1La proposition qui m’a été faite de réfléchir à l’actualité du matriarcat m’a surprise sans doute parce que, à l’évocation du matriarcat, j’imaginais les despotes féminins et les dames de fer de l’Histoire – il y en a eu beaucoup – comme des femmes triomphantes. Ce qui me frappe plutôt dans la société d’aujourd’hui, c’est la position dépressive des mères qui viennent nous consulter.
2Il y a peu de temps, Charles Melman prédisait la venue du totalitarisme avec la montée en puissance des femmes dans la vie politique. Aussitôt j’ai entrepris une étude, trop rapide il est vrai, de ces femmes qui nous gouvernent et de celles qui prétendent au pouvoir. Il semble bien sûr que nous soyons tous sceptiques et que nous ayons perdu confiance à l’égard du système démocratique. Au même moment, en France et ailleurs, cependant, des femmes réussissent à incarner le besoin de changement et une autorité nouvelle. Aux États-Unis aussi on évalue les chances d’une femme de devenir la première femme présidente de l’Union. C’est aussi une femme qui préside la chambre des représentants au Congrès. L’Allemagne choisit une femme pour la gouverner. La Finlande, l’Irlande, la Lettonie ont des femmes pour présidente. Leurs noms ne vous diraient rien. Ceux qui ont étudié dans chacun de ses pays le pouvoir qu’elles sont en train d’exercer l’ont retenu comme gain de démocratie. Peut-être ai-je tort et ces observations trop récentes vont-elles évoluer au cours du temps. Pour aller dans le sens de cette inquiétude, on dit qu’une gravure ne quitte pas le bureau de la chancelière allemande, celle de la Grande Catherine de Russie, née princesse allemande en Poméranie, l’état dont Angela Merkel est l’élue. De quoi devons-nous nous inquiéter? Quelle dérive nous menace-t-elle?
3Jusqu’à présent, les sociétés s’étaient effectivement le plus souvent organisées de telle façon que les hommes dirigeaient et les femmes subissaient. Encore que cette répartition ait supporté maintes exceptions. Ce sont les sociétés industrielles qui ont le plus longtemps maintenu les femmes au bas de l’échelle hiérarchique et encore maintenant c’est dans l’industrie que les femmes ont le plus de mal à faire partie des cadres de haut niveau. Depuis un demi-siècle la répartition hommes au pouvoir d’un côté et femmes éloignées du pouvoir de l’autre a été dénoncée comme abusive, il a été prôné l’égalité et l’estompage des différences de place. Ce progrès démocratique indéniable et communément approuvé par les hommes et les femmes dans le discours social a-t-il des conséquences sur la vie dans les familles ? C’est difficile à dire.
Évolution sociale et effets de la science
4Revenons aux mères et au matriarcat dans la cellule familiale. Qui sont ces mères alors qu’un enfant sur deux naît hors mariage, que les droits des enfants naturels sont alignés sur les droits des enfants légitimes? Ces mots mêmes ont été bannis du code civil qui ne distingue plus les enfants nés dans le mariage et les autres.
5Qui sont ces mères alors que le divorce touche un couple sur deux, que les bouleversements juridiques ont transformé le droit de la famille alors que l’autorité parentale est partagée et que le droit de filiation et la question du choix du nom patronymique ont été profondément modifiés ?
6Pour certains, l’enfant est un objet de jouissance parmi d’autres. Ce n’est plus un don de Dieu mais un don de la science auquel tout le monde peut prétendre. On sait que les parents ont pu faire valoir leur droit de réparation parce que l’enfant n’a pas été diagnostiqué porteur d’une anomalie génétique (arrêt Perruche).
