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Article de revue

Les journées qui ont eu lieu

Pages 229 à 235

L’unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité ? Marseille, 13 et 14 mars 2010

1Comment se tissent entre eux les fils de notre héritage gréco-romain et ceux des trois monothéismes qui sont nés sur les rives de la mer intérieure ? Comment le signifiant Méditerranée a-t-il pu se maintenir aussi longtemps comme un Nom-du-Père, et qu’advient-il de ce signifiant au sein de notre modernité scientifique et mondialisée ?

2Voilà deux formulations parmi de nombreuses qu’a pu prendre la question posée à ce colloque qui s’inscrivait dans la suite des colloques de Fez initiés par le groupe de Cordoue, et qui s’est déroulé, cela a été rappelé, sous l’égide de la Bonne Mère qui préside aux destinées des Phocéens, mais aussi pas très loin de sainte Rita, spécialiste niçoise des causes désespérées…

3Ce n’est donc sans doute pas tout à fait un hasard si ce colloque a vu se déployer au fil des interventions, comme une fresque, un foisonnement de figures féminines dont la diversité ne faisait que souligner la permanence depuis notre préhistoire.

4La mère, triple gardienne de la vie, de la langue et de la tradition, pouvons-nous encore dire aujourd’hui ce qui garantit le don qu’elle prodigue, surtout lorsqu’elle s’affronte au pur non-sens, comme l’évoque Colette Guedj, dans son livre Le baiser papillon ?

5Cruelle parenté avec ces mères corses qui s’acharnent avec une détermination sans faille à soutenir dans un don toujours renouvelé leurs fils incarcérés.

6Parenté encore avec ces mères qui déclarent malgré toutes les certitudes scientifiques leur croyance dans « l’enfant endormi », pouvant occasionner des grossesses durant jusqu’à 20 ans.

7Parenté toujours avec la gracieuse Gradiva, la mystérieuse nymphe, dont il fut rappelé avec force qu’elle se situe à l’exacte intersection entre forme et matière…

8Mais d’autres figures moins sympathiques devaient surgir aussi, avec l’évocation du texte de Freud (mais aussi de Goethe) : « Groß ist die Diana der Epheser » : rien de moins que la déesse mère : Gea Mater, alias Déméter, Artémis, Cérès, réglant la fécondité et la stérilité, et son avatar moderne, la Bonne Mère encore.

9Ou encore les figures terrifiantes de la Gorgone Méduse (Freud, encore…), de Médée l’infanticide, des Sirènes enfin, dont le silence, inventé par Kafka en 1917 comme cela fut rappelé, n’est pas moins dangereux que le chant.

10Illustrant ce qui fut repéré comme un effet dispersif de tout abord actuel du signifiant, ces figures du matriarcat « à l’ancienne » nous ont aussi permis de renouveler notre interrogation sur le moderne matriarcat jeté il y a peu comme un pavé dans la mare psychanalytique par Charles Melman ; celui-ci a d’ailleurs saisi l’occasion pour remettre en question le signifiant en question (« … c’est pas beau le matriarcat … »), mais sans lui trouver de substitut plus convenable.
Ce fil est venu, tout au long du colloque, s’entrelacer avec celui du patriarcat, et plus précisément des monothéismes. Quel bâton, en effet, insérer dans la gueule ouverte de la Gorgone pour calmer l’effroi qu’elle suscite ? Une seule solution, le Nom-du-Père, dont l’efficace fut rappelée en de nombreuses occasions. Le Nom-du-Père fut ainsi cité comme ce qui :

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  • permet de remplacer la terreur par la crainte,
  • permet de remplacer l’anéantissement par le meurtre,
  • permet de passer de l’évidence à la parole.
Mais aussi ce qui permet de disjoindre deuil et mélancolie, comme de disjoindre réel et réalité,

12ou encore ce qui permet de distinguer la langue maternelle, celle où vient s’inscrire la castration, de lalangue maternelle, transmise comme un don par le biais de la voix.

