Couverture de LRL_171

Article de revue

Adolescence ! Vous avez dit adolescence ?

Pages 162 à 176

Notes

  • [1]
    Cinq temps ont existé en ce sens. Un premier avec une psychanalyste, spécialiste de l’enfant et des institutions pour enfants (C. Leprince). Le deuxième avec des spécialistes du psychodrame psychanalytique en vue de jeux de rôles (G. Mitrani et M. Selz). Le troisième avec un psychanalyste ayant une élaboration sur les « agirs » des adolescents (J.M. Forget). Le quatrième avec un psychanalyste travaillant plus particulièrement sur les effets des modifications sociétales contemporaines sur les professionnels de l’aide (J.-P. Lebrun). Le cinquième devait être organisé comme une recherche avec un laboratoire de sciences sociales (A. Ehrenberg) dont le chercheur était lui-même affilié à l’arborescence psychanalytique dans les sciences sociales chez N. Elias.
  • [2]
    S. de Mijolla-Mellor, « L’imaginaire de l’enfant et ses mythes », actes de la journée d’étude du 25 novembre 2005, association Le fil d’Ariane.
  • [3]
    À ce sujet, j’ai pu discuter avec Maurice Godelier en lui posant la question d’un invariant anthropologique fondamental et lui ai demandé s’il existait des rituels avec sacrifice d’enfant. La réponse est oui. J’ai pu discuter avec Kathia Martin Chenut, juriste, poser cette même question et vérifier comment les sociétés actuelles considéraient ces sacrifices d’enfants. Elle me disait que l’interface ethnologique pour la lecture et la considération de ces faits troublait les éventuelles analyses juridiques et judiciaires.
  • [4]
    Rapport que j’ai remis en 2002 à la directrice de la pjj, Sylvie Perdriolle, « Propositions cliniques pour les mineurs auteurs de violences », fruit d’un travail groupal ayant associé des professionnels des administrations de la santé et de la justice ainsi que des professionnels praticiens de la santé mentale et d’autres de la pjj.
  • [5]
    Exposer un enfant signifie depuis le xive siècle « l’abandonner dans un lieu écarté et désert » puis « laisser sous la menace d’un danger » et encore « mettre en danger ». A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992.
  • [6]
    S. Freud, L’homme Moïse, dans ocp, tome xx, Paris, Puf, 2010.
  • [7]
    Je voudrais signaler ici les travaux d’Alain Depaulis, que j’ai croisés grâce aux actes de l’association Le fil d’Ariane pour leur journée d’étude du 25 novembre 2005, organisée à Tulle en Haute-Corrèze. Ce texte s’appelle « Le complexe de Médée. Quand une mère prive le père de ses enfants ». Il a été publié aux éditions De Boeck en janvier 2003 sous le titre Le complexe de Médée.
  • [8]
    Euripide, Médée, « Prologue », Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1962, p. 139.
  • [9]
    F. Renner, dans Corneille, Médée, Paris, Petits classiques Larousse, 2013, p. 13.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    P. Pasolini, Médée, avec Maria Callas, 1969.
  • [12]
    S. Barber, Medea’s Dance of Vengeance, op. 23a.
  • [13]
    E. Delacroix, Médée furieuse, 1838.
  • [14]
    F. Renner, op. cit., p. 15.
  • [15]
    Épisode où les psychodramatistes ont été considérés comme poussant à une pratique dangereuse, puis projet de recherche annulé contre toutes les décisions prises jusqu’alors, y compris le financement !
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1 Je termine actuellement un exercice particulier voire atypique pour le psychanalyste. Depuis dix ans, je reçois une ou deux fois par semaine, dans une maison des adolescents dont je suis le psychiatre coordinateur, des équipes qui veulent travailler sur une situation d’un adolescent en difficulté. Soit 201 séances de travail pour 128 situations. À la lecture, ces difficultés ont constamment plusieurs caractéristiques.

2 Les adolescents (81 garçons, 47 filles, moyenne d’âge 15 ans et 7 mois allant de 10 à 21 ans) présentent un état (mental, comportemental, physique et relationnel) qui suppose une aide constante des professionnels éducatifs et thérapeutiques.

3 Ces difficultés se sont aggravées depuis quelques mois ou années, en relation avec l’adolescence nous dit-on. Les travailleurs sociaux nous présentent ces situations à partir de leurs services éducatifs et nous disent à quel point leur mission est en impasse. Ils sont engagés le plus souvent dans un processus d’adresse réputée introuvable ou inaccessible, que ce soit pour une résidence ou pour un accueil psychothérapeutique. Ils sont en général accompagnés des professionnels des autres services (thérapeutiques, sociaux, judiciaires) qui interviennent aussi ou qui sont intervenus.

4 Dans le groupe de travail, je suis entouré de pédiatres, pédopsychiatres, juges des enfants, infirmiers, enseignants spécialisés, psychologues et travailleurs sociaux des différentes institutions du département, volontaires pour travailler dans ce cadre posé par le préfet et le président du conseil départemental, défini comme aide aux aidants (excluant toute délégation de pouvoir dans ce temps de travail interinstitutionnel).

