Notes
-
[1]
Cf. également O. Rank, Le mythe de la naissance du héros, Paris, Payot, 2000. Ajoutons une pièce supplémentaire au dossier du mythe : le Dieu d’Israël n’a pas de nom, mais seulement des qualificatifs, dont celui de « Jaloux » qui lui est attribué dans cinq passages décisifs de l’Exode et du Deutéronome (c’est le Quanna). Cette épithète le range-t-elle sous le même drapeau que le père primitif ? Non, diront ceux qui verront dans cette divine jalousie un refus de tout autre dieu. Mais enfin, c’est quand même un mariage, puisque ce Dieu est jaloux de son peuple élu.
-
[2]
L’introduction du concept de bisexualité psychique est une nécessité logique. La démonstration part des faits : la sexuation organique se distingue radicalement du « genre psychique ». Un choix se fait donc en fonction des déterminations familiales, et il ne peut se faire que sur le fond d’une bisexualité psychique dont le ressort est le suivant : tout parlêtre est « masculinisé » par son entrée dans la jouissance phallique ; et il est en même temps « féminisé » par la castration (cf. G. Pommier, Que veux dire « faire » l’amour ?, Paris, Flammarion, 2010).
-
[3]
Mais chacun sait de quoi il s’agit, pour avoir un jour senti cette excitation douloureuse et angoissée plomber sa vie. C’est bien autre chose que de voir son frère profiter du sein maternel !
-
[4]
Cet article a été commenté en détail par P.-L. Assoun dans ses Leçons psychanalytiques sur la jalousie, Paris, Economica, 2011.
-
[5]
Comme l’écrit P.-L. Assoun, c’est « un deuil entrevu et sans cesse recommencé », op. cit.
-
[6]
Cf. le texte de Freud (1912), « Considérations sur le plus commun des ravalements de la vie amoureuse », Revue française de psychanalyse, vol. 9, n° 1, 1936.
-
[7]
Le mot « père » a de plus l’avantage d’introduire la causalité dans le mouvement de la phrase. D’abord, la négation s’impose à cause de l’interdit de l’inceste, et ensuite la métamorphose du sujet en l’objet est causée par le même interdit ambivalent. Car l’ambivalence à l’égard du père est une curiosité ! L’amour engendre la haine du fait de l’interdit de l’inceste en amont, et de l’angoisse de castration en aval. Mais c’est bien l’amour qui est d’abord aux commandes, donnant en quelque sorte ce qui fut l’ordre originel : « Il est interdit d’interdire »… pour l’Urvater, qui tire sa surpuissance folle de ce commandement – sans Moïse, Dieu n’est qu’un voyou sans loi. Et encore ! Car le premier commandement (Tu n’aimeras que moi) ne devient supportable que grâce au mouvement dénégatif du second : « Tu ne tueras point ».
-
[8]
L’absence du parricide symbolique pousse vers la mort – mort du sujet par inceste ou meurtre d’un personnage paternel, lorsque le pare-feu délirant du changement du sujet en objet n’a pas fonctionné.
-
[9]
Lorsque j’ai relu cet article, je me suis aperçu que j’avais répété trois fois ma critique de la jalousie augustinienne. À ce moment, m’est venue l’image de ma jeune sœur, tenue dans les bras de ma mère, en même temps que se déclenchait une sorte de paralysie avec fourmillement d’un doigt dont le nom ne m’est pas revenu sur-le-champ. C’était le majeur.
-
[10]
Cf. L’homme aux loups, L’homme aux rats, etc., qui ne décrivent pas des scènes d’« Œdipe inversé », mais l’entrée dans l’Œdipe.
-
[11]
Cf. S. Freud (1917), « Le tabou de la virginité », Revue française de psychanalyse, vol. 6, n° 1, 1933.
-
[12]
L’orgasme déclenche souvent une crise de jalousie post coitus ou au minimum la question « M’aimes-tu ? » ou encore l’affirmation « Je t’aime », qui requiert évidemment une réponse symétrique.
-
[13]
Répond-il au clivage freudien de « la maman et la putain » ? Ce cliché est sans doute daté, car il existe un clivage symétrique de l’homme et du père. Il va donc falloir trouver un autre éclairage pour expliquer cette infidélité des hommes, qui ne les empêche nullement d’être jaloux, y compris de celles qu’ils trompent. En attendant, la jalousie doit être dissociée de la fidélité.
-
[14]
Sur le modèle du Cid de Corneille. Jusqu’à aujourd’hui cet évènement était consacré par l’échange du Nom-du-Père contre le Nom du mari.
