1 Comparer les situations d’exclusion scolaire, les problèmes des jeunes et les réponses des enseignants en Angleterre et en France, à partir d’enquêtes de terrain dans des zones classées défavorisées : tel est l’objet principal de ce livre qui revêt à l’heure des «émeutes urbaines » de novembre 2005 et de la relance de l’éducation prioritaire, une actualité brûlante.
2 Qui de l’Angleterre où les lois de marché néo-libérales sont un régulateur social y compris dans le système éducatif ou de la France qui valorise le modèle de la solidarité régulée par une administration forte, possède les meilleurs atouts pour combattre l’exclusion sociale des jeunes ?
3 L’ouvrage est organisé en trois parties d’importance inégale.
4 La première partie en trois chapitres traite tout d’abord des modèles théoriques européens de l’exclusion sociale et scolaire. D. Zay oppose le paradigme anglo-américain de la « spécialisation » liée à une vision néolibérale du monde au paradigme français de la solidarité, héritée de Durkheim. Une question centrale se pose : qu’est-ce que l’école a à voir avec l’exclusion sociale des jeunes, y a-t-il un lien entre exclusion scolaire et sociale et la prévention de cette dernière entre-elle dans le rôle de l’école ?
5 La directrice de cet ouvrage collectif mentionne qu’il est issu d’un projet collectif chercheurs-praticiens : « Prévention de l’exclusion scolaire et sociale des jeunes et préparation de leur insertion sociale et professionnelle ». Programme européen Interreg II- Nord-Pas-de- Calais/Kent Transmanche associant une équipe de Canterbury (sous la direction du professeur C. Parsons) et des membres de l’Equipe d’accueil PROFEOR, de l’UFR des sciences de l’éducation de Lille 3.
6 Le chapitre II expose les orientations théoriques et méthodologiques de la recherche qui ont reposé sur un fort consensus des deux équipes, convaincues de l’intérêt de mobiliser des aspects internationaux de la pédagogie comparée.
7 Un travail terminologique a consisté à s’entendre sur le sens donné aux mots suivants : désaffection, marginalisation, décrochage, déscolarisation, inclusion, insertion et intégration.
8 Le chapitre III de P.J. Welsh traite de la grande pauvreté : la précocité économique et sociale et la politique d’insertion scolaire dans le Thanet et à Lille. La marginalisation des jeunes dans le « district » de Thanet en Angleterre et dans la ville de Lille en France a des aspects structurels. Les deux pays ont une politique d’insertion, mais offrent des contextes culturels de réalisation très différents. La loi sur la réforme de l’éducation (Education reform act) de 1988 et loi d’orientation sur l’éducation constituent les cadres respectifs de l’éducation et permettent d’appréhender les études transnationales sur l’insertion scolaire. On peut constater une convergence de certains aspects de deux systèmes éducatifs, bien que ceux-ci soient fondés sur des valeurs différentes.
9 La deuxième partie de l’ouvrage traite en trois chapitres du problème des jeunes. C. Asdish introduit les travaux du groupe de recherche sur « le vécu des jeunes : étude des jeunes dans leur communauté». En sa qualité de coordonnatrice, elle expose dans un premier chapitre en collaboration avec Dorinne Gez-Mbembo, étudiante en DEA, les résultats, dans le contexte français, d’une analyse thématique de la socialisation des collégiens décrocheurs, de leurs rapports avec les acteurs de l’institution scolaire et des attitudes familiales envers la scolarité.
10 Plusieurs facteurs de décrochage sont impliqués dans le processus de marginalisation scolaire et sociale. Le décrochage scolaire serait, selon les cas, une réaction de défense pour fuir l’échec et la stigmatisation, une réaction salutaire pour s’engager ailleurs.
11 Le deuxième chapitre, rédigé par une doctorante, Carole Dolignon, réalise une étude des contextes en France et en Angleterre, et explore l’intrication des facteurs de décrochage à partir d’études de cas. Vingt adolescents décrocheurs français et anglais, scolarisés sur des régions où l’histoire houillère et manufacturière a favorisé une grande concentration de familles ouvrières. Les études de cas cliniques servent à interroger le sens donné par l’adolescent décrocheur français ou anglais à l’école.
