurs, pour une même APPN, la prise de risque peut varier considérablement en fonction des modes d’engagement dans l’activité (cf. Raveneau, 2006). Il convient de préciser que dans le cadre scolaire, pour des raisons évidentes de sécurité, la prise de risque assumée par les élèves est probablement assez circonscrite et très contrôlée par les enseignants d’EPS.
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[11]
Précisons que ce point de vue est partagé par les hommes et les femmes sans distinction (et ceci quel que soit le type d’établissement).
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[12]
Nous abordons de manière centrale cette question dans un autre article à paraître.
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[13]
L’évaluation aux baccalauréats, CAP et BEP de l’enseignement général, technologique et professionnel en EPS, 2007, op. cit. Dans l’académie de Reims, Cécile Vigneron (2005) montre que les filles devancent les garçons en escalade de 0,21 point et de 0,28 dans les autres APPN pratiquées.
Introduction
1Parmi les missions fondamentales assignées à l’école figure en bonne place la question de l’égalité entre les sexes. Depuis deux décennies, plusieurs dispositifs institutionnels centrés sur cette question ont été mis en place. Cette orientation est réaffirmée dans toute une série de documents officiels récents. Une rubrique spécifique est consacrée à cette question sur le site Internet du ministère de l’Éducation nationale [1]. Dès la première page, on peut lire que « l’égalité des filles et des garçons constitue (...) une obligation légale et une mission fondamentale ». Cette mission s’inscrit dans un dispositif qui dépasse le cadre strict du système éducatif. La nouvelle convention interministérielle pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, quia été signée pour la période 2006 – 2011 ne concerne pas moins de huit ministères (l’Emploi, l’Éducation nationale, la Justice, les Transports, l’Agriculture, la Culture, la Cohésion sociale). Le fait qu’entre 1984 et 2006, quatre conventions de ce type-là aient été signées témoigne des enjeux sociaux et politiques associés à la question de l’égalité entre les sexes. Ces dispositifs ont-ils réellement atteint leurs objectifs ? Leur émergence à intervalles réguliers peut-elle signifier leur relative impuissance face aux résistances qui se manifestent ici ou là ? Les premiers résultats obtenus ont-ils été jugés insuffisants ? De manière plus spécifique, l’école a-t-elle échoué dans cette mission fondamentale ?
2Par rapport à cette dernière question, nous disposons d’un certain nombre de résultats de recherche qui montrent que, même si nous pouvons déceler quelques amorces d’évolution, le chemin à parcourir pour tendre vers une meilleure égalité entre les sexes à l’école est encore long. À cet égard, de nombreux travaux soulignent le rôle que l’école peut jouer dans la production des inégalités sexuées. Une revue de littérature centrée précisément sur cette question fait apparaître trois grands axes d’investigation : les interactions en classe ; les contenus d’enseignement ; l’orientation scolaire et professionnelle (Duru-Bellat, 1995). Notre travail se réfère explicitement au deuxième axe (les contenus d’enseignement). Nous avons choisi de travailler sur l’éducation physique et sportive (EPS) dans le second degré. En quoi ce choix peut-il être pertinent eu égard à la thématique abordée ? Contrairement à ce que l’on observe dans la plupart des disciplines scolaires, en EPS, les filles réussissent moins bien que les garçons. À titre d’illustration, les statistiques nationales révèlent qu’en 2006, pour les épreuves du baccalauréat, la moyenne des filles est inférieure de un point à celle des garçons [2]. Des recherches récentes montrent que cette inégalité de réussite peut s’expliquer, en partie, par la nature des activités physiques proposées aux élèves et par les modalités de pratique valorisées par les enseignants d’EPS (Vigneron, 2005, 2006 ; Combaz & Hoibian, 2008). Trois familles d’activités sont essentiellement représentées : l’athlétisme, les sports collectifs et les sports de raquette (le tennis de table et le badminton). Comparativement, les activités physiques artistiques (danse, gymnastique rythmique et sportive, etc.), les sports de combat (judo, lutte, boxe, etc.) et les activités physiques de pleine nature (escalade, voile, canoë-kayak, etc.) sont relativement délaissés. Par ailleurs, le modèle sportif compétitif (supposant l’affrontement codifié) constitue la principale modalité de pratique proposée aux élèves. Les auteurs (cités ci-dessus) montrent qu’en matière de pratiques corporelles, ces choix n’emportent pas l’adhésion des filles, loin s’en faut. Pour remédier à cela, ils suggèrent, entre autres, que l’on accorde davantage d’importance aux activités susceptibles de favoriser un meilleur investissement des filles : les activités physiques artistiques et les activités physiques dites d’entretien (gymnastique aérobic, stretching, step, etc.). Les activités physiques de pleine nature (APPN) ne sont pas évoquées. Or, ne pourraient-elles pas elles aussi jouer un rôle catalyseur ? Une enquête nationale récente montre qu’elles sont pratiquées par une bonne majorité de femmes : 55 % pour la randonnée en montagne, 59 % pour le ski et le surf et 62 % pour les sports de nature nautiques (Ministère de la jeunesse et des sports et de la vie associative, INSEE et INSEP, 2005, p. 124). On pourra objecter que ces résultats ne concernent qu’une frange très particulière des APPN et, précisément celles dont les caractéristiques intrinsèques ne sont pas trop connotées selon le sexe. Les femmes sont-elles aussi bien représentées dans d’autres APPN telles que l’alpinisme, le vol libre, la spéléologie ? Assurément non. Ces activités-là sont pratiquées par une majorité d’hommes parce qu’elles nécessitent des qualités habituellement valorisées dans l’univers masculin : le courage pour surmonter les dangers, l’habileté à piloter un engin, la maîtrise de nombreuses connaissances technologiques, etc. Ceci suggère que toutes les APPN, sans distinction, ne peuvent faire l’objet d’une appropriation équivalente par les femmes. Manifestement, certaines d’entre elles s’y prêtent davantage que d’autres.