7Les psychanalystes eux-mêmes qui se laissent aller à une certaine nostalgie du passé constatent l’envahissement des nouvelles pathologies. Nous avons l’impression d’être sollicités dans l’urgence afin de constater de nouveaux symptômes pour lesquels nous aurions besoin de recul pour nous prononcer. Par exemple la maternité précoce des jeunes filles, les garçons qui abandonnent leurs études sur un coup de tête et qui continuent à vivre aux crochets de leurs parents. Ces processus, qui ont toujours existé, s’emballent.
8Le discours scientifique a réduit à rien la dimension subjective et le sens des responsabilités de chacun. C’est la dépression qui semble l’expression privilégiée de notre subjectivité. Tout ce que Lacan a conceptualisé sous le terme de Nom-du-père et de son déclin nous semble des outils précieux menacés.
9Le déclin de l’identité du père a pour corollaire l’envahissement de la figure maternelle. C’est ce qui fait dire à nos collègues psychanalystes que nous sommes en train d’assister à la renaissance du matriarcat. La femme décide de l’enfant qu’elle va mettre au monde, elle choisit le moment le plus favorable en fonction de ses études, de sa carrière, de la rencontre du géniteur de son choix. C’est elle qui décide d’interrompre le mariage et demande le divorce.
10Avec son discours utilitariste et individualiste la politique favorise toute l’attention portée à la relation parents/enfants : s’il y a conflit ou s’il faut protéger l’enfant, le juge est requis pour dire « le bien » de l’enfant. Nous repérons dans le lien social d’aujourd’hui un lien maternel. C’est une modification dans la structure qui change notre rapport au réel avec des conséquences importantes sur les relations familiales et sociales. Freud et Lacan ont mis en évidence les complexes familiaux dans leurs effets normatifs pour le sujet. Le père, jusque-là, était dans sa fonction symbolique en position de Au-moins-un qui échappe à la castration. C’était une position d’exception, mais d’exception logique qui en faisait une position d’altérité. Cette altérité du père introduit la dimension du réel, c’est-à-dire ce qui ne peut se dire, car ce n’est pas de l’ordre de la réalité. Le réel ne peut se penser que comme impossible. Le père par l’interdit de l’inceste dans la réalité faisait valoir cet impossible. L’interdit de l’inceste est de structure et il sexualise cet impossible, ce qui a pour avantage de le rendre moins traumatique.
11Les complexes familiaux peuvent être aussi pathogènes. L’interdit de l’inceste lie l’impossible et la sexualité ? La science avec les PMA (Procréation maternelle assistée) permet de disjoindre sexualité et production ; ce qui a pour effet de disjoindre la conjugalité et la parentalité. Le couple n’a plus la préoccupation de s’inscrire dans une lignée.
Avec le pouvoir aux mains des femmes, le changement radical qui se produit est que l’instance phallique n’est plus dans le réel, elle est dans la réalité. La maternité est la présentification du phallus dans la réalité, la relation à l’autre est directe, alors que dans le patriarcat la relation à l’autre est médiatisée par un tiers qui est symbolique puisque de l’ordre du langage.
Double statut des femmes
12Charles Melman apporte une précision dans son séminaire sur la Paranoïa : une femme participe d’un double statut, celui de présentation et celui de représentation. Elle acquiert une valeur de fondation du fait de valoir comme présentation. Elle émerge dans le champ de la réalité, non pas comme semblant mais comme incarnation de cet au-moins-une, ce qui lui vaut d’être appréciée comme divine, ajoute-t-il dans le séminaire du 13 janvier 2000, et ce qui lui vaut aussi d’être redoutable puisque réclamant des sacrifices du fait d’être la représentation de Dieu, comme présentation directe, crue de la divinité elle-même.
13Heureusement toutes les femmes ne sont pas paranoïaques et le plus souvent elles ne déraillent pas. Dans les meilleurs cas, pour elles la place qu’elles occupent au champ de l’Autre est commandée par la castration. Il faut bien que quelque chose s’impose comme limite pour dégager le lieu de l’Autre. Dans ce cas la référence a la filiation et donc au Nom-du-père fonctionne. Mais une femme a besoin de se faire reconnaître et cela l’engage dans un processus de séduction vis-à-vis de son partenaire qui fait qu’elle dépend de lui. C’est un mode de reconnaissance aléatoire qui la laisse souvent sur le bord de la dépression.
