Couverture de LRL_151

Article de revue

Un petit bout de fils, et elles, bah...

Pages 7 à 8

1Je l’avoue, je m’en remettais à des idées simples, ce qui longtemps me permit d’aller me coucher de bonne heure. Le symbolique faisait trou, le réel nommait ce dernier, l’imaginaire habillait le tout pour éviter le froid (l’effroi bien sûr), on se retrouvait toujours dans la maison du père avec sa clé, l’amour, caché sous la potiche de l’entrée. Ces nobles catégories en effet confortaient le rôle du verbe dans l’organisation du rapport de l’individu à lui-même et à ce qui devenait son monde, pas sa propriété mais pas étranger non plus, Autre quoi...

2La somnolence dans le fauteuil avait pourtant été déjà dérangée par l’achat d’un cross-cap. On ne pouvait plus en effet à cause de lui se reposer sur le verbe éventuellement enrichi par un peu d’algèbre puisque c’est la géométrie qui se trouvait maintenant donner les plans de la maison. Il fallait se procurer un bonnet d’évêque, s’exposer à la pluie en découpant une rondelle supérieure, non orientable de surcroît, se retrouver avec ce bord très singulier de la bande de Mœbius puisqu’il effaçait la frontière entre conscient et inconscient, et conclure enfoui avec ce qui restait du sac dans l’obscurité d’un cæcum. L’ennuyeux était donc que de la géométrie, celle du plan projectif, s’avérait maintenant rectrice et organisatrice d’un espace dont le point à l’infini avait perdu tout caractère bienveillant pour enchâsser un mauvais œil. Alors que le monde précédent de représentation épousait le caractère linéaire tranquille de la narration, le plan projectif faisait arrêt sur image, celle du ratage du fait de ne pas être arrivé au bout du chemin, le « c’est pas ça » que signifiait entre autres le mauvais œil. Comment ne pas figurer soi-même dans ce plan comme déchu, désespérément coupable, et avec Ève sur les bras de surcroît ?

3Vous vous apercevez d’ailleurs que je procède ici moi-même par le biais de la narration comme si pour arriver au terme, celui de Lacan au moins, il me fallait l’apprivoiser, dire « ce sera ça » sans ciller, mais c’est ça quoi ?

4Ne lâchons pas le support du récit, en particulier avec l’anecdote rappelant que Lacan disait que « ce nœud lui allait comme une bague au doigt ».

5Les métaphores de notre maître n’étant jamais quelconques – j’allais dire notre « bon » maître, mais qu’est-ce que serait un « bon » maître ? – vous avez compris qu’il s’agit du rapport sexuel ; réussi donc comme – audace et crudité de l’image – une bague irait au doigt.

6Et nous voilà maintenant affublés de trois anneaux dont la propriété est qu’ils sont liés autrement que par le nom du Père, puisque c’est chacun maintenant qui assure le lien de la trinité nouvelle. Pas le Saint-Esprit, mais chacun des trois ronds, et à titre égal, une fois dépassée l’anecdote de la famille Borromée ; la logique neuve de cette propriété géométrique n’avait jamais été abordée.

7Filons droit au but, c’est le moment. Qu’est-ce qui pouvait faire union entre « homme » et « femme » si ce n’est le nom du Père, de l’ancêtre si vous voulez, au prix du sacrifice de jouissance à consentir pour ce Père le nourrir et au prix de la réduction réciproque des partenaires à un semblant éminemment condamnable et régulièrement désavoué ? Sur la scène, Guignol contre Bécassine.

8Voilà donc autre chose avec le nœud et qui – mais ne serait-ce pas une opération mystique ? – fait du Un une droite à l’infini se bouclant sur elle-même, un trou ou bien un soleil si l’on aime, sauf qu’il y en a trois maintenant, noués entre eux de sorte qu’aucun n’enclôt l’autre, puisque à peine entré, il en sort. C’est de nouage qu’il est question et pas du sens que par sa pénétration olympique l’un donnerait à l’autre.

9Si vous aimez les films d’horreur appréciez aussi que vos instances familières, le 1 ou le a par exemple disparaissent pour n’être plus que trous pris par tel ou tel serrage du nœud. J’en connais qui ne s’y font pas. Car le point le plus fort et le plus exaspérant de l’affaire est que notre représentation ordinaire de la matière – le signifiant, la lettre – est cassée au profit de ce qui est à chaque fois le serrage spécifique d’un trou. Mais qui donc a jamais pu envisager ça ?

10Le rond 4e, celui du nom-du-Père enfile lui comme sur un collier de perles, les trois autres.

11On l’adore, à la mesure de notre masochisme. Car regardez un peu autour de vous et vous-même inclus, comment peut-on supporter les fadaises de la filiale existence ?

12La clinique commence là, avec le Nom du Père et l’entretien de la douleur qu’on lui doit – rien de tel pour en jouir véritablement, pas en en faisant semblant érotique, avant que la névrose n’inscrive les dérivés – les tentatives d’y échapper alors qu’elles ne sont malheureusement que les réussites de la pérennisation. Pour le dire en un mot, il y a de quoi s’amuser avec le N.B. ce qui, toute autre considération mise à part, est déjà ça. Alors bague ou doigt ou rupture et renvoi chez le joaillier ?

13ps. Je remarque que ces quelques lignes ont perdu le caractère surmoïque propre à ce type de considération. Effet de fatigue ou du nœud ? À dire vrai, la sympathie pour le N.B. – je ne dis pas l’accès – m’est facilitée par le fait que sa conclusion m’a depuis toujours précédé : on ne peut rien à son histoire.


Date de mise en ligne : 04/06/2015

https://doi.org/10.3917/lrl.151.0007

Domaines

Sciences Humaines et Sociales

Sciences, techniques et médecine

Droit et Administration

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Retrouvez Cairn.info sur

Avec le soutien de

18.97.14.80

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions