Notes
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[1]
Alain Jaillet est professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Pontoise, chercheur au Laboratoire « École, mutations, apprentissages » (ema — ea 4507), responsable de la Chaire Unesco « Francophonie et révolutions des savoirs : éducation et connaissances à l’ère du numérique et des réseaux internationaux ».
Béatrice Mabilon-Bonfils est sociologue, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Pontoise, directrice du Laboratoire « École, mutations, apprentissages » (ema — ea 4507). -
[2]
Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. Arrêté du 01.07.2013, j.o. du 18.07.2013. <http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=73066>
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[3]
Luc Boltanski & Laurent Thévenot (1991). De la justification. Les économies de la grandeur. Paris : Gallimard.
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[4]
Ibid., p. 79.
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[5]
Jean-Claude Passeron (2006). Le raisonnement sociologique. Un espace non poppérien de l’argumentation. Paris : Albin Michel.
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[6]
Pierre Cahuc & André Zylberberg (2016). Le négationnisme économique. Paris : Flammarion.
1Prolongeant les thématiques engagées dans le précédent numéro de la revue, la rubrique « Terrain » prend cette fois pour champ l’école et la formation des enseignants sous la forme d’une disputatio entre deux chercheurs en sciences de l’éducation. Partis d’un débat sur l’enseignement des « valeurs de la République » et sur la notion même de « valeur » au sein d’une société laïque, leurs échanges prennent pour objet la part de la croyance dans la construction de la science.
2Alain Jaillet : La rentrée 2013 était placée sous les auspices d’une énième réforme, considérée encore une fois comme déterminante par ses promoteurs. Sous le vocable « Refonder l’école de la République », un énième ministre de l’Éducation nationale a voulu marquer de son empreinte le paysage républicain en convoquant une rhétorique de combat, dans laquelle l’appel à la mobilisation générale et la figure de la République intemporelle sont aux premières loges. L’un des pans essentiels de cette impulsion politique concerne la formation des enseignants que l’on « sauve ». À cette occasion, un référentiel de compétences est publié au Journal officiel en juillet 2013 [2]. La première compétence décrite se focalise sur la République : « Faire partager les valeurs de la République ». Pour ce faire, on demande aux enseignants d’être détenteurs de deux compétences, essentielles, on l’imagine, aux intentions des rédacteurs :
3– « Savoir transmettre et faire partager les principes de la vie démocratique ainsi que les valeurs de la République : la liberté, l’égalité, la fraternité ; la laïcité ; le refus de toutes les discriminations. »
4– « Aider les élèves à développer leur esprit critique, à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances, à savoir argumenter et à respecter la pensée des autres. »
5La première compétence est double. Il s’agit de transmettre et de faire partager. Ce qui suppose donc que l’enseignant est déjà lui-même dépositaire de ces principes. Il est demandé de le faire sur deux registres, les principes de la vie démocratique d’une part, et d’autre part les valeurs qui sont explicitement désignées en cinq items. Les trois premiers sont classiques. La laïcité s’ajoute et, comme les trois premiers, ne se décline pas en paraphrase ou explication, à la différence du cinquième, « le refus de toutes les discriminations », qui n’est pas concaténé dans un mot concept plein.
6Pour le premier verbe d’action, transmettre, on ne peut pas faire plus classique, on considère qu’il y a un corpus de savoir qui peut se décrypter de façon simple et donc passer d’un enseignant à des élèves par le canal de la communication magistrale, on imagine. Pour le second, faire partager, il y a lieu de s’interroger : comment « faire partager » les principes de la vie démocratique à l’école et ses valeurs ?
7Le second item au service du partage des valeurs de la République se focalise, dans un premier temps, sur l’aide au développement de l’esprit critique, défini comme la capacité à distinguer les savoirs des opinions ou des croyances. Il s’agit de former à savoir argumenter, respecter la pensée des autres. Pour peu que l’on considère que ces compétences ne sont pas seulement des pétitions de principe que recouvrent ces deux premières compétences dont chaque enseignant doit à présent être le détenteur.
8Béatrice Mabilon-Bonfils : Ton interrogation est au cœur d’un débat de fond : comment un chercheur en sciences sociales, quelle que soit sa discipline, peut-il former des enseignants ? Un enseignant-chercheur qui forme des enseignants par/avec la recherche est dans une sorte de position schizophrénique : il doit à la fois inculquer au professeur les valeurs centrales de cohésion de sa société, telles que les lui indiquent les textes réglementaires, valeurs qui formeront le socle servant à « socialiser la jeune génération » comme l’exprime Durkheim – en l’espèce ici les valeurs de la République – et lui permettre de construire son esprit critique.
9Autrement dit, « enseigner des valeurs » se réalise par un récit historique normatif (enseigner un savoir pour une nation), fruit d’injonctions politiques, qui légitime un système de normes.