3Si l’on se réfère aux travaux de Louveau et Davisse (1998), le processus d’appropriation des activités physiques masculines par les femmes a d’autant plus de chances d’aboutir que l’on a affaire à des pratiques nécessitant la mise en jeu de savoirs et des savoir-faire technologiques et, plus largement, la possession d’un bagage culturel assez conséquent. Parmi celles-ci, figurent sans doute celles que Pociello (1981) a qualifiées de « pratiques informationnelles ». Leur particularité est qu’elles nécessitent un décodage complexe et incessant des indices pertinents prélevés sur le milieu naturel (voile, vol libre, planche à voile, surf, etc.). Au-delà de ce point commun qui les caractérise, il y a, par ailleurs, un aspect qui les différencie nettement et qui paraît capital eu égard à l’implication des femmes : c’est la dimension liée à la prise de risque. Pénin (2006)a bien montré que ce facteur contribue à la construction d’une certaine masculinité (qui n’est pas comparable à celle qui s’élabore à partir des valeurs associées à la force et à l’affrontement). Ceci ne signifie nullement qu’aucune femme ne s’adonne à ce type d’activités. Elles sont cependant très peu nombreuses. À titre d’exemple, la part des pratiquantes parmi les licenciés est de : 15 % en parapente, 6 % en deltaplane et 13 % en parachutisme (Pénin, op. cit.).
4Compte tenu de ce qui vient d’être dit, on peut se demander si le développement de la pratique des APPN à l’école pourrait véritablement contribuer à encourager l’investissement des filles en EPS. Sans doute convient-il de préciser cette question en mentionnant que certaines APPN – de par leurs caractéristiques intrinsèques – seraient peut-être plus appropriées que d’autres à la réalisation d’un tel objectif (en particulier celles pour lesquelles les dangers se révèlent relativement faibles : course d’orientation, voile, etc.).
5Avant d’apporter quelques éléments de réponse à cette question, il importe, au préalable, de cerner la place que l’on accorde officiellement aux APPN dans le cadre général de l’enseignement de l’EPS. Dans cette discipline, les programmes les plus récents, pour le second degré, soulignent la nécessité de confronter les élèves à la diversité des expériences corporelles en vue de former un citoyen physiquement éduqué. Dans ce cadre-là, les APPN ont formellement toute leur place. L’escalade et la course d’orientation font, par exemple, partie intégrante de l’ensemble commun des activités devant être proposées aux lycéens et aux collégiens [3]. Dans l’ensemble qualifié de complémentaire par les textes officiels, les APPN peuvent être proposées aux élèves en tenant compte des spécificités locales. Pour les lycées professionnels, il est indiqué que « dès que possible, l’équipe pédagogique organise la pratique d’activités physiques qui sont moins fréquemment pratiquées, notamment les activités de pleine nature » [4].
6Les enseignants ont-ils saisi cette opportunité ? Si c’est le cas, y a-t-il des différences entre les hommes et les femmes ? Filles et garçons souhaitent-ils pratiquer de manière comparable ces activités ? Quelles sont leurs attentes dans ce domaine-là ? Et de manière centrale, est-ce que le fait de mettre l’accent sur les APPN, à l’école, peut encourager l’implication des filles en EPS ? Dans cette perspective, est-ce que toutes les APPN contribuent à cet objectif ou seulement certaines d’entre elles – en particulier celles dans lesquelles la prise de risque demeure limitée ? Sachant que le rapport aux activités physiques est socialement différencié, va-t-on observer les mêmes comportements des filles en collèges, en lycée et en lycée professionnel ? Le poids des stéréotypes sociaux sexués ne va-t-il pas peser davantage sur les attitudes des filles issues de milieux modestes ?
1 – Inégalités scolaires sexuées et contenus d’enseignement : quelles approches sociologiques ?
7Eu égard à notre propre questionnement, que pouvons-nous retenir des revues de littérature assez récentes publiées en langue française (Duru-Bellat, 1995, 2004 ; Petrovic, 2004 (a), 2004 (b)) ? On peut distinguer deux volets : l’un porte sur le contenu des manuels scolaires ; l’autre est centré sur les modalités d’exercice.
8Les manuels scolaires ont fait l’objet de très nombreuses recherches dont les résultats sont assez convergents. Les tendances varient quelque peu en fonction de la discipline scolaire concernée mais, dans l’ensemble, le contenu des manuels s’avère relativement sexiste. C’est le cas notamment pour la littérature et la philosophie. Les disciplines scientifiques dont on pourrait supposer a priori une certaine neutralité en la matière, ne font pas exception. En mathématiques et en physique, les femmes sont très présentes dans les manuels mais sont présentées dans des rôles plutôt stéréotypés. Des travaux récents portant sur le contenu de manuels de mathématiques de plusieurs pays africains montrent que les évolutions dans ce domaine sont extrêmement lentes (Bardon, 2007). Ce que soulignait déjà un rapport officiel remis au premier ministre en France à la fin des années 1990 (Rignault & Richert, 1997).