Mais si la dimension de l’Autre est ouvertement récusée, le seul tiers aujourd’hui valide sera celui du juge qui vient à la place de l’Autre. Le nombre de divorces demandés actuellement par les femmes n’a jamais été aussi important. Il s’explique peut-être par une forme d’hystérie collective. Certaines femmes se regroupent pour se plaindre entre elles. La plainte s’entretient d’une cause commune contre les pères, les hommes, les chefs… Les hommes à leur tour – c’est là un phénomène qui n’est pas l’exclusivité des comptoirs de bar – se réunissent pour déblatérer sur les bonnes femmes. La communauté est ainsi réunie par le tout-phallique, le bonheur d’être entre soi et d’échapper aux contraintes de la castration. Les femmes d’un côté les hommes de l’autre. L’espoir de réussir à régler les affaires en couple s’amenuise. L’appel au tiers, comme il est logique, va être l’appel au juge, celui qui tente péniblement des réunions de conciliation pour essayer d’enrayer l’épidémie des séparations.
Collectivité et éducation
14Or nous le savons bien, il n’y a pas de collectivités humaines sans observer les lois de la parole, sans reconnaître sa place à ce vide qu’implique le langage. L’aptitude à la parole se paye d’un prix : nous sommes habités par la perte, le vide ; la négation l’absence, car la possibilité de la parole l’implique. La vie collective des hommes et des femmes tient à cette négativité qu’ils ont en commun. Les sociétés se sont organisées jusqu’à présent pour transmettre ce préalable de la perte. Encore récemment la répartition des rôles sociaux selon le sexe avait la charge de rendre visible l’obligation pour chacun d’être éduqué en fonction de son sexe anatomique.
15Dans le discours social actuel nous ne trouvons plus de référent, nous récusons tout dogmatisme. Il n’y a rien à refouler, rien qui tombe dans les dessous et qui constitue l’inconscient. Le nouveau texte est fait du lien plus ou moins étroit que nous entretenons avec les médias qui fonctionnent dans la suggestion télévisionnaire : « Dites ce qui ne va pas, en public de préférence, et les choses s’arrangeront d’elles-mêmes. » Les pères et les mères savent-ils se resituer en fonction de cette nouvelle donne et recréer ce qui hier se transmettait par l’éducation ? Peuvent-ils compter sur eux-mêmes pour redonner une légitimité à la place d’exception ? La nécessité du refoulement ne semble plus s’imposer. Le refoulement pourrait-on dire est moins actif.
16Les parents séparés ou divorcés qui ne voient leurs enfants qu’en alternance de semaine en semaine ne veulent pas troubler à force d’interdit le temps qu’ils passent avec eux. Ils ne veulent pas prendre le risque d’être le moins aimé des deux. Qui va permettre à ces enfants de grandir et de consentir aux renoncements nécessaires à la mise en place de leur désir?
17Revenons à notre question. Peut-on parler de matriarcat quand la tyrannie des mères s’exerce dans l’espace de la famille? Si nous nous référons au schéma de la sexuation de Lacan dans le séminaire Encore, le père de la horde s’inscrit dans la partie gauche, là où Lacan situe l’Au-moins-un, c’est-à-dire en l’occurrence, l’Au-moins-une. Ce qui se passe du côté de l’Autre n’intéresse pas la mère tyrannique et ne doit pas venir la déranger, interférer avec la façon dont elle veut régler ses problèmes. Il s’agit là de cas extrêmes.
