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Article de revue

Histoire de l'autisme de Jacques Hochmann, Éditions Odile Jacob, 2009, Préface de Roger Misès

Pages 227 à 230

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Ouvrage

Histoire de l'autisme

Odile Jacob (2009)

1L’autisme serait-il « contagieux » pour être l’objet de tant de passion, enfermant ceux qui se confrontent à l’autisme dans des points de vue exclusifs, où chacun détiendrait la vérité dans des positions totalitaires de savoir absolu ?

2C’est la question que pose J. Hochmann dans ce livre. L’axe central qui sous-tend ce travail de recherche historique est de montrer le retour perpétuel de cette même problématique avec la visée d’un plaidoyer pour pouvoir la dépasser. Si, aujourd’hui, le diagnostic d’autisme est essentiellement comportemental, c’est au prix de ne pas tenir compte de toute une psychopathologie qui a trouvé un certain nombre de ses appuis théoriques avec les avancées de la psychanalyse considérée aujourd’hui comme « mal absolu » par certaines associations de parents.

3Dans la première partie, en faisant un détour par l’histoire, est reprise pas à pas la question de ces enfants autistes alors rangés sous la catégorie d’idiot et ce jusqu’à l’article de Leo Kanner « Trouble autistique du contact affectif » de 1943. Pour J. Hochmann, ce sera le « siècle des éducateurs » qui commence avec Victor de l’Aveyron (1800) puisque avec l’énigme de cet enfant se pose alors la question de l’émergence de l’esprit humain … S’attachant à reprendre le travail des aliénistes de l’époque sans oublier de replacer le contexte social et politique, J. Hochmann suit le parcours de ces enfants qui ont longtemps connu l’enfermement et l’abandon dans les services les plus défavorisés des anciens asiles d’aliénés, où ils étaient généralement laissés sans soin et sans éducation, considérés comme des dégénérés inéducables, à l’époque où régnait la théorie de la tare héréditaire. De Pinel à Esquirol, l’organicité de l’idiotie est non seulement incontestable mais incurable en tant qu’arrêt du développement des facultés intellectuelles, morales et affectives. De l’hérédité à la dégénérescence, s’ensuivra « un siècle d’éducateurs » pendant lequel différentes recherches vont s’intéresser à ces enfants et à leurs possibles évolutions, recherches où pointe déjà la controverse environnement/hérédité quant à l’étiologie des troubles.

4La seconde partie de ce livre est consacrée au « temps des thérapeutes » et en premier lieu à l’invention freudienne qui va donner au symptôme un autre statut, bousculant ainsi le passe-partout de l’hérédité. En écoutant le discours du malade, c’est une « autre scène » que découvre Freud. La revalorisation du symptôme replace alors les manifestations pathologiques dans l’histoire du sujet, prenant en compte le rôle de ses relations passées ou actuelles avec son environnement. Dans le même temps, la psychopathologie va ainsi se développer, il s’agit de percer l’énigme de la folie et d’en décrire les mécanismes psychiques. Peu à peu, l’idiotie va être décomposée, la sémiologie s’affiner. Les travaux de Bleuler sur la schizophrénie avec une première version de l’autisme en tant que rôle défensif vont participer au renouveau de la prise en compte des patients adultes. Parallèlement, la schizophrénie infantile connaît un élargissement à partir des travaux de M. Klein de 1929 et du cas Dick. Reprenant les travaux de chacun des auteurs, J. Hochmann va situer la controverse londonienne où ont eu lieu les premières psychothérapies d’enfants (M. Klein/A. Freud), les différentes recherches permettant de distinguer l’arriération mentale des psychoses, l’article inaugural de Leo Kanner en 1943 sur l’autisme infantile précoce, alors que dans le même temps Asperger publiait Les psychopathes autistiques pendant l’enfance, sans oublier les travaux de M. Mahler sur la psychose symbiotique de l’enfant.

5Parallèlement, se sont mis en place avec les avancées de la médecine et en particulier de la neurologie, des diagnostics différentiels entre les troubles d’origine organique (notamment avec les encéphalopathies) et les troubles d’origine psychologique. Ces progrès n’ont pas évité des équations simplistes : un trouble organique est incurable, créant un handicap donc nécessitant une éducation spéciale ; les troubles d’origine psychologique sont curables, rangés sous le signifiant maladie, donc nécessitant des soins.

6J. Hochmann va s’appliquer à recenser un grand nombre de travaux d’auteurs psychiatres, psychanalystes, éducateurs qui se sont particulièrement intéressés durant les années 1950 à 1980 à ces enfants qualifiés, un siècle auparavant, d’arriérés mentaux. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pédopsychiatres transforment les asiles en internats thérapeutiques et mettent en place des équipes pluridisciplinaires pour accueillir et prendre en charge ces enfants. Il est indéniable que ce renouveau et ces travaux ont été marqués dans tous les pays par l’extension de l’approche psychanalytique. La question de l’étiologie des troubles a toujours tenu une place importante et J. Hochmann a une attention particulière à l’égard du positionnement de chacun des auteurs quant à cette étiologie, dans la visée d’éclairer le lecteur sur les « batailles de l’autisme » actuelles.