5 Je vais témoigner de l’adolescence « prétexte » qui détermine ces travaux et qui révèle en fait beaucoup de ce qui n’est pas adolescence. Pour préciser plus avant ma pensée :  si on appelle adolescence des processus qui ne relèvent pas de l’adolescence, on fait violence à l’adolescent. Et tout au long de ces dix années, nous avons eu à penser que ces adolescents s’étaient vu enlever de l’enfance pendant l’enfance, ou de l’adolescence pendant l’adolescence. Par exemple, considérer au décours d’une agitation d’un groupe d’enfants de 12 ans qui a pris un caractère sexuel violent, considérer cela avec le mot viol (qui vient du droit pénal pour les adultes) et qu’il s’agit de la sexualisation adolescente est une erreur puisque cela ne restitue pas à l’enfance ses propres capacités transgressives et dangereuses. C’est enlever de l’enfance à l’enfant.

6 Enfin, mon hypothèse de départ étant que notre groupe serait très vite et immanquablement gagné, « contaminé », par la destructivité de ces situations, j’avais besoin d’un garant institutionnel (en l’occurrence le comité de pilotage de la maison des adolescents) et d’un tiers formateur. Dans mon esprit, celui-ci et notre temps de formation devaient être secondairement l’occasion d’une reprise créative, voire le temps d’une élaboration groupale (récit, recherche, culture [1]).

Les séances de travail ou les tentatives métapoïétiques

7 Initialement, ce travail a été marqué par un intérêt consensuel sur sa raison d’être, un étonnement positif quant à la durée des séances et à leur exploitation en termes d’historicisation ou de réhistoricisation de l’histoire des adolescents.

8 Après les premières séances de travail, un certain nombre de questions ont circulé dans ce groupe concernant :  fatigue importante des membres du groupe à la sortie des séances de travail, étonnement devant les formes paradoxales des troubles des adolescents, devant l’intensité des troubles chez le ou les parents, ainsi que des manifestations d’inquiétude et d’épuisement des travailleurs sociaux, représentation fréquemment très défavorable des parents, présentations des situations par les travailleurs sociaux vers un mode « lecture de faits et de décisions » dans les dossiers, et surtout estompement d’une représentation du sujet adolescent. Des postures défensives ont aussi émergé dans le groupe de travail :  discordances, parfois colères contre les équipes nous présentant ces situations, présences ou absences sur le mode self-service de certains membres du groupe, voire venir pour vérifier ce qui s’y passe.

Les séances de formation ou les tentatives métaphoriques

9 Si la psychanalyse ne représentait pas la formation initiale de tous les membres de ce groupe du fait de sa composition avec d’autres théories de la pratique sociale (cognitives, systémiques, juridiques et médicales), sa pollinisation sur chacun était suffisante pour que les formateurs que j’avais choisis puissent travailler en vue d’un socle et d’un récit communs de cette expérience. Ainsi les volets sur le développement narcissique (S. Freud, A. Green), le trauma précoce (D. Winnicott, S. Ferenczi), les carences précoces (R. Spitz) ont été travaillés, permettant une préfiguration pour les nouvelles situations.

Les tentations métapoïétiques et métaphoriques 

10 Les recours fréquents des travailleurs sociaux et des membres du groupe de travail à la configuration œdipienne, père-mère-enfant, tissaient un fil avec des récits qui contenaient aussi des préconisations en ce sens :  l’autorité (du père), la tendresse (de la mère), l’attachement (de l’enfant) étaient explorés y compris par leurs évidences inverses (père absent, mère abandonnique, enfant en difficulté de séparation) et leurs effets sur les travailleurs sociaux.

11 Les références sur les stades du développement infantile et les effets des adversités survenues précocement me semblaient aider à dessiner une deuxième ligne de récits qui n’appartenaient pas à la configuration œdipienne structurant les névroses.

12 Cette deuxième ligne de récits, redondants d’une séance de travail à l’autre autour des expériences traumatiques des enfants, théorisées par les auteurs cités ci-dessus, avaient des caractères souvent présents :  confusion, anhistoricité, pertes de témoignages. Sa particularité, je le rappelle, n’était pas repérable pour nous par une observation directe de ces adolescents mais par le récit des travailleurs sociaux à propos de ces adolescents et de leur enfance. En général, cette enfance était confusément perceptible et marquée précocement et à coup sûr par les effets des adversités. Cette écoute du récit de l’enfance de l’adolescent progressait donc jusqu’à nous par des échos. Ces échos étaient eux-mêmes porteurs des inflexions du ou des « passeurs » du récit. Il y avait donc aussi à considérer en quoi ces passeurs apportaient des inflexions plus ou moins importantes.

13 Peu à peu, ces inflexions me semblaient liées au caractère traumatique et spécifiquement agressif des adversités qu’avaient subies ces adolescents dans l’enfance. La précocité et l’intensité de ces adversités (qui sont survenues, pour 115 adolescents sur les 128 connus par nous, avant l’âge de 3 ans !) suggéraient un caractère à haut risque de mort, voire tendant au meurtre sur l’enfant. Ce caractère mortel ou meurtrier, s’il subissait à mon sens des inflexions dans les récits des passeurs successifs, était lié au fait qu’il révélait un trait ­anthropologique fondamental commun à toute l’humanité et donc porté par chaque passeur :  l’infanticide. Ce trait s’il était commun avait à être confirmé par son existence ailleurs. Les mythes, les légendes, les contes où s’expriment les angoisses primaires. Ces contes sont aussi les miroirs des angoisses des enfants et de leurs pulsions sadiques [2], ainsi que les romans pour enfants. Il fallait encore renforcer cette hypothèse par l’existence de rituels [3].