13Au moment où le déclin des Noms-du-Père s’accentue, leurs mérites se devaient d’être accentués, eux aussi. Non sans qu’il soit rappelé cependant combien l’histoire de l’Antiquité méditerranéenne était organisée autour de la question de l’exogamie. Ainsi, à l’origine de Marseille la légende place l’amour de la Ligure autochtone Gyptis pour l’étranger Protis, fondant peut-être la position particulière de cette cité concernant le brassage culturel.

14La répudiation de la barbare Médée par le Grec Jason marquait en revanche un échec de l’exogamie. Comme il a été dit : « S’il n’y a pas l’étranger à l’origine, on est quand même mal barrés ! », mais en remarquant que les religions monothéistes ont toujours pratiqué une stricte endogamie ! Paradoxe, donc, d’un Nom-du-Père pacificateur au regard des terreurs matriarcales, mais générateur de conflits irréductibles au titre de l’intolérance à l’autre qu’il suscite.

15Comment alors expliquer ces moments rares et privilégiés de l’histoire, comme le xe siècle en Andalousie et en Égypte, au cours desquels les trois monothéismes ont pu cohabiter sans conflits, où des théologiens ont même pu trouver appui dans le discours de l’autre pour leurs propres développements. À cette question mainte fois posée, il a été proposé au cours de ce colloque une réponse topologique : s’il est vrai que tout espace littéral comporte un bord qui le sépare d’un autre espace littéral, n’est-il pas concevable que les rapports entre ces deux espaces se structurent différemment suivant que ce bord les organise comme les deux faces d’une bande biface, ou comme l’unique face d’une bande de Moebius ? Cette hypothèse s’est trouvée en accord avec le texte L’envers et l’endroit de Camus.

16Plus précisément, n’est-ce pas leur commune reconnaissance de la pertinence de la logique d’Aristote pour l’étude des textes sacrés qui a permis aux théologiens du xe siècle des trois monothéismes de placer pour un temps leurs divergences au second plan au regard d’un texte qui pouvait « faire bord » ?

17De même, la place topologique du courant messianique dans les trois monothéismes a pu être repérée comme un horizon, un bord caractérisant les périodes où, dans le cadre d’une guerre des interprétations, s’opérait une opération de destruction du lieu de l’Autre. Le courant messianique tendait au contraire à maintenir une interprétation ouverte, à opposer donc une logique moebienne à une logique biface.

18L’image forte du rapatriement du corps d’Averroès de Marrakech à Cordoue, ses livres équilibrant son cadavre des deux côtés de la monture, a souligné combien ces moments sont rares et fragiles, mais pourquoi ? La question a été posée de savoir s’il s’agirait d’un trait spécifique du monothéisme. Ce dernier n’aurait-il pas de structure la propriété de privilégier une topologie de bande biface mettant en place une logique d’affrontement ? Le repérage de la lettre comme facteur de diffraction de l’Un a permis d’amorcer une piste de recherche dans ce sens : le rôle probable de l’utilisation de l’écriture alphabétique – hébreu, grec et arabe – des trois grands textes sacrés a été évoqué à ce propos.

19La prégnance et la diversité des images mythologiques et historiques évoquées n’a pas, et de loin, occulté la brûlante actualité clinique des questions soulevées par ce colloque.