9D’autres travaux ont révélé que le contenu des exercices proposés aux élèves a tendance à être plus proche des centres d’intérêt et des expériences quotidiennes des garçons. Et ceci peut avoir une incidence sur la réussite. À ce sujet, Baudelot et Establet (2006) ont montré qu’à l’école primaire, les filles réussissent mieux aux tests de français quand les questions portent sur des sujets associés à la santé ou la vie familiale. En revanche, les garçons s’avèrent plus performants lorsqu’il s’agit de reconstituer l’ordre chronologique d’une course automobile. Comme le souligne Duru-Bellat (2004, p. 107), ceci pose la question des biais sociaux de l’évaluation. Peut-on véritablement imaginer des modalités d’évaluation « asexuées » ? Il est permis d’en douter.
10En complément des travaux qui viennent d’être évoqués de manière très synthétique, nous évoquerons un peu plus longuement la recherche de Mosconi présentée dans Femmes et savoir (1994). Elle a retenu notre attention car elle propose d’aborder de manière originale la question des inégalités scolaires sexuées en intégrant certains apports de la sociologie du curriculum, en particulier ceux qui montrent que la culture scolaire résulte d’un processus de sélection et de hiérarchisation des éléments jugés dignes d’être légitimement transmis en classe. Mosconi emprunte également à la sociologie du curriculum des perspectives d’analyse issues de la « Nouvelle sociologie de l’éducation » animée, au cours des années 1970 et 1980, par les sociologues britanniques Young, Vulliamy et Whitty (dont les travaux ont été analysés de manière critique par Forquin dans École et culture). De ces auteurs, elle retient l’idée que l’élaboration des savoirs scolaires résulte, pour une part, d’interactions entre groupes sociaux qui s’affrontent pour faire prévaloir telle ou telle conception des connaissances à transmettre dans le cadre scolaire. Mosconi fait justement remarquer que dans ces rapports sociaux (souvent conflictuels), on ne peut éluder les rapports entre les sexes (dimension qui manifestement n’est pas réellement présente dans les travaux britanniques). À cet égard, elle évoque le caractère androcentrique des programmes et des manuels scolaires. Elle écrit que « dans l’enseignement mixte, l’expérience des deux sexes n’est pas prise en compte à égalité. C’est en général l’expérience masculine qui sert de référent dans les différentes disciplines et l’expérience féminine n’est pas ou peu prise en compte ». Elle ajoute que « (…) certains exercices scolaires référés à un univers masculin (…) ont du mal à faire sens pour les filles. Sans égard aux aptitudes, habiletés, intérêts, aspirations des filles, non seulement le masculin sert sans cesse de référent, mais il est considéré comme l’expérience humaine dans sa totalité– ce qui implicitement (…) dévalorise l’expérience féminine » (Mosconi, op. cit., pp. 221-222).
11Cette perspective nous paraît tout à fait pertinente pour analyser les curricula en EPS. Les auteurs cités en introduction (Vigneron, Combaz et Hoibian) montrent que l’expérience et les aspirations des filles sont assez peu prises en considération. Cogérino (2006) montre que l’EPS est une discipline dépositaire d’un certain nombre de valeurs masculines étroitement associées au sport, entendu au sens strict du terme, c’est-à-dire comme activité physique institutionnalisée dont la principale logique repose sur l’affrontement codifié : défi, dépense énergétique, recherche de la domination, pugnacité, non expression des émotions personnelles, etc. À ce titre, elle reprend une expression de Mosconi (masculinisme des savoirs scolaires) pour indiquer qu’en EPS, « on peut parler de curriculum masculiniste » (Cogérino, 2006, p. 13).
12Comme l’indique Mosconi, la référence au masculin renvoie souvent, de manière implicite, à l’expérience humaine considérée dans sa totalité. Ceci pose indirectement la question de la légitimité de la culture scolaire. Pour les professeurs d’EPS, toutes les activités physiques et l’ensemble des modalités de pratique n’ont pas la même valeur. À leurs yeux, certaines activités physiques ont une portée universelle (notamment l’athlétisme et les sports collectifs) [5]. Par ailleurs, certaines modalités de pratique doivent avoir la priorité : l’affrontement codifié et la production de performances mesurées. Ces éléments contribuent à établir la légitimité de la culture corporelle sur laquelle se fonde l’enseignement de l’EPS. D’autres activités ont un statut secondaire : les activités physiques d’expression (danse, gymnastique rythmique et sportive, natation synchronisée, etc.) et les activités physiques dites d’entretien (aérobic, step, stretching, etc.). Nous avons déjà signalé que ces activités-là correspondent bien mieux que les autres aux expériences et aux aspirations des filles (Louveau, Davisse, op. cit. ; Vigneron, op. cit. ; Combaz & Hoibian, op. cit.). Il nous appartiendra de montrer si les APPN – ayant également un statut d’activités mineures – peuvent répondre aussi aux aspirations des élèves (aussi bien filles que garçons). Et il importe également de savoir pourquoi toutes ces activités sont aussi peu considérées dans l’enceinte scolaire. Du point de vue de leur valeur intrinsèque, des transformations motrices que leur pratique induit, de leur portée culturelle, ces activités sont-elles réellement inférieures à celles qui sont considérées comme essentielles ? Aucune recherche ne permet de l’affirmer. Dans ce domaine, ce sont, dans la plupart des cas, les convictions pédagogiques des enseignants qui prévalent.