10Par exemple, l’une des valeurs évoquées dans les compétences visées, l’égalité, se traduit concrètement par le système de la carte scolaire dont l’objet est de favoriser la mixité sociale. En même temps, l’enseignant-chercheur (mais le formateur également) a l’obligation de former aux savoirs de la recherche supposés mus par la neutralité axiologique. Or, du point de vue de la recherche, la carte scolaire (tout comme ailleurs son assouplissement) a pour effet de participer non à l’égalité des chances mais à la ségrégation sociale et ethnique des publics. La rhétorique d’égalité des chances est battue en brèche autant par les pratiques des familles que par le fonctionnement de l’institution, qu’il s’agisse des modalités sociales d’attribution des dérogations, des politiques d’options des établissements, des modalités de constitution des classes, de la définition de zones de carte scolaire calquées sur un territoire lui-même ségrégé, des stratégies familiales inventives de contournement de la carte scolaire, de l’existence de l’enseignement privé. Par exemple, une étude récente menée par l’économiste Julien Grenet à Paris montre l’exclusion quasi complète des classes sociales défavorisées dans les collèges privés parisiens. Au total, il est même possible de se demander si par-delà les rhétoriques incantatoires de mixité sociale par et dans l’école, la fonction politique même de l’école n’est pas d’exclure, puisque pour qu’il y ait des inclus, il faut bien qu’il y ait des exclus.
11Comment vivre cette antinomie ?
12A. J. : En amont, le terme valeurs me semble poser problème. Si on peut en comprendre la genèse au xixe siècle républicain, son entretien dans notre modernité repose sur un quiproquo politique qu’il faut discuter. Au xixe siècle, lorsque la démocratie républicaine devait affronter les tentations d’Ancien Régime appuyées sur la religion catholique, il fallait forger des arguments de poids. Le catéchisme au sens large, système de normes s’appuyant sur et appuyant des révélations divines fondant la religiosité, n’a eu de cesse de vouloir contingenter, normer le monde des humains au nom de principes divins interprétés cependant par des humains. Les Lumières justifiaient un corps idéologique de valeurs républicaines, c’est-à-dire un ensemble d’idées portées au même niveau que les valeurs chrétiennes et en concurrence avec elles. Autrement dit, il était possible de mettre en avant des principes qui n’avaient rien à envier à un héritage spirituel et religieux. De là à aller jusqu’au positivisme qui voulait faire de la science une religion objective, il n’y a qu’un pas. Qui dit valeurs, dit système d’idées hiérarchisées et donc fatalement fonde des oppositions. La raison philosophique peut-elle être le juge de paix des idées qui sont supérieures et de celles qui sont inférieures, de celles qui sont acceptables ou ne le sont pas ?
13Le risque de l’édification d’un corps de principes sur cette justification, en mettant sur le même plan des idées religieuses et d’autres qui ne le sont pas, c’est d’inscrire les unes et les autres dans un système d’affiliation à des croyances, en considérant qu’il existe des valeurs transcendantales. D’ailleurs, le terme « croire dans les valeurs de la République » est un truisme politique courant. Il me semble qu’il s’agit là d’un piège duquel il faut sortir. Certes il y a des idées, et à celles-ci sont associées des normes, mais faire croire qu’il s’agit de valeurs est une erreur. Ce sont certainement des principes à la fois organisationnels, structurels, conceptuels mais pas des valeurs. Par exemple, le principe d’égalité est une convention nourrie par les philosophes, les scientifiques à l’époque, les poètes sûrement, qui posent que ce principe est plus généreux humainement et plus utile socialement et qu’il génère peut-être moins d’effets pervers que le principe d’inégalité. En conséquence, la société qui passe contrat social entre tous ses membres se dote de normes qui sont en phase avec ce principe. Est-ce que le principe est toujours facile à mettre en application ? Est-ce que pour autant les normes qui en découlent n’ont pas d’effets pervers qui vont peut-être à l’inverse des principes qu’elles sont pourtant en charge de servir ?
14Bien sûr qu’il y a des effets inverses. Mais soit on considère que l’on est dans un système religieux de croyances et l’on cherche alors à prendre en défaut les responsables, voire les comploteurs qui chercheraient à mettre en place des normes inverses aux principes, pour les convaincre qu’ils seraient dans le péché, soit on considère qu’une aventure humaine n’est jamais que la somme de compromis et de possibles défaillances et qu’il convient d’œuvrer à les limiter, voire les contrer, et on le fait. Évidemment, il est tout à fait possible de faire croire que l’on est d’accord avec un principe, jouant sur les interprétations, pour mettre en œuvre des normes qui iront à l’inverse de certaines interprétations du principe. C’est le cas avec le principe de laïcité, qui ne peut en aucun cas être une valeur. C’est un mode d’organisation qui considère que dans l’espace de vie commun (contrat social), nul ne doit pouvoir se prévaloir de principes relevant de croyances divines pour imposer son comportement aux autres. En même temps, quand j’exprime cette idée, je ne suis pas tout à fait à l’aise. Il me semble en effet que des parents qui éduqueraient leurs enfants dans la croyance que, dans l’espace public, l’inégalité est un fait indiscutable parce que divinement révélé, justifiant par exemple la supériorité d’un genre sur l’autre ; ou bien que les normes de comportement sexuel sont fondées sur des commandements divins qui en assurent la validité, iraient fondamentalement contre le principe de base de la société. Par conséquent on pourrait considérer que ce principe de laïcité doit pouvoir garantir l’indépendance des enfants par rapport à l’emprise des croyances.