18Pour moi les mères d’aujourd’hui se débattent dans une contradiction. Pas moins que nous dans le passé, elles veulent être « suffisamment bonnes » selon l’expression de Winnicott « normalement dévouées ». Elles se sentent menacées par la concurrence qu’exerce sur elles leur compagnon. Elles se sentent en compétition avec une femme éventuelle qui serait une usurpatrice. Et bien sûr pour cela elles récusent la castration…
19Depuis quelques années Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun ont mis l’accent sur les profondes modifications apportées au lien social et qui affectent chacun d’entre nous. Ils ont déployé l’éventail très large des nouveaux symptômes chez les enfants, l’enfant hyperkinetique, l’enfant obèse, les adolescents anorexiques de plus en plus nombreux, les accros aux addictions de toutes sortes : jeux vidéos, produits toxiques, les décrochages en cours d’études de plus en plus surprenants décidés comme peuvent l’être des passages à l’acte. Je voudrais parler des symptômes que présentent les mères, des femmes en difficultés.
Ces mères déprimées rendent plus difficile de situer la genèse de leurs symptômes. Nous ne pouvons en parler qu’au cas par cas.
Quelques exemples cliniques
- Angélique est une mère déprimée, peut-être l’a-t-elle toujours été. Dès le début de son mariage il lui semblait que son couple ne pouvait pas tenir. Elle a eu un époux très amoureux, les enfants dont elle rêvait mais à 45 ans il lui a semblé que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Son mari travaillait trop, il la négligeait et elle a demandé le divorce. Bien sûr elle a été étonnée de s’apercevoir qu’elle demandait le divorce de son mari précisément à l’âge où sa mère avait congédié le sien. Il lui avait fallu soutenir sa mère qui se considérait comme abandonnée. Elle s’est aussi étonnée d’avoir pris cette décision qui pénalise les enfants alors qu’elle a toujours été une mère attentive. Que cherchait-elle? Quelle est cette nostalgie d’autre chose, alors qu’autour d’elle aucun homme ne lui semble le compagnon idéal. Elle a de nombreuses amies insatisfaites comme elle. Aucun homme pour elles ne semble apte à représenter la fonction phallique. Elles n’en réclament pas la place. La position d’autorité auprès de leurs enfants elles ont l’impression de l’occuper de plein droit. Ce sont elles qui ont sacrifié leurs ambitions professionnelles à celles de leurs époux : elles ont fait les mêmes études et elles pratiquent le même métier. Elles se sentent capables de les élever seules. Angélique a le sentiment de sans cesse suppléer aux carences du père qui a obtenu la garde alternée. Elle exige avec l’avocate qui défend ses droits que le père s’éloigne d’elle et de ses enfants. Cela rappelle bien sûr le congédiement de son père par sa mère qui avait réclamé de garder la grande maison qu’ils occupaient. « Toute la maison » est-ce le trait qui range Angélique du côté du matriarcat ? Il y a là un signifiant insécable qui dit la difficulté d’Angélique et de son mari à reconnaître les lois de la parole.