14 Être passeur, comme j’ai tenté de le dire [4] à propos du métier d’éducateur et de travailleur social, c’est mettre en résonance sa propre histoire dans l’humanité avec celles de ces enfants et adolescents. Or ceux-ci mobilisent en eux et avec eux des réponses psychiques contre la pulsion meurtrière dont ils sont l’objet, mais également porteurs eux-mêmes. Cet amalgame me semble fortement déterminant vers les passages à l’acte violents contre soi ou les autres à l’adolescence.

15 J’ai observé le désarroi manifeste des travailleurs sociaux dans la présentation de ces adolescents. À ce sujet je réfléchissais à ce qui amène des jeunes adultes vers les métiers éducatifs. Je considérerais que ces métiers ont au moment de leur mise en place à animer un idéal, une idéalisation de ce projet et des institutions qui le portent avec ses professionnels. Croisant quelques années plus tard certains de ces travailleurs sociaux dans de nouvelles fonctions qu’ils occupaient, je recueillais leurs propos concernant nos séances de travail qui avaient constamment une teneur de réconciliation avec eux-mêmes sur le sens de leur métier. Cette idéalisation initiale lors de leur entrée dans ces métiers était donc au risque des dépits de la pratique si difficile et de la possibilité ou de l’impossibilité qu’a l’institution de soutenir constamment son projet – et donc inconstamment dans les faits. Cette idéalisation puis ce dépit immanquablement présent sur le cheminement dans ce métier peuvent alors, à mon sens, renvoyer au sacrifice de soi, du professionnel, ou de l’enfant. C’est là que je pointe la demande d’adresse comme équivalent de l’exposition de l’enfant à la naissance au sens anthropologique [5] (Moïse, Œdipe, Jésus et le massacre des Innocents ordonné par Hérode, mais aussi dans des rituels ethniques récents voire contemporains sacrifiant des enfants). C’est la rencontre de l’enfant objet du meurtre et du sujet (l’adulte chez le parent ou le professionnel) ayant pourtant accompli un long refoulement, appuyé sur les générations [6] précédentes, aboutissant par le clivage à un déni de ses propres destructivités meurtrières.

16 Ce travail en séance supposait donc d’accepter qu’arrivent les travailleurs sociaux aux prises avec cette tragédie et cherchant plus qu’une adresse une issue apaisante pour l’enfant et pour eux. L’adresse est ici comme métonymie de la demande d’apaisement.

17 Cette rencontre tragique en tant qu’objet de la pulsion de meurtre et sujet porteur de cette pulsion me renvoyait à ces repères anthropologiques que je citais ci-dessus. Plus particulièrement, mon attention s’est portée d’abord dans le récit œdipien vers la période de la vie de Laïos qui amène celui-ci à sa condamnation ainsi qu’à sa descendance. Dans le récit œdipien, Laïos séduit son neveu et le mène alors au suicide. C’est le père de ce dernier qui va dire la sentence qui pèsera sur Laïos et toute sa descendance. Œdipe ainsi prédestiné à l’assassinat de son père, celui-ci prépare son meurtre en l’exposant. Il faudra que le meurtre s’accomplisse pour que le sentiment de culpabilité vienne à Œdipe et organise dès lors les structures névrotiques. Le récit œdipien est un récit « passeur » pour les spécialistes de l’enfance, mais centré sur les périodes qui suivent le temps de la malédiction lancée par le frère de Laïos, le temps qui mène à la névrotisation. Il organise par là un déni sur ce qui anime les origines de celle-ci. Et tout déni signifie un clivage.

18 Le mythe de Médée, moins connue que Laïos et Œdipe, offre ainsi l’intérêt de présenter une femme barbare, c’est-à‑dire étrangère (comme beaucoup de mères des adolescents connus par notre groupe, étrangères moins par les origines que par leur dynamique d’abandon ou d’agression sur leurs enfants, les rendant insupportables à nos organisations névrotiques). Elle est aussi sorcière (pensée magique). Nous entrons ainsi plus précocement dans les processus du projet de l’infanticide que ne laisse le faire le succès d’Œdipe au xxe siècle, centré sur la période d’après la malédiction. Avec Médée, nous sommes plus et mieux installés dans le développement primaire et des pulsions [7].

19 Or ce texte a aussi des caractéristiques qui subissent des inflexions dans le temps. Dans le récit d’Euripide, Jason intercède auprès du roi Créon pour que ses enfants ne soient pas chassés en exil en même temps que leur mère, Médée. Médée l’empoisonneuse va donner à ses enfants une robe empoisonnée qu’ils doivent porter en offrande à la future deuxième femme de Jason, Créüse. Médée ne veut pas laisser ses enfants auprès de celle-ci et de son père, Créon, qui les élèveraient alors qu’elle-même est contrainte à l’exil. Elle hait déjà ses enfants parce qu’ils ne seront plus auprès d’elle. Le contact du poison sur la robe tuera cette femme mais aussi les enfants qui la lui ont portée. Médée accomplit ces meurtres pour se venger de la trahison de Jason :  « J’ai reçu, malheureuse, j’ai reçu le coup, et j’ai de quoi gémir. Enfants maudits d’une mère qui n’est plus rien que haine, puissiez vous périr avec votre père et toute la maison s’écrouler ! » Puis sur la place publique :  « Mes amies ma décision est prise :  sans perdre un instant tuer mes enfants et fuir de ce pays. Je n’entends pas, par mes délais, les livrer aux coups d’une main ennemie. De toute façon ils sont condamnés. Puisqu’il en est ainsi c’est moi qui vais les tuer, moi qui leur ai donné la vie [8]. »