15B. M.-B. : Nous touchons là un désaccord de fond. Tu distingues valeurs et principes et, partant, tu indiques que le principe de laïcité ne peut en aucun cas être une valeur. Je repère d’abord que cela contredit cette fameuse compétence 1 où la laïcité (comme la liberté, l’égalité, la fraternité, le refus de toutes les discriminations) est présentée comme une valeur de la République. Je concède que l’argument est cependant de peu de poids, les textes politiques ayant peu affaire avec les réflexions philosophiques ou sociologiques.
16Mon argumentaire s’appuie plutôt sur l’idée que pour tout sociologue, me semble-t-il, tout choix de société repose sur les valeurs qui la fondent, celles-ci n’étant d’ailleurs qu’un construit social, produit hégémonique de rapports de pouvoirs. Je considère donc la laïcité comme une idéologie, un système cohérent de valeurs productrices de normes et de prescriptions, comme par exemple la loi de 2004 sur l’interdiction des signes ostentatoires à l’École.
17Sans développer ce point, orthogonal à notre thématique de débat, je rappelle que le traitement français du religieux est parfois condamné par le droit européen et parfois contraire à la déclaration des droits de l’homme (voir son article 9). Sans aller plus avant dans le débat, tu comprendras que pour moi la laïcité est un système organisé de valeurs producteur d’effets. Le législateur ne s’y est pas trompé d’ailleurs quand il ajoute le refus de toutes les discriminations comme valeurs de la République !
18A. J. : Je t’interromps à ce stade pour noter deux points. Le premier concerne la posture de sociologue que tu revendiques pour t’autoriser, sui generis, à définir l’existence de valeurs parce que nécessaire à ton argumentation, sans en épaissir la charpente. Le sociologue peut toujours construire le monde avec les concepts qui lui vont bien pour l’expliquer, mais ça ne l’exonère pas de devoir être au milieu du monde pour que ce qu’il propose puisse se partager avec ses contemporains béotiens, sans qu’il impose son découpage du monde selon la posture de l’expert qui de fait ne peut se discuter. De fait, tu ne réponds pas à la distinction entre valeurs et principes autrement que par un argument d’autorité. « En tant que sociologue, je révèle que… ». Le second point en prolongement est à propos de la proposition selon laquelle toute société s’appuie sur un corps d’idées, constitutif d’une idéologie. Certes. Mais la question est de savoir si on met celles-ci sur le même plan que les croyances religieuses qui considèrent qu’il y a des idées qui ne se discutent pas puisque faisant l’objet d’une révélation divine. Évidemment la laïcité est une idéologie qui pose un principe issu de son historicité, de son contexte (la France est le pays d’Europe qui géographiquement a été le creuset de tous les déferlements de peuples depuis l’aube de l’humanité, et donc un patchwork de populations de différentes origines unies d’abord sous la gouvernance d’une royauté de droit divin, puis que les Républicains ont cherché à stabiliser en gommant toutes les différences) Mais la laïcité est un principe d’organisation qui impose que les différences, d’abord religieuses, mais pas seulement, ne puissent s’imposer sur le fonctionnement commun. Que d’aucuns transforment les principes en religion en les faisant passer pour des valeurs, c’est possible, mais cela ne transforme pas l’eau en vin.
19B. M.-B. : Effectivement je te donne acte que je parle de ma place de sociologue (dis-moi d’où tu parles). Le sociologue comme n’importe quel scientifique produit des fictions heuristiques, et à ma connaissance, par-delà la pluralité des paradigmes sociologiques mais aussi anthropologiques ou ethnologiques, je ne connais pas de travaux qui partent de ta définition des valeurs réduites à des idéologies révélées indiscutables. Pour entrer dans la discussion plus franchement, tout est affaire de taxinomie et nommer le monde c’est le construire Et les principes ne sont pour moi que l’expression de ces choix de valeurs collectives. Même dans les économies de la grandeur de Boltanski [3] que tu aimes citer, quand les acteurs de chacun des mondes se réfèrent à un principe ou encore à un bien commun, ce principe est susceptible d’emporter l’adhésion des autres acteurs en situation : « au nom de… valeurs » qui portent ce bien commun.
