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Article de revue

L'écoute du psychanalyste auprès des enfants

Pages 149 à 157

1L’inconscient est ce qui se lit au-delà de ce qui se dit. Si le signifiant a été très tôt élevé au rang de concept dans l’enseignement de Lacan, dans le cadre de ses références linguistiques, la reconnaissance de la fonction de la lettre dans l’inconscient s’est effectuée au contraire en plusieurs temps.

2D’abord en 1955, avec le séminaire de « La lettre volée » et en 1957 avec « L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud », textes qui figurent tous dans les Écrits.

3Ensuite, en 1961 et 1962, au cours du séminaire de L’identification, Lacan a développé la proposition de l’inconscient structuré comme un langage. Le langage donc comme condition sine qua non de la constitution de l’inconscient et l’articulation signifiante comme ressort de sa structuration.

4Lacan pose d’emblée que signifiant et lettre sont distincts. La lettre est le support matériel du signifiant. Elle est prélevée sur le matériel sonore du signifiant, qui est apporté par la voix de celui qui parle – le signifiant est fondamentalement lié à la parole.

5Le phonème occupe une place à part et il est l’élément qui se rapproche le plus de la lettre non seulement à cause de son caractère réduit, mais surtout par la définition de la lettre d’être le support matériel de la pure différence.

6Le signifiant se caractérise par son aptitude à produire du sens. L’effet de sens est de l’ordre de la création, mettant en jeu les relations entre les signifiants. Cette fonction du signifiant fonde la dimension du Symbolique. Comme effet de discours, il introduit la dimension de l’écrit, donc de la lettre.

7La lettre entre dans une autre série d’équivalence, avec l’écriture, l’écrit et le Réel. Il s’agit donc d’une écriture singulière à laquelle Freud nous a introduits à partir du rêve, dans la Traumdeutung. Le rêve est une écriture – sous la forme d’images – qui serait à déchiffrer et qui permet de signifier des articulations logiques.

8Cette écriture est trace d’un sujet particulier malgré ses emprunts au génie commun d’une langue. Ce qui est écrit se lit. L’analyste, dans sa pratique, saura lire ce que le sujet a été invité à dire en observant la règle fondamentale – le sujet est l’effet des signifiants qui articulent son histoire avec sa singularité.

9L’infantile, l’archaïque, le psychanalyste va l’entendre comme structure de fiction.

10En résumé, l’inconscient est la somme des effets de la parole sur le sujet, à ce niveau où le sujet se constitue des effets du signifiant (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, séance du 15 avril 1964).

11Venons-en à l’instance de la lettre. « La lettre est la structure essentiellement localisée du signifiant. » Cette lettre est déposée dans l’inconscient, elle est mise en réserve, en attente d’autres lettres. C’est le principe généralisé du rébus. L’hypothèse de Lacan est que l’écriture naît avec la négation. Il la rapproche de celle de Freud qui postule l’identification du sujet « en statu nascendi » limitée à un seul trait : l’« einziger Zug ».

12Lacan cite Magritte et sa représentation d’une pipe qui est accompagnée de « ceci n’est pas une pipe » où la négation inscrit un trait. L’einziger Zug est le trait de l’idéal du moi. Ce trait peut être l’encoche du chasseur sur l’os de l’animal, l’inscription peinte sur les cailloux du Mas d’Azil.

13Ce trait distinctif en liaison avec la marque identifie la lettre empruntée à son nom par l’enfant qui recherche dans le Un comptable la marque qui le fait fils de son père et entretient avec lui une relation d’identité – un idéal du moi.

14Dans la Traumdeutung, Freud rapporte le rêve de la petite Anna, 19 mois, qui parle en dormant et élimine, les lettres qui la désignent par le nom de son père (elle rêve d’une liste de desserts dont elle a été privée parce qu’elle a eu une indigestion et a été mise à la diète). C’est en cela qu’elle réalise une identification assimilante – qui est, nous le savons, la première des trois identifications désignées par Freud (Traumdeutung, p. 120) – « Anna Freud, fraise, grosse fraise, flan, bouillie », « Erdbeer, hechber, Er (s) pers.papps ».

15Dans Problèmes cruciaux pour la psychanalyse, Lacan va reprendre longuement et en y associant ses auditeurs l’exemple de l’oubli des noms de lieux, autres noms propres, avec l’oubli de Signorelli. Les noms de lieux vont faire accueil à ces lettres transférées qui ont été évacuées : ce qui a été éliminé (les lettres tombent dans une opération précédente). De cette façon, ces lettres sont désignées du Symbolique et vont réapparaître ailleurs. Sigmund va réapparaître dans Signor – dont l’équivalent Herr, Seigneur, va réapparaître dans Herzégovine. Lacan prolonge la recherche de Freud. C. Melman à son tour va émettre l’hypothèse que Freud, qui dans son commentaire évoque plusieurs langues étrangères, avait à sa disposition, aussi, le sens en français de la décomposition littérale « Sig ignore Elli ». Elli était un des noms de Dieu en hébreu.

16L’hypothèse de Lacan est que l’écriture naît avec la négation. Il martèle cette hypothèse longuement et nous insistons à notre tour sur cette étape majeure dans l’acquisition du langage chez l’enfant qu’est cette négation. Ainsi, le point décisif pour la formation de l’idéal du moi, ce n’est pas que l’objet libidinal privilégie la mère, la nourrice comme bonne mais que cette relation soit nommée et que la possibilité d’une identification symbolique détermine le statut de l’image. C’est en même temps sur un visage (l’image de l’autre) et sur un nom propre que va s’actualiser le repère symbolique d’un trait unaire, le fameux einziger Zug.

17Dans le processus analytique, ce qui est rencontré, ce sont, à travers les rêves, des images inconstituées et régressives du sujet liées à tel ou tel événement du passé. Dans le processus d’historisation se manifestent des trous, des points de fracture où l’image a vacillé faute d’une parole qui a manqué et a laissé en attente des symptômes, des inhibitions, des angoisses.

18C’est ce qui est resté non réalisé de l’avènement du sujet dans l’ordre symbolique qui va être remis en route. Le transfert de l’enfant à l’analyste va permettre une autre inscription symbolique plus authentique.

19C’est parce que la détermination du signifiant qui a fait le sujet passe par la lettre que cette lettre aura à être retrouvée.

20On ne peut atteindre la vérité en ne faisant que parler. La seule voie est celle de l’écrit, soit ce qu’il y a de lettres dans la parole. Ce n’est que par la lettre que le rapport du Symbolique au Réel peut être posé.

21Le Réel se définit comme impossible. Pour l’atteindre, le psychanalyste doit passer par la lettre. Il s’agit d’une opération littérale. Lacan, d’une manière provocante, formule : « Moi la vérité, je parle. » Que voulait-il dire ? La vérité parle par les formations de l’inconscient, elle parle comme bévue, comme lapsus, comme méprise. Nous devons savoir y faire, nous devons, nous analystes d’enfants, nous en débrouiller.

22Déjà Freud nous a appris à lire les symptômes comme on déchiffre un message chiffré. C’est de l’équivoque, du son et du sens, avec création du sens par homophonie, c’est donc « le pataquès » dans le rébus, que l’écoute du psychanalyste peut opérer une déliaison du sens avec l’objet, pour retrouver une autre liaison plus ancienne, créée autrefois des traces déposées dans l’inconscient du petit sujet. Il y a un ratage, un effet de sens accidentel qui a fait butée sur l’impossible du rapport sexuel. C’est ce qui fait énigme pour le petit enfant.

23Je vais vous faire entendre un exemple clinique qui illustre ce que je suis en train de dire.

24Marie, au cours de son analyse, fait un rêve angoissant. Son monde est brutalement bouleversé. Elle n’a sa place nulle part. Elle erre d’une pièce à l’autre d’un appartement immense, sans trouver qui que ce soit pour s’intéresser à elle. Elle trouve des portes fermées. À un moment s’imposent des images angoissantes : sur un bord de baignoire des paquets de linge sanglants. Au nombre de trois, avec un éclairage qui évoque une salle de bains datant de sa petite enfance.

25Marie a pu reconstituer morceau par morceau un événement parfaitement datable. Son père tenait un livre de bord familial où, avec une extrême discrétion, il a noté l’événement d’une fausse couche de la mère. Aussi Marie peut-elle savoir qu’elle avait trois ans et dix mois. Que montrait le rêve ? De quelles traces s’agissait-il ? Des images angoissantes incompréhensibles que nulle parole n’a pu symboliser, n’a pu raccrocher à la réalité. Le traumatisme est avant tout une scène sans paroles. Le Réel n’a pas été apprivoisé par la voix articulée. Ce qui se passe dans la chambre des parents est l’énigme première à laquelle s’est heurté aussi le petit Hans avec la naissance de sa petite sœur ; les cuvettes pleines d’eau sanglante réactivent sa curiosité initiale, qui va en faire un enfant observateur et qui a mis en scène sa phobie des chevaux, le cheval qui mord, qui rue, qui tombe, qui piaffe. Au temps suivant, des signifiants vont tenter de combler l’abîme qui s’est ouvert sous les pas de l’enfant, des signifiants réunis par une assonance, qui occupe une place de choix dans son univers.