- Isabeau est une mère oscillante, tantôt réaliste et dynamique, tantôt destructrice et déprimée. Elle et son mari n’ont jamais pu se résoudre à s’engager comme salariés. Leurs activités artistiques leur permettent de s’assumer partiellement. Ils sont aussi allergiques l’un que l’autre à se soumettre à la discipline d’un horaire ou à l’emploi du temps d’un fonctionnaire. Leurs enfants ont abandonné très tôt leurs études. Ils ne sont pas plus aptes que leurs parents à un engagement quelconque et ils galèrent sans conviction. Ils n’ont pas véritablement décollé de la maison bien qu’ils aient déjà passé l’âge où on vit entre père et mère. La famille fonctionne au ralenti et Isabeau tente de redresser la situation. Elle fait entendre sa plainte auprès de multiples oreilles après celles de son analyste. Elle est plus asservie à ses enfants qu’à son mari. Protéger les enfants, faire les choses à leur place lui donne l’illusion d’avancer. « C’est moi qui fait tout dans cette maison » est la formule qui maintient son autorité et lui apporte une certaine jouissance. Cette formule bien banale chez les maîtresses de maison l’aide à supporter le surmenage et ses douleurs de dos…
- Belladone est une mère idéaliste et consciencieuse. Depuis longtemps et bien avant d’être mère, elle a mis en doute tous les savoirs et le savoir médical en particulier. Elle se tient à l’écart de la médecine officielle. Elle lui préfère la naturopathie, à entendre stricto sensu, c’est-à-dire que sa relation à la nature est son symptôme. Toutes les médecines parallèles, ostéopathie, homéopathie, acupuncture lui semblent préférables à l’allopathie. Les psychothérapies comportementales et des méthodes encore plus originales sont plus rassurantes pour elle que la psychanalyse. Elle semble parcourir un monde où le phallus est essentiellement baladeur et échappe totalement à la localisation. Elle et son mari ont accepté tardivement l’institution du mariage, bien après la naissance des enfants. Il va sans dire qu’elle est très sensible à la pollution et à la détérioration de la planète qui, à son image, est menacée. Ses symptômes somatiques sont diffus, récidivants et très gênants. Des migraines térébrantes, des douleurs lombaires, des troubles circulatoires. Son autorité sur sa famille s’exerce essentiellement dans le style des soins qu’elle impose et les régimes qu’elle préconise.
- Blanche règne dans sa famille: pour elle, dans la relation, la mise en place d’un tiers est difficile. Elle a partagé avec sa mère une relation très fusionnelle. C’est avec son fils, celui qu’elle a eu d’un premier mariage, que se polarisent ses difficultés de mère. Le père de cet enfant ne s’est que très rarement manifesté et le second père, qui lui a donné deux autres enfants, n’a pas eu, malgré ses efforts, le droit d’occuper la place de père demeurée vacante. D’emblée pour Blanche les pères sont marqués d’un défaut. Elle accapare l’autorité même si son aspect très féminin semble en apporter le démenti. Le fils aîné entre en rébellion, c’est l’occasion de violents conflits avec sa mère et de conflits entre les deux parents. Les parents consultent et se plaignent : « Nous n’avons pas d’autorité parce qu’il ne nous reconnaît pas. » Il impose en effet sa loi propre faute de pouvoir évacuer la haine qui le submerge. Aucun des protagonistes ne veut tenir compte de la disparité des places. Ils ne peuvent se référer à une légitimité qui se trouverait à l’intérieur d’eux-mêmes. Seule la violence leur permet de tenir à distance les pulsions incestueuses et agressives qui les lient les uns aux autres.
- Sarah est insatisfaite. Son mari est sincèrement épris d’elle et cherche à la satisfaire mais « ça n’est jamais ça ». La relation la plus passionnée est celle qu’elle entretient avec sa propre mère. L’une et l’autre jouent de leur faiblesse et des épreuves difficiles que leur impose l’existence pour peser sur leurs époux respectifs. Le fils aîné de Sarah n’est pas l’aîné de la famille. Son mari a déjà eu plusieurs enfants. La famille n’en finit plus de se recomposer. Les relations affectives très intenses ont un parfum d’inceste à différents niveaux. Le symptôme familial est une très grande difficulté à mettre en place les limites. Les parents consultent pour le fils aîné de Sarah sensible et intelligent mais qui souffre de maux aussi nombreux qu’imprécis qui l’empêchent de se rendre à l’école. Les parents ont entrepris l’un et l’autre une cure analytique vite interrompue. Ils évoluent dans un milieu professionnel artistique où l’analyse est de bon ton, mais tout se passe comme si elle avait été mise en place sur un malentendu. Le parcours analytique n’a pas été l’occasion de mettre un frein à la jouissance, elle ne leur a pas fait reconnaître la disparité des places et la nécessité de savoir dire « non » dans l’éducation des enfants. La mère en particulier n’a pas accepté de renoncer au corps à corps et à la séduction auprès de ses enfants.
