1C’est en pensant à cette lecture du séminaire de Jean-Jacques Tyszler, Le fantasme fait-il nœud ? que je vais essayer de parcourir les chemins que peut prendre un enfant dans la construction de ce que nous pourrions appréhender du côté de son fantasme, dont bien évidemment et en dernier ressort, nous ne pourrons savoir de quoi il retourne. Mais ce qu’il tente de nouer, à la manière dont le petit Hans a pu nous le montrer, de cela, nous avons l’appréhension.
2Dans notre pratique avec les enfants, nous avons justement la chance d’observer au plus près les chemins qu’emprunte un enfant pour dénouer ses « embêtements ». Le préalable à cela reste bien sûr de n’avoir pas l’œil rivé sur ses moindres mouvements comportementaux.
3Je suis toujours ébahie, peut-être suis-je naïve, de la capacité de déconstruction, de reconstruction que les enfants montrent, qu’ils matérialisent dans leurs jeux, de leur appétence à se saisir de tout, pas n’importe quoi bien sûr, ce qui leur tombe sous la main, langage, objets, jeux, etc.
4Quelques remarques faites dans les premiers entretiens, par lui-même ou encore par ses parents ou bien même par l’analyste, peuvent servir à l’enfant de fil et de matériel à substitution signifiante dans une construction où il interrogera, expérimentera cette énonciation, mais aussi la place qu’il occupe dans le discours de ses parents. Énonciation travaillée au travers de jeux répétitifs, parfois au travers d’écritures, au travers de pertes. Cela constitue déjà un parcours à trois dimensions même si cela prend parfois l’allure d’un vrai parcours du combattant et on peut déjà faire cette remarque que l’enfant n’est pas toujours là où l’on attend.
5C’est ce que nous montre Hans : la constellation signifiante opère par quelque chose que Lacan appelle un système de transformation, de mouvement tournant.
6Les éléments signifiants qui sont là sont essentiellement faits pour recouvrir à peu près n’importe quel signifié. Chez Hans par exemple : à chaque instant, ça repart et ça végète à nouveau comme quelque chose qui a ses lois et ses nécessités propres.
7Le cheval pour cet enfant, c’est le signifiant qui sert à ponctuer le monde extérieur, la topologie de l’espace de ce petit garçon… c’est le signifiant qui sert à tout faire. L’horizon de ce qui se rapporte au cheval s’étend beaucoup plus loin dans le système des transports évoqué par Freud dans l’étude du cas clinique. À l’horizon que desservent les circuits du cheval, il y a les circuits des chemins de fer et particulièrement celui que Hans emprunte tous les dimanches avec son père pour aller voir sa grand-mère paternelle.
8À propos de sa phobie, la première explication que donne Hans à son père, est liée au fait que devant sa maison, il y a une cour très large et devant encore, des chariots attelés pour venir charger et décharger. Ils se rangent le long d’une rampe de déchargement.
9Freud avait dessiné un schéma de configuration de cet espace où on discerne tout à fait cette tangente du circuit du cheval et de celle du chemin de fer. Lacan reprenant ce cas, situe dans cette configuration une topologie, dans laquelle on retrouve ce qui est désiré et ce qui est craint dans l’esprit de Hans.
10Il note trois circuits :
- le chemin de fer de liaison : celui qui relie le Nordbahn à la gare de Hauptzollamt derrière le bloc de maisons et où Hans peut voir les wagonnets, les draisines sur lesquels il convoite d’aller… ;
- le chemin de fer souterrain par endroits qui s’en va vers Lainz où habite la grand-mère paternelle ;
- enfin ce troisième circuit qu’emprunte Hans avec son père le 22 avril : ils s’arrêtent à Schönbrunn sur le Stadtbahn où se trouve le Jardin zoologique près de l’arrêt du tramway qu’ils prendront pour aller à Lainz.
11Notons encore que Hans emprunte ces circuits avec son père.
12Avant le déclenchement de sa phobie, il avait eu peur pour la première fois dans le parc près de chez lui avec sa nurse, il avait réclamé alors de rentrer voir sa mère. Sa mère l’avait accompagné au parc le jour d’après. La peur ne passant pas, même en sa présence, Hans avait voulu rentrer au plus vite à sa maison.
13Ces circuits que Hans emprunte avec son père trouvent toute leur importance au niveau de l’appréhension de l’espace et font imaginer à Hans beaucoup de scénarios avec papa, avec grand-mère sans papa, et enfin seul.
14Il a peur de sortir se promener mais affirme qu’il pourrait rentrer à la maison tout seul, il le ferait assure-t-il. Il n’est donc pas perdu, fin observateur qu’il est de tous ces chemins qui mènent où ? C’est toute son étude de ces circuits qui lui permet d’appréhender ce qui le mène dans cette phobie.
15Du côté des objets de son monde, là aussi on peut remarquer que trois objets vont participer au titre de substitution signifiante à sa construction et lui permettre tout au long de son travail d’élaborer les choses : le cheval, la girafe et enfin le plombier.
16Le petit Hans évolue dans un espace où tout s’envisage du côté d’une certaine façon de passer du deux au trois. Il est au lit avec sa mère et va à Lainz visiter sa grand-mère paternelle avec son père, qu’on peut lire (grand) mère paternelle, tous les dimanches. Est-ce que c’est l’exploration de la constitution de sa phobie qui va lui permettre de résoudre cette impasse dans laquelle il est à ne plus pouvoir sortir de chez lui ? Phobie du cheval et son au-delà, phobie de l’espace, marquée dans la scène du quai et qui rassemble tout ce à quoi Hans a affaire. Sa phobie débute au moment où il se tient à l’entrée de la cour et découvre un horizon avec le point de fuite que constitue le cheval (objet a), plus exactement le noir qui entoure la gueule du cheval.
17Plus tard, dans ce moment de la scène du quai, Lacan le souligne fort bien, Hans a pensé qu’il partait de Lainz avec la grand-mère (sans son père), cette mère du père que l’on va voir tous les dimanches avec le père. De quoi Hans a-t-il peur ? Il a peur d’être embarqué avec la mère (comme signifiant), que la maison mère d’un côté ou de l’autre, mère ou mère paternelle, ne l’embarque…
18Une fois que Hans peut appréhender cela, les choses commencent à aller mieux. Lacan le commente dans les fantasmes qu’énonce Hans, et remarque que ce qu’appréhende cet enfant, c’est que tous ces circuits justement le ramènent toujours au point zéro : la maison mère (au titre de signifiant).
19J’en arrête avec le petit Hans sinon pour souligner encore que cette peur d’être embarqué par la maison mère est articulée à la place que prend Hans dans la famille au regard de ce qu’il espérait combler, à savoir le manque causé par le défaut de rapport sexuel entre ses deux parents.
20Ce que je viens de souligner concernant Hans m’amène à une autre considération, cela m’est venu à la suite de cette discussion qui a eu lieu lors du séminaire d’été 2010 entre Colette Soler et Charles Melman à propos du savoir inconscient.
21Colette Soler nous disait du savoir inconscient, reprenant tout son travail sur l’inconscient réel, qu’il s’acquérait « formé à l’usage, usage de jouissance » et, ajoutait-elle, « on ne peut plus attendre d’une analyse qu’elle donne une réponse qui ne soit pas l’inconscient réel, savoir qui ne se transmet pas et pose la question du mystère de la jouissance d’un corps parlant ».
22Charles Melman y avait répondu de la façon suivante (je reprends là ce qui m’avait interpellé) : « Ce n’est pas tout, il y a un reste ! Le savoir – avait-il ajouté – c’est ce qui fait objection au sens. Incongru, il fait défaut à la complétude phallique. En stokcasion fallait le lire, fallait qu’on dise pour que ça fasse un : sinon pas d’identification, le dire de stokcasion, ça ne peut passer que par là, du lieu où il s’émet, il n’y a pas de voix… qu’est-ce qui s’entend dans En stokcasion eh bien, c’est ce qui vient faire objection au sens, qui vient décontenancer le bon sens phallique. Il s’agit là d’une jouissance particulière… »
23Je me faisais la réflexion que Hans s’était construit avec ce savoir qui peut-être lui amenait une jouissance « d’un tout à maman », éprouvée au lieu même de la couche habituellement conjugale qu’il allait rejoindre à la moindre occasion, mais voilà, il y avait un reste qui venait à contrarier ce « tout à maman », qui venait contrarier le bon sens à ce qu’il advienne comme garçon qu’il était, d’où son symptôme phobique… d’où aussi cette tentative, chez lui, d’écrire, de décrire quelque chose d’un espace où il aurait quelque appréhension de la place qu’il occupait dans l’économie familiale, que ce soit du côté de sa mère ou du côté de son père.
24J’insisterai encore avec cette autre remarque de Charles Melman dans son ouvrage Pour introduire la psychanalyse aujourd’hui.
25Il souligne que les manifestations de l’inconscient ont un support, qui n’est pas le signifiant, mais son trouage par la lettre et c’est cette lettre qui met en place un réel irréductible, le manque.
26Aucun signifiant ne peut en effet obstruer ce trou. Si l’objet a (première lettre) vient à cette place, cela reste une place de semblant où un sujet va trouver abri, son abri dans cette construction de l’objet a de son fantasme.
27Le fantasme est donc l’abri du sujet. S’il rencontre cet objet, le sujet disparaît, comme dans la psychose puerpérale.
28Mais encore l’enfant perçoit très tôt le type de coupure, celle inhérente à l’expression du non-rapport dans une famille, dans son milieu, parce que cela vient organiser sa place dans la famille.
29Enfin, si nous nous référons à la structure borroméenne comme Lacan l’a élaborée pour figurer le minimum de structure psychique inconsciente : qu’est-ce qui se noue borroméennement, c’est-à-dire, qu’est-ce qui viendrait serrer, isoler l’objet qui manque, cet objet a ?
30Cet objet, à partir de quoi manque-t-il ? Eh bien à partir de ce qui vient à manquer dans le milieu familial. Il n’est pas en effet au pouvoir de l’enfant ni au pouvoir d’aucun objet de venir combler l’altérité, le manque causé par le défaut de rapport sexuel entre ses deux parents. Il ne peut venir effacer la différence des sexes entre ses deux parents, faire qu’ils ne fassent qu’un. Chacun d’eux entretient un rapport différent au signifiant phallique. Mais le sujet de l’inconscient ignore la négation et ce non sera refoulé.
31Ce refoulé, nous le percevons bien chez les enfants que nous rencontrons dans nos consultations. Leur discours, leur symptôme, leur comportement sont souvent un défi au sens, au bon sens. Ils viennent là parce qu’ils ont fait objection et nous leur supposons précisément un savoir, un « Tu peux savoir ».
32Pour illustrer mon propos, ou en stokcasion, je vais vous parler d’un enfant que je vois depuis un an et demi.
33Cet enfant m’a beaucoup questionnée, il aura cinq ans en novembre prochain.
34Il m’a beaucoup questionnée parce qu’il m’a été adressé pour troubles envahissants du développement et sur les conseils de la psychologue scolaire.
35Marcel Czermak avait posé la question aux psys d’enfants : qu’est-ce qui vous fait penser qu’un gosse est fou ? Je me suis rappelé cette question à propos de cet enfant.
36En effet, qu’est-ce qui pouvait me faire dire que cet enfant était fou ?
37Dans une première consultation, cet enfant blotti dans les bras de sa mère, c’était déjà bon signe pour moi, ne nous regardait pas dans les yeux quand son père, sa mère ou moi lui parlions. Il était le plus souvent fixé sur le décolleté de sa maman, décolleté convenable. Sans le moindre regard à mon endroit, il avait jeté un regard circulaire dans la pièce quand je m’étais présentée à lui.
38Les parents me racontaient que leur fils les regardait de moins en moins ou se mettait à les fixer, le regard perdu, semblant sourd à leur demande. Il disait quelques mots simples assez clairement mais la plupart du temps, ils avaient affaire à une bouillie articulatoire. Il ne répétait pas non plus les mots que ses parents tentaient de lui apprendre.
39Sur le plan de l’anamnèse, il était le fils tardif et unique d’un père de plus de quarante ans et d’une mère à peine plus jeune, remariée à cet homme. Elle avait un fils de onze ans de son premier mariage, qui vivait avec eux.
40Cet enfant que je nommerai Élie porte en vérité le prénom d’un des douze prophètes de l’Ancien Testament et également le prénom d’un prêtre juif de Jérusalem, au moment de la naissance du christianisme. Le prêtre juif en question avait pour femme pas moins que la cousine de la Vierge Marie. Cette femme était stérile. Tous deux étaient âgés quand un ange vint leur annoncer la naissance d’un fils. Le prêtre ne voulait pas y croire et perdit la parole, qu’il recouvra à la naissance de son fils qu’il nomma Jean, le futur Jean le Baptiste.
41Donc cet enfant au prénom chargé de signification religieuse a été attendu par son père comme le miracle. Ce sont des gens très catholiques.
42C’est l’école qui avait alerté les parents. Il fréquentait la classe de moyenne section. À l’école, Élie pleurait à chaque instant pour ne pas y aller. Il avait arrêté d’être propre le premier jour de sa première rentrée, quelques mois avant que je le rencontre.
43L’école avait conseillé d’aller consulter au plus vite, car Élie était sourd aux moindres consignes mais également s’isolait des autres. Tout cela était ponctué de crises de colère et de larmes quand on s’aventurait à le forcer à faire quelque chose. « Il est allergique à l’école », m’avait dit la mère. L’après-midi, il allait chez la nounou et cette nounou le laissait le plus souvent dormir.
44Cette mère et ce père étaient inquiets d’une pathologie grave et m’ont posé d’emblée la question de l’autisme.
45Jusqu’à trois ans, tout s’est à peu près bien passé, sinon qu’Élie à leur goût était quelque peu passif et ne s’intéressait pas à grand-chose…
46Le père d’Élie me dit d’emblée qu’il était en conflit avec son propre père, que quand il était petit, il était comme Élie. Il avait posé la question à sa mère.
47Avec son fils, il se décrivait très patient, peu exigeant et très à l’écoute. Il se demandait si l’état de son fils ne venait pas de ses propres difficultés à lui. La mère d’Élie avait ajouté à ce propos que jamais son mari ne faisait preuve de la moindre autorité à l’égard de son fils.
48Cet aveu du père, cette plainte de la mère, je ne sais pourquoi, m’avaient rassurée sur l’état de l’enfant.
49Ce dernier, pendant que ses parents me racontaient tout cela, s’était mis à dessiner, toujours sur les genoux de sa mère, laissant quelques traces jaunes qui s’étaient transformées en un gribouillis assez homogène et assez conséquent. Il fit cela en regardant ostensiblement le plafond. Était ce un jeu ?
50« Il fait toujours ça quand il dessine », commenta la mère…
51J’ai alors demandé à ce petit garçon de me dire où était maman dans ce dessin. Il a pointé son doigt sur la feuille toujours en regardant le plafond, puis papa, Élie, Nathan (son grand frère). J’ai écrit les noms aux endroits indiqués. Il m’a à moment donné regardé en coin. Avant de partir, il m’a lancé un regard furtif…
52En quelques séances, en présence de sa mère, plus rarement de son père, j’ai pu le rencontrer. Au début il observait tout dans mon bureau et particulièrement les fenêtres qui donnaient chacune sur une cour intérieure de l’immeuble. La fenêtre avait toute son importance dans nos rencontres, il s’y dirigeait à un moment ou à un autre. Ses allées et venues dans mon bureau d’une fenêtre à l’autre m’intriguaient.