2 – La méthodologie
13Les matériaux empiriques sur lesquels vont s’appuyer les analyses proviennent de deux principales sources. Il s’agit de deux enquêtes nationales menées par les services statistiques du ministère de l’Éducation nationale (DEPP) [6] au cours de l’année 2006. Dans le cadre d’une convention signée entre la DEPP et nos deux équipes de recherche, nous avons obtenu l’autorisation de réaliser l’analyse secondaire de ces deux enquêtes. Centrées sur l’EPS, elles ont permis d’interroger par questionnaire, à partir d’un échantillonnage national, 1954 élèves et 1317 enseignants. La base de sondage choisie est constituée des collèges, des lycées généraux et professionnels, publics et privés de la métropole et des départements d’Outre-mer. La méthode d’échantillonnage utilisée pour la réalisation des deux enquêtes est le sondage stratifié. Trois critères ont été retenus pour réaliser cette stratification : la taille des établissements, le fait qu’ils soient classés ou non en zone d’éducation prioritaire (ZEP), le fait qu’ils soient implantés en zone urbaine ou en zone rurale. Ainsi, 360 collèges, 192 lycées généraux et 177 lycées professionnels ont été tirés au sort. Dans chaque établissement, un ou plusieurs élèves et professeurs ont été, à leur tour, tirés au sort. Le nombre d’élèves et de professeurs tirés au sort varie de 1 à 3 en fonction de la taille de l’établissement. Les taux de réponse sont plutôt élevés : 89 % pour les élèves et 90,3 % pour les enseignants (ils sont un peu plus élevés en collège qu’en lycées). La représentativité des répondants appréciée selon les trois critères de stratification a été jugée très satisfaisante (cf. le rapport de Benhaim-Grosse, 2007).
14Signalons que lors du transfert des données par la DEPP, un certain nombre d’informations (sociologiquement pertinentes) ne nous ont pas été communiquées : appartenance ou non des établissements à une ZEP, implantation de ceux-ci en zone urbaine ou zone rurale. Par ailleurs, aucune variable ne permet d’identifier précisément l’origine sociale des élèves. Ceci constitue une limite à notre travail compte tenu des questions que nous avons formulées plus haut à propos du rapport socialement différencié des élèves à la pratique des activités physiques. Pour pallier (partiellement) cet inconvénient, nous avons pris en compte le type d’établissement dans lequel l’élève est scolarisé : collège, lycée ou lycée professionnel (sachant que comparativement les lycées professionnels scolarisent davantage d’élèves issus de milieux modestes).
15L’exploitation des données a consisté à construire une série de tableaux permettant de croiser systématiquement toutes les réponses correspondant aux questions posées par les deux enquêtes de la DEPP, à propos des APPN, avec les variables concernées par notre étude : sexe des élèves, type d’établissement et sexe des enseignants d’EPS.
16Pour chaque tableau, nous avons vérifié que les différences constatées étaient statistiquement significatives à un seuil inférieur ou égal à 5 % (test du chi-deux).
3 – Les résultats
3.1 – Les aspirations des élèves vis-à-vis des APPN
3.1.1 – Un engouement marqué
17Incontestablement, en termes de souhaits de pratique des activités physiques, le choix des élèves s’oriente massivement vers les APPN [7] : 86,8 % souhaitent en pratiquer dans le cadre scolaire (tous types d’établissement étant confondus). Et ceci concerne aussi bien les filles (87,1 %) que les garçons (86,5 %). Signalons que cette tendance n’est pas véritablement nouvelle et ne traduit nullement un effet de mode. Plusieurs recherches antérieures ont déjà souligné un tel phénomène (Secrétariat d’État auprès du ministre de la Qualité de la vie, chargé de la Jeunesse et des Sports, 1976 ; Parlebas, 1986 ; Combaz, 1991).
18Par contraste, les APPN sont très peu représentées dans le cadre des enseignements d’EPS en 2006 : respectivement 8,3 % et 5,3 % des élèves interrogés par la DEPP ont pratiqué l’escalade et la course d’orientation (ces pourcentages étant quasiment identiques pour les filles et les garçons). Les autres APPN (canoëkayak, voile, etc.) sont très peu représentées en EPS : pour chacune d’entre elles, moins de 1 % des élèves les ont pratiquées.
19Pour les activités autres que le ski alpin ou le VTT (pour lesquels les garçons se montrent beaucoup plus demandeurs que les filles), les souhaits ne sont pas très différenciés selon le sexe (tableau 1). Certes, les garçons se montrent un peu plus attirés que les filles par les APPN. Mais les différences ne sont pas aussi accusées que lorsqu’on prend en considération les souhaits relatifs aux activités physiques traditionnellement considérées comme plutôt masculines ou plutôt féminines, telles que le football, le rugby, la danse, la natation synchronisée ou l’aérobic. Pour ces activités, les écarts sont quasiment deux fois plus marqués que ceux que l’on observe pour la plupart des APPN (tableau 1).
Souhaits de pratique des élèves vis-à-vis des activités physiques(*),(**)
Souhaits de pratique des élèves vis-à-vis des activités physiques(*),(**)
ns : différences non significatives statistiquement.(*) : différences significatives à un seuil P< ou= .05.
