1 Il existe un relatif consensus dans les débats actuels sur l’éducation, à propos de l’importance de ces relations et de la nécessité de renforcer la coopération entre les parents et les enseignants. Mais les réalités sont complexes et les enjeux et les facteurs de cette coopération et ses conséquences sont difficiles à observer et à mesurer sur la scolarité des enfants. Même si « les lois scolaires de la IIIe République, en instaurant l’obligation scolaire, ont “confisqué” tous les enfants aux familles pour en faire des élèves, conférant du même coup à l’ensemble des pères et mères français le statut de parents d’élèves (p. 13), « le système scolaire français ne possède pas de culture de la coopération avec les parents. Dans la logique républicaine, la question du rapport aux familles se réduit plutôt à la « bonne distance » qu’il faut maintenir entre l’école et ses usagers. » (p. 11).
2 Ce livre présente les résultats de recherches sur les pratiques mises en œuvre dans les écoles, dans les relations entre familles et école. Suite à l’observation, par les membres du comité Enfance de la Fondation de France, d’actions concrètes de coopération dans les projets d’école, quatre enquêtes distinctes ont été menées conjointement en 2005-2006. Dix-huit établissements primaires ont été choisis pour leurs nombreuses actions destinées à favoriser l’entrée des parents dans l’école. « Chacune (de ces actions) avec ses difficultés propres, tentait de créer à partir des dispositions réglementaires – conseil d’école, réunions d’informations, semaine des parents -, des espaces de dialogue, prenait quelques initiatives plus innovantes en direction des parents, et organisait des moments festifs » (p. 12). Le groupe de chercheurs a analysé les modalités concrètes de coopérations. Dans un premier temps, il s’agissait pour eux de vérifier le degré d’ancrage réel des projets et leur degré de formalisation. Des observations de la vie quotidienne dans l’école et des entretiens individuels et collectifs (réunissant de 3 à 23 personnes pour un total de 67 parents et 24 enseignants) ont été menés avec des parents et des enseignants dans des écoles maternelles et élémentaires. La « démarche socio- clinique institutionnelle » adoptée consistait à croiser et à combiner les analyses permettant de mieux comprendre comment s’organise cette relation dans des écoles aux caractéristiques très différentes. « Qu’est-ce qui se joue dans ces moments de coopération ? Qu’est-ce qui s’y construit ? Qu’est-ce qui s’y transforme ? Quels usages sociaux et scolaires font les parents et les enseignants de ces diverses formes de coopération ? Quels sont les motifs et les enjeux des mobilisations parentales et enseignantes ? » Comment les uns et les autres s’y impliquent-ils ? À quoi résistent-ils ? »
3 Les parents tentent de répondre aux sollicitations ou aux invitations des enseignants. Or, ces différentes tentatives ne sont pas seulement liées aux statuts sociaux des parents, même si les parents délégués aux conseils de classe en zone d’éducation prioritaire, restent des parents de classe moyenne avec des profils « d’engagement à long terme dans une dynamique collective et de ressources culturelles, intellectuelles, langagières et relationnelles ». C’est la relation qui est centrale ; il est question de dignité, d’estime, de confiance, de légitimité, mais aussi de méfiance et de dénigrement réciproque. « La coopération est une forme de lien social qui participe au développement de la solidarité, de la dignité, de l’autonomie et de l’identité des personnes » (p. 25).
4 Avant 1960, le parent avait des prérogatives, mais il n’appartenait pas à la communauté éducative. Aujourd’hui, le parent participatif n’est plus seulement le parent délégué des années 1960-1980. « La restructuration historique du partage des tâches éducatives entre l’école et la famille débouche sur une “imbrication croissante des territoires” […] Même si le type d’activités ou de tâches sollicitées dans l’école (accompagnement, organisation, soutien, relais…) ne donnent pas aux “parents d’élèves” les mêmes statuts et rôles, de nouvelles formes d’investissement, d’accueils, d’échanges et d’entraide se développent entre “parents”. Parce que les parents d’élèves sont avant tout des parents. Et les parents comme les enseignants ont une co-responsabilité d’attention (“être présent” et “être derrière”) et de réussite de la scolarité, vis-à-vis de l’élève, avant tout enfant.