53Les premières séances avec lui ont tourné essentiellement autour de jeux avec les jouets d’une grande boîte que je déplaçais à chaque séance et amenais sur le tapis où nous nous installions.
54Les séances suivantes, sa mère avait regagné la salle d’attente.
55Il a alors beaucoup investi un puzzle géant en matière molle au touché, le puzzle de Winnie l’Ourson. Une fois construit, on peut le mettre debout et Élie s’est mesuré à ce grand ours.
56Dans la malle à jouets, il y avait un autre puzzle aussi grand avec les pièces duquel on construisait des cabanes. Il s’est alors intéressé à deux affreux tyrannosaures qu’un enfant m’avait laissés. Il brandissait l’un des deux, la gueule bien dentée et bien ouverte pour qu’il me morde ou qu’il lui morde le bras. Il ne faisait pas semblant… Quand il a voulu qu’il me morde, il a appuyé très fort le jouet sur mon bras. Je lui ai demandé à ce que nous fassions semblant. L’excitation qu’il montrait me faisait penser à quelque chose d’un jeu de dévoration réelle. Il a obtempéré, et là, je peux le dater, il a commencé à me regarder sans me fixer ou m’ignorer.
57La question du regard s’est vite arrangée…
58Nous construisions des petites maisons qui abritaient les petits personnages contre les féroces tyrannosaures. Il jouait également à faire rouler un petit train en bois qui venait détruire les maisons. Une voiture également venait détruire la maison en la pénétrant (elle était plus grosse que la maison).
59Peu à peu j’ai pu refuser d’aller chercher la caisse à jouets et l’inviter à s’asseoir à mon bureau, après une séance que je définirais comme le premier moment de la cure.
60On entendait par la fenêtre entrouverte un bébé pleurer dans l’immeuble voisin. Élie s’était alors précipité vers la fenêtre, s’était penché pour découvrir un grand trou et une toute petite cour tout au fond (je suis au 4e étage). Cette fenêtre donne sur ce qu’on appelle la petite cour de l’immeuble. Il y a deux fenêtres dans mon bureau, la deuxième donne sur la grande cour intérieure de l’immeuble. Du même coup, il alla vérifier si on entendait le bébé dans la grande cour.
61« Bébé peure (pleure), on voit pas ! »
62Il était angoissé et je lui ai demandé : « Tu as peur ? »
63« Oui ! » (très clair).
64Cherchait-il ce point de fuite qu’aurait constitué la vue du bébé matérialisé justement par la voix du bébé venant de l’encadrement de la fenêtre ?
65Le deuxième moment, ce fut à la table de mon bureau, où il était à dessiner, après avoir fait le tour des fenêtres de mon bureau et m’avoir demandé si le bébé pleurait encore.
66J’ai une ancienne boîte aux lettres en bois fixée à un mur, dans un coin de mon bureau. Le jour où Élie s’est installé à mon bureau, il a plié chaque dessin pour le glisser dans la fente de la boîte. Il montait sur la caisse à jouets pour accéder à la boîte. Il n’a jamais voulu récupérer les lettres. C’était devenu sa « boîte aux lettres » qui est assez pleine à ce jour.
67Son premier dessin : papa, maman, lui ; il oublie son frère dans le dessin de famille. Nous parlions dans ces moments-là…
68À la maison aussi il avait peur la nuit et pleurait, sans pouvoir préciser de quoi il avait peur. J’avais appris à cette occasion par lui qu’il dormait le plus souvent avec maman.
69À une autre séance, il s’était mis à dessiner le tyrannosaure enfermé par des bonshommes dans un filet.