(**) : différences significatives à un seuil P< ou= .01. (1) GRS : gymnastique rythmique et sportive.
Exemple de lecture : respectivement 40,5 % et 32,4 % des garçons et des filles interrogés souhaitent pratiquer la plongée sous-marine à l’école ou en dehors de celle-ci. La différence (8,1 %) est significative à un seuil P < .01
20Pour une part, ce résultat accrédite la thèse de Louveau et de Davisse évoquée en introduction : l’appropriation par les filles des activités physiques dites masculines pourrait se réaliser par le canal privilégié des APPN. On observe néanmoins que, pour l’instant, l’école, par le biais des activités physiques proposées aux élèves, ne contribue en rien à ce type d’orientation. Non seulement, la pratique des APPN n’est pas développée par les enseignants mais les autres activités susceptibles d’encourager l’investissement des filles en EPS n’ont pas davantage de succès (activités physiques artistiques et activités d’entretien (cf. Combaz & Hoibian, 2008)).
21Compte tenu de ce que nous avons noté en introduction à propos de l’appropriation par les femmes des sports à risque, il importe de vérifier si cet aspect peut cliver les souhaits des élèves selon le sexe. Manifestement, il n’en est rien. Les APPN caractérisées par des risques objectifs [8] importants (alpinisme, parapente, plongée sous-marine) ne sont pas plus rejetées par les filles que par les garçons. Un peu plus loin, nous tâcherons d’apprécier l’importance que les élèves accordent à cette dimension en analysant leurs attentes.
3.1.2 – En lycée professionnel : des stéréotypes sexués plus marqués vis-à-vis des activités physiques ?
22Nous venons de voir que les APPN sont plébiscitées par les élèves, aussi bien les filles que les garçons (à quelques différences près). Mais ce tableau général mérite d’être nuancé. En introduction, nous avons évoqué l’existence éventuelle de stéréotypes sexués pouvant affecter, de manière plus ou moins marquée, le rapport qu’entretiennent les élèves aux activités physiques en fonction de leur origine sociale. Cette dernièrea été prise en considération, ici, par le biais du type d’établissement dans lequel les élèves sont scolarisés. Bien que représentant un indicateur indirect du milieu social, celui-ci s’est avéré très pertinent sociologiquement. Lorsqu’on analyse les souhaits de pratique selon le sexe et l’établissement, on observe qu’à l’exception du ski alpin et du VTT, les écarts entre les filles et les garçons sont bien plus creusés au lycée professionnel que dans les deux autres types d’établissement (tableau 2).
Souhaits de pratique des élèves vis-à-vis des APPN en fonction du type d’établissement(*),(**)
Souhaits de pratique des élèves vis-à-vis des APPN en fonction du type d’établissement(*),(**)
ns : différences non significatives statistiquement.(*) : différences significatives à un seuil P < ou = .05.
(**) : différences significatives à un seuil P < ou = .01.
Exemple de lecture : au collège, 20,3 % des garçons et 14,8 % des filles souhaitent pratiquer le ski nordique. La différence (5,5 %) n’est pas significative statistiquement.
23Les différences observées ici ne sont cependant pas spécifiques aux APPN. Elles concernent quasiment l’ensemble des activités physiques (à l’exception de la danse et des activités physiques d’entretien pour lesquelles les filles de lycées professionnels ne se distinguent pas des collégiennes et des lycéennes). D’une manière générale, les filles de lycées professionnels sont beaucoup moins investies que les autres dans la pratique des activités physiques : 19,3 % sont inscrites dans un club sportif extrascolaire contre respectivement 56,3 % et 46,6 % pour les collégiennes et les lycéennes. Ce moindre investissement se manifeste aussi à travers le rapport qu’elles entretiennent à l’EPS. Ainsi, si les enseignements dans cette matière n’étaient pas obligatoires, 26,7 % seulement des filles de lycées professionnels assisteraient à toutes les séances contre respectivement 43,1 % et 37 % pour les collégiennes et les lycéennes.
24À l’évidence, pour le cas du lycée professionnel, la thèse de Louveau et de Davisse n’est pas validée. Le processus d’appropriation des activités physiques dites masculines (dont les APPN) par les filles ne peut véritablement être envisagé. Pour ces élèves, la pratique des activités physiques demeure encore très différenciée selon le sexe. Ceci retraduit ce que l’on observe à un échelon plus large. Les taux de pratique et, plus encore, les modalités de celles-ci sont beaucoup plus différenciées pour les classes populaires que pour les autres catégories sociales [9]. Dans les milieux populaires, les femmes pratiquent beaucoup moins souvent que les hommes et le caractère sexué des pratiques est relativement prononcé (les hommes pratiquant en majorité des activités clairement identifiées comme masculines). Ces différences ont tendance à s’estomper au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale. Prenant appui sur ces constats, Louveau (2004) évoque l’homologie observable entre le caractère sexué des pratiques sportives et la division du travail selon le sexe. De par son fonctionnement, l’école est-elle susceptible – par le biais des pratiques proposées en EPS – d’infléchir cette tendance ? Rien n’est moins sûr. Pour le lycée professionnel, Baudelot et Establet (2006) montrent que les stéréotypes existant selon le sexe sont bien plus marqués que dans les autres établissements du second degré (collège et lycée). Ces stéréotypes pourraient être renforcés par ce qui est proposé en EPS en lycée professionnel dans la mesure où la répartition des activités physiques pratiquées par les élèves renvoie à une division plus marquée et plus traditionnelle entre disciplines masculines et disciplines féminines (par rapport au collège et au lycée où celle-ci est moindre).