20A. J. : Je t’interromps encore. Il est tout à fait possible que j’aie mal interprété la justification de Boltanski, mais il me semble que tu lui fais endosser le terme valeur avec un sens différent. Le principe de la « justification » c’est qu’il existe des principes d’intérêts supérieurs communs. Comment sont-ils définis ? Il montre qu’en cas de conflit les contradicteurs vont s’affronter, se justifier en cherchant à convoquer des justifications, autrement dit des fondements raisonnables, toujours plus englobants. Il pose que « définir une relation comme équitable ou inéquitable […] suppose donc, en amont, une définition de ce qui fait la valeur des choses et des personnes, une échelle de valeurs qui demande à être clarifiée en cas de litige [4] ». Le terme de valeur est utilisé ici pour désigner l’accord sur lequel les individus font consensus, pas autre chose. Je ne peux évidemment pas dire que jamais aucun contrat social ne s’appuie sur des valeurs religieuses qui n’ont jamais à se justifier puisqu’elles sont révélées divinement, même si on passe le fait qu’il s’agit toujours d’interprétations humaines. Mais je peux dire qu’un contrat social peut s’appuyer sur des consensus d’expression du bien commun et celui-ci peut s’expliciter dans son historicité, ses contextes, ses géographies. Il est évolutif. En cela, ce n’est pas une valeur, comme tu la poses, de nature religieuse mais fonctionnelle parce que relative à la société humaine.
21B. M.-B. : Justement, je considère que par définition il n’y a pas de différence et de hiérarchie ontologiques entre les productions de valeurs qui participent toutes – valeurs religieuses, scientifiques, politiques, etc. – d’un système de croyances collectives qui parfois a la particularité de se présenter comme universel. Tout comme il n’y a pas de définition opératoire an-historique de la rationalité, la définition d’un mode d’approche disciplinaire n’est que le résultat d’une croyance collective dans les fondements de celui-ci. Ce à quoi il faut ajouter que l’universel est une construction sociale aussi… et sacrément efficace puisqu’elle nie à tout opposant la légitimité de dire le monde.
22Tu réfères donc la laïcité à un mode d’organisation liée à l’acceptation d’un contrat social. Mais les conceptions philosophiques du contrat social sont elles-mêmes plurielles, se distribuant pour simplifier entre la conception de John Locke et celle de Jean-Jacques Rousseau. Pour John Locke, le contrat social se construit à partir de « l’intérêt de la majorité » et si une minorité a des intérêts contradictoires avec l’intérêt de cette majorité, elle doit se plier au collectif, même si une marge de négociation est possible. En France, le contrat social d‘inspiration rousseauiste est fondé sur l’abstraction selon laquelle la majorité détermine l’intérêt de tous sans exception. S’il y a une minorité, c’est à l’école de lui montrer que la République dispose d’un pouvoir supra-communautaire, et qu’il y a une légitimité à transmettre les valeurs « universelles » à travers l’école.
23A. J. : Au moins, sur une partie, nous sommes d’accord. Quel que soit le mode de contrat social, c’est un ensemble de conventions. Ce que j’appelle « principes », pour fonder le fait qu’il s’agit de choix momentanés et datés, sédimentaires, parfois en rupture, constitue une idéologie. Ce que je pose comme « principes », tu veux le formuler comme « valeurs » dans le sens où ce qui leur donne du crédit est le système de croyances que l’on investit en elles, comme pour les religions. Pour ce qui me concerne, il ne s’agit pas de croyances, mais d’adhésion à des principes. Tu vas rétorquer sans doute en disant : qu’est-ce qui fonde l’adhésion si ce n’est la croyance ? Eh bien évidemment une hétérogénéité ontologique. Il est tout à fait possible que pour certains, le rapport entretenu aux principes relève des croyances, c’est d’ailleurs ce qui te permet de les définir comme valeurs, parce que tu prétends qu’on veut toujours les inscrire dans une universalité transcendante. Pour d’autres, l’adhésion aux principes vaut par tradition.
24C’est finalement ce que cherche à faire collectivement une société pour que ses principaux modes de fonctionnement soient entretenus par tradition, peut-on oser dire par « reproduction » ? Quant à la question de savoir si le pouvoir politique a un intérêt de reproduction à faire perdurer les traditions, ce sujet a déjà été très largement abordé.
25B. M.-B. : Mais la tradition ne s’appuie-t-elle pas sur un corps de croyances stabilisées ou parfois reconstruites pour donner sens au présent ? Mais je te laisse poursuivre ton raisonnement.
26A. J. : Je crains d’être un affreux ringard néo-positiviste, mais il me semble que l’évolution des sociétés humaines gagne à se départir des croyances cristallisées par le temps et la tradition, pour leur substituer des raisonnements collectifs en recherche de principes supérieurs pour le bien commun. Quand on vit dans un pays d’oppression ou à l’inverse de permissivité, on peut expliquer que l’on cherche à le fuir pour en trouver un qui correspond à ce que l’on souhaite. C’est-à-dire qu’il n’est parfois pas possible de parvenir à un consensus.
27En filigrane, est-ce que tu poses la question de la justesse des principes du contrat social ? Autre façon pour toi de redire que l’on hiérarchise bien à partir de quelque chose, donc en fonction de valeurs. Pour ma part j’assume un certain nombre de principes qui sont présents dans la société dans laquelle je vis et qui me paraît être une société de progression, à défaut de progrès. Le principe d’égalité des genres par exemple en est un principe majeur.