20 Corneille donnera, lui, une autre trame, « trouvant invraisemblable que Médée clame haut et fort son projet [9] », le transposant dans une configuration œdipienne. Médée ne saurait être celle qui accomplit une telle violence. Elle devient chez Corneille « un personnage contradictoire, qui oscille entre la figure de mère aimante, celle d’épouse amoureuse mais bafouée et de femme vengeresse [10] ». Il crée une caverne pour qu’elle se dissimule et prépare ses poisons. Elle a à réagir à ce que Jason est l’instigateur de sa séparation d’avec ses enfants. Il la présente dans une élaboration réactionnelle, préparant ainsi le statut d’héroïne auquel elle accédera dans les créations du xxe siècle – film [11], musique [12], peinture [13]. « Selon Corneille, la tragédie la plus sublime et la plus touchante est celle qui montrera un héros parfait, confronté à une situation d’autant plus violente qu’elle touche des personnes qui lui sont proches [14]. » On lit là le déni. C’est Jason qui demande à Créüse d’intercéder auprès de son père, le roi Créon, pour garder les enfants auprès d’elle et qui demande aussi à Médée de céder sa robe à cette même Créüse. « Est-ce assez, ma vengeance, est-ce assez de deux morts ? /…/ Que n’a-t-elle déjà des enfants de Jason, /Suppléons y des miens ; immolons avec joie/ Ceux qu’à me dire adieu Créüse me renvoie :/ Ils viennent de sa part, et ne sont plus à moi. / Mais ils sont innocents ; aussi l’était mon frère ; / Ils sont trop criminels d’avoir Jason pour père ; / Il faut que leur trépas redouble son tourment ; / Il faut qu’il souffre en père aussi bien qu’en amant. » Corneille fera disparaître de la scène le temps de l’infanticide contrairement aux meurtres de Créüse et de Créon et au suicide de Jason qui se succèdent devant les spectateurs.

21 Au fil des formations, je comprenais comme nécessaire une distanciation de la référence œdipienne pour aborder le vécu de ces enfants que je percevais alors comme une angoisse agonique, mais je comprenais aussi son activité incontournable dans les pensées du groupe comme une défense nécessaire de nos dynamiques névrotiques. Ce double mouvement chez les travailleurs sociaux et les professionnels du groupe sur le premier fil de récit :  distanciation sur les troubles des adolescents et agrippement à la triade œdipienne, m’a semblé révéler un espace, une faille, propice à une tentative métapoïétique. Cet espace situe de l’autre côté le fil du récit de l’exposition ou du meurtre initial (ces adversités précoces). Ce sont ces deux lignes de récits qui étaient portées dans nos séances mais avec une faille entre ces lignes. Cette faille pouvait se dessiner soit entre les travailleurs sociaux, soit entre les travailleurs sociaux et le groupe de travail, soit encore à l’intérieur du groupe de travail [15]. 

22 Il n’y avait pas à nier l’un ou l’autre aspect ni à activer l’un des récits contre l’autre, mais à instaurer là, sur la faille, le temps créatif. Certains ainsi l’ont fait dans leur propre espace psychique quand ils ont quitté le groupe sans autre témoignage que : « l’utilité de ces temps de travail et de formation s’est manifestée dans leur vécu professionnel quotidien dans leur service ». De même que certains parmi les travailleurs sociaux ont témoigné à distance de plusieurs années du sentiment de mieux-être après avoir travaillé avec nous. D’autres ont témoigné aussi d’un étayage nouveau dans leur pratique professionnelle, allant jusqu’à des choix nouveaux vers de nouveaux postes ou de nouveaux cadres de travail.

23 Il m’apparaît important de poser ici cette hypothèse sous une forme topologique. Les séances de travail ont été dessinées par ces deux lignes de récits avec entre elles une faille. Les passeurs et leurs inflexions les dessinent. Les deux lignes de récits sont de part et d’autre et progressent ainsi tant à l’intérieur de chaque groupe que d’un groupe à l’autre. Cette faille, on pouvait y pousser l’adolescent, y tomber. Mais on pouvait aussi se poser à penser autrement.

24 Voyons l’histoire d’un jeune garçon abordée à deux reprises à quelques mois d’intervalle.

Présentation d’Amadou, première séance

25 La composition familiale est la suivante : 

26 Mère :  madame Y. épouse G. est née en Angola, 30 ans.

27 Père :  monsieur G. est né au Congo, 34 ans.

28 Seul enfant de ce couple :  Amadou, né en France, 13 ans. Les parents n’ont jamais vécu ensemble. Le père a la garde de son enfant dès la naissance.

29 Madame Y. a trois filles avec son deuxième époux :  elles ont 8 ans, 7 ans et 2 ans.

Historique des prises en charge expliqué par l’assistante sociale enfance de l’Espace des solidarités (eds)

30 Amadou a 13 ans aujourd’hui. Très tôt, alors qu’il est accueilli en crèche, les professionnels sont préoccupés par son état. Il est alors proposé qu’il soit reçu au cmp (Centre médico-psychologique)enfants. Il est repéré des attitudes de collage aux adultes. Il y a un premier signalement de l’école maternelle pour Amadou, pour observation de carence éducative :  la maman reprend alors son fils.Mais il y a un second signalement du fait de la précarité de la situation de madame. Amadou retourne chez son père. Une Investigation d’orientation éducative (ioe) est prononcée (Amadou a 6 ans).