25Nous avons noté l’engouement incontestable des élèves pour la pratique des APPN. Et à l’exception du lycée professionnel, nous avons observé que cet élan était partagé par les filles et les garçons. Dans la perspective d’un développement éventuel de ces activités à l’école (en vue d’atténuer les inégalités sexuées d’accès aux pratiques corporelles), il convient de connaître plus précisément les attentes que les uns et les autres nourrissent à leur égard.
3.1.3 – Des attentes différenciées selon le sexe
26Nous avons souligné plus haut que la prise de risque représente une dimension importante caractérisant la plupart des APPN [10]. Si elle fournit aux hommes l’occasion d’affirmer une certaine forme de masculinité, elle ne semble pas du tout investie de la même manière par les femmes (Pénin, 2004). Pour les élèves interrogés par la DEPP, les souhaits des filles et des garçons vis-à-vis des APPN caractérisées par des risques objectifs importants sont relativement comparables. Mais lorsqu’on leur demande de préciser leurs attentes à l’égard des APPN (considérées en général et non pour chacune d’entre elles), les appréciations divergent quelque peu selon le sexe (graphique 1).
Attentes des filles et des garçons vis-à-vis des APPN(**)
Attentes des filles et des garçons vis-à-vis des APPN(**)
(Tous types d’établissement confondus).(**) : différences significatives à un seuil P < .01. (ceci reste valable quel que soit le type d’établissement). Pour les autres items, les différences ne sont pas significatives.
Exemple de lecture : dans la pratique des APPN, respectivement 67,6 % et 57,2 % des filles et des garçons apprécient l’ambiance de la vie en groupe.
La différence (10,4 %) est significative statistiquement à un seuil P < .01.
27Les résultats confortent en partie ce qui vient d’être dit à propos de la prise de risque : les garçons sont plus nombreux à évoquer cet aspect que les filles. Notons cependant que cette dimension-là n’est pas celle qui est la plus valorisée par les élèves : seulement 39,1 % des élèves la mentionnent. Comparativement, cela représente assez peu par rapport à d’autres aspects incarnant l’une des spécificités des APPN : la découverte du milieu naturel (48,5 %) et, plus encore, la dimension liée au dépaysement et à l’aventure (61 %). À cet égard, les attentes des filles et des garçons sont relativement proches (quel que soit le type d’établissement). En revanche, l’importance accordée à l’ambiance de la vie en groupe distingue nettement les filles des garçons. On retrouve là une tendance mise en évidence par de nombreuses enquêtes sociologiques révélant, dans plusieurs domaines, les préoccupations plus affirmées des filles (et plus généralement des femmes) pour les aspects relationnels.
28Au-delà de ces quelques différences, les attentes des élèves et leurs souhaits de pratique montrent que les APPN pourraient sans doute constituer (avec d’autres activités physiques) un moyen pour encourager l’implication des filles en EPS. Les textes officiels régissant l’enseignement de cette discipline n’entravent en rien leur développement dans le cadre scolaire, bien au contraire. Certes, de nombreux obstacles dissuadent les professeurs de proposer ce type d’activités à leurs élèves : éloignement de sites de pratique, manque de formation des enseignants, risques d’accidents, achat de matériel onéreux, etc. Ces raisons sont tout à fait recevables mais il y a probablement d’autres aspects, plus implicites, liés au statut que les enseignants d’EPS accordent – de manière tacite– aux différentes activités physiques. Il y a tout lieu de penser que dans l’imaginaire d’une grande majorité d’entre eux, les APPN restent associées aux loisirs et à la détente et qu’elles ne peuvent, de ce fait, faire l’objet d’apprentissages sérieux (dignes de figurer dans les programmes scolaires). Les données recueillies par la DEPP peuvent-elles nous éclairer à ce sujet ?
3.2 – La position des enseignants
3.2.1 – Une attitude ambiguë ?
29Pour une bonne majorité des enseignants (61,8 %) interrogés en 2006, il existe des activités physiques dites « incontournables » susceptibles de constituer les principaux fondements de l’enseignement de l’EPS. Invités à préciser la nature de celles-ci, ils classent trois activités largement en tête : il s’agit de la natation, 34,8 %, des sports collectifs, 25,8 % et de l’athlétisme, 23,3 % [11]. Les APPN ne sont quasiment jamais citées ainsi que d’autres activités dotées d’un statut mineur (activités artistiques, sports de combat et activités d’entretien).
30Les APPN ne semblent pourtant pas particulièrement rejetées de la part des enseignants. Assez nombreux sont ceux qui souhaiteraient que leurs élèves s’adonnent à leur pratique. Ceci est assez net pour : l’escalade sur structures artificielles (28,9 %), l’escalade en site naturel (28,2 %), le VTT (27,7 %), le canoë-kayak (26,2 %), le ski alpin (22,8 %) et la voile (20,9 %). Les enseignants s’avèrent en revanche beaucoup plus prudents vis-à-vis des activités caractérisées par des risques objectifs importants (alpinisme, 8,7 %, parapente, 8,5 % et plongée sous-marine, 15,1 %).
3.2.2 – Des enseignantes plus réticentes que leurs collègues masculins ?