1S’il fallait désigner d’un mot la clef de la vie psychique, on hésiterait entre l’inconscient, la pulsion, le rêve ou le symptôme (par exemple). Et pourtant, telle ne fut pas la réponse de Freud, qui écrivit en 1920 à Binswanger : « C’est la jalousie qui me semble pouvoir nous donner la compréhension la plus profonde de la vie psychique, aussi bien normale que pathologique. » On s’étonne, car la jalousie n’a rien d’un concept opératoire dans la pratique ! C’est tout juste un affect, si familier qu’on ne le perçoit plus, comme l’air que l’on respire. La jalousie nous accompagne sans qu’on le sache, jusqu’au moment où elle montre les dents. Drôle d’affect, feuilleté entre latent et manifeste, c’est un vécu complexe, pathologique à l’occasion, sans que la ligne de démarcation avec la normalité soit facile à tracer. C’est un vécu synthétique aussi, bien propre à l’analytique, feuilleté en plusieurs strates. « Analytique » veut dire qu’il peut se démultiplier entre ses différentes composantes, diminuant d’autant la souffrance. Mais ce découpage en rondelles ne permet pas forcément de le comprendre et encore moins de le réduire. Nul ne saurait vivre en apnée ! L’ascète lui-même, retiré dans son monastère, vit sous le coup de la jalousie du Très-Haut. Au fond d’ailleurs, toute l’histoire commence comme ça, et mieux vaut la remettre à l’endroit, si l’on veut disposer d’une analytique de la jalousie. Mieux vaut la prendre de Haut, si l’on ne veut pas s’empêtrer dans le paquet final de l’affect, s’engluer par exemple dans les bondieuseries augustiennes de l’envie du frère devant son frère prenant le sein dans les bras de sa mère. On ne peut quand même pas confondre l’envie avec la jalousie, dont la dimension sexuelle s’écarte du tout au tout. Car l’axe érotique de la jalousie suppose que les frères aient eu un père, sans lequel leur rivalité reste toujours en blanc, comme l’amour de la mère, sans rapport, pure invidia désexualisée, regard pour toujours à distance.
La jalousie de l’Urvater
2L’analytique demande de remettre l’histoire à l’endroit, c’est-à-dire à partir de son origine mythique (réelle). Freud écrit à propos du père de la horde primitive que « sa jalousie et son intolérance sont devenues en dernière instance la cause de la psychologie des masses ». La dimension sexuelle de la jalousie du Père ne fait ici pas de doute : il possède aussi bien les femmes que les hommes de la horde, féminisés par sa violence, ce qui est le motif premier du vœu parricide, puis de son incorporation identificatoire, et de la culpabilité enfin, fondatrice de la Loi. Cette jalousie absolue, génératrice causalement du pacte des frères, se résume en un mot : l’interdit de l’inceste – avec le père, qui est par rétorsion cloué au poteau totémique. D’un seul coup d’œil, on comprend ainsi pourquoi Freud a situé la jalousie comme motif central de la vie psychique. On remarque que dans cette fresque d’origine, Maman n’est pas là. On voit seulement se débattre des hommes et des femmes comme dans la vie normale exogame. Maman n’a qu’un second rôle, celui d’une protectrice contre l’inceste paternel, contre le loup des cauchemars du premier jour. Un enfant bien protégé par sa mère devient le prototype du Héros, un rédempteur du parricide, un Messie... « Au héros revient la fonction du préféré de la mère qui l’avait protégé de la jalousie paternelle », écrit Freud [1].
3À quoi peut nous servir ce point de vue panoramique de la divine jalousie du père primitif ? C’est qu’il devient alors plus clair qu’une bisexualité structurale s’immisce dans les lois du genre et du choix d’objet sexuel [2]. Et que nul ne naît « homme » ou « femme », sinon à rejeter sa féminisation première par un Urvater. De sorte que l’imbroglio de la jalousie, indépêtrable dans son vécu massif ordinaire, trouve un fil conducteur. La jalousie d’un homme pour une femme – ou le contraire, ou les deux en même temps – est mise en tension par les quatre figures appariées de leur bisexualité, avec lesquelles il serait possible de s’arranger, si leurs jeux n’étaient manigancés par un mort qui ne l’est jamais pour de vrai. Un revenant qui chute peut-être à l’heure du cri orgastique, mais que la jalousie se hâte de faire renaître. Car loin d’être l’affect d’un coup subi passivement, la jalousie est un vecteur, un éclaireur qui sait longtemps faire cavalier seul, avant de trouver les raisons de sa passion. Le jaloux l’est bien avant d’en trouver le prétexte. Il pressentait depuis longtemps l’imminence de ce malheur, ou même, à force de chercher à le prévenir, il le provoque. C’est le résultat brut de la complexité, ressentie comme un tout opaque, rayonnant en de multiples directions dans une sorte de corps à corps avec un autre dédoublé, entre attrait et ressentiment, dans l’aimantation hypnotique de détails sur lesquels il faut investiguer, de preuves anticipées dont il faut découvrir ce qu’elles cachent, poussant à enquêter, chaque nouveau cheveu accroissant l’emprise de la persécution, l’obsession d’une jouissance qui opère par-derrière, sur laquelle on ne saurait se retourner sans qu’elle soit toujours dans le dos de celui qui la provoque en la traquant, de celui qui participe à ce dont il est victime, pris d’une folie du doute sur l’existence même de la tromperie et la rupture d’une promesse de fidélité. Et cette grande phrase n’arrive même pas à faire le tour des multiples entrées de cette opacité [3] !
Le point de vue freudien
4Devant la complexité qui vient d’être à peine évoquée, comment dégager la structure qui en rendrait compte, et cela sans la réduire ? En 1922, Freud écrivit une sorte de minitraité de la jalousie : « Quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité ». On y admire la simplicité de la méthode, partant d’abord de la régularité des faits pour en tirer les inférences [4]. Ce texte répartit la jalousie en trois niveaux : la jalousie « normale », la « projective » et la « délirante ». C’est une généalogie diachronique, dont chaque moment approfondit la compréhension du précédent, la jalousie « normale » étant presque incompréhensible, sauf si on la confond avec l’envie (par exemple en comparant la personne aimée avec un sein ou un pot de confiture). On n’y comprend pas grand-chose, mais l’épinglage de cette « normalité » a un effet soulageant pour le lecteur, celui de faire sortir la jalousie de la psychopathologie : il n’est pas malade et peut donc se laisser aller à sa passion. La structure ne s’éclaire vraiment qu’avec la jalousie délirante (mais l’éclairage n’explique pas encore comment ça marche). Pour la mécanique, on s’y retrouve bien mieux avec la « jalousie projective », qu’on pourrait lire ainsi dans tous les cas de figure : prêter au partenaire des libertés que l’on aimerait prendre soi-même. C’est court, lumineux… mais finalement trompeur ! Car on ne voit pas quel est le gain psychique de cette projection, qui la rend excitante au point de provoquer les situations adéquates à son aiguillon. Cette projection de son propre désir réprimé, qui ressemblait à une mise en scène de vaudeville, devient brusquement un mystère, celui du lien de l’amour et de la mort, expression romantique bien faite pour masquer les conséquences sacrificielles de l’interdit de l’inceste. Car l’excitation de la scène jalouse, érotiquement résolutive, anticipe d’abord la perte, sinon le deuil de la personne aimée, d’un amour annulé à l’avance par l’imagination de sa tromperie. En quelque sorte, la foi en l’amour tuée au profit d’un désir cru. Du même coup, cela peut d’ailleurs être aussi le vœu d’assassiner et par contrecoup un deuil mélancolique anticipé de soi-même aimant. À la situation épineuse qui résulte de la surimposition de mouvements contraires se rajoute une pointe supplémentaire : s’il y a une jouissance de la jalousie, dénotée par l’excitation sexuelle qui l’accompagne, alors le jaloux va traquer les situations où elle explose. Il peut les rechercher délibérément en abandonnant par exemple le terrain au rival qu’il a lui-même présenté. Mais plus ordinairement en recherchant des preuves, le cheveu, le parfum, le sms ambigu. Et ce mouvement accompagne en même temps la douleur anticipée de la perte. On voit la nature de l’épine supplémentaire : c’est la culpabilité, la faute que s’attribue le jaloux d’avoir cherché lui-même ce qui le fait souffrir. Désormais, l’affect global tourne en rond, la culpabilité du dernier temps s’alimentant de la jouissance du premier. Pour être secondaire, cette culpabilité n’en est pas moins capitale et elle joue le premier rôle dans l’acte suicidaire ou le geste meurtrier. Vision dramatique du meurtre ou du suicide, mimés par la mise en scène jalouse, ses insultes et ses coups, propices au mépris et au ravalement de l’aimé(e) désirable à proportion de son abjection [5]. La scène jalouse accomplit à elle seule la séparation « de la maman et de la putain [6] », ou bien elle débusque l’amant du cercueil à Papa. Elle réalise ainsi une belle économie et il est superflu de la conseiller aux couples monogames, qui en abusent spontanément.
5La jalousie s’opacifie à la mesure de ses contradictions. Freud écrit à propos de la « jalousie projective » qu’elle est « normalement renforcée », mais d’où lui vient ce renfort ? Le jaloux ne peut prendre en compte deux affects contradictoires, comme par exemple la souffrance d’être trompé « comme homme » et la jouissance de se faire copuler « comme femme ». Et puisqu’il souffre, c’est la personne qui le trompe qui jouit. Il projette ainsi sur l’autre la moitié contradictoire de son sentiment, imaginant jusqu’à l’obsession sa jouissance avec le rival. N’est-il pas clair que c’est un coup direct de la bisexualité ? On est quand même un peu surpris que ce concept ne soit pas pris davantage au sérieux, car nul n’ignore la question classique de l’hystérique (c’est-à-dire du sujet « normal ») : « Suis-je homme ou suis-je femme ? » La jalousie deviendrait – paraît-il – pathologique lorsqu’elle serait orientée par une homosexualité latente. Si c’était le cas, cela ferait beaucoup d’homosexuels latents habitant la planète ! Et ce serait surtout oublier que l’homosexualité se définit par un choix d’objet sexuel. Lorsque ce n’est pas le cas, il s’agit non d’homosexualité, mais de la bisexualité qui anime le sujet divisé. Cette question bisexuelle est l’enjeu du tourment amoureux que l’appariement met en scène sans le résoudre, non sans que le rival ne l’aide à s’affirmer. Si une femme était un homme, elle n’arrêterait pas un instant d’aligner les conquêtes, exploit qu’elle prête facilement à son amant. Une femme craint avec constance que son amant ne la trompe comme elle le ferait si elle était un homme. Mais divisée qu’elle est par sa bisexualité, c’est le cas justement ! Plutôt qu’homosexuelle, cette jalousie est très féminine, et elle manque moins que l’amour.
6Dans ce cas, la projection est « normalement renforcée », car il existe au moins une occurrence où la projection est obligatoire, et donc normale, c’est ce qui concerne cette bisexualité. Du point de vue du choix d’objet, un sujet ne peut au même instant désirer un homme et une femme. Il projette donc sur sa « moitié » le choix d’objet qu’il ne peut actualiser avec elle. Mais du point de vue de son genre psychique, il n’est nullement homosexuel. Voilà une séquence où le jaloux s’identifie par projection à une femme violée, puis abandonnée. C’est un effroi de passivité.
7Ce mécanisme est identique à celui de la phobie où l’ambivalence à l’égard du Père oblige à projeter son angoisse sur un objet adéquat. Et c’est ainsi commencer à élucider le troisième type, celui de la « jalousie délirante » justement déclenchée par les caractéristiques du complexe paternel. Avec l’histoire du président Schreber, le terrain est bien balisé. Mais il faut dire que lorsque Freud écrivit ce texte, il n’avait pas bien vu que le mécanisme de défense propre aux psychoses différait de celui des névroses, ou plutôt il s’en rend compte, mais il a manqué du concept adéquat (forgé plus tard par Lacan). Il considère alors que « la jalousie délirante exprime une homosexualité fermentée ». Ce défaut conceptuel étonne, car l’ensemble du tableau décrit par Freud en désigne la place : c’est un inceste avec le Père ou l’un de ses suppôts. Ce n’est donc pas une sexualité avec un « homo » (un semblable), mais une sodomie incestueuse qui expose à un risque mortel, contre lequel se construit le délire. Par ailleurs, si le paranoïaque est hétérosexuel, quant au choix du genre et de l’objet sexuel, il peut se poser la question : avec qui jouit la femme qu’il aime ? Si c’est avec un Père (dans le genre de Fleschig pour Schreber) alors la jalousie délirante se déclenche, initiée par la certitude d’une sodomie. La contre-démonstration est évidente avec cette autre forme de paranoïa qu’est l’érotomanie (féminine). Le personnage central du délire est un Père que son amour expose au meurtre. Se trouve ainsi surexposée l’impossibilité d’un parricide symbolique, par forclusion du Nom-du-Père, la prise du nom propre valant comme un meurtre fantasmatique, en effet. La paranoïa au féminin (l’érotomanie) dévoile le ressort caché de la paranoïa au masculin (la jalousie). Le père qui apparaît dans le réel, dans les psychoses, est voué au parricide fantasmé dans les névroses. Et que va-t-on faire avec les si belles réversions syntaxiques de Freud, qui donnent en une fois la structure des trois formes de paranoïa ? C’est simple : dans la formule « Ce n’est pas moi qui aime l’homme – c’est elle qui l’aime », il suffit de remplacer « homme » par « père [7] ». L’inhibition causée par l’amour du père n’est levée que grâce au parricide. Pour le paranoïaque, l’inversion du sujet et de l’objet est rendue obligatoire parce que le parricide n’a pas eu lieu symboliquement. En ce sens, le délire de jalousie est une présentation particulière de l’interdit de l’inceste avec le père, et même sa démonstration [8]. Dans la jalousie paranoïaque, le désir de meurtre ne saurait être dirigé contre le « père », qui campe dans un arrière-monde mythique, mais contre la multitude des rivaux potentiels, et surtout contre la femme, face visible de l’Urvater avec lequel elle jouit. Dont elle jouit et qui la fait jouir : elle déplace le nœud de l’ambivalence. Dans de tels délires, il arrive souvent que la jalousie explose sans aucune raison manifeste, au plus fort de la passion, ou encore plus caractéristique : juste après l’orgasme. Car l’orgasme met en scène un parricide, résolutif des fantasmes de séduction, et l’absence de symbolisation de ce meurtre resurgit dans le réel sous la forme d’un délire de jalousie dont le meurtre est le punctum caecum.
8Rétroactivement, la jalousie « normale » s’éclaire, car le père symbolique assiste toujours en tiers aux ébats sexuels qui requièrent, à chaque fois, son exclusion de la scène. C’est la condition de la jouissance exogame, l’actualisation de l’interdit de l’inceste. Mais cette actualisation réclame une mise en scène (par exemple, la cérémonie du mariage à l’église au Nom-du-Père) qui est une sorte de succédané symbolique : ça marche plus ou moins, mais c’est un joli moment. En tout cas, comme le père à exclure est aux cieux, on peut se promettre un amour pour la vie – sans tromperie. Dans les conditions de bricolage individuel du symbolique – qui sont celles de notre époque, et beaucoup plus près de la vérité subjective –, on comprend que le tiers à exclure, celui dont chacun peut être jaloux « normalement », fonctionne avec moins de théâtralité et de répression que le symbolique en carton-pâte des églises (ce fut l’enfer sur terre ! Vive la postmodernité !).
La jalousie œdipienne de la mère se démarque de la jalousie de « la femme »
9Nous autres, théoriciens spontanés de notre clinique, nous profitons du confort de réduire ce qui arrive à nos patients au formatage de la névrose. Ainsi, nous lisons volontiers l’histoire de la jalousie sur la toile de fond du drame œdipien. Comme si l’amour d’une femme était identique à celui de la mère, et celui d’un homme homologue à celui du père. Pourtant s’interpose entre ces doubles homologies la sortie fracassante de la famille, réitérée par l’obsession sexuelle. À la lutte au jour le jour pour assurer son genre en dépit de sa bisexualité, chacun surajoute encore le départage de l’homme du père et de la femme de la mère. On peut gagner sur un tableau tout en perdant sur l’autre, perdre sur les deux (etc.). Notre réduction ne sera juste qu’en ce qui concerne les amalgames du père à l’homme ou de la mère à la femme (c’est-à-dire dans les névroses). Ce n’est pas ce qui arrive dans la vie amoureuse de tous les jours, qui s’actualise par la grâce d’un décollement dénégatif de chaque instant, tout à fait excitant pour le salut de l’espèce. La dénégation est au centre du changement de régime de la jalousie lorsqu’elle répudie la névrose infantile. « Cette femme n’est sûrement pas ma mère : j’y vais ! », « cet homme ne plairait sûrement pas à mon père : c’est mon affaire ! » Mais cette excitation dénégative laisse dans son arrière-monde les figures reniées qui sont les motifs mêmes de l’excitation [9] ! Il s’ensuit cette dimension transgressive de l’érotisme, vraie tarte à la crème, qui oblige à toutes sortes de mises en scène, parmi lesquelles la jalousie est au premier plan. Mais ne faudrait-il pas ajouter que la dénégation double le passage à l’acte transgressif ? On voit ainsi la multiplicité de cas de figure qui bordent le désir sexuel pour l’autre sexe, désir lui-même entièrement animé par la répétition dénégative. Ce sont les scènes traumatiques de l’abandon et de la jalousie qui se répètent. Mais cette répétition a comme objectif de se débarrasser du passé ! C’est la nouveauté réitérée de l’excitation sexuelle.