12 Le troisième chapitre, qui associe Carole Asdih à une doctorante coréenne, Yoonjung Cho, étudie les manifestations de la violence entre élèves à travers l’analyse comparée des réponses d’élèves à un questionnaire passé dans trois établissements scolaires en France, en Angleterre et en Corée du Sud.
13 La définition de la violence entre élèves pose problème, car il s’agit d’une question de pouvoir où les dimensions culturelles et interculturelles, des comportements agressifs sont des facteurs déterminants. Comment la maltraitance se manifeste-t-elle ? Qui sont les responsables ? Les chercheurs supposent une association entre les valeurs de la société transmises par la famille, l’école et les divers environnements dans lesquels gravitent les élèves et les manifestations de violence. Les recherches montrent qu’il est possible de prévenir la violence quand l’école, les personnels, les parents et les élèves participent à des programmes anti-violence organisés à plusieurs niveaux : individuel, groupal et institutionnel.
14 La troisième partie, la plus développée, concerne la formation des enseignants à l’accueil des jeunes marginalisés.
15 D. Zay rappelle la tendance internationale du retour au terrain et à la valorisation des savoirs des praticiens construits dans l’exercice du métier (« pratique réflexive »).
16 R. Malet, S. Lawes et P. Masson s’intéressent aux orientations qui débouchent sur des pratiques nouvelles : stages, mémoire professionnel, tutorat et «mentors» supposés créer des ponts entre l’université et le terrain professionnel.
17 En Angleterre, on est passé depuis peu, du tuteur au mentor. Le rôle du tuteur est plus prépondérant et nettement plus prescriptif en Angleterre qu’en France où les compétences pratiques à acquérir sont moins rigidement définies et contrôlées.
18 Coexistent en France, deux modèles de tutorat d’enseignants : un modèle traditionnel, empirique et artisanal et un modèle plus rationnel et techniciste, qui semble plus se placer dans une dynamique de professionnalisation. On observe depuis quelques années en France comme en Angleterre, un phénomène convergent de recentrage de la formation des enseignants sur l’espace professionnel.
19 La marginalisation de la formation universitaire qui se profile derrière la tentation d’une «formation tout-terrain» tend à exclure la dimension critique de la connaissance.
20 Comment travailler avec les enseignants à la mise au point d’un programme d’études adéquat et d’un environnement pédagogique favorable pour les élèves à risque ou exclus ?
21 J. Cornwall présente une recherche-action qui a pour ambition d’améliorer la motivation des élèves perturbés et perturbateurs dans les salles de classe.
22 Dans l’avant dernier chapitre, M. Loison situe la formation des maîtres entre la praxéologie et la pratique réflexive. Quelle est la partie des savoirs d’expérience dans la remédiation à l’échec scolaire ?
23 D. Dufour conclut sur la posture de l’enseignant face aux difficultés de la classe. La mobilisation du concept de la pratique réflexive permet de mettre l’accent sur le processus d’appropriation et l’investissement personnel ou collectif pour opérer des changements pendant le cours ou après le cours.
24 A D. Zay, il revenait la tâche de synthétiser la recherche et de mettre en perspective ses résultats. A la question de départ, l’école peut-elle jouer un rôle dans la prévention de l’exclusion sociale des jeunes ? Il est répondu que, si l’école n’est qu’un facteur parmi d’autres d’exclusion sociale, l’approche comparative nous apprend cinq choses essentielles sur le rôle de l’école dans la prévention :
- l’utilité sociale de l’école à l’échelle internationale, ne peut pas être pensée indépendamment d’une tradition culturelle propre à chaque Etat-Nation ;
- le fonctionnement scolaire semble lui-même provoquer l’allergie à l’école ;
- on ne peut ignorer dans le processus de décrochage, le sens que l’élève attribue à l’école, aux savoirs, à son projet de vie et à son histoire singulière (importance des relations affectives) ;
- le désengagement éducatif est une forme de réponse à une situation insoutenable et peut être vécu non comme un échec mais comme une libération ;
- au total, un axe de progrès consisterait à mieux articuler politique scolaire, politique sociale et politique de la ville pour mettre en synergie l’ensemble des acteurs sociaux concernés.