31 Il est confié à l’ase (Aide sociale à l’enfance) à 6 ans, en premier lieu au foyer de l’enfance qui est un lieu d’accueil d’urgence et d’évaluation. Puis il est orienté en placement familial spécialisé à 8 ans. Les raisons du placement :  l’enfant est chez son père qui disparaît, suite à des difficultés psychiatriques. Il est en fait hospitalisé en secteur psychiatrique. L’enfant est retrouvé tout seul errant dans les couloirs de l’immeuble et placé.

32 Sa maman a été aussi reçue à l’ase dès l’âge de 15 ans où elle a été placée. Elle a été orientée vers un internat éducatif. Un an après, à 16 ans, elle est enceinte d’Amadou. Elle rejoint un foyer maternel. Le couple ne vit donc pas sous le même toit et se sépare. C’est le père qui garde Amadou. Madame se remarie. Ce nouveau couple vit dans une situation très précaire.

33 Lorsque Amadou est placé à 6 ans, il déclare être victime d’attouchements et viol de la part de son père. Les signalements n’ont pas eu de suite judiciaire car une expertise psychiatrique a conclu qu’Amadou était dans le fantasme.

34 Madame a toujours eu du mal à investir son fils alors que monsieur est très présent. Elle ne va voir son enfant qu’une fois par an malgré le calendrier mis en place au départ.

35 Pour ce qui concerne monsieur, il bénéficie d’une visite tous les deux mois à la fondation accueillant aussi Amadou. Il investit son rôle de père et signe tous les papiers nécessaires, s’informe de tout. Il a un traitement par injection retard tous les mois dans un cmp adulte. Il n’est pas très stable, est hébergé par son oncle.

36 Madame ne travaille plus depuis la naissance de sa troisième fille. Elle a une formation d’auxiliaire de vie mais elle est en congé parental. « Elle porte beaucoup de choses au domicile. »

37 Les troubles d’Amadou s’accentuent. Il a « épuisé » plusieurs assistantes familiales, et passe alors en Internat thérapeutique et pédagogique (itep) à 9 ans. Il a été à l’internat de semaine mais cela n’a pas tenu car il ne dort plus :  il semble avoir très peur de la nuit. Il a d’autres problèmes chez la première assistante familiale qui est débordée. Chez la deuxième assistante familiale, il passe une semaine sur deux et les vacances scolaires. C’est un jeune garçon très dispersé. À l’heure actuelle, il semble qu’Amadou, qui a maintenant 13 ans, nécessite des soins incontournables :  on parle d’Internat médico-éducatif (ime) ou d’hôpital de jour.

Contributions de l’itep

38 Amadou a des troubles de la personnalité, est très imprévisible. Il ne reste pas à l’école toute la journée et a des problèmes avec les autres enfants accueillis et les adultes. Il ne fait aucune acquisition. On n’arrive pas à communiquer avec lui. Il revient tout le temps sur ce qu’il aurait vécu avec son père et auto-alimente son excitation. Il lui faut un éducateur avec lui et pour lui exclusivement. Ses gestes souvent gauches le font percevoir parfois comme violent :  par exemple il donne des coups et bouscule. Il cherche les autres pour les entraîner à émettre des propos racistes afin de pouvoir se rebiffer justement. Il a beaucoup grandi et est très fort. Il peut être rejeté par les autres et peut faire peur. Il urine n’importe où. Il cassait des objets dans les chambres quand il était à l’internat.

39 L’itep pense qu’il n’est plus opportun qu’Amadou y continue sa scolarité. Il a été réadmis à la rentrée de septembre mais les professionnels sont très mal à l’aise et sur leurs gardes. Amadou est surveillé en permanence. Une orientation de ce dernier est très attendue.

40 L’oncle paternel d’Amadou est très présent et fait autorité. C’est quelqu’un de référence dans la famille, de même que le grand-père paternel. Le père d’Amadou n’a plus de droit d’hébergement.

41 Amadou réclame des visites de sa mère, qui sont souvent annulées par cette dernière : elle oublie ses clefs, elle rate le rendez-vous, se trompe de train…

42 Le psychiatre à la fondation a œuvré pour qu’Amadou soit orienté à l’itep. Maintenant, il a fait un courrier à la mdph pour demander une nouvelle orientation avec plus de soins pour des troubles de l’envahissement. Il avait déjà préparé ce dossier alors qu’Amadou avait 13 ans, en écrivant :  « Mauvaise image de soi, complexion d’intelligence, fort indice de mythomanie. La question se pose d’une éventuelle psychopathie avec des traits pervers. »

43 Son père a été très mal et a donc été hospitalisé en psychiatrie. Actuellement, il se soigne et va mieux depuis deux ans.

44 Un dossier d’orientation a été adressé par la fondation, pour Amadou, au responsable du service familial et thérapeutique. Mais il paraît trop grand pour intégrer maintenant cette structure.

45 La question se pose aussi d’une évaluation par « l’entre-temps ». Amadou a un traitement associant Risperdal®, Tercian®, Lexomil®.

Intervention de l’éducateur référent d’Amadou au foyer 

46 Amadou est arrivé à l’âge de 8 ans. Il a été scolarisé en cp et ce1 tout en étant suivi au cmp.

47 À 9 ans, il a été pris en charge à l’hôpital de jour quatre demi-journées par semaine. À 10 ans, la famille d’accueil souhaite arrêter la prise en charge. « C’est une surveillance de tous les instants, Amadou ne supporte aucune frustration, a des difficultés à intégrer les règles de vie. Il souffre d’énurésie, et a manifesté une encoprésie dissipée à 9 ans, (il laissait des matières sous les meubles, ou était souillé sur lui…). Il a manifesté une violence très surprenante sur les animaux de la famille, à la limite de la cruauté. »

48 Il y a eu un premier accueil chez une assistante familiale récemment embauchée :  elle a arrêté très vite. Puis chez une deuxième, plus expérimentée, qui arrête après avoir été maltraitante. Amadou attaque le cadre familial.

