Notes
-
[1]
Ibid., p. 194.
-
[2]
Charles Melman, « Y a-t-il un fantasme féminin ? », Le trimestre psychanalytique, n° 1, 1993, entièrement dédié au commentaire du séminaire de Lacan La logique du fantasme.
-
[3]
Jean-Paul Hiltenbrand, « L’objet féminin », conférence du 3 décembre 2004, dans Conférences de Chambéry, Éditions ali Rhône-Alpes, 2007.
-
[4]
ibid., p. 133.
-
[5]
Jean-Paul Hiltenbrand, La tripartion objectale, Séminaire 2012-2013, Éditions ali-Rhône-Alpes.
-
[6]
Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, Leçon XXV du 17 juin 1959, Éditions de l’ali, hors commerce.
-
[7]
ibid., p. 502.
-
[8]
ibid.
-
[9]
ibid.
1Je commencerai par la note d’humour qui pose la question de savoir si la psychanalyse préconise ou pas le « mariage pour tous » avec l’objet, et ce que les femmes peuvent dire à ce sujet. Puisque l’objet est inscrit dans le fantasme, l’interrogation porte sur l’organisation du fantasme chez les femmes. Est-ce qu’il y a une organisation spécifique du fantasme chez les femmes ? La question ainsi posée n’équivaut pas à affirmer qu’il existe un fantasme féminin mais qu’il y a quand même des spécificités du fantasme chez les femmes, soit du côté de l’objet soit du côté du poinçon.
Masochisme féminin ?
2À propos des spécificités du fantasme chez les femmes je partirai d’un texte majeur de Freud, On bat un enfant, qui livre la structure du fantasme : $ ◊ a. La partie gauche de l’écriture du fantasme, le $, le sujet assujetti, est très bien illustrée par le texte de Freud. La barre qui tombe sur le sujet est aussi la barre du langage : on est barré qu’on soit homme ou qu’on soit femme. Roland Chemama affirme que le fantasme on bat un enfant a une structure masochiste : il ne s’agit pas pour autant d’un masochisme pervers mais d’un masochisme structural. C’est une structure partagée entre hommes et femmes, tous assujettis au fantasme. Notre masochisme inconscient (névrotique) nous pousse à nous mettre au service de l’Autre. Alors que le masochiste pervers, à la différence de ce qui se passe pour le névrosé, jouit de son masochisme, lequel est conscient.
3Si le fantasme on bat un enfant est structural et concerne les hommes comme les femmes, les femmes en parlent beaucoup plus que les hommes. Serait-ce parce qu’elles sont masochistes ? Lacan dit que les femmes ne sont pas du tout masochistes, mais que ce sont plutôt les hommes qui le sont : le masochisme féminin est un fantasme d’homme. À cette question – pourquoi les femmes parlent d’un fantasme masochiste même si elles ne sont pas masochistes ? – on peut donner une réponse à partir de ce que dit Jean-Paul Hiltenbrand interprétant le fantasme de la fillette d’être battue par le père comme un consentement à la place symbolique qui lui vient de l’Autre.
4Thèse que je partage parce qu’elle est originale et riche de conséquences en ce que la place de la femme dans le Symbolique n’est pas précaire du tout. Elle est construite dans le Symbolique, lui vient de l’Autre, elle fonctionne dans la logique du symbole. La femme est un objet d’échange, comme le montre bien la logique du don, même encore aujourd’hui alors que les structures culturelles fondées sur l’échange et sur le don se sont modifiées. Elle est porteuse du principe de fécondité, principe de nature symbolique. Certes, elle doit donner son consentement à occuper cette place, la place de l’objet dans le désir d’un homme. Si son choix n’est pas un choix hystérique, elle dit « oui », au contraire de l’anorexique qui ne donne pas son consentement à cette désignation symbolique. Dans le fantasme on bat un enfant la fillette dit « oui » dans le deuxième temps, inconscient, celui qui se présente comme « mon père me bat ». À la question de savoir si le « fantasme de fantasme », comme l’appelle Lacan, est un fantasme féminin ou non, on peut répondre : non, il concerne tout le monde mais pour la fillette, consentir à ce fantasme veut dire accepter sa place féminine : elle n’a pas l’objet, elle est l’objet et elle accepte de l’être. Elle accepte, elle peut l’accepter, mais pas sans ambiguïtés et pas une fois pour toutes. Elle accepte par amour, par amour du père.