28B. M.-B. : En effet, pour moi aucune société – tout comme aucun individu qui est en pétri d’autant plus qu’il le nie comme croyance – ne peut se départir de ses croyances, et le bien commun est toujours le produit de rapports de forces pour dire le monde, souvent une rhétorique des dominants ! Malheureusement les sciences sociales désenchantent le monde, ce pourquoi d’ailleurs elles sont si peu légitimes. Quant à ton choix, il est politique et peut se soutenir tout comme un autre, puisque justement d’autres sociétés fonctionnement autrement que la nôtre… je sais bien que nous les Français pensons nos… « principes » comme universels !
29Mais cette question nous permet d’ouvrir le débat de fond qui nous questionne ici : le rapport de la science aux valeurs en dépassant un peu le cadre wébérien et la définition de la scientificité.
30C’est de cette antinomie dont nous traitons ici, à savoir que la position « schizophrénique » de l’enseignant-chercheur formant des enseignants – à la laïcité ou à toute autre valeur pour moi ou principe pour toi – est idéale-typique de celle de tout chercheur en sciences sociales, notamment quand il analyse sa propre société. Se pose effectivement la question de la neutralité axiologique du sociologue, lui qui prétend analyser sa propre société sans avoir comme l’ethnologue le détour anthropologique comme ressource. Mais plus largement, cette question se pose pour moi à toute science qui repose nécessairement sur des valeurs et donc active un système de croyances qui les fondent.
31D’une certaine manière, c’est la position de tout chercheur en sciences sociales : analysant sa propre société, ses analyses – pas nécessairement les siennes propres mais celles des chercheurs en sciences sociales – peuvent rétroagir sur la société qu’il prend comme un donné. Il produit donc des savoirs sur des sujets qui eux-mêmes ont des savoirs et des représentations (qui savent et se savent sachants) et ces savoirs impactent (plus ou moins) la réalité qui est ainsi construite. Mais cela est encore trop simple. Aucune société ne crée n’importe quelle science. Aucune société ne se pose de problèmes si elle n’a pas les construits théoriques pour les traiter. Il est même probable qu’elle n’en a pas vraiment besoin, les illusions étant essentielles aux hommes et aux groupes pour survivre ! Michel Freitag montre comment les sciences sociales sont nées dans un moment particulier comme discours de légitimation de la modernité et cela n’est pas sans laisser de traces. Le chercheur est ancré dans une époque, une institution, des relations de pouvoirs qui affectent ses choix d’objet – presque au sens où Freud parle de choix d’objets de désir – qui modèlent les méthodes qu’il pense valides, qui circonscrivent son territoire. Ce à quoi il faut encore ajouter qu’en tant que sujet singulier il a une histoire, une biographie qu’il sollicitera ou qui le sollicitera, qu’il le sache ou pas, qu’il le veuille ou pas, dans ses travaux même les plus « durs » c’est-à-dire les plus quantifiés. Bref, une recherche informe plus sur la société qui la produit et sur le chercheur qui la met en musique que sur l’objet précis de la recherche. Dès lors d’où tient-elle sa légitimité ? Est-il possible de distinguer, comme le demande le référentiel de compétences, « le savoir des opinions et des croyances » ? Est-il excessif (ou cynique, pour qui vit du savoir qu’il produit) de dire qu’une science est une croyance qui a réussi ?
32Comment te situes-tu par rapport à cette manière de voir la scientificité ?
33A. J. : Sur la première remarque que tu viens de faire, à propos de mes choix de principes, de fait ils ne sont pas universels puisque dans de nombreux pays, et peut-être même en France, ils ne sont pas partagés. Pour autant, cela ne les transforme pas en croyances. Faudrait-il qu’ils soient universels ? Évidemment pas les miens en tant que tels, mais un ensemble de justifications qui fondent que pourrait exister un ensemble de principes supérieurs pour le bien commun, façon de ne pas dire valeurs universelles des droits de l’homme, puisque je considère que ce terme comporte un sème de religiosité révélée et que je n’entends pas l’endosser.
34B. M.-B. : Je t’interromps sur ce point. Bien sûr qu’ils ne sont pas universels mais c’est justement le système de justification qui les fonde. Si tu excuses la formulation anthropomorphique, la France, patrie de la Révolution française et des Lumières, est très arrogante !