49 Il chausse du 45 à 12 ans, il fait 1 m 70 et il est très développé physiquement. Il a des jeux violents, qui le sont d’autant plus qu’il est très fort.

50 Actuellement il est une semaine sur deux chez une nouvelle assistante familiale, et sur des séjours de vacances toujours différents car les uns après les autres refusent de le reprendre. Lorsqu’il était à l’hôpital de jour, l’équipe disait qu’il lui fallait un hôpital avec internat.

Discussion lors de la première séance de travail

51 Le juge des enfants a fait entendre que les parents étaient tous les deux responsables. Pour ce qui concerne les affabulations sexuelles faites par Amadou, il a demandé à ce qu’il soit soigné. Deux pistes de travail se dégagent :  1° organiser un travail d’ordre psychiatrique ; 2° que s’est-il passé à l’origine et jusqu’à ce qu’il soit retrouvé errant dans les couloirs du bâtiment de la résidence du père ?

52 Attente de précisions manquantes sur la santé depuis la naissance d’Amadou jusqu’à sa prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Qu’est-ce que le premier dossier judiciaire élabore ou pas ? Projet à dégager en soins psychiatriques par l’évaluation « d’entre-temps ». Il semble que le caractère précoce de certains troubles, collage, encoprésie, énurésie, n’a pas été pris en considération pour les choix d’orientation, en tout cas moins que les troubles actuels :  violences verbales, allégations, cruauté.

Deuxième séance du groupe de travail

53 Le groupe de travail est saisi par l’ase, car cette situation est très envahissante dans le service. Il ne se passe pas une journée sans que les professionnels aient à en parler. Et les difficultés à trouver un lieu d’accueil dans les périodes où Amadou ne peut rester à l’hôpital semblent aujourd’hui insurmontables tant l’ensemble des services s’en méfient.

54 Les éléments suivants complètent la biographie. Amadou est depuis plusieurs mois hospitalisé à la fondation (urgences puis pavillon). En ce sens, l’hospitalisation entre dans la suite de la première séance de travail où nous nous étonnions du retrait relatif du soin par rapport à la prééminence des décisions éducatives. Cependant, le médecin observe que cet enfant n’est pas entré dans cette hospitalisation par les voies du protocole habituel et que cela gêne les processus de soins de ce service.

55 De nouvelles informations précisent qu’Amadou a redoublé son cp puis intégré un ce1 à double niveau. Il est rapporté de cette période des comportements de collage aux adultes.

56 À 10 ans, il aurait commis des attouchements sur une petite fille elle aussi accueillie. Pendant son suivi au cmp, il sera reçu jusqu’à quatre demi-journées par semaine. L’internat de l’itep arrêtera du fait de trop fréquentes transgressions, avec des mises en danger. Il y a une accélération de nouveaux placements. Le juge sera amené à rouvrir les droits des parents à l’hébergement, sans suivi d’effet autre que le refus d’Amadou de se rendre chez eux.

57 Depuis son retour sur le département, Amadou est suivi par le cmp enfants et jusqu’à son admission aux urgences. Les troubles du comportement interrogent de plus en plus les aspects psychiques avec la mythomanie, des traits d’allure psychotique. Ainsi certains propos aberrants associés à des comportements dangereux (monte au plus haut de la tour d’habitation de sa famille d’accueil, induit des peurs chez celle-ci, y compris auprès d’adolescents plus âgés que lui, eux aussi accueillis dans cette famille. Des déambulations dans des fugues se ponctuent par un retour avec des propos sur des faits improbables. Pendant l’été, en centre de loisirs, il va se fracturer une cheville. Il commet également des attouchements sur un voisin de chambre.

58 L’hospitalisation à la fondation valide les aspects psychiatriques de cette évolution. Le groupe ne retrouve pas cependant les actes sexuels décrits dans un caractère pervers, mais plutôt des aspects de collage et de trouble majeur chez un enfant envahi par des fantasmes extrêmement crus et une évolution du langage qui perd en consistance. Toutefois, il pratique une réelle surveillance. Le groupe constate aussi un niveau d’excitation des professionnels impliqués autour de ce jeune et l’interroge. Cela est confirmé par l’ase qui invoque de telles multiplications des placements, où des transgressions se sont manifestées, que les équipes ase sont devenues méfiantes dans tout le département.

59 On note aussi la préoccupation de la référente ase sur la dislocation du cadre familial pour ce garçon. Lui-même ne manque pas de s’en inquiéter. Elle évoque l’hypothèse d’un conseil de famille.

Réflexions du groupe de travail

60 Cet enfant est le premier né d’une femme encore jeune (16 ans) et d’un père tout aussi jeune. C’est leur rencontre lors d’un placement ase qui les mène vers une union brève. Ce couple ne construira pas une parentalité sur cette base. Seul le père semble assumer une présence, mais ses propres troubles psychiques l’en éloignent par les nécessités de placements hospitaliers et de soins éprouvants. C’est son frère qui tentera d’étayer cette parentalisation et de préserver la filiation. Mais cette fratrie sera à l’épreuve de sa rivalité et cet oncle d’Amadou s’en écartera.