5 Les chercheurs montrent ainsi comment certains dispositifs permettent aux parents de mieux communiquer à propos de leur enfant, voire de construire « une compétence pédagogique » pour agir dans mais aussi hors de l’école. Mais si les parents sont de plus en plus des “usagers” de l’école, et en même temps de plus en plus préoccupés par le “capital scolaire” engrangé par leur enfant, les exigences des “milieux populaires” portent plutôt sur des relations individuelles avec les enseignants, relations ayant pour finalité de les rassurer sur les risques d’échec ou de décrochage scolaire ; les demandes des classes moyennes ou supérieures portent plutôt sur une meilleure communication à propos des contenus d’enseignement.
6 « Coopérer signifie “travailler avec”, “être le partenaire” […] L’entrée à l’école marque le point de départ d’une longue période durant laquelle les familles et l’école vont se côtoyer et travailler sur un objet commun, l’éducation de l’enfant, avec les conflits de territoires et de compétences qui s’ensuivent. » (p. 16). Les chercheurs essayent donc tout au long de cet ouvrage de mettre en relation la description de ces moments de rencontres avec leur signification pour les différents acteurs (parents de différents milieux, militants associatifs ou non, pères ou mères, enseignants, directeurs, agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, hommes ou femmes). Les critères de coopération mettent en avant la mobilisation effective de l’équipe, l’inscription dans la durée, la possibilité d’une évolution dans le temps et d’un changement objectif des relations entre parents et enseignants.
7 Le modèle participatif combine ainsi plusieurs figures de parents d’élèves :
- La figure du “parent citoyen” est celle du parent acteur mais le pouvoir accordé aux parents est souvent source de méfiance et vécu comme une menace dans leur autonomie professionnelle par les enseignants ;
- La figure du “parent partenaire” est celle qui considère le parent comme un usager pour lequel il faut améliorer les prestations de service, principalement l’accueil et l’information. Ne pas placer le dialogue sur les questions d’éducation est pour les enseignants, prendre le risque de faire des parents, de simples clients plus ou moins satisfaits ;
- La figure du “parent coproducteur” fait entrer le parent dans le jeu scolaire et donne sens à la notion de “communauté scolaire”.
8 Gilles Monceau, dans la seconde partie, analyse les « implications scolaires des parents pour les devenirs scolaires des enfants ». Il indique que c’est la scolarisation de l’enfant qui implique ses parents dans l’institution scolaire. Cette implication se situe au niveau : - d’espérances par rapport aux professeurs, - d’attentes de disponibilités, - de l’exercice d’une vigilance de sécurité, - de l’association à des événements, - d’une participation, - d’une présence physique, - d’un service rendu, - d’une demande stratégique de conseil ou encore - d’aides dont les modalités sont souvent en décalage par rapport à celles valorisées par les enseignants. G. Monceau constate que les discours sont ambivalents, à la fois sur le partage des rôles (“chacun sa place”) et sur la préoccupation réciproque de l’activité éducative de l’autre. « Il y a dans les intentions croisées des enseignants et des parents, une “ambiguïté efficace” » (p. 86). Cependant il montre aussi que des notions apparaissent communes aux parents et aux enseignants : - la maturité qui permet d’identifier les compétences de l’enfant à travers des performances constatées ; - la maturation qu’il faut stimuler pour développer les potentialités de l’enfant ; - l’autonomie comme savoir faire tout seul pour les parents et comme condition d’adaptation plus déterminante que les savoirs acquis pour les enseignants.