20Ainsi, fut-il rappelé, tout petit d’homme sait d’origine que son univers – si tout va bien – s’organise entre deux pouvoirs : un pouvoir symbolique, structuré par la castration, qui l’introduit aux lois du langage et lui donne accès à la métaphore, et un pouvoir réel incarné par la mère. Voilà le matriarcat !
De même, sur les rives de la Méditerranée, la logique biface est de nos jours patente dans l’affrontement déclaré entre deux outrances, deux hybris, l’une étant le nationalisme – qualifié d’érotomanie collective –, l’autre étant celle de la consommation. Deux outrances qu’aucune dikè ne peut apparemment tempérer. Comment concevoir ce qui pourrait introduire du moebien dans cet affrontement ? La psychanalyse permet-elle d’avancer une hypothèse dans ce sens ? Ce qui a été suggéré est qu’une voie envisageable serait peut-être d’arriver à être un peu moins amoureux du texte en général, et particulièrement du texte qui nous est le plus cher : celui de notre inconscient. À suivre donc.
Jean Brini

Modernité et pulsion, Santiago, Chili, 22 et 23 avril 2010

21Les 22 et 23 avril derniers s’est tenu à Santiago et Valparaiso un colloque sur le thème de « Modernité et pulsion ». Il était organisé conjointement par le Grupo Plus et l’École psychanalytique de Sainte-Anne qui fait partie de L’Association lacanienne internationale. Il fut l’occasion d’échanges fructueux avec nos collègues chiliens avec qui de solides relations de travail, se sont instaurées. Il faisait ainsi suite au colloque organisé en avril 2008 sur le thème « L’objet, la cure, la pulsion ». Si l’insistance de nos collègues chiliens à vouloir traiter des suites du tremblement de terre a pu d’abord surprendre, car le terremoto ne cadrait pas idéalement avec le thème du colloque, ils ont, ce faisant, rappelé à notre vision européenne qu’il n’y avait pas que la modernité qui soit susceptible de conduire à quelque effondrement. Néanmoins ce colloque fut l’occasion de mettre au travail la question de la pulsion dans toute sa complexité, et des échanges nourris ont montré l’intérêt heuristique de la notion de nouvelle économie psychique.
Pierre-Yves Gaudard

Études théoriques et cliniques du cognitivo-comportementalisme, Paris, 12 et 13 juin 2010

22L’expertise de l’inserm sur les psychothérapies, le Livre noir de la psychanalyse, la guerre dans les départements de psychopathologie à l’université, les prises de pouvoir dans les services de psychiatrie et les cmp, et d’une façon générale la place de plus en plus grande prise par ce qui se veut scientifique, moderne et efficace, tout cela justifiait ces Journées ambitieuses et qui s’annonçaient, dès l’exposé introductif de T. Florentin, comme des Journées de combat. Combat car les enjeux sont politiques. Ambition car il fallait évoquer non seulement les tcc et leur histoire, mais aussi les courants philosophiques et scientifiques aujourd’hui prééminents sur lesquels elles s’appuient.

23Les critiques des tcc, ce n’est pas surprenant, ont fondamentalement porté sur leur conception du langage comme doublure de la réalité et outil de communication idéalement univoque (J. Brini). D’où l’accent qu’elles mettent sur l’apprentissage et sur l’évaluation. Un apprentissage qui ne prend évidemment pas en compte le savoir inconscient déjà là, et une évaluation qui vaudrait avant tout parce qu’elle est chiffrée et anonyme. S. Thibierge y a opposé l’appréciation raisonnée des faits, revendiquée par celui qui évalue et parle en son nom, récusant ainsi l’idée qu’il n’y aurait pas d’évaluation dans la psychanalyse. C. Gintz a souligné que la transparence prétendue du diagnostic aboutit à l’opacité des faits et à l’épaisseur croissante des manuels (dsm). C. Melman a dit de la prétention à la scientificité des tcc que c’était une imposture.

24Les communications sur l’autisme, sur son dépistage à Melbourne (M. Plastow), sur son traitement à Grenoble (P. Cacciali et D. Janin) ont montré comment le sujet peut venir heureusement troubler le protocole qui ne veut pas entendre parler de lui.