10Car la jalousie de l’adulte ajoute une dimension qui fait défaut à l’enfance : l’obsession de la jouissance féminine. Le jaloux s’obsède que sa compagne jouisse avec un autre. La femme jalouse imagine la jouissance de la rivale, dont la pensée ne la lâche jamais. Cette caractéristique de la jalousie amoureuse ne figure pas au tableau du complexe d’Œdipe, et elle n’est pas non plus programmée par lui, qui ne rêve – au mieux – que d’un mariage en blanc avec maman. « Il n’y a pas de rapport sexuel » dans la névrose infantile, qui n’imagine « le rapport » que raccordé au fantasme de « l’enfant battu », c’est-à-dire à la culpabilité de son onanisme soldé par les coups de son père. Ces coups jouissifs sont les mêmes que ceux que sa mère reçoit, lorsqu’il aperçoit ou entend le rapport sexuel de ses parents. Le fantasme de « l’enfant battu » se raccorde ainsi à celui de la scène primitive, mais sa jouissance n’en reste pas moins purement masturbatoire, « sans rapport », solitaire. Elle ne saurait donc être d’aucune manière jalouse, puisqu’un grand plaisir se tire au contraire de la scène vue ou entendue. La prolongation de cette jouissance infantile amène donc plutôt à pousser la femme aimée dans les bras d’un rival quelconque. C’est tout le contraire de la jalousie, semble-t-il ! Ce désir délicat et puissant de pousser sa compagne, ou son compagnon, dans les bras de l’ami(e) de passage, ou de laisser la place à un séducteur de hasard, parfois inventé de toutes pièces, conjoint avec bonheur l’excitation de la scène primitive et la plainte de l’enfant battu. Pour peu que les deux protagonistes d’un couple jouent cette partie de concert, tout le monde devrait être content, les principaux intéressés tout comme les amants et maîtresses de passage. C’est un cas de figure qui existe, et contrairement à ce qu’a écrit Freud – un peu pincé sur ces questions –, il n’est pas vrai que tout le monde doit être jaloux, y compris ceux qui s’en défendent. Même si ce modus operandi est minoritaire, ou temporaire, il faut pourtant le considérer avec soin, car il est seul à expliquer que la souffrance de la jalousie soit si propice à l’excitation sexuelle, alors que la tromperie devrait l’inhiber. C’est plus souvent le contraire qui se produit ! Car la fantasmatique œdipienne reste en activité la vie durant, bien que la rupture adolescente du passage à l’exogamie la recouvre et lui donne une tout autre allure, cette fois-ci orientée par la jouissance de la femme (et non de la mère). La scène œdipienne à trois de l’enfance ne programme pas mécaniquement la jalousie de l’adulte, qui cherche moins à coucher avec sa mère qu’avec une femme – comme son père, en somme.
11Il est pourtant vrai que la semence de la jalousie « adulte » a bien été semée dans l’enfance, moins par l’invidia que par le fantasme de scène primitive. C’est ce germe encore indolore, mais seulement curieux, qui est semé lorsque la porte de la chambre des parents s’est refermée sur leur intimité. Mais sur quoi s’est-elle refermée, sinon sur la scission de la mère et de la femme ? C’est l’instant de métamorphose de la mère en femme du père, d’abord contradictoirement au fait que l’enfant lui aussi aurait voulu être la femme du père [10]. Derrière la porte close, l’enfant n’est pas en proie aux affres de la jalousie, car c’est au contraire un haut lieu de la masturbation. Sa « jalousie », ce serait seulement « la petite fenêtre » qui lui permettrait de regarder à son aise, en secret, et de prendre son plaisir. Il faut souligner la vectorialisation circulaire de cette jouissance onaniste de la scène : l’enfant commence à se masturber bien avant pour échapper à sa mère, il cesse d’être son phallus pour l’avoir en se prenant lui-même partiellement comme objet. Mais cet onanisme est coupable puisqu’il se libère de l’attente maternelle. Il faut donc être puni – de préférence par un tiers, rôle endossé par Papa. Cette punition par le père qui rythme la jouissance, c’est le même sort que celui subi par sa mère, pense-t-il, dans l’acte sexuel. En ce sens, la scène qu’il voit ou entend le fait jouir (sans la moindre jalousie) au moment où une femme se démarque de sa mère.