26Je reviens à Marie.

27« Le sang » trop visible vient en conflagration avec le « sans » de la privation et de l’isolement. Cette trace s’écrit et barre ce qui pouvait se prêter à la métaphore signifiante. « Pas de sens » produit une coupure incompréhensible avec la mère et l’appel à la présence du père et du docteur resté sans réponse l’a mise en présence du vide du désir de l’Autre.

28Le sang évoque la blessure. La mère qui pleure est marquante de quelque chose d’incompréhensible. Dans un premier temps, la petite fille est sidérée. Ce « pas de sens » établit une barre. Le fantasme viendra dans un temps second. C’est sur cette coupure que le fantasme va pouvoir faire son apparition. Comment l’enfant peut-il se faire phallus pour l’Autre pour tenter de combler la place vide ? Pour Marie, il va y avoir rencontre de deux signifiants, rencontre accidentelle : celui du nom du médecin qu’elle connaît très bien puisqu’il est un familier de la maison, le docteur Livrelli, rencontre donc de ce nom avec un mot qu’elle n’a jamais entendu et qui est dit sur un ton de mystère : le délivre (autre mot pour parler du placenta dont il faut vérifier l’intégrité, pour éviter qu’une partie n’apporte une infection dans la cavité utérine).

29Le docteur vient faire doublure au père, intellectuel dont la mère dit qu’« il est perdu dans des livres ». « Des livres » « délivre » assonent et privilégient une lettre, le L qui fait partie du patronyme et qui lui donne une certaine sonorité. Cette lettre non seulement se lit, mais elle s’écrit et elle s’efface au niveau du sens avec la coupure. La lettre est ce qui coupe le signifiant du signifié en ne gardant que son versant phonématique dans l’inconscient. Elle est en instance dans l’inconscient.

30Peu de temps après ce premier rêve, au cours de l’analyse de Marie, un autre rêve va prolonger cette scène angoissante où elle a été brutalement expulsée de la salle de bains et provient sensiblement de la même période. Elle n’avait sans doute pas retrouvé son Heim auprès de sa mère et en éprouvait un sentiment de nostalgie. Elle se voit sous le bureau de son père où elle a trouvé refuge. Elle ne fait aucun bruit, elle se fait « oublier ». Elle observe maintenant la plume que son père fait courir sur le papier et qui zèbre de traces rouges les copies rayées d’encre violette. Elle est aussi fascinée par la petite bouteille rouge, carrée, lisse, avec une petite embouchure juste à la taille de sa bouche. Rouges étaient aussi les linges sanglants dans la salle de bains qu’elle ne devait pas approcher. (R)ouge fait aussi partie du logographe paternel. Il a suffi d’un instant à l’enfant pour saisir le petit encrier, le porter à sa bouche et en absorber la fascinante couleur rouge. Il y a des cris, de l’agitation… l’encre rouge n’était pas toxique… On perçoit la rencontre de plusieurs signifiants, l’encre rouge, l’encrier, les cris, l’écrit, favorisés par la sonorisation.

31D’où sort, d’où prend corps cette positivité de la lettre ? Lacan propose une réponse dans la postface du livre XI du séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Le 15 juin 1995, C. Melman l’a commenté. Ce texte difficile de Lacan (et qui comporte beaucoup d’erreurs dans la version donnée par Jacques-Alain Miller) fournit une interprétation intéressante sur les origines de la dysorthographie. Je le cite : « Moi cependant, vu à qui je parle (son public est réuni à l’École normale de la rue d’Ulm, mais il s’adresse aux psychanalystes de son école, l’efp – École freudienne de Paris) j’ai à ôter de ces têtes, ce qu’elles croient venir de l’heure de l’école, dite sans doute maternelle, de ce qu’on y procède à la dématernalisation, soit qu’on apprenne à lire en s’alphabétisant. Comme si un enfant à savoir lire d’un dessin que c’est la girafe, d’un autre que c’est la guenon qui est à dire n’apprenait pas seulement que le G dont les deux s’écrivent, n’a rien à faire de se lire, puisqu’il n’y répond pas – que ce qui s’y produit dès lors d’anorthographie ne soit jugeable qu’à prendre la fonction de l’écrit pour un mode autre du parlant dans le langage, c’est où l’on gagne dans le bricolage soit petit à petit, mais ce qui irait plus vite à ce qu’on sache ce qu’il en est ! »

32Lacan accumule les difficultés avec les mots jugeable, langage, gagne, bricolage, après girafe et guenon. Dans chacun de ces mots la fonction phonématique de la lettre G est différente, ce qui rend nécessaire l’alphabétisation et non pas l’association de l’image au mot écrit. Mais est-ce cela le plus important ?