35A. J. : Arrogante, ah bon ! Et le stalinisme, le nazisme, tous les systèmes qui ont pour principe l’inégalité des individus et la légitimité des uns d’oppresser les autres, comment les qualifier ? Une personne peut être arrogante. Peut-être le suis-je en effet. Mais dire d’une société qu’elle est arrogante me paraît être une conception bien intellectuelle, généralisante, qui veut affecter à tous des intentions malfaisantes qui restent à démontrer. On peut toujours dire, et c’est sans doute argumentable, que la colonisation fut légitimée pour apporter la lumière. Mais je n’étais pas né et je ne me sens en aucun cas comptable des erreurs ou des outrances pour lesquelles je n’ai aucun pouvoir d’inflexion. Pour le reste, ce que tu décris comme une arrogance peut aussi se comprendre comme la manifestation d’une société qui se construit et se défend. Pour ce qui me concerne, j’ai beaucoup appris de l’anthropologue de la communication E. T. Hall qui a proposé une schématisation, me semble-t-il, très heuristique des fonctionnements des sociétés qui s’ancrent dans les activités biologiques de l’homme. Selon cette approche, une société s’organise en vertu de dix systèmes de communication primaire en interaction mutuelle : l’interaction, l’association, la subsistance, la bisexualité, la territorialité, la temporalité, l’acquisition des connaissances, le jeu, la défense, l’exploitation. Ce qui permet la définition de principes supérieurs pour le bien commun est un ensemble d’équilibres forcément liés à un temps, un contexte, des circonstances entre ces dix systèmes. D’une façon moins métaphorique que la proposition de Boltanski, on pourrait y trouver les principes qui modèlent le fonctionnement d’une société.
36Étant donné ta seconde remarque, il est probable que tu me rétorques qu’il s’agit là de mon système de croyances avec lequel je découpe le monde pour me le rendre intelligible et éventuellement supportable. Les philosophes qui se sont intéressés à la Weltanschauung (conception du monde) ont cherché à déterminer la part entre les constructions objectives et subjectives que chacun entretient dans sa relation au monde. Imaginer qu’il n’existe que des constructions objectives ou que des constructions subjectives est une illusion. Donc, le chercheur comme les autres doit trouver une sorte d’équilibre dans un positionnement relatif entre ces deux types de construction. Évidemment, un chercheur va considérer qu’il s’inscrit dans un système d’objectivation le plus contrôlé qui soit. Est-ce le cas ? C’est très vraisemblablement variable. Mais au-delà de ta question, est-ce que tu ne refermes pas le cercle en quelque sorte. Comme tu considères que tout s’appuie sur des croyances, alors on ne peut différencier savoir, opinions et croyances.
37Prenons l’exemple trivial de Galilée. Ératosthène (276-194 av. J.-C.) calcule la circonférence de la Terre (40 000 km). L’antiquité avait donc cette connaissance. L’Église de l’époque de Galilée considère que le soleil tourne autour de la Terre, géocentrisme, alors que celui-ci annonce qu’il peut démontrer que c’est l’inverse, héliocentrisme. Peut-on dire alors, que ces deux conceptions sont des croyances équivalentes ? Concevoir un système de preuves qui ne repose pas sur une justification rhétorique seulement mais s’appuie sur une méthode reproductible d’observations, de discussions contradictoires, d’instruments, est-il équivalent à un système de preuves qui reposent sur des croyances révélées ? Qu’il existe des scientifiques obtus qui n’imaginent pas remettre en considération ce qu’ils pensent comme absolument définitif et donc pas soumis à discussion, c’est possible. En même temps, les deux derniers siècles ont permis de faire évoluer des sciences qui cherchent à ne pas être trop prisonnières des spéculations liées à la compréhension du monde que l’on a dans un moment, pour permettre d’ouvrir des portes. À l’inverse, revenir sur la structure atomique de la matière peut sûrement la préciser et peut-être un jour la bouleverser, mais ce qui a été élaboré comme système de preuves et donc à rebours comme mécanisme de compréhension et d’explication, est vérifiable et efficace.
38En conséquence, le scientifique fait au mieux pour s’inscrire dans une conception objective du monde, en cherchant à poser les curseurs et en les explicitant sur l’axe objectif et l’axe subjectif.
39En prolongement, former les enseignants à distinguer, croyances, opinions et savoirs, c’est s’inscrire dans cette explicitation du monde. C’est la raison pour laquelle l’épistémologie des sciences, très tôt, est importante : faire percevoir que les certitudes d’une époque ne sont plus celles des autres, faire comprendre que l’investissement en de trop forts partis pris subjectifs obère la mise en évidence des conditions objectivables de construction des savoirs.
40Mais là où nous sommes piégés, c’est qu’une bonne partie de la Weltanschauung passe par le langage. Et l’instruction officielle qui demande à la fois de respecter la pensée des autres et d’argumenter risque fort de se heurter aux pièges du subjectivisme.
41La rhétorique qui nous vient des Grecs a abondamment travaillé l’art de convaincre. Faire la distinction entre savoirs, opinions, et croyances, c’est convoquer, sans la référence qui en permet l’exégèse correcte, le logos, le pathos et l’ethos de la rhétorique. La revendication à savoir argumenter et en même temps de respecter la pensée des autres inscrit une sorte de double contrainte dans l’acte d’enseigner.