5Quand Freud écrivait son article, Jean-Paul Hiltenbrand le rappelle, il n’avait pas mis au centre de ses intérêts la question féminine, et surtout il avait la notion de Symbolique mais pas celle d’ordre symbolique, c’est-à-dire celle d’un ordre qui décide des places à donner aux hommes et aux femmes. Le fantasme on bat un enfant est donc un mélange d’Imaginaire et de Symbolique, du signifiant (Schlag, le fouet) avec le corps ; il fonctionne pour les femmes de façon différente que pour les hommes. Pour elles, dans ce fantasme, il s’agit d’éprouver la jouissance Autre. Il y a beaucoup d’énigmes dans le texte de Freud, mais au fond, on peut dire que ce fantasme désigne la castration : « Ce fantasme serait une sorte de figuration un peu tordue, une allusion à la castration [1]. » Le troisième temps du fantasme – côté femme – peut se traduire ainsi : « Vois-tu ce qui arrive si on veut faire comme si on était un garçon ? Pan, pan. » Dans le troisième temps, la fillette est devenue un garçon et ce sont ses congénères mâles, les autres garçons qui sont battus. Pas de trace de masochisme, ni dans le deuxième ni dans le troisième temps du fantasme.
Y a-t-il un objet cause du désir spécifiquement féminin ?
6Cette question a été abordée par Charles Melman [2]. Dans son article il précise que la spécificité du fantasme féminin ne concerne pas tellement l’organisation du fantasme. Les modalités selon lesquelles le fantasme s’organise ne sont pas spécifiques d’un sexe ou d’un autre. La spécificité éventuelle a trait au choix d’objet. Pour les femmes, l’objet est phallique et c’est leur spécificité, car pour les hommes ce n’est pas le cas : pour un homme l’objet n’est pas nécessairement phallique, sauf dans le cas des homosexuels. Pour les femmes, au contraire, l’objet est phallique, elles partagent avec les homosexuels le même objet.
7Il précise que, pour les femmes, castration, frustration et privation se réunissent autour de l’objet phallique. Le même objet organise les trois catégories et c’est bien pour cette raison que la sexualité a, pour elles, un caractère pulsionnel ou de demande impérative. La sexualité féminine, par ailleurs, est organisée par une forme d’oralité qui peut très facilement effrayer les hommes. Ils se sentent menacés, c’est ainsi que je comprends la formulation de Melman d’une demande sans limites, qu’ils perçoivent comme très agressive. Je souligne son caractère oral, pulsionnel, impératif. Si l’objet féminin est un objet phallique, la sexualité chez les femmes est caractérisée par une demande de caractère pulsionnel, donc infinie, celle de s’approprier l’objet. Les hommes seraient « facilement » effrayés par cette demande ; ce qui veut dire qu’ils ignorent la dynamique guidant la demande des femmes, qu’ils ne la comprennent pas. L’objet du fantasme est un objet « élu » : Objektwahl, selon le terme de Freud, et ce terme d’élection est important. Si une femme, par exemple, est choisie par un homme, cela veut dire qu’elle a été élue. On choisit sa « une » et on l’élève à la position d’objet. Pour une femme l’objet phallique est un objet élu. Melman précise : il ne s’agit pas seulement d’un objet phallique mais de l’objet pénis, de l’organe réel. D’ailleurs, cette thèse est très bien illustrée par un film que Lacan avait beaucoup apprécié : L’empire des sens, de Nagisa Oshima, histoire d’amour très troublante et passionnelle entre une femme et son patron, qui se passe au Japon. Les deux amants passent leur temps au lit sans manger ni voir personne, jusqu’au moment où la femme coupe le pénis de son amant et se promène en ville comme une folle avec son morceau de chair, le pénis, caché dans une étoffe. Maintenant qu’elle s’est approprié le pénis de son partenaire, elle ne peut plus en jouir. Ainsi, la possession de l’objet empêche d’en jouir. L’usufruit est alternatif à la propriété : on ne peut pas jouir de quelque chose dont on est propriétaire. Si on s’approprie l’objet, la jouissance qui lui est liée prend fin.