12On en revient toujours aux mêmes problèmes cruciaux, ici celui de la « dissolution du complexe d’Œdipe », qui fait l’embarras de nombre de théoriciens, obnubilés par la névrose de leurs patients. C’est pourtant la seule façon de comprendre les puissantes contradictions à l’œuvre dans la jalousie. À la première strate infantile, pas du tout jalouse et excitante, s’en surimpose une seconde qui, en s’appuyant sur la première, exige férocement la fidélité, et cela à cause des particularités de l’orgasme féminin (qu’une mère n’a jamais avec son enfant). Une femme n’est pas une mère. « La femme n’est pas », ne naît pas de la mère, mais du désir du Père. Elle naît, tel Ève de la côte, de la scission onirique de la bisexualité d’Adam : elle naît donc sous le coup du désir féminisant du père. « La femme » est l’autre face de Dieu, a pu dire Lacan : la femme toujours déjà rejetée, au même titre que Dieu d’ailleurs, perdu dans l’Éther. C’est à elle que la crise adolescente se confronte, dans la dénégation de l’emprise maternelle. En somme, la jalousie de la jouissance féminine, qui jouit toujours de l’Urvater et se déploie dans une tromperie de principe, est le révélateur de la dissolution du complexe d’Œdipe. Ce complexe serait donc soluble dans l’orgasme, obsession spécifique du jaloux, qui voudrait bien en être l’auteur, mais n’en est que l’agent [11]. On voit donc la double stratification de la jalousie, dont les mouvements contraires donnent sa violence et son incompréhensibilité à son affect terminal.
13Seul le féminin est sujet à l’orgasme. L’homme n’en jouit qu’indirectement, par personne interposée, et cet orgasme l’assure de son Nom et de sa virilité. Qu’un autre homme puisse déclencher sa compagne le prend donc par-derrière, le féminise, ce qui pourrait avoir son charme, si ne s’y ajoutait la dépersonnalisation par perte du Nom (c’est donc une question d’honneur). La jalousie « adulte » est en ce sens spécifiquement liée à l’orgasme.
14Aussi bien elle concerne les femmes que leur orgasme dépersonnalise : en ce sens, cet évènement arrive toujours à une autre femme, c’est-à-dire à elle-même clivée d’elle-même. Ce qu’elle est comme femme est séparé d’elle où n’importe quelle rivale mannequin peut le représenter. On pourrait presque dire qu’elle est constamment jalouse d’elle-même. Cette autre femme qui l’habite et jouit presque sans elle pourrait bien s’incarner. Cette obsession propulse la sorte de certitude d’une femme qu’elle est trompée, et cela au moment même où elle a toutes les preuves du contraire [12]. Cette scission de la femme avec elle-même fonde symétriquement le fantasme de l’homme de faire l’amour avec deux femmes ou de penser à l’une en copulant avec l’autre, etc. Remarquons que ce fantasme n’est nullement celui de la scène primitive, et qu’il ne correspond pas non plus à la division de « la maman et de la putain ». C’est un fantasme purement « adulte », sans point d’appui dans l’infantile : il concerne en propre l’obsession de l’orgasme.
15On l’a dit, la femme ne procède pas de la mère, mais du désir du père, et son détonateur est armé quelque part à l’ombre de l’enfance, attendant sa mise à feu à l’heure adolescente. Mécanisme déterminé qui ne s’enclenche pas n’importe comment mais selon les lois de la répétition, c’est-à-dire du désir lui-même. Être l’agent de l’orgasme féminin, c’est prendre son Nom d’homme contre son père, briser sa jalousie pour découvrir la sienne : cette jalousie fait la Loi et stabilise la moyenne des couples bien mieux que les contraintes sociales – si l’on peut appeler « stabilité » la relance tumultueuse du désir ! Dans ce sens sexuel, la jalousie plaide pour la monogamie plus sûrement que l’amour, assez aisément libertin. On pourrait aimer équanimement plusieurs personnes, en supplément de celle à laquelle le sexe enchaîne, cependant que la passion érotique jalouse rétrécit de beaucoup cette générosité native.
16Cette jalousie déclenchée par l’orgasme fait la spécificité de la jalousie « adulte » et sa différence avec la jalousie infantile. La jalousie adulte se déclenche à cause de cette jouissance de l’Urvater, cette violence, ou cette transgression, ou cette obscénité, qui ne font défaut dans aucune scène érotique. L’hétérosexualité « normale » met en scène une répétition du désir du père, dont l’objet est la « Femme », mot aussi tabou que le Nom de Dieu lui-même. La femme est l’objet du désir du père, à ce titre totalement scindée de la figure maternelle, et éternellement prostituée à ce désir, source d’une jalousie sans fond. Le jaloux aime une telle femme toujours au bord de cette prostitution sacrée. Cette femme onirique « normale » qui aiguillonne le désir est une prostituée du père, ce en quoi elle échappe à toute norme. En ce sens, les hommes s’attachent moins à des femmes qui sont sur le point de les tromper qu’à celles qui sont toujours quelque peu Ailleurs, dans un débat indéfini avec l’Urvater, qu’ils se font un plaisir de trancher à leur profit. On est bien loin de l’invidia du sein de saint Augustin.
Qui donc sera le plus jaloux des deux ?