9 Ce qui peut surprendre, c’est que les différentes formes de participation des parents ne visent pas qu’une recherche de réussite scolaire pour leur enfant, mais l’apport de satisfactions personnelles (se sentir socialement utile, apprendre des choses, faire et se faire plaisir, sortir de l’anonymat) ; ce qui est intéressant c’est que ces satisfactions personnelles auraient des effets facilitateurs sur la réussite des enfants. Cependant le chercheur indique qu’en raison de leurs perceptions différentes des parents, les enseignants dessinent des catégories de parents (par exemple les parents élus et les autres parents). Les parents vont alors chercher à répondre aux attentes des enseignants et renforcer ainsi leurs opportunités d’agir sur le devenir scolaire de leur enfant. De plus apparaissent des effets contraires pour certaines modalités de l’implication parentale : - la coopération est “colonisée” (Van Zanten, 2001) par un groupe de parents ; - la présence des parents perturbe l’enfant ou l’activité. Gilles Monceau décrit ainsi quatre types de démarches :
- Des démarches offensives étayées sur une connaissance du système OU orientées idéologiquement OU d’intervention dans les fonctionnements scolaires. Ce moment offensif recouvre leur contestation de l’existant et leurs propositions alternatives ;
- Des démarches défensives liées à une méconnaissance du système OU laissant passer les opportunités OU se protégeant de l’institution. Ce moment défensif renvoie aux craintes éprouvées par les parents vis-à-vis de l’institution scolaire, à leurs stratégies d’évitement ou de conflit frontal avec les enseignants ;
- Des démarches intégratives acceptant de jouer le jeu de l’institution OU de négociation avec les enseignants ou de saisie des opportunités. Le moment intégratif est celui de l’élaboration de stratégies qui tirent bénéfice de leur compréhension des situations et des opportunités qu’elles leur offrent ;
- Des démarches coopératives qui tiennent dans un cadre prévisible OU qui diversifie les modes de coopération OU qui intègre les tensions. Avec pour effets de cette coopération : - des parents qui braconnent à l’école ; - des parents qui osent questionner ; - des parents qui s’initient aux rouages institutionnels. Mais cela ne produit pas automatiquement : - la pacification des relations ; - l’investissement des parents tel qu’attendu par les enseignants ; - un fonctionnement d’équipe collégial.
10 L’auteure montre qu’un « premier effet de la convivialité dans l’école est le jeu complexe entre appartenance sociale, appartenance à un territoire et appartenance au groupe de parents » (p. 97). Elle dégage trois profils de parents : - des parents très distanciés par rapport à l’école du fait que ce sont les aînés qui conduisent et vont chercher les plus jeunes ; - des parents pour lesquels l’entraide de voisinage, dans le quartier, le village ou l’immeuble, limite leurs contacts avec l’école et empêcherait le rapprochement avec les autres parents d’élèves ; - les parents de classes moyennes qui ont participé aux activités de l’école pour établir des relations de voisinage. L’école anime le quartier, elle fabrique de l’interconnaissance, de l’entraide et de la solidarité.
11 Dans la partie 4, « Des “relais” entre école et familles : les ATSEM (Agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles) », Pascale Garnier montre que le nombre de ces personnels, leur charge de travail et les types de tâche dépendent des disparités politiques des communes. Cependant « la nouvelle qualification et la mise en valeur du rôle éducatif des ATSEM vont de pair avec une profonde transformation de leur place et de leur activité (p. 142) ». Dans une école maternelle à caractère de plus en plus scolaire, l’ATSEM occupe la place que l’enseignant lui accorde ; il doit aussi être un relais avec les parents aux marges des apprentissages scolaires et aider les parents à apprendre l’école. C’est une présence disponible et accueillante, implication discrète, rassurante, pour un moment d’échanges et de conseil avec les parents ; mais aussi de complicité et d’attention parfois à la limite du maternage avec des enfants dont il privilégie la singularité. Les ATSEM assurent un « service affectif » et de connaissances pratiques pour se familiariser et se socialiser à l’école.