61 On peut aussi considérer que la maman n’a pas construit sa maternité au-delà des premières semaines en foyer. Elle semble mieux préserver cette construction pour les trois enfants de sa deuxième union. Mais il faut admettre que ce garçon n’a pas sa mère pour lui depuis bien longtemps. Les manifestations de collage des premières années sont dans cette veine d’une carence précoce du lien avec sa mère.

62 Pour les membres du groupe de travail, il n’y a pas lieu de remettre en cause les conclusions de l’expertise, quelles qu’aient été les difficultés de disponibilité du praticien.

63 On pense aussi à resituer les troubles les plus gênants pour la socialisation de cet enfant (manifestations sexuelles) dans un ensemble de difficultés dont il ne faut pas oublier les aspects périnéaux :  énurétiques et encoprétiques. C’est dire que les troubles sphinctériens et sexuels relèvent plutôt d’une dynamique commune et non de plusieurs troubles, au moment des acquisitions de cet enfant en termes de besoins primaires. Cette dysmaturation confirme une forme de souffrance précoce, des premiers mois de la vie, qui tend vers des troubles graves mais plutôt à l’écart de la perversion. Les soins psychiatriques sont ici légitimes. La question peut également se poser, à côté de ces troubles reliés à une carence précoce, de ce qui relève d’une identification au père sur ses propres troubles psychiatriques. Mais nous n’avons pas là de représentation suffisante du père (hors ses hospitalisations et soins, et son reproche à la mère d’Amadou sur sa carence).

64 Cet aspect sexuel, dans une monstration par ses « transgressions » aux professionnels des institutions, et comme isolé des autres troubles, s’est vu beaucoup trop investi au regard de ceux-ci. Les comportements sexuels gênants d’Amadou semblent évoluer dans une mise en avant excessive par lui-même et cela opère, à l’insu des professionnels sociaux, un démenti des troubles psychopathologiques. On peut craindre de ce fait une « sexualisation » excessive d’Amadou et en conséquence des suivis institutionnels obligés en première intention de faire avec. Sans approche autre de ce même trouble (par exemple collage à comprendre comme une trace d’essence carentielle), il existe à chaque fois une impasse, voire pour le placement suivant une impasse annoncée. Les méfiances et les peurs des professionnels pourraient se comprendre dans cette éventualité, alors que l’équipe hospitalière, moins préoccupée, n’a observé aucune transgression pendant ces trois mois récents.

Préconisations du groupe de travail

65 Les soins psychiatriques sont désormais les pivots de l’aide à Amadou. L’ase devient maintenant une institution suppléante, soutenant le travail thérapeutique du fait des carences parentales, pour aider à sa continuité et aux liaisons nécessaires, et ainsi éviter une psychiatrisation excessive si elle devait se caractériser par son isolement. La question se pose, au vu de l’envahissement des référents de l’eds, de saisir dès que possible une équipe qui tienne dans une nouvelle contenance les besoins exprimés par l’équipe hospitalière pour Amadou, au vu des préconisations qui suivent.

66 Ainsi les besoins d’Amadou, en termes de relais entre les séquences de soins (week-ends et périodes de congés), doivent être étayés par les services sociaux sur une base d’analyse beaucoup moins sexualisée dans leur présentation aux institutions et placements. Il ne s’agit pas de les dissimuler mais de présenter d’abord un enfant carencé avec sa biographie et ses troubles des fonctions primaires (pour certains en régression :  énurésie et encoprésie), et la nécessité de le laisser à distance de stimuli sexuels. Ce sont donc des adultes non entourés d’enfants qui doivent le recevoir. Il semble impossible de réinscrire Amadou dans un collectif éducatif non thérapeutique avec des enfants, adolescents ou jeunes au vu des vulnérabilités avec lesquelles il est perçu.

67 On peut aussi considérer comme nécessaire une expertise de chacun des parents pour aider à la décision du juge sur les meilleures suppléances parentales à envisager. On pourrait interroger encore la nécessité d’une évaluation ethnopsychologique pour vérifier jusqu’où les confusions des parents relèvent de pathologie, de carence ou encore d’éléments culturels propres à chacun d’eux et à chacune de leurs familles. La place de l’oncle paternel devrait être là analysée.

68 Le projet de conseil de famille avancé par la référente nous semble intéressant et pertinent pour aider Amadou à comprendre la défaillance de son entourage initial, voire préserver ce qu’il est encore possible (père ? oncle paternel ?). Il faut également mettre en place la forme juridique d’autorité parentale à même de prendre les meilleures décisions pour les prochaines années. Peut-être que d’éviter l’ase, trop marquée par les craintes de ses services, et d’envisager une audience chez le juge des enfants avant l’éventualité du juge des tutelles serait un bon sas. Ce serait aussi une mise au point quant à la « non-réponse » des parents à la réouverture des droits.

69 De plus, il pourrait être envisagé par le psychiatre de la fondation une clarification de l’évolution psychique du père d’Amadou afin de vérifier jusqu’où sa disponibilité voire sa disposition de parentèle à son égard reste possible.

70 À la lumière du nouvel éclairage clinique, il semble utile de ressaisir la mdph pour qu’elle contribue à une nouvelle orientation dans une perspective médicale éducative, voire professionnelle, à envisager pour le moment où la fondation considérera une stabilité suffisante et cette possibilité opportune.