17Cette érotique de la jalousie, orientée par l’orgasme, devrait concerner surtout les hommes. Pourtant, les femmes semblent beaucoup plus jalouses, d’autant que même si l’on ne possède pas de statistiques, il existe une propension plus grande des hommes à l’infidélité [13]. On est donc devant une nouvelle contradiction, car si la jalousie « adulte » est orientée par l’orgasme féminin, les hommes devraient être plus jaloux ! Tant s’en faut, pourtant ! Car si cette érotique procède du départage du masculin et du féminin, celles qui se font désirer grâce à leur féminité voient leur jalousie subir « un renforcement énorme », comme l’écrit Freud, et cela pour plusieurs raisons. Le Penisneid explique-t-il cette valeur ajoutée ? L’envie du phallus féminine est certes contrebalancée du côté masculin par l’envie de donner le phallus, mais cela ne suffit pas à établir un équilibre, car il faut de plus s’assurer de la propriété privée de cet instrument. Voilà un premier trait de « jalousie féminine renforcée ». Le deuxième trait se résume aux conditions de possibilités de jouissance exogame, qui sont celles du parricide. Le héros capable de supplanter tout « corneillement » le père ne se rencontre pas tous les jours [14]. Les hommes ne pâtissent d’aucunes contraintes de cet ordre : s’ils doivent « tuer le père » eux aussi, cela se fait avec n’importe quelle femme, et même avec le plus grand nombre possible (cf. Don Juan). Troisième trait de renforcement de la jalousie féminine : plus profondément et derrière le père, une femme se sépare de sa mère grâce à son compagnon : voilà ce qui la rend peu partageuse, dès qu’elle arrive à en attraper un. Enfin, quatrième trait, une femme est divisée par sa propre féminité, qui la dépasse en chacune de ses rivales. Cela fait beaucoup, mais aucune de ces plus-values ne touche à l’essentiel de la jalousie sexuelle orgastique, qui concerne à égalité les hommes comme les femmes (comme le montre la jalousie délirante). De ce mirador le plus escarpé, les femmes ont même un avantage, car ce sont elles les détentrices du Souverain Bien, dont dépend la jouissance de leur compagnon (et elles pourraient même en profiter seules, ou avec plusieurs partenaires). Cependant, les quatre conditions secondaires de la jalousie – qui se réduisent au diktat de l’amour – sont si exigeantes et si démonstratives, qu’un observateur impartial en conclura que les femmes sont plus jalouses que les hommes. En réalité, du point de vue de la jouissance sexuelle, les hommes devraient être plus jaloux que les femmes, à cause de leur imprenable jouissance. Mais du fait de la jalousie théâtrale de leurs compagnes, les hommes se rassurent et ils ne s’inquiètent pas (bêtement). C’est une insouciance feinte, bien sûr, car ils emploient tous les moyens possibles pour réduire la femme à l’inexistence. De sorte qu’une fois exercée leur violence, ils ne savent même plus de quoi ils sont jaloux.
18Avec qui une femme jouit-elle ? Certainement grâce à l’homme dont elle attend le phallus (qui est aussi, mais pas toujours, celui qu’elle aime). Mais cette attente, même lorsqu’elle est comblée, ne suffira jamais à la déclencher. Elle y arrivera sans doute grâce à cet homme, mais ce n’est pourtant pas de lui qu’elle jouira. C’est un instant de chute, celle de l’Urvater, sans doute dégommé par le tir de l’amant, qui n’en est pourtant pas moins qu’un simple spectateur souvent médusé lorsqu’il n’a pas la gloriole de se croire l’auteur de ce feu d’artifice. Celui qui n’est qu’un agent n’est pas un auteur, sinon parce qu’il est intéressé (passionné) lui aussi par le dégommage de l’Urvater : c’est ce qui le méduse – au sens freudien du terme –, ce qui l’expose à l’angoisse de castration – en un mot ce qui le féminise et provoque à son tour son orgasme, bien qu’il ne soit que de « seconde main », par féminité interposée. S’il n’y avait un tel enjeu, tout homme raisonnable préférerait la « première main », c’est-à-dire la masturbation, plus pratique, et allégeant de bien des tracas. L’homme ne jouit que de l’orgasme féminin, s’il parvient bien sûr à attendre jusque-là, car s’il est médusé par anticipation, l’éjaculation précoce le guette. C’est seulement lorsque – jouissant dans les temps réglementaires – le médusé consentant mesure qu’il n’est qu’un agent et qu’alors sa jalousie s’éveille, devenant pour lui aussi impalpable que l’air qu’il respire. Lui qui fut l’objet de la jalousie de Dieu devient jaloux d’une femme, ou du moins de son instant mystique, preuve de son existence. Pour ceux qui sont médusés par surprise, ils peuvent encore prendre la fuite dans l’angoisse – lorsque ce ne sont pas des cultures entières qui ont tout mis en œuvre pour étouffer l’orgasme féminin, par excision, voile, rasage de crâne – et surtout grâce à la prostitution, car une putain n’a pas d’orgasme, c’est rassurant. Cette répression du féminin est l’apanage de ceux qui se prennent pour des pères, prétention que l’orgasme féminin descend en flammes. Reste la foule obscure des médusés : ce sont les « jaloux normaux », ceux dont la jalousie relance de toute façon l’excitation sexuelle.