Le pacte symbolique
21Quelle va être pour tous ces enfants l’issue logique de la déspécification des places de leur père et de leur mère ? Comment penser le sexe sans l’altérité. Jacques Lacan en était venu à penser que le féminin et le masculin n’étaient ni symétriques ni complémentaires. La doxa pansexualiste qui sévit aujourd’hui est en train de substituer un ordre idéologique à l’ordre symbolique qui nous détermine en tant qu’êtres parlants et désirants.
22Aux yeux de l’enfant le matriarcat masquerait la question de la cause. Si la mère occupe la position du phallus, seule la fécondation de la mère serait la cause de l’enfant. La réalité du rapport entre le père et la mère ne fonderait aucun mystère, aucun désir de savoir, avec les conséquences sur son refus des apprentissages, de la lecture en particulier. Si la mère est l’incarnation du phallus, la fonction du père apparaît accessoire, aucunement nécessaire. Ce seraient la mère et ses enfants, qu’ils soient fille ou garçon qui assureraient la continuité de la chaîne des générations. Il va sans dire que la relation mère-enfants ne pourrait être que teintée des couleurs de l’inceste. Ces mères tiendraient en otage leurs enfants laissés en suspens dans leur questionnement. Dès lors leurs investigations de la sexualité ne déboucheraient sur nulle théorie sexuelle infantile. Il n’y aurait aucun point de butée sur la castration de la mère. La question est bien de savoir si la revendication d’égalité entre les sexes abolit la polarité masculin féminin et déstabilise l’ordre symbolique tout entier. Quel est l’essentiel qu’il y aurait à maintenir pour que tienne la famille ?
23Qu’est-ce que les lois de la parole ? À quoi tient cette asymétrie dans le langage ? Des interlocuteurs quels qu’ils soient ne sont pas sur un pied d’égalité. Par contre ils se réclament d’un même pacte, un pacte symbolique qui instaure le langage au-delà des acteurs en présence. Qu’est-ce qu’un pacte symbolique ? Toute relation avec un partenaire se trouve nouée par la participation commune de l’un et de l’autre. Les lois de la parole délimitent un interdit, une perte fondamentale. Faute de cette perte, de ce lieu vide, il y a déspécification des places : les sujets s’affrontent, ils n’ont d’autre recours qu’un duel imaginaire. Faute de cette perte émerge une pathologie de la rupture dans le couple. Cela voudrait dire que ne fonctionnerait plus la métaphore paternelle qui est normalement à l’œuvre dans le dire des mères. Ce sont elles, les mères, qui garantissaient le Nom du Père jusque-là.
24Il y a dans la question ; « Assistons-nous à la réémergence du matriarcat ? » une certaine angoisse machiste, la peur de la dévaluation de la virilité. La virilité doit-elle être forcément dominatrice ? L’émancipation féminine et la liberté sexuelle crée un nouveau moralisme qui dénie le rapport entre les sexes. « Il n’y a pas de rapport sexuel » disait Lacan. Dans la nouvelle économie psychique « Jouis » est le nouveau commandement venant de l’Autre qui en abolit la division.
Les mères déprimées dont nous avons parlé sont obscurément conscientes des risques qu’elles font courir à leurs enfants. Pour eux en effet la seule issue pour faire exister un au-delà de la mère serait, pour échapper à son emprise, la violence ou le passage à l’acte.
Bibliographie
- • Charles Melman, L’homme sans gravité, entretiens avec Jean-Pierre Lebrun, Denoël.
- • Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire, vivre ensemble sans autrui, Denoël.
- • Hélène L’Heuillet, La psychanalyse est un humanisme, Grasset.
- • Institutions et perspectives du lien social, Journées de Grenoble, Association médecin et clinique psychanalytique.
- • Jacqueline Légaut : La psychanalyse… l’air de rien, Érès.
- • Christine Ockrent, Madame la… ces femmes qui nous gouvernent, Plon.