8Ce fantasme – s’approprier le pénis de l’homme – est un fantasme hystérique fréquent chez les femmes. Dans le film d’Oshima, la femme met en acte un fantasme. C’est de la folie, évidemment, mais, comme dans la plupart des cas les femmes ne sont pas folles à ce point, la peur des hommes par rapport à leur demande (avoir le pénis) est excessive. Au fond il s’agit d’un fantasme qui est dans la même ligne que ce que Freud appelle le Penisneid : les femmes souffrent de ce manque de pénis, mais en général cela se limite au fantasme. Dans la réalité il n’y a pas beaucoup de pénis coupés par les femmes ! Alors qu’il y a beaucoup de femmes tuées par des hommes. La question importante à poser est : peut-on affirmer que ce fantasme intéresse toutes les femmes ? Ou bien encore : la même femme y est-elle toujours intéressée de la même manière ? Pourrait-on avancer qu’une femme peut être habitée par ce fantasme mais qu’il peut changer, et même que chez quelques femmes ce fantasme est complètement absent ? Puisque, pour les femmes, on ne peut jamais dire « toutes » et peut-être même pas « toujours ».
Pour les femmes l’objet peut changer
9En effet, s’agissant des femmes, le fantasme peut changer du côté de l’objet. Je vais l’expliciter à partir de l’écriture du fantasme : $ ? a. Ce qui est à gauche du poinçon, le $, le sujet divisé, reste toujours divisé. Les femmes, autant que les hommes, parlent et elles sont divisées par le langage. Du côté droit du poinçon, du côté du petit a, l’objet peut non seulement changer mais prendre les couleurs de l’objet du partenaire. Si, par exemple, une femme aime un homme, elle se passionne pour ce que fait son homme ; ensuite elle va changer d’homme, elle tombe amoureuse d’un autre et elle se passionne pour ce qui suscite l’intérêt de ce nouvel homme. Ceci arrive fréquemment. En outre, même à l’intérieur de la cure analytique, il y a des modifications du fantasme liées à une modification de l’objet du fantasme. Dans la cure l’objet varie. Notre hypothèse est qu’on ne peut pas parler d’un fantasme qui soit spécifiquement féminin, ni d’un objet qui soit le même pour toutes les femmes même si l’objet-pénis, comment le disent Freud, Lacan et Melman, est en général l’objet élu car c’est le pénis qui occupe la place de l’objet a. Même si on ne peut pas le dire pour toutes les femmes et que pour une même femme, l’objet ne reste pas le même pour toute sa vie. La peinture, la sculpture, le cinéma, plusieurs formes d’art nous montrent les femmes dans leur rapport à cet objet.
Comment mon sexe compte-t-il ?
10Nous avons examiné une des formes que peut prendre l’objet pour une femme : le phallus dans sa dimension réelle, le pénis, et la folie qu’il peut déclencher quand une femme en est privée. Mais ça n’épuise pas la question de l’objet du fantasme pour une femme, ni celle, strictement liée, de son désir. Si on considère, par exemple, l’objet le plus commun pour une femme, l’objet-enfant, on ne peut pas dire que l’enfant comble le désir d’une femme. L’objet-enfant n’est qu’une partie du désir d’une femme [3]. L’enfant est le témoignage du désir d’une femme, d’une mère mais il ne la comble pas. L’enfant est la métonymie du phallus. Le désir de maternité répond à la dimension phallique du désir, pas à la dimension du désir tout court. Il reste une partie du désir d’une femme qui n’est pas comblée. Cette partie qui n’est pas comblée a trait au lien avec la mère. Thèse qui suggère qu’au-delà de l’instance phallique, pour une femme, la présence du lien avec la mère insiste ainsi que la frustration liée à la demande ancienne posée à la mère. Une demande qui a à faire aussi avec son propre sexe mais qui passe par une interrogation faite à la mère.
11« Comment le sexe féminin compte-t-il pour toi ? Est-ce que mon sexe compte ? Est-ce que tu aimes mon corps sexué ? » Même si la mère répond avec le don de son amour, la frustration reste – peut-être encore plus douloureuse – au niveau imaginaire, et cette frustration risque de ne pas pouvoir être intégrée au niveau symbolique. La frustration, de plus, se produit de manière indépendante de la réponse de la mère parce que c’est la structure verbale de la demande qui la met en place [4]. Dans la réalité la fille ne fait que reproduire la désapprobation de la mère, et elle fait échouer son désir parce que ce qu’elle répète c’est l’humiliation, la douleur, l’échec qu’elle a éprouvés dans la dialectique avec sa mère. On pourrait ajouter que les demandes d’analyse, plus nombreuses de la part des femmes, sont liées à cette difficulté structurale de sortir de cette dialectique mère-fille pour pouvoir trouver la voie de son propre désir.