42B. M.-B. : Je reprends tes arguments. Toute science « qui s’appuie sur une méthode reproductible », dis-tu. Or, c’est par définition ce qui est impossible en sciences sociales qui sont, comme le montre Passeron dans Le raisonnement sociologique [5], l’espace non-popperien du raisonnement naturel des sciences historiques. Certes, au fondement de toute discipline, il existe un ensemble, à la fois composite et assez bien partagé, de règles, de structures mentales, d’instruments, de concepts et de normes, de méthodes d’accès au réel, mais observer la construction des règles disciplinaires, c’est aussi cerner les migrations conceptuelles de science en science qui font obstacle à toute définition d’une discipline scientifique par une ou des méthodes propres. Car poser le problème des concepts et des méthodes scientifiques, c’est poser le problème de leur pouvoir et donc des croyances collectives qui en fondent l’efficience.
43A. J. : Encore une fois, ce n’est pas parce que tu le dis que cela exprime autre chose que ta propre Weltanschauung. S’il s’agit de « popperisation » des interprétations, il va très vite être question de principes éthiques. Les sciences sociales observent. Elles peuvent mettre en œuvre de petites expériences reproductibles mais pas fondamentalement manipuler des plans expérimentaux qui mettent en cause et en jeu la vie des gens dans toutes leurs dimensions. De fait, la question de la reproductibilité des sciences se pose plutôt dans ses instrumentations. Je ne vois pas en quoi cela obère le principe de recherche du sens. Que celle-ci ne soit pas a-idéologique, au sens où nous construisons notre monde justement par notre Weltanschauung, est assez facilement démontrable et cette démonstration est assez facilement reproductible…
44B. M.-B. : L’image dominante de la rationalité scientifique suppose que le scientifique dispose d’une méthode d’appréhension du réel qui lui garantisse la scientificité de sa démarche. Mais c’est une illusion, une croyance, oserais-je dire. Tout comme il n’y a pas de définition opératoire an-historique de la rationalité, la définition d’un mode d’approche disciplinaire n’est que le résultat d’une croyance collective dans les fondements de celui-ci.
45La deuxième remarque que je veux aborder tient à la question du rapport à la réalité des théories scientifiques : tu cites Galilée mais je ne suis pas sûre de ce que tu avances… dans quelques siècles. Nos modèles ne sont que modèles et que voyons-nous ? Ce que notre cerveau est capable de formaliser et de saisir ou d’imaginer par les sens, donc pas grand-chose, et ce que nos outils (psychiques et techniques) nous permettent de saisir : la matière noire existe-elle ? Quand on lit les travaux du physicien Trinh Xuan Thuan par exemple, on se rend compte qu’on ne sait rien de la réalité ontologique des choses et les hypothèses les plus vertigineuses restent ouvertes comme celle de l’existence de mondes parallèles.
46Le réel est donc voilé… L’apport de la science moderne de la nature consiste certes à avoir substitué une objectivité conçue comme légalité à un discours ontologique visant à énoncer les déterminations intrinsèquement possédées par les étants naturels. Mais le parti pris réaliste est encore assez communément partagé et la présentation des théories scientifiques comme le reflet de faits bruts, pour caduque qu’elle semble à l’épistémologue contemporain, est pourtant toujours la plus communément acceptée dans les sciences-se-faisant, sorte de « philosophie spontanée du savant ». La connaissance scientifique aux ambitions nomologiques postule l’existence de lois naturelles (censées régir l’évolution de déterminations catégoriques des objets composant cette nature) ou sociales que la science dévoile/décrit/reflète. Pour les réalistes, la connaissance scientifique reflète une réalité ontologique objective, les théories sont corroborées par les faits (ou au mieux falsifiées) et les objets se meuvent dans un espace indépendant de celui dans lequel se meut le sujet-connaissant. Le critère de vérité est alors conçu comme correspondance avec une réalité ontologique et, en ce sens, certaines théories seraient plus vraies que d’autres. La tradition empiriste, représentée par Isaac Newton, affirme même que les théories sont déduites des faits, sans que le scientifique ait à y apposer des hypothèses imaginaires. Or, les « lois » ne sont pas seulement des constats mais des définitions. Il n’est que de voir le débat public suscité à la sortie de l’ouvrage sur le « négationnisme économique » [6].
47A. J. : La vision objective n’est pas un de mes principes, je ne pourrais pas te suivre dans ta rhétorique. Nous avons une vision objectivable, qui dépend du temps, du contexte, des instruments à disposition et très certainement également de rapport de forces dans les disciplines qui cherchent à imposer des pouvoirs en utilisant des postures de légitimation et de délégitimation des autres. C’est humain… Et alors ? Ce n’est pas parce que ces connaissances sont datées dans un temps et un contexte qu’elles sont de fait inefficaces. Pour ce qui concerne le syllogisme selon lequel il y a des choses, phénomènes, situations que nous ne savons ni repérer, ni envisager, ni donc comprendre, et que par le fait que notre pouvoir de création mentale nous permet d’imaginer tout sans limites, donc que potentiellement cela existe, que veux-tu répondre à cela ? Tu te places ontologiquement dans le registre religieux et de fait des croyances. C’est ta Weltanschauung. Je n’ai rien à en dire, si ce n’est que je n’ai pas la même.