25P. Cacciali a rapporté l’exemple d’un garçon de 4 ans à qui on apprenait à parler à l’aide de pictogrammes. Il ne mangeait que du pâté et du poisson et disposait donc des deux pictogrammes avec les noms correspondants. Un jour il présente à sa mère le pictogramme pâté mais refuse le pâté qu’elle sort du frigo, et il montre le placard avec insistance. Elle finit par lui proposer un paquet de… pâtes. C’était bien ce qu’il voulait et il va commencer à en manger. On peut tout apprendre, dit P. Cacciali, sauf le langage. Ce garçon se met à parler, au sens fort du terme, dès lors que le lien est rompu entre signifiant et signifié.

26D. Janin a rapporté le cas d’un petit garçon auquel on apprenait la propreté en le récompensant à chaque émission par une fraise Tagada (un signifiant du galop pour mettre en selle ? les thérapeutes cc ont sans doute un inconscient). Comme il émettait de mieux en mieux, il fallut proportionner : à petite selle, petite fraise. La problématique du don et de l’échange, dit D. Janin, se referme sur l’objet réel.

27On retiendra qu’à Grenoble une certaine collaboration a pu s’établir avec une équipe qui certes fonctionne selon le modèle cc, mais qui accepte une analyste comme observatrice, et plus encore a demandé à une autre une supervision.

28Un débat avec des cognitivo-comportementalistes aurait-il été possible et utile ? Rien n’est moins sûr. Le docteur Sicsou qui avait eu l’élégance et le courage de venir dans cette assemblée ne souhaitait pas s’engager dans un débat de fond mais tenait à souligner qu’il ne se reconnaissait pas dans la pratique déshumanisée qui avait été décrite. Et sans doute, davantage que contre les praticiens, le combat est-il surtout à mener contre les techniques de management qui sont mises en œuvre dans les centres de soin (L. Sciara, M. Czermak) et contre les prises de pouvoir à l’université (M. Jejsik).

29L’histoire complexe des tcc, et les raisons, souvent méconnues par nous, de leur profond ancrage dans la culture nord-américaine, a été retracée par P.H. Castel. Les tcc n’y existent, dit-il, que parce qu’il y a des associations de patients qui se reconnaissent dans tel trouble et fournissent des cohortes pour des enquêtes génétiques et thérapeutiques.

30Les interventions de M. Crommelinck, neurophysiologiste, de O. Rey (philosophe) et celles de J.-L. Chassaing et de H. Ricard ont bien montré que la pensée dominante est aujourd’hui une pensée de la continuité et du Tout. Le biologique, le mental et le social sont mis en continuité en partant d’un point de départ objectivable, d’un socle, qui est la cellule. Au départ de la spéculation on place la biologie moléculaire. Il y a donc continuité affirmée entre les neurosciences et le cognitivisme et on peut commencer à parler d’une neuropsychanalyse. Plus d’opposition entre langage et biologie, plus de coupure entre l’homme et le reste des vivants. Les départements de psychopathologie seront dénommés « sciences du vivant ».

31Ce n’est pas dire que les analystes aient à se désintéresser des neurosciences. C. Morin nous a relaté comment on a cherché par l’imagerie cérébrale à localiser le Self, les chercheurs ayant dû sur ce point reconnaître leur échec. Il aurait pu être intéressant de faire mention de quelques directions de recherche de S. Dehaene.

32À la pensée naturaliste (où on peut voir le vœu d’une relation réussie à la mère) Melman a opposé que l’organisme humain est dénaturé par le langage et que ses conduites en attestent. Freud démontrait il y a plus de cent ans, dans l’« Esquisse d’une psychologie scientifique », que l’adaptation à la réalité est d’emblée marquée du sceau de la déception. La psychanalyse n’a pas de bonne nouvelle à annoncer, mais la continuité dans la Nature est-ce si nouveau ?

33Melman a comparé notre position dans le paysage actuel à une réserve d’Indiens. Moralité: ne pas trop rester sur la réserve.
Valentin Nusinovici


Date de mise en ligne : 01/03/2011.

https://doi.org/10.3917/lrl.103.0229

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