Objet du désir féminin et signifiant du désir de l’Autre
12Toujours à propos de la spécificité de l’objet du fantasme, il y a encore une formulation avancée par Jean-Paul Hiltenbrand dans le séminaire de l’année 2012-2013 [5] : l’objet du désir féminin, c’est le signifiant du désir de l’Autre. Les femmes sont très intéressées au désir de l’Autre, c’est avéré. L’exemple le plus célèbre est celui que nous donne Lacan : la belle bouchère, qui ne fait que s’occuper du désir de son amie et aussi bien du désir de son homme. Faire du signifiant du désir de l’Autre l’objet du désir ouvre une piste de travail intéressante. Est-ce qu’on pourrait dire que le signifiant du désir de l’Autre est un objet spécifique pour une femme ? Je pense que l’on peut l’affirmer et pour cela trouver un appui dans ce que dit Lacan dans le Séminaire Le désir et son interprétation [6]. Il parle du désir et de la jalousie féminine, très différente de la jalousie masculine. La jalousie féminine, semble dire Lacan, est liée au désir de l’Autre. La jalousie est très brûlante pour les femmes. Si une femme se met en position d’objet, c’est bien parce qu’elle donne beaucoup d’importance à la fonction du reste, en tant que ce reste provoque le désir, en tant qu’il le suscite. Amour et désir sont des choses très différentes : on peut aimer un être et en désirer un autre. Pour les femmes le désir prévaut [7]. Pour les hommes c’est organisé différemment : ils peuvent plus facilement aimer une femme et en désirer une autre. La femme connaît très bien la valeur du désir parce qu’elle occupe cette place d’objet du désir. Mais à quoi est lié le désir ?
13« Le désir a un rapport à l’être. Même sous la forme la plus limitée, la plus bornée, la plus fétichiste et, pour tout dire, la plus stupide, sous la forme même limite ou, dans le fantasme, le sujet se présente comme aveuglé [8]. » Oui, aveuglé et sous la forme la plus stupide : si on est amoureux, c’est-à-dire désirant, on est aveuglé. « L’amore è cieco » dans ma langue. Et ce que vise ce sujet aveugle est un reste. L’objet n’est réduit qu’à un reste. Preuve ultime que c’est bien vers elle que l’homme se tourne. Même si une femme est aimée avec tendresse, elle sait bien que si son homme désire ne serait-ce que la chaussure, ou un accessoire, d’une autre femme, la façon dont elle se maquille, elle sait que là se produit un hommage à l’être. Les mots de Lacan supportent parfaitement la thèse que l’objet du désir d’une femme est le signifiant du désir de l’Autre. Dans la même leçon XXV, Lacan livre d’autres formulations qui vont enrichir notre question.
Œdipe au féminin
14Lacan avait déjà commencé à reformuler la question du désir par rapport à la tradition psychanalytique, dans le Séminaire La relation d’objet et les structures freudiennes (1957-1958). Dans Le désir… il reprend la question du complexe d’Œdipe pour la femme : pourquoi entre-t-elle dans l’Œdipe ? Qu’est-ce qu’elle demande ? Il dit : « Elle ne demande pas une satisfaction mais d’avoir ce qu’elle n’a pas, c’est-à-dire le phallus. » Et il précise : « L’avoir à la place où elle devrait l’avoir, si elle était un homme [9]. » Elle sait bien où aller chercher le phallus (chez un homme qui le détient et qui la choisit comme sa femme ; un enfant qu’il lui donne) mais ce qu’elle demande au début c’est de l’avoir à la même place de l’homme. Cette affirmation de Lacan renvoie au troisième temps du fantasme : un enfant est battu. Il précise qu’elle ne cherche pas une satisfaction, quelque chose qui serait de l’ordre de la jouissance et qui arriverait à la combler. Il ne lui suffit pas d’en jouir, elle veut en être la propriétaire. Là revient la question de l’usufruit et de la propriété, de l’impossible jouissance d’un bien possédé. Elle ne cherche pas la satisfaction. Il y aurait donc confusion chez la femme parce que ce qu’elle veut avoir dans le Réel est un signifiant : le phallus est introduit en tant que signifiant. Il devrait lui être évident qu’on ne peut pas être propriétaire d’un signifiant. Même si les femmes peuvent avoir des enfants, des équivalents du phallus et avoir une prise réelle sur le phallus – ce qui leur permet de résoudre de façon relativement simple les questions affectives par rapport à l’homme –, elles ne peuvent pas en être les propriétaires : sauf dans la folie ou dans la tragédie. Le phallus est un signifiant, il a été introduit en tant que signifiant dans les premiers échanges avec la mère, ce qui fait que pour les femmes le phallus sera toujours manquant, il se présentera toujours avec un signe négatif et il s’écrira : – ?.