7Ces avancées ont connu aussi des dérives. Aux États-Unis l’idée d’une origine purement psychologique des troubles psychiques graves de l’enfant attribués aux difficultés dans les interactions précoces mère-bébé s’est alors étendue, mettant en cause une problématique inconsciente de la mère. Cette dimension interactive sera exploitée jusqu’à faire porter toute la responsabilité des troubles de l’enfant à la mère. En France, l’idéologie psychogénétique n’a pas non plus été évitée par certains auteurs. J. Hochmann critique « un enthousiasme interprétatif débridé » à propos, notamment, des travaux de Maud Mannoni, de Rosine et Robert Lefort dans la suite de l’enseignement de Lacan, enthousiasme qui a largement contribué à une culpabilisation massive des mères accusées d’être à l’origine des troubles de leur enfant. Est rapporté aussi comment certaines énonciations de Lacan sont devenues de véritables slogans telle la critique de la psychothérapie ne visant qu’une adaptation sociale. La justesse de la critique dans cette bascule d’une élaboration clinique à l’idéologie laisse entendre une des difficultés mises au travail dans les derniers séminaires de Lacan, et en particulier avec le nœud borroméen : la nécessité de l’ouverture du Nom-du-Père à la pluralité, le passage du Un au trois. L’unicité sur laquelle peut se construire une métaphore entraîne exclusion et violence là où le Nom-du-Père vient à fonctionner comme « bouchon ».

8Fervent défenseur du soin institutionnel, J. Hochmann retracera l’histoire des institutions aux États-Unis, en Europe et en France, de la mise en place des psychothérapies institutionnelles jusqu’au mouvement de l’antipsychiatrie et ses effets. Grâce à ce parcours historique, il fait valoir une pédopsychiatrie dynamique aux sources diverses (psychanalyse, psychopathologie, l’éducation active de Freinet, la phénoménologie, la psychosociologie, la dynamique des groupes, etc.) et qui n’a jamais oublié son ancrage médical : la prise en compte des désordres organiques et l’utilisation des médicaments pour les corriger.

9La dernière partie reprend le contexte actuel de l’autisme avec un retour à l’optique organiciste et aux thèses de la dégénérescence, dans un langage moderne de génétique qui a participé au glissement de la notion de maladie mentale vers celle de handicap. Avec ce glissement est alors condamné tout ce qui pourrait évoquer une étiologie psychogénétique marquée des idées freudiennes. La psychose a donc disparu au profit des troubles envahissants du comportement. J. Hochmann situe ce tournant en 1979 aux États-Unis, suite à la pression des familles qui se sont rebellées contre les théories culpabilisantes et un changement législatif reconnaissant l’existence d’incapacité liée au développement pour l’épilepsie, le retard mental, les infirmités motrices cérébrales et pour l’autisme. En France, dès 1960, un certain nombre d’associations de parents voient le jour et gèrent des établissements en collaboration avec les équipes psychiatriques publiques et privées. En 1989, suite à une scission avec l’asitp (Association au service d’inadaptés ayant des troubles de la personnalité) est créée la fédération Autisme de France qui se situe d’emblée dans l’opposition aux pratiques et vise à éradiquer toute prise en charge d’inspiration psychanalytique.

10Déjà à l’œuvre aux États-Unis, la promotion du béhaviorisme ou comportementalisme était dominante dans les facultés de psychologie américaine. Le comportementalisme réduit le fonctionnement mental à une généralisation de réponses à des stimuli. Bien que jugé comme dépassé par les neuroscientifiques, ce modèle a inspiré la méthode aba (Applied Behavioral Analysis) comme conditionnement opérant et qui connut un grand succès dans les pays anglo-saxons et d’Europe du Nord. Un certain nombre d’associations de parents présente cette méthode comme la seule validée scientifiquement. D’autres associations se sont emparées du programme teacch (Treatment and Education of Autistic and Related Communication Handicapped Children) qui s’appuie sur des stratégies éducatives fondées sur l’observation clinique du comportement autistique et sur la mise en évidence de particularités cognitives des personnes autistes. Ce programme est à situer plutôt du côté des sciences cognitives que du côté comportementalisme. Ces associations ont pour cible « la psychanalyse » qui continuerait à culpabiliser et à leur empêcher l’accès aux lieux de soin, donc toute la pédopsychiatrie dont l’ensemble des prises en charge institutionnelles et multidimensionnelles s’appuient sur les théories psychanalytiques pour continuer à donner du sens au travail avec les enfants, les adolescents.

11J. Hochmann n’oublie pas les progrès énormes des neurosciences de ces dernières années où, là encore, il est possible de retrouver des positions campées sur un savoir qui serait absolu quant à l’étiologie acquise. L’auteur soutient qu’il est possible en ne préjugeant d’aucune étiologie, qu’une voie commune puisse se frayer : l’autisme comme « mode d’expression par l’enfant des modalités particulières de sa rencontre avec l’environnement, qu’il perçoive cet environnement comme mosaïque de petits détails, qu’il souffre d’un défaut de perception globale, qu’il ait une difficulté émotionnelle ou cognitive à s’engager dans une rencontre avec autrui » (p. 475). On retiendra notamment le travail de Colwyn Trevarthen sur les protoconversations entre mère et bébé, selon l’hypothèse d’un trouble interactif très précoce entre un bébé pauvrement doté pour entrer en relation et une mère désemparée par un enfant qui ne réagit pas selon ses attentes. Nous savons qu’il existe déjà des dialogues entre neuroscientifiques et analystes comme en témoigne le travail de Marie-Christine Laznik, dialogues qui permettront in fine peut-être de dépasser ces vieilles « oppositions entre l’inné et l’acquis, le corps et l’esprit, l’éducatif et le thérapeutique » au sujet de l’autisme.

12Face aux attaques aussi importantes et à la houle passionnée qui met en exergue une tendance actuelle de notre société à ne plus admettre aucune place au champ de la subjectivité, il semblerait que les membres de la commission de la has n’ont pas su lire L’histoire de l’autisme qui leur aurait certainement permis d’apaiser ces débats afin de faire fonctionner une pluralité plutôt qu’une unicité !

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