33Évidemment, non. Ce que l’enfant cherche à savoir, c’est ce qu’il en est du rapport sexuel, ce qui fait la différence entre un homme et une femme, ce qui se passe dans la chambre à coucher.

34Qu’est-ce que fait la lettre ? Elle n’a pas d’autre existence que d’être un trait différentiel, elle n’a pas de caractère physique. En revanche, si le système de censure, le lapsus, vient isoler tel ou tel élément standard, elle invite à entendre une formation de l’inconscient, parce qu’une césure la détache dans la chaîne sonore qui du coup vient dans le Réel, « prend corps venant du Réel et du même coup venant commémorer la chaîne et constituer dans l’inconscient la loi ». Si la girafe représente pour l’enfant la mère phallique, il ne s’agit pas de le singer. À rester au plan imaginaire, l’enfant peut être pris dans une captation. La captation de la lettre fait écran au savoir de la lecture et de la grammaire. La lettre insiste de son propre chef.

35Au cours de l’analyse, il y a nécessité de passer à l’écriture. Il s’agit d’un tout autre agencement que celui propre à l’association libre. L’association renvoie au dire de l’analysant alors que l’écrit introduit une consistance, une logique que peut venir forclore le sujet du dire. Cette consistance de l’inconscient tient à son écriture, à sa logique.

36Lacan a jugé utile donc, dans cette postface du séminaire XI (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse) d’insister sur cette clinique qui concerne particulièrement les enfants, de fixer notre attention sur les effets de la lettre dans les apprentissages : la dyslexie, la dysorthographie, l’alexie, nous le savons, font partie des symptômes, qui, par leur intensité, sont plus que jamais de notre temps. Au moment où nous nous interrogeons sur la question de savoir si nous avons affaire à de nouveaux sujets, si cette nouvelle clinique pose la question d’une nouvelle économie psychique, remarquons que Lacan se posait les mêmes questions en 1973. C’est-à-dire après 1968, qu’il est banal de prendre comme point de repère pour l’importance prise dans notre société de la jouissance ou des jouissances chez les jeunes patients que nous recevons et répondant à la jouissance de leurs parents (ils représentent selon les cas la deuxième ou la troisième génération depuis 1968). C’est ce dont parlait Lacan au cours du séminaire R.S.I. dans la séance du 11 février 1975 (p. 15) où il posait le problème de la consistance du nœud et de la nécessité (ou pas) du quatrième tore (celui du symptôme et aussi bien des Noms-du-Père pour assurer cette consistance). Lacan remarquait donc : « Il est certain que dans l’état actuel des choses vous êtes tous et toutes aussi inconsistants que vos pères mais justement c’est d’être entièrement suspendus à eux que vous êtes dans l’état présent. »

37« Aussi inconsistants » est une provocation. Ce qui importait, c’est d’être « suspendus aux pères ». Si nous constatons que justement actuellement les enfants que nous recevons en consultation sont plutôt moins suspendus aux pères, sont-ils pour cela moins consistants ? Ce quatrième rond, ce quatrième tore est-il indispensable ?

38À ce propos, Melman dans son étude critique du séminaire R.S.I. de Jacques Lacan (qu’il avait prononcé juste après la mort de Lacan en 1981 et 1982) avait apporté les précisions suivantes sur les premières leçons qui parlaient de l’opération cartésienne du doute méthodique, qui consiste à vider de toute certitude nos représentations pour privilégier le Réel : le « ça pense » qui ouvre la voie au symbolisme mathématique.

39Je cite Ch. Melman : « Qu’est-ce que le doute méthodique ? Ce qui en est du sens ou le décroche, on le met entre parenthèses, on le met en suspension, on n’est plus sûr du tout. À partir de ce moment où le sens est de l’ordre de l’imaginaire, le signifiant se trouve exposé à ce qu’il en est de sa matérialité littérale, de ce qu’il en est de sa pureté symbolique en même temps, cette opération trouve son développement, ce lien supposé fixe. Du “ça pense” de Descartes, peut-on déterminer le point fixe ? »

40Le point d’où « ça parle », il faut en noter le caractère insensé. Il n’est rendu possible que par un jeu de lettres et de nombres qui ne se distingue en rien de celui qui autorise la science.