La dialectique de la séparation
15L’enfant ne suffit pas à la femme, comme ne suffit pas l’offre de l’homme, de « son » homme. Certes, dit Lacan ironiquement, il y a toujours la possibilité limite de l’union parfaite, l’étreinte amoureuse dans laquelle l’être aimé fusionne avec son organe, un moment « poétique » ironise Lacan, mais aussi le moment apocalyptique « de l’union sexuelle parfaite ». Un moment très bien décrit dans le film d’Oshima et qui se termine dans la tragédie. Il semble qu’il introduit là un terme clé qui explique le rapport de la femme au phallus.
16La femme, même si elle est parvenue à une féminité épanouie, a toujours à faire à l’objet phallique en tant que séparé parce qu’il ne fait pas partie de son corps. Et c’est pour cette raison que l’homme peut la percevoir comme castratrice. Il se rend compte de son désir à elle et il fait le lien avec sa propre peur d’être castré. Au niveau inconscient la formule singulière avec laquelle elle résout son rapport au phallus est qu’elle l’a et en même temps qu’elle l’est, elle l’est symboliquement. Elle veut être désirée en tant que phallus et en même temps elle veut l’avoir.
17La question de la séparation s’exprime pour la femme qu’elle a le phallus mais elle l’a en tant que séparé. Ce qui fait que, dans son économie inconsciente, il y a une équivalence symbolique entre le phallus et les autres objets qui peuvent se séparer d’elle. Pour une femme, ses « objets naturels » (par exemple son « produit infantile », les fèces) fonctionnent comme des objets du désir parce qu’ils sont des objets dont elle se sépare. Ils sont inscrits dans la dialectique de la séparation, dira Lacan. Un processus qui se répète avec les objets successifs. Objets qui se séparent comme les ovules qu’elle produit chaque mois, les règles menstruelles, la perte de sang, l’enfant dont elle accouche. Dans la dialectique de la séparation, il faut inclure aussi l’arrêt des règles : la ménopause est la perte de la perte du sang menstruel, donc de la fécondité. La clinique nous montre la dépression comme souvent liée à cette sortie de l’univers symbolique de la fécondité. Il s’agit toujours de processus de séparation qui nécessitent un deuil à faire à chaque fois. On pourrait dire que les femmes sont toujours un peu en deuil. Ainsi, la séparation apparaît comme une dialectique à laquelle les femmes ont toujours affaire. Elles sont obligées de faire le travail de transposer des pertes différentes du plan réel au plan symbolique. Les développements de Lacan nous permettent d’avancer une autre lecture possible de l’algorithme du fantasme, en particulier une lecture du poinçon. On pourrait lire le poinçon, pour ce qui concerne les femmes : séparation/ appropriation.
18Dans ce sens-là, l’appropriation de l’objet réel, du pénis, ferait partie de la dialectique de la séparation, en serait une conséquence, une action réactive. L’appropriation serait la tentative de fermer la séquence des séparations, de conclure le processus du deuil. Tentative destinée à l’échec s’il s’arrête au niveau du Réel. À la spécificité de l’objet (pénis/phallus : Melman) ou signifiant du désir de l’Autre (Hiltenbrand), à ses possibles variations d’une femme à l’autre ou bien pour la même femme pendant sa vie, on peut donc ajouter – c’est l’hypothèse que j’avance – une autre particularité, celle que le fantasme peut présenter chez une femme : la fonction du poinçon de $ ? a, qui écrit la dialectique marquant le rapport à l’objet, le fantasme pour les femmes pourrait alors s’écrire : $ séparation ? appropriation a.
Notes
-
[1]
Ibid., p. 194.
-
[2]
Charles Melman, « Y a-t-il un fantasme féminin ? », Le trimestre psychanalytique, n° 1, 1993, entièrement dédié au commentaire du séminaire de Lacan La logique du fantasme.
-
[3]
Jean-Paul Hiltenbrand, « L’objet féminin », conférence du 3 décembre 2004, dans Conférences de Chambéry, Éditions ali Rhône-Alpes, 2007.
-
[4]
ibid., p. 133.
-
[5]
Jean-Paul Hiltenbrand, La tripartion objectale, Séminaire 2012-2013, Éditions ali-Rhône-Alpes.
-
[6]
Jacques Lacan, Le désir et son interprétation, Leçon XXV du 17 juin 1959, Éditions de l’ali, hors commerce.
-
[7]
ibid., p. 502.
-
[8]
ibid.
-
[9]
ibid.