1Un regard porté sur les événements politiques pourrait nous amener aujourd’hui, ici, en Europe, à une conclusion sans appel : le discours politique tend à disparaître. Les leaders politiques actuels semblent être de pâles copies des acteurs d’hier et d’avant-hier. Les partis politiques, qui étaient il y a peu de solides organisations de masse, sont réduits à l’état d’instruments de pouvoir à bout de souffle. Les citoyens ont du mal à participer à la vie sociale et l’espace public, lieu de débat contradictoire, semble vide. Prenons l’exemple de la dernière campagne électorale en Italie, qui faisait suite à cinq années d’âpres tensions entre la majorité berlusconienne et l’opposition. La promesse d’un conflit politique et idéologique farouche s’annonçait. En réalité, pour la première fois en Italie, les places et les salles de conférences sont restées vides et silencieuses. La confrontation entre les deux coalitions s’est déroulée sans passion et sans participation, et la campagne électorale n’a eu lieu qu’au travers des médias.
Une photographie impitoyable
2La politique a profondément changé, ces dernières années. La participation organisée des citoyens s’est affaiblie jour après jour, le conflit social s’est éteint ou du moins est devenu intermittent, les idéalités qui ont animé des saisons entières sont liquidées comme héritage idéologique, la vie publique est absorbée par l’univers médiatique. Cette longue parabole descendante peut conduire à l’insignifiance de la politique, ou presque. Ces phénomènes sont perceptibles dans de nombreux pays occidentaux, mais l’Italie est sans aucun doute celui qui s’est engagé le plus rapidement sur cette voie. La crise qui a affecté le système politique italien au début des années quatre-vingt-dix n’y est pas étrangère. Touché par les affaires judiciaires, mais surtout par une désaffection rageuse des citoyens, le système en est sorti profondément transformé et affaibli. Les forces politiques traditionnelles ont entamé un processus de destruction, pour ne pas dire d’évaporation, qui semble, pour l’instant, irréversible, alors que la scène est occupée par un populisme médiatique agressif et un sentiment antipolitique diffus. En Italie, la politique semble être engagée sur la route de l’insignifiance : le désenchantement et l’absence de projets n’ont jamais été aussi flagrants. Il ne reste que l’agitation frénétique et confuse des différents leaders des partis politiques sur la scène médiatique : le pouvoir et les choix réels sont transférés ailleurs, dans les oligarchies anciennes et nouvelles des médias et de la finance.
Des travailleurs aux consommateurs…
3L’affaiblissement de la politique et sa tendance régressive sont accompagnés et encouragés par un profond changement culturel. Travail, solidarité et participation cèdent la place dans le langage courant à individu et marché, consommateurs et spectateurs. Les aspects essentiels de la condition humaine ne font plus partie de l’intérêt public. Le travail, élément essentiel de la vie des personnes s’il en est, disparaît de l’intérêt public. Les études et les discussions sur le travail sont devenues rares et il est de plus en plus improbable de réussir à capter des références aux travailleurs dans le discours de leaders politiques.
4La consommation est aujourd’hui le centre d’intérêt et le consommateur est devenu la figure sociale de référence. Les choix politiques les plus importants, à commencer par les privatisations et les libéralisations, sont légitimés au nom de l’intérêt des consommateurs.
5Il s’agit d’un changement de perspective crucial : culture et politique se sont focalisées d’un champ social sur l’autre. Rapidement, par la force des choses, la culture de la société industrielle a été abandonnée au profit de la société post-industrielle par laquelle nous nous sommes laissé fasciner. On pourrait dire que l’on est passé avec légèreté de Ford à Wal Mart.
6Ford et le fordisme ont été l’emblème de la rigidité et des difficultés de la société industrielle et de la production de masse, mais également celui de l’amélioration des conditions de vie des travailleurs. Au début du siècle dernier, cela s’est illustré par la célèbre décision d’augmenter le salaire des ouvriers à cinq dollars par journée de huit heures. Ceci résumait la philosophie qui aurait caractérisé la première modernité. Dans ce contexte qui a marqué presque un siècle d’histoire, les travailleurs ont pris les choses en main pour améliorer les salaires ainsi que les conditions de travail et de vie.
7Wal Mart, au contraire, est une gigantesque chaîne de distribution commerciale qui garantit des prix bas aux consommateurs américains mais qui, en échange, impose à un million de salariés la précarité, des salaires dérisoires et une absence de couverture santé, et qui nie leurs droits syndicaux les plus élémentaires.
8En faisant glisser la centralité de la production à la consommation, de Ford à Wal Mart justement, on oublie en route le travail, le conflit social et la redistribution des revenus. Le travail devient alors une variable secondaire de la production : c’est-à-dire précaire et contraint par la concurrence internationale.