19Le tir à l’Urvater ressemble un peu au tir sur le rival, qui n’est en quelque sorte que le pigeon de Papa. Notons pourtant que le tir au pigeon – la lutte entre rivaux – devient si passionnant qu’il finit par faire oublier la Femme et le Souverain Bien qu’elle recèle. Ou faut-il dire plutôt que la guerre se déclenche comme si enfin la femme n’existait pas ? Oui, vive la guerre ! Guérir de ton éternelle absence, Ewa ! Le bordel suit l’armée, comme les ribaudes suivirent les croisés jusqu’au tombeau vide, là-bas à Jérusalem. Les chevaliers le savaient : « Aucune ne jouira entre nos bras, nous irons au combat forts de ton inexistence, Ewa, née de notre côte dans l’oubli de Lilith »… Évanescence d’Ewa toujours renaissant de la côte… Ewa regarde la scène de haut, le sourire aux lèvres : « Tout couverts de sang que vous êtes, mes chéris, vous ne pensez qu’à moi ! Vous dites que je n’existe pas ? Entretue-toi pour moi, mon bel Adam !… »
Notes
-
[1]
Cf. également O. Rank, Le mythe de la naissance du héros, Paris, Payot, 2000. Ajoutons une pièce supplémentaire au dossier du mythe : le Dieu d’Israël n’a pas de nom, mais seulement des qualificatifs, dont celui de « Jaloux » qui lui est attribué dans cinq passages décisifs de l’Exode et du Deutéronome (c’est le Quanna). Cette épithète le range-t-elle sous le même drapeau que le père primitif ? Non, diront ceux qui verront dans cette divine jalousie un refus de tout autre dieu. Mais enfin, c’est quand même un mariage, puisque ce Dieu est jaloux de son peuple élu.
-
[2]
L’introduction du concept de bisexualité psychique est une nécessité logique. La démonstration part des faits : la sexuation organique se distingue radicalement du « genre psychique ». Un choix se fait donc en fonction des déterminations familiales, et il ne peut se faire que sur le fond d’une bisexualité psychique dont le ressort est le suivant : tout parlêtre est « masculinisé » par son entrée dans la jouissance phallique ; et il est en même temps « féminisé » par la castration (cf. G. Pommier, Que veux dire « faire » l’amour ?, Paris, Flammarion, 2010).
-
[3]
Mais chacun sait de quoi il s’agit, pour avoir un jour senti cette excitation douloureuse et angoissée plomber sa vie. C’est bien autre chose que de voir son frère profiter du sein maternel !
-
[4]
Cet article a été commenté en détail par P.-L. Assoun dans ses Leçons psychanalytiques sur la jalousie, Paris, Economica, 2011.
-
[5]
Comme l’écrit P.-L. Assoun, c’est « un deuil entrevu et sans cesse recommencé », op. cit.
-
[6]
Cf. le texte de Freud (1912), « Considérations sur le plus commun des ravalements de la vie amoureuse », Revue française de psychanalyse, vol. 9, n° 1, 1936.
-
[7]
Le mot « père » a de plus l’avantage d’introduire la causalité dans le mouvement de la phrase. D’abord, la négation s’impose à cause de l’interdit de l’inceste, et ensuite la métamorphose du sujet en l’objet est causée par le même interdit ambivalent. Car l’ambivalence à l’égard du père est une curiosité ! L’amour engendre la haine du fait de l’interdit de l’inceste en amont, et de l’angoisse de castration en aval. Mais c’est bien l’amour qui est d’abord aux commandes, donnant en quelque sorte ce qui fut l’ordre originel : « Il est interdit d’interdire »… pour l’Urvater, qui tire sa surpuissance folle de ce commandement – sans Moïse, Dieu n’est qu’un voyou sans loi. Et encore ! Car le premier commandement (Tu n’aimeras que moi) ne devient supportable que grâce au mouvement dénégatif du second : « Tu ne tueras point ».
-
[8]
L’absence du parricide symbolique pousse vers la mort – mort du sujet par inceste ou meurtre d’un personnage paternel, lorsque le pare-feu délirant du changement du sujet en objet n’a pas fonctionné.
-
[9]
Lorsque j’ai relu cet article, je me suis aperçu que j’avais répété trois fois ma critique de la jalousie augustinienne. À ce moment, m’est venue l’image de ma jeune sœur, tenue dans les bras de ma mère, en même temps que se déclenchait une sorte de paralysie avec fourmillement d’un doigt dont le nom ne m’est pas revenu sur-le-champ. C’était le majeur.
-
[10]
Cf. L’homme aux loups, L’homme aux rats, etc., qui ne décrivent pas des scènes d’« Œdipe inversé », mais l’entrée dans l’Œdipe.
-
[11]
Cf. S. Freud (1917), « Le tabou de la virginité », Revue française de psychanalyse, vol. 6, n° 1, 1933.
-
[12]
L’orgasme déclenche souvent une crise de jalousie post coitus ou au minimum la question « M’aimes-tu ? » ou encore l’affirmation « Je t’aime », qui requiert évidemment une réponse symétrique.
-
[13]
Répond-il au clivage freudien de « la maman et la putain » ? Ce cliché est sans doute daté, car il existe un clivage symétrique de l’homme et du père. Il va donc falloir trouver un autre éclairage pour expliquer cette infidélité des hommes, qui ne les empêche nullement d’être jaloux, y compris de celles qu’ils trompent. En attendant, la jalousie doit être dissociée de la fidélité.
-
[14]
Sur le modèle du Cid de Corneille. Jusqu’à aujourd’hui cet évènement était consacré par l’échange du Nom-du-Père contre le Nom du mari.