41La pratique de l’analyse permet d’isoler ce jeu même de la lettre qui ouvre les Écrits avec le séminaire de la lettre volée. C’est de la pratique de l’analyse et de ce jeu de lettre dans l’inconscient que se dévoile la dimension de l’impossible. En retour, cette catégorie de l’impossible permet d’éclairer dans la théorie scientifique ce qu’elle-même considère comme des impasses : ces paradoxes, ces théorèmes d’incomplétude.

42Revenons aux symptômes. Je vais parler de nouveau de Marie qui, si elle a appris à lire sans difficulté, a rencontré avec l’apprentissage de l’écriture des difficultés durables. Dans la classe où se faisait l’apprentissage de l’écriture à la plume, elle resta très longtemps dans l’incertitude sur l’usage du J et du G, précisément sur ces lettres dont parle Lacan dans la postface du séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse.

43Tous les enfants à cette époque utilisaient alors des plumes Sergent-Major. Mais Sergent Major rapprochait les lettres G et J dans leur différence de trace et leur homophonie. Là encore la lettre J, qui faisait partie du logographe paternel, va être utilisée pour interroger ce qui constitue la différence sexuelle. Marie avait un frère qui s’appelait Jacques et une sœur qui s’appelait Geneviève ; la différence semblait donc inscriptible : le J pour le garçon, le G pour les filles. Mais toutes sortes de mots venaient contrevenir à cette loi et le sergent-major était de ceux-là. Un sergent-major est un homme et pourtant…

44L’enfant dans sa liberté toute naïve d’écrire va devoir organiser ces innombrables contraintes qu’il convient d’accepter pour écrire convenablement. « Écrire », c’est devoir renoncer à la captation imaginaire.

45Marie associe avec ce qui, dans le même temps, faisait conflit dans la famille, entre sa mère et sa grand-mère paternelle. Elle se sentait tiraillée entre ces deux puissances tutélaires qui cohabitaient difficilement. Qui était la femme de papa ? Était-ce sa mère qui partageait son lit ? Était-ce sa grand-mère paternelle qui aurait voulu guider autoritairement la tribu vers une réussite scolaire sans faille comme elle l’avait fait pour son fils ?

46Trop de regard, trop d’attention anxieuse font qu’un enfant se crispe dans l’effort de bien faire.

47La sexualité se représente dans le psychisme par une relation du sujet qui se déduit d’autre chose que de la sexualité elle-même. La sexualité s’instaure dans le champ du sujet par une voie qui est celle du manque.

48Deux manques ici se recouvrent. L’un ressortit au défaut central, autour de quoi tourne la dialectique de l’avènement du sujet à son propre être dans la relation à l’Autre. Le manque vient à reprendre l’autre manque qui est le manque réel, antérieur, à situer à l’avènement du vivant, à se reproduire par la voie sexuée.

49Nous venons de voir comment le parcours de l’enfant et sa recherche de la vérité, de sa vérité de sujet, le font s’interroger sur la vie, sur la mort, sur la sexualité, sur son appartenance à un sexe et vont nécessairement s’articuler à la lettre du Nom-du-Père et à son écriture. Le parcours peut être retrouvé au cours d’une analyse et grâce au transfert. L’analyste occupe une place vide. La fonction du transfert vient à la place de la remémoration manquante et va conduire le sujet à ne pas céder sur le désir qui l’habite.

50C’est le séminaire sur la logique du fantasme qui offre à Lacan l’occasion d’insister sur le rapport étroit entre la lecture et la logique et aussi la grammaire. Ce point est repris plus tard dans Télévision où la grammaire est désignée comme ce qui fait butée de l’écriture à la pléthore de sens que le signifiant est susceptible de déployer selon son contexte, butée qui témoigne d’un Réel énigmatique.

51Il m’est impossible en si peu de temps de vous dire tout sur la lettre. Il faudrait pour cela un livre et même tout, je n’y parviendrais pas. D’autres séances seraient nécessaires pour parler des dernières découvertes de Lacan et, en ce qui concerne en particulier le travail avec les jeunes enfants, de ce que ces derniers séminaires ont initié sur lalangue dans les séminaires Encore et L’insu que sait de l’une-bévue s’aile a mourre.

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