71 Dans cette histoire, on lit les deux fils avec les récits respectifs :  celui des travailleurs sociaux, y compris la pédopsychiatrie par sa contribution au travail social, qui file cette histoire dans une configuration névrotique où père et mère seraient dans une relation à l’enfant, accessibles pour aider à son épanouissement suffisamment harmonieux, et encore sensibles à des préconisations avec leur autorité ou celle des institutions d’accueil ; les agirs sexuels du jeune garçon sont compris comme des transgressions relevant elles aussi de limites à organiser. L’autre fil fait le récit des troubles précoces, du caractère désorganisé du développement (énurésie, encoprésie), des adversités tout aussi précoces (le collage à type d’agrippement dès l’enfance, construction d’un récit sexuel incestueux violent). Curieusement, ce second fil ne prendra une tension suffisante que dans le temps de travail du groupe, y compris pour la pédopsychiatrie. Il resituera la compréhension des réponses à élaborer dans des priorités thérapeutiques mais non exclusives.

72 Concernant l’adolescence, ici et dans d’autres séances de travail, elle a été elle-même génératrice de définitions différentes, non seulement entre les différents métiers, mais aussi entre les professionnels d’un même métier. Ainsi on nous a parlé très fréquemment d’adolescence précoce, d’adolescence violente, d’adolescence pathologique. Sur ces aspects, beaucoup de travaux ont été développés dans notre groupe et ailleurs depuis bien longtemps Pour ma part, considérant que dans nos séances de travail la notion d’adolescence contribuait non à un travail pluriel mais au risque d’un travail confus, j’ai tenté de resituer l’enfance et l’adolescence. Dans cette situation il apparaît bien que nous ne sommes pas dans l’adolescence ni la préadolescence. Les agirs sexuels de ce garçon sont plus proches de la désorganisation corporelle périnéale qui l’a habité aussi par l’énurésie et l’encoprésie.

73 En conclusion, ces quelques lignes viennent tenter de témoigner d’un travail fait de tentatives métapoïétiques et métaphoriques qui ont rarement trouvé leur « frayage ». Ce n’est que tardivement dans ce travail que l’hypothèse topologique de la faille entre deux lignes et leurs inflexions de récits a pu s’ébaucher.

Notes

  • [1]
    Cinq temps ont existé en ce sens. Un premier avec une psychanalyste, spécialiste de l’enfant et des institutions pour enfants (C. Leprince). Le deuxième avec des spécialistes du psychodrame psychanalytique en vue de jeux de rôles (G. Mitrani et M. Selz). Le troisième avec un psychanalyste ayant une élaboration sur les « agirs » des adolescents (J.M. Forget). Le quatrième avec un psychanalyste travaillant plus particulièrement sur les effets des modifications sociétales contemporaines sur les professionnels de l’aide (J.-P. Lebrun). Le cinquième devait être organisé comme une recherche avec un laboratoire de sciences sociales (A. Ehrenberg) dont le chercheur était lui-même affilié à l’arborescence psychanalytique dans les sciences sociales chez N. Elias.
  • [2]
    S. de Mijolla-Mellor, « L’imaginaire de l’enfant et ses mythes », actes de la journée d’étude du 25 novembre 2005, association Le fil d’Ariane.
  • [3]
    À ce sujet, j’ai pu discuter avec Maurice Godelier en lui posant la question d’un invariant anthropologique fondamental et lui ai demandé s’il existait des rituels avec sacrifice d’enfant. La réponse est oui. J’ai pu discuter avec Kathia Martin Chenut, juriste, poser cette même question et vérifier comment les sociétés actuelles considéraient ces sacrifices d’enfants. Elle me disait que l’interface ethnologique pour la lecture et la considération de ces faits troublait les éventuelles analyses juridiques et judiciaires.
  • [4]
    Rapport que j’ai remis en 2002 à la directrice de la pjj, Sylvie Perdriolle, « Propositions cliniques pour les mineurs auteurs de violences », fruit d’un travail groupal ayant associé des professionnels des administrations de la santé et de la justice ainsi que des professionnels praticiens de la santé mentale et d’autres de la pjj.
  • [5]
    Exposer un enfant signifie depuis le xive siècle « l’abandonner dans un lieu écarté et désert » puis « laisser sous la menace d’un danger » et encore « mettre en danger ». A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992.
  • [6]
    S. Freud, L’homme Moïse, dans ocp, tome xx, Paris, Puf, 2010.
  • [7]
    Je voudrais signaler ici les travaux d’Alain Depaulis, que j’ai croisés grâce aux actes de l’association Le fil d’Ariane pour leur journée d’étude du 25 novembre 2005, organisée à Tulle en Haute-Corrèze. Ce texte s’appelle « Le complexe de Médée. Quand une mère prive le père de ses enfants ». Il a été publié aux éditions De Boeck en janvier 2003 sous le titre Le complexe de Médée.
  • [8]
    Euripide, Médée, « Prologue », Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1962, p. 139.
  • [9]
    F. Renner, dans Corneille, Médée, Paris, Petits classiques Larousse, 2013, p. 13.
  • [10]
    Ibid.
  • [11]
    P. Pasolini, Médée, avec Maria Callas, 1969.
  • [12]
    S. Barber, Medea’s Dance of Vengeance, op. 23a.
  • [13]
    E. Delacroix, Médée furieuse, 1838.
  • [14]
    F. Renner, op. cit., p. 15.
  • [15]
    Épisode où les psychodramatistes ont été considérés comme poussant à une pratique dangereuse, puis projet de recherche annulé contre toutes les décisions prises jusqu’alors, y compris le financement !
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