70Troisième moment : enfin parce que je comprenais de mieux en mieux ce qu’il me disait et qu’il répétait clairement les mots quand je le lui demandais, il a commencé à me parler des trains au passage à niveau : « On s’arrête ! »
71Je l’ai aidé dans un premier dessin et cela a été suivi de nombreux dessins sur ce thème. Après avoir dessiné, on mimait avec les feutres les barrières qui se lèvent et se baissent, le tgv qui passe, les voitures qui passent à leur tour.
72J’avais fait ma Melanie Klein et je lui avais dit :
73Le tgv : papa.
74La voie de chemin de fer, les rails : maman.
75La voiture : Élie.
76Il avait été content de cette interprétation, d’accord et enthousiaste…
77Entre-temps, j’avais rencontré sa mère, qui m’avait confirmé qu’Élie venait la nuit mais qu’en plus son mari dormait dans le salon parce qu’il finissait trop tard de travailler sur l’ordinateur. Elle lui avait dit que ça ne la gênait pas qu’il la rejoigne tardivement même s’il la réveillait en rentrant dans la chambre mais son mari préférait procéder ainsi. Cela durait depuis deux ans et semble-t-il, aux dires de la mère, ça n’avait pas échappé à l’enfant.
78J’avais rencontré le père et je lui avais dit que son fils pouvait imaginer que la place dans le lit conjugal lui était laissée… Ce père très à l’écoute avait regagné la chambre conjugale pendant un certain temps, mais à ce jour, quand Élie pleurait et allait rejoindre sa mère la nuit, il le raccompagnait sur-le-champ dans sa chambre même s’il était installé au salon.
79Nous étions au mois de décembre, Élie me dit alors, à propos de son dessin : « Qu’est-ce que je dois faire ? Il n’y a plus de train et la barrière reste fermée ! »
80« Qu’est-ce que tu en penses ? »
81« Il faut descendre de la voiture et la réparer ! »
82« Peut-être cela s’arrangera-t-il en grandissant… »
83Deux minutes plus tard, il m’a demandé à aller aux toilettes… Était-ce pour se rassurer sur l’état de son « fait-pipi ? »
84Quelques séances après, à la veille des fêtes de fin d’année, son père l’a accompagné, j’ai appris qu’il sévissait plus souvent. Il se plaignait cependant que son fils ne veuille pas discuter avec lui. Ils aimaient jouer ensemble, ça oui… Élie, pendant le temps où il me parlait, avait dessiné des paquets-cadeaux pour papa.
85Élie est un enfant qui parle aujourd’hui intelligiblement, de mieux en mieux.
86Je crois que cet enfant est parti de ce qui « clochait » dans le milieu familial, manque qui est venu s’organiser de deux façons : au départ comme venant le représenter à l’endroit de son symptôme, et cela avait été sans doute sa façon de venir faire objection. Par la suite, dans sa cure, il avait alors interrogé les circuits empruntés par le père la nuit, de la chambre au salon en passant par sa chambre à lui. Il avait interrogé l’amour de maman qui vivait de plus en plus avec ses fils…
87Tous ces circuits empruntés par le père, toute cette crainte de dévoration maternelle, manifestée lors de nos jeux et de l’épisode des pleurs du bébé qu’on ne pouvait pas voir dans l’encadrement de la fenêtre, c’est un peu comme s’il les avait parcourus dans le cadre de mon bureau, éprouvés dans le mouvement du transfert, puis déposés dans la boîte aux lettres.
88Cette séance du 15 décembre était venue dire quelque chose de ce qu’il avait pu considérer et qu’il pouvait considérer désormais à partir d’un manque qui était venu se substituer au type de manque causé par la « boiterie » du conjungo de ses parents.
89Ce manque pourrait participer de cette écriture du fantasme chez cet enfant tel que l’écrit Jacques Lacan : $ ? a.