31Si l’on a pu souligner l’engouement des élèves pour les APPN, aussi bien pour les garçons que pour les filles (à l’exception des filles de lycée professionnel), l’appréciation des enseignants varie sensiblement selon leur sexe. Pour la plupart des APPN, les femmes se révèlent un peu moins enthousiastes que les hommes (graphique 2).
Proportions d’enseignants souhaitant que leurs élèves pratiquent les APPN(**)
Proportions d’enseignants souhaitant que leurs élèves pratiquent les APPN(**)
Variations selon le sexe et le type d’APPN (en %).(**) : différences significatives à un seuil P< .01. Pour les autres APPN, les différences ne sont pas significatives.
Exemple de lecture : pour le parapente, 11,6 % des hommes et 4,7 % des femmes souhaitent que leurs élèves pratiquent cette activité dans le cadre des enseignements d’EPS. La différence (6,9 %) est significative statistiquement à un seuil P< .01.
32Les différences constatées ici sont plus marquées que celles que l’on a observées pour les élèves (entre garçons et filles. Cf. tableau 1).
33Les enseignantes considèrent-elles ces activités comme trop masculines et, de ce fait, ne pouvant faire l’objet d’une appropriation satisfaisante par les filles ? Préfèrent-elles donner la priorité à des activités qu’elles considèrent comme plus « adaptées » aux aspirations des collégiennes et des lycéennes ? Qu’en est-il pour les enseignants ? Le fait que, dans l’ensemble, les hommes pratiquent plus souvent les APPN que les femmes peut-il suffire à expliquer que les enseignants soient plus nombreux que leurs homologues féminines à souhaiter que leurs élèves pratiquent ces activités ? Ce facteur joue probablement un rôle important mais les données dont nous disposons ne nous permettent pas de répondre réellement à cette question.
34Pour avancer sur la voie des interprétations envisageables, il importe d’appréhender plus finement les souhaits des enseignants selon leur sexe. Pour cela, il convient d’élargir l’analyse aux activités autres que les APPN. En ce qui concerne les disciplines jugées traditionnellement féminines (en particulier celles qui sont caractérisées par une forte dimension esthétique), les souhaits des enseignantes sont, certes, plus affirmés que ceux des hommes mais ils ne traduisent pas non plus un intérêt particulièrement marqué pour ces activités. Par exemple, pour la danse, la gymnastique rythmique et sportive et la natation synchronisée, les souhaits de pratique sont respectivement de : 9,4 %, 8,6 % et 11, 3 % (pour les hommes, les proportions sont de : 9 %, 2,4 % et 2,7 %). On ne peut manquer d’observer que ces souhaits sont bien moins marqués que ceux que l’on a relevés pour la plupart des APPN (hommes et femmes confondus).
35D’autres activités physiques sont en position de concurrencer les APPN : ce sont les arts du cirque et les activités d’entretien (aérobic, step, stretching, etc.). Pour ces activités, les souhaits des enseignantes sont assez élevés : respectivement 28,5 % et 22,9 % (18 % et 10,9 % pour les hommes). On peut supposer que ces activités-là sont censées correspondre aux attentes d’une bonne partie des filles et susceptibles, dans le même temps, d’intéresser une frange non négligeable de garçons.
Conclusion
36Certes, nous venons de montrer que les enseignants se révèlent un peu plus intéressés que leurs collègues femmes par la pratique des APPN dans le cadre des enseignements d’EPS. Mais au-delà de ces quelques différences, hommes et femmes s’accordent relativement bien sur le fait que leurs élèves devraient avoir l’occasion de pratiquer davantage ces activités. Les souhaits manifestés à leur égard sont au moins équivalents (quand ils ne sont pas plus élevés) que ceux qui concernent les autres activités physiques ayant un statut mineur en EPS (activités artistiques et activités d’entretien). En même temps, il existe un décalage assez net entre ces souhaits et ce qui est réellement mis en œuvre : les APPN sont très peu souvent pratiquées en EPS. Dans la perspective que nous avons privilégiée ici (un meilleur investissement des filles en EPS et une meilleure égalité des chances entre les sexes), ceci paraît dommageable.
37Nous avons déjà proposé quelques éléments pour interpréter ce phénomène : difficultés matérielles, éloignement des sites de pratique, manque de formation des enseignants, etc. Par ailleurs, on ne peut ignorer aussi le contexte général tendant à une certaine forme de « judiciarisation » de notre société. Cette évolution suscite sans aucun doute une inquiétude réelle qui contribue à tempérer l’ardeur des enseignants ayant le projet de faire pratiquer à leurs élèves des activités présentant certains risques (dont les APPN font partie).
38Une autre raison beaucoup moins souvent évoquée pèse également de tout son poids : c’est le statut plutôt mineur que l’on accorde généralement aux APPN au sein de la profession (ainsi qu’à d’autres activités jugées secondaires telles que les activités artistiques, les jeux traditionnels, etc.). Il n’est pas de notre propos d’adopter ici une position hyper relativiste en niant l’existence d’une hiérarchie des éléments culturels sur laquelle l’école prend appui pour élaborer ses programmes d’enseignement. En revanche, nous sommes en droit de nous interroger sur les critères qui fondent, en EPS, la suprématie incontestable d’un noyau restreint d’activités (athlétisme, sports collectifs et sports de raquette). Sont-elles dotées véritablement de qualités intrinsèques telles qu’elles doivent à ce point supplanter les autres activités ? L’objectif de cet article n’était pas de répondre à cette question [12]. Nous prenons simplement acte que cette hiérarchisation place les APPN dans une position largement dominée (comme d’autres activités susceptibles d’encourager l’investissement des filles en EPS).