12 Dans la partie 5, « La place de la coopération dans la dynamique des équipes enseignantes en ZEP », Gilles Monceau montre que l’origine et les positions militantes de la Fédération des Conseils de parents d’Élèves (présente dans 3 écoles sur 4) inscrite dans une démarche de dialogue avec les enseignants, peut être importante dans les coopérations. En agissant collectivement auprès des décideurs ou aidant à l’organisation d’événements, ils soutiennent les équipes enseignantes. Certains représentants de parents sont même impliqués dans les tensions entre enseignants et réciproquement. Mais ce qui semble déterminant c’est le positionnement choisi ou subi des enseignants et des parents. Le volontarisme des enseignants est lié à leur choix d’enseigner en ZEP. L’engagement des parents est lié à leur décision de scolariser leur enfant en ZEP. La politique coopérative des dynamiques d’équipes interfère avec les dynamiques sociales de l’environnement. L’auteur remarque que les plus jeunes enseignants qui n’ont pas choisi leur affectation, circonscrivent davantage leur activité professionnelle et sont perçus comme moins expérimentés et plus fermés, voire “superficiels” et “méprisants” (p. 186). Mais ils ne sont pas les seuls à résister à l’ouverture ; si certains ne voient que des bénéfices à cette ouverture, de nombreux enseignants expriment des craintes d’envahissement des parents. Le directeur apparaît comme un acteur central de la coopération et cette posture lui donne une place importante, notamment dans la stabilisation et les régulations de l’équipe.
13 Le premier intérêt de l’ouvrage vient de l’analyse des résistances des parents et des enseignants qui sont travaillées comme des analyseurs de leurs implications scolaires (dans l’institution scolaire) et non comme la simple expression d’une fuite, d’une démission, d’un envahissement ou d’une volonté de pouvoir. Cette analyse des résistances pointe les modalités et certains enjeux de l’institutionnalisation de nouvelles modalités de coopération à l’école. « Il ne suffit pas de donner aux parents des clés de lecture de l’école pour qu’automatiquement, ils s’en saisissent. De même l’ouverture de l’école ne produit pas nécessairement les effets attendus par les enseignants. » (p. 210). Le partage des territoires éducatifs n’est pas toujours aisé : qui est chargé de faire grandir, de rendre autonome, d’apprendre les règles… ? L’appropriation des dispositifs ne peut être homogène mais dépend des contextes pluriels. « Les dynamiques sociales, identifiées par les auteurs, réinterrogent les limites entre son dedans et son dehors, entre son autonomie et sa dépendance à l’environnement. » (p. 216).
14 Le second intérêt se situe aussi dans la démarche. Celle-ci vise à dégager des questions et des processus qui se retrouvent d’un établissement à un autre en s’y déclinant différemment. À partir d’observations et d’entretiens individuels et collectifs, les auteurs explorent les mobiles et les types d’implications des uns et des autres. Martine Kherroubi interprète l’ouverture accueillante de l’école aux chercheurs comme une demande des enseignants à être accompagnés dans l’examen réflexif de leurs pratiques. Du côté des enseignants, l’intérêt est de montrer que la part invisible des actions en direction des parents va bien au-delà des discours et que les oppositions ne sont pas aussi tranchées entre les “parents cibles” et les “parents partenaires”. Chez les parents il n’est pas seulement question de s’impliquer pour la réussite scolaire de leur enfant. Les motifs se situent dans un attachement affectif et le sentiment d’une responsabilité à l’égard de l’enfant lestée par le poids de la trajectoire scolaire.
15 Dans la conjugaison des dynamiques internes d’établissement et des dynamiques politiques et sociales, Des parents dans l’école ouvre aux enseignants, parents, éducateurs, acteurs des collectivités locales, des pistes de réflexion et d’actions. Les auteurs concluent sur des perspectives ouvertes. Ouvertes sur le fait que « l’histoire de l’enseignement et des enseignants est aussi celle de la famille et de l’enfance et qu’il y a des interférences constantes se manifestant par une pluralité d’histoires enchevêtrées » (Références aux travaux d’Antoine Prost, cités p. 207). Perspectives ouvertes sur la reconnaissance d’un rôle actif de la famille dans le processus de scolarisation. Perspectives ouvertes sur « une lecture des projets d’école en y intégrant des questions sociologiques essentielles : les inégalités de ressources sociales et culturelles parmi les parents, la diversité des pratiques éducatives familiales, le désarroi plus ou moins grand des familles face aux transformations progressives de l’école primaire ».