48B. M.-B. : Je réponds que ton « ça existe » ne fait pas sens pour moi ! Non seulement, les faits scientifiques sont construits et saisis grâce aux élaborations théoriques et conceptuelles, mais encore toute validité d’une théorie n’est que temporaire et partielle et toute expérience contredisant un aspect théorique peut être analysée soit comme invalidation de la théorie, soit comme échec expérimental, soit comme lacune méthodique.
49Ma position se réfère aux épistémologies constructivistes rompant de manière radicale avec cette conception de la connaissance, à la recherche d’une représentation iconique d’une réalité ontologique. Le constructivisme est radical en ce qu’il récuse la rupture sujet / objet, abandonnant le réalisme scientifique selon lequel la connaissance reflète une réalité ontologique. Et cela questionne ton positionnement subjectivisme / objectivisme. Pour moi cette dichotomie n’a pas de sens.
50A. J. : Je ne dis pas autre chose que ta prémisse, j’en arrive à une interprétation différente. Ce n’est pas parce que nous sommes faillibles, corruptibles, lâches et manipulateurs par essence, qu’il n’est pas envisageable de chercher à en repousser les effets. Par ailleurs, tu apportes toi-même ta propre contradiction. Puisque tu convoques une autre posture, c’est donc qu’elle est possible. En quoi la tienne devrait-elle être plus hégémonique qu’une autre ?
51B. M.-B. : C’est par exemple ce que la recherche biographique propose dans sa manière de faire de la science. La conception traditionnelle des relations sujet / objet est battue en brèche. Quand tu poses que « l’investissement en de trop forts partis pris subjectifs obère la mise en évidence des conditions objectivables de construction des savoirs » j’oppose le fameux « anything goes » de Paul Feyerabend. Autant dans le contexte de la découverte – ce qui est assez couramment admis – que dans celui de la justification des théories scientifiques – ce qui est couramment contesté – sont à l’œuvre des « themata », au sens de Gérard Holton, des « philosophies spontanées », au sens de Louis Althusser, des « habitus » au sens de Pierre Bourdieu, bref des valeurs et des normes collectivement produites et individuellement réappropriées.
52Rationnel et irrationnel, subjectivité et objectivité s’articulent pour produire du savoir. Il faut un monde onirique pour découvrir les caractéristiques du monde que nous croyons habiter. Et la science est beaucoup plus proche du mythe que la philosophie scientifique n’est prête à l’admettre. Mais du coup j’entends ton objection de fond qui porte sur mon syllogisme indépassable. Si la science est un système de croyances collectives comme les autres, comment admettre qu’il soit légitime à être transmis ? Se pose aussi la question de la diffusion et de la réception des savoirs des sciences sociales et là nous retombons sur la rhétorique… Je soutiens un peu malgré moi que l’art dans ses formes plurielles est un meilleur moyen de diffusion des savoirs scientifiques que nos articles scientifiques et nos pauvres tentatives de valorisation.
53A. J. : Je pense que nous sommes proches dans certaines conceptions et très éloignés dans d’autres. Ainsi quand tu dis « Rationnel et irrationnel, subjectivité et objectivité s’articulent pour produire du savoir », je ne dis pas autre chose. Il faudrait encore discuter sur les distinctions que l’on fait pour moi et pas pour toi entre savoirs et connaissances, mais on risquerait encore de retomber dans un vortex sans fin. Mais je pense qu’il est justement intéressant de former les enseignants à poser des différences et ne pas considérer que tout n’est qu’affaire de croyances ou de certitudes objectives. En cela, nous ne résoudrons pas notre distance.
54B. M.-B. : Je préfère laisser le débat ouvert avec une pirouette : Najat Vallaud-Belkacem n’a-t-elle pas abrogé la neutralité et l’objectivité de l’enseignant en 2013 puisque ces deux notions appartenaient à la compétence 1 de l’enseignant dans l’arrêté de 2010, et qu’elles n’y figurent plus aujourd’hui ?
Notes
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[1]
Alain Jaillet est professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Pontoise, chercheur au Laboratoire « École, mutations, apprentissages » (ema — ea 4507), responsable de la Chaire Unesco « Francophonie et révolutions des savoirs : éducation et connaissances à l’ère du numérique et des réseaux internationaux ».
Béatrice Mabilon-Bonfils est sociologue, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Pontoise, directrice du Laboratoire « École, mutations, apprentissages » (ema — ea 4507). -
[2]
Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l’éducation. Arrêté du 01.07.2013, j.o. du 18.07.2013. <http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=73066>
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[3]
Luc Boltanski & Laurent Thévenot (1991). De la justification. Les économies de la grandeur. Paris : Gallimard.
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[4]
Ibid., p. 79.
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[5]
Jean-Claude Passeron (2006). Le raisonnement sociologique. Un espace non poppérien de l’argumentation. Paris : Albin Michel.
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[6]
Pierre Cahuc & André Zylberberg (2016). Le négationnisme économique. Paris : Flammarion.