39Nous avons montré, qu’à l’exception des lycées professionnels, les filles (autant que les garçons) aspirent largement à pratiquer ces activités. Et ceci laisse supposer que si elles étaient davantage développées dans le cadre des enseignements d’EPS, les filles s’impliqueraient peut-être davantage. Ceci pourrait avoir une incidence sur leur réussite. À cet égard, le cas de l’escalade aux épreuves du baccalauréat est intéressant : les filles font jeu égal avec les garçons (0,3 point d’écart sur les moyennes) [13]. Cette activité n’est cependant qu’assez peu pratiquée dans le cadre de cet examen (7,2 % des filles et 8,3 % des garçons). En revanche, dans les activités les plus fréquemment pratiquées (badminton, volley-ball, tennis de table, basket-ball et handball), les filles sont largement distancées par les garçons avec des écarts égaux ou supérieurs à un point et demi. Incontestablement, les choix que fait l’école en matière de pratiques corporelles s’avèrent discriminants pour les filles. Elle participe de cette manière au maintien – voire au développement – des inégalités entre les sexes. Pour l’heure, les pratiques développées dans le cadre de l’enseignement de l’EPS ne paraissent pas être en mesure de participer pleinement à l’une des missions fondamentales assignées à l’école : celle de promouvoir l’égalité des chances entre les sexes à l’école.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : éducation physique et sportive, sociologie du curriculum, activités physiques de pleine nature, sociologie des inégalités scolaires sexuées, enseignement secondaire français
Mise en ligne 17/01/2013
https://doi.org/10.3917/lsdle.433.0013Notes
-
[*]
Professeur des Universités, UMR « Éducation et politiques », INRPLyon 2.
-
[**]
Maître de Conférences, UFR STAPS, Université Toulouse 3.
- [1]
-
[2]
Pour le CAP et le BEP, les écarts de réussite pour l’année 2006 sont quasi similaires. Cf. Ministère de l’Éducation nationale, L’évaluation aux baccalauréats, CAP et BEP de l’enseignement général, technologique et professionnel en EPS, rapport annuel, 2007.
-
[3]
Ministère de l’Education nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Éducation physique et sportive. Programmes. Classes de première et terminale, CNDP, 2004. Programmes d’EPS du collège. Bulletin officiel spécial du 28 août 2008, n° 6.
-
[4]
Programme d’enseignement de l’éducation physique et sportive pour les CAP, les BEP et les baccalauréats professionnels, Bulletin officiel du ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, 2002, n° 39, p. 2538.
-
[5]
Le caractère supposé universel de ces activités tient en grande partie au fait qu’elles font l’objet de compétitions internationales qui ont une audience planétaire (Coupe du monde de football, Jeux Olympiques, etc.).
-
[6]
Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance.
-
[7]
La liste des APPN retenues dans l’enquête de la DEPP est la suivante : le ski nordique, le ski alpin, l’alpinisme, l’escalade, la planche à voile, la voile, le canoë-kayak, le parapente, la plongée sous-marine et le VTT. Bien sûr, cette liste n’est pas exhaustive mais toutes les activités concernées partagent un point commun constituant l’une des dimensions fondamentales des APPN : le pratiquant est confronté à l’incertitude due au milieu physique (Parlebas, 1986).
-
[8]
Dans le cadre de la pratique des APPN, on distingue généralement deux types de risques : les risques objectifs et les risques subjectifs. Les premiers sont inhérents au caractère dangereux et relativement imprévisible du milieu naturel (chutes de pierres ou de séracs en alpinisme, cisaillements dus aux mouvements désordonnés de la masse d’air en vol libre, etc.). Les seconds sont liés aux fautes et aux imprudences commises par le pratiquant.
-
[9]
Les statistiques nationales les plus récentes confortent ce constat. Cf. l’étude déjà citée : Ministère de la jeunesse et des sports et de la vie associative, La pratique des activités physiques et sportives en France, 2005, notamment le chapitre 3, pp. 61-79.
-
[10]
Bien entendu, les risques encourus ne sont pas strictement identiques d’une APPN à l’autre. Ceux auxquels s’expose le randonneur pédestre ne sont pas comparables à ceux que rencontre l’alpiniste. Par ailleurs, pour une même APPN, la prise de risque peut varier considérablement en fonction des modes d’engagement dans l’activité (cf. Raveneau, 2006). Il convient de préciser que dans le cadre scolaire, pour des raisons évidentes de sécurité, la prise de risque assumée par les élèves est probablement assez circonscrite et très contrôlée par les enseignants d’EPS.
-
[11]
Précisons que ce point de vue est partagé par les hommes et les femmes sans distinction (et ceci quel que soit le type d’établissement).
-
[12]
Nous abordons de manière centrale cette question dans un autre article à paraître.
-
[13]
L’évaluation aux baccalauréats, CAP et BEP de l’enseignement général, technologique et professionnel en EPS, 2007, op. cit. Dans l’académie de Reims, Cécile Vigneron (2005) montre que les filles devancent les garçons en escalade de 0,21 point et de 0,28 dans les autres APPN pratiquées.