9Le conflit s’essouffle, les travailleurs n’arrivent plus à maintenir le rythme de la mobilisation dès lors que l’usine désarticulée et délocalisable se généralise. Reste la redistribution des revenus, mais à l’envers. Les données de la Banque mondiale nous laissent pantois : il y a à peine vingt ans, aux États-Unis, l’écart entre un PDG et un ouvrier était de 1 à 42 ; aujourd’hui il est de 1 à 500 ! Conséquence directe, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une partie importante de la génération actuellement présente sur le marché du travail aura un niveau de vie inférieur à celui de ses parents.
10La rhétorique de la centralité du consommateur, de sa liberté et de sa faculté de choisir cache un nouvel écart des revenus, dévastateur. Dans les mailles de la société déconflictualisée et dépolitisée, on découvre la fracture sociale. Alors que l’attention est focalisée sur le destin commun des consommateurs, la société tend à se disperser et il se forme, à l’abri des regards et des pensées critiques, une structure néoélitiste et néoaristocratique.
La politique sort de la production, elle ne s’embarrasse plus des problématiques du travail, n’implique plus les travailleurs, et ainsi se déplace dans d’autres lieux, vers d’autres groupes sociaux, devenant par là même le patrimoine de nouvelles élites qui s’emparent des leviers de décision.
… et des citoyens aux spectateurs
11Autre glissement important et riche de conséquences, celui du citoyen au spectateur. Nous touchons ici la mutation la plus radicale que la politique ait subie ces dernières années : non seulement la politique s’est déplacée physiquement, mais avec elle le discours politique a changé.
12Sous l’impulsion des nouvelles technologies, les médias connaissent actuellement un développement phénoménal. De nouveaux médias viennent s’ajouter aux médias traditionnels, mais en plus ces derniers se réorganisent et se développent. Les informations poursuivent le citoyen à tout moment de la journée, le touchent partout, sur son téléphone portable et même dans les stations de métro, alors que les talk-shows font rage sur les écrans télé.
13À première vue, les citoyens semblent avoir des opportunités inédites vraiment illimitées de s’informer et de participer, puisqu’ils peuvent accéder à chaque instant aux sources d’information les plus diverses. Mais à bien y regarder, les choses sont en fait bien différentes. La croissance exponentielle de la quantité d’informations ne s’accompagne pas de l’amélioration correspondante de leur qualité ; au contraire, plus elle augmente, plus elle s’enfonce dans une cacophonie confuse. La concurrence acharnée pour établir et maintenir le contact avec l’utilisateur imprime au système médiatique un élan déconcertant qui tire la qualité des services proposés vers le bas. Amusement et information se mélangent sous le signe de la spectacularisation, de l’uniformisation, du conformisme, de l’adoption généralisée du langage publicitaire et de la superposition entre réalité et virtualité.
14Le fait que le rythme et le style du système d’information soient imposés par les nouvelles télévisions commerciales est déterminant. Malgré les espoirs généreux et les nombreuses illusions sur les nouvelles technologies pull (recherche individuelle), la télévision est toujours solidement ancrée au centre du système d’information. Son rôle d’articulation de l’ensemble du système ne cesse de croître : on estime qu’en Italie, le temps moyen passé quotidiennement devant le petit écran frôle les quatre heures !
15Le vrai problème est que l’univers médiatique qui nous entoure, omniprésent, absorbe en bloc toute l’activité politique qui en ressort profondément modifiée, bouleversée, brisée. De fait, désormais, le discours public et le débat politique se développent uniquement dans les médias. La politique est absente des lieux traditionnels : les places sont vides et les sièges des partis sont fermés. Les anciens partis de masse, attachés à une représentation précise et à un profil idéologique clair, se dissolvent et les nouveaux partis sont réduits à de simples comités électoraux. Les partis sont détruits par la télévision qui se dirige inexorablement vers la personnalisation de la politique.
16Le discours public géré médiatiquement est pauvre et superficiel, construit sur la base du marketing avec lequel il se confond. Sous l’impulsion des médias, le débat public s’est banalisé et appauvri. Il a endossé le caractère provisoire et superficiel intrinsèque de la logique médiatique. Projets et programmes, dont on ne discute plus au sein des partis, cèdent la place à des répliques improvisées. La télé ne laisse pas le temps à argumentation : tout est simplifié et écrasé sur la polémique contingente. Les questions multiples et épidermiques vont et viennent, privées de priorités qui résistent dans le temps. L’élaboration de projets à court et moyen terme en réponse aux problèmes devient impossible.
17La politique absorbée par les médias est le règne des spin doctors (conseillers en relations publiques), de la force de persuasion et des manipulateurs et le terrain de culture de ce populisme médiatique que l’Italie commence malheureusement à connaître et à expérimenter. Dans ce scénario, les citoyens, apparemment informés et impliqués comme jamais, sont contraints à la passivité. Dans les médias, les seuls à avoir le droit de parole sont les leaders politiques, ou mieux encore, ceux qui à leurs côtés dirigent le jeu : les tycoons (magnats) et les anchormen (présentateurs vedettes). La réduction des citoyens à l’état de spectateurs semble ainsi conclure la triste parabole du déclin de la politique.
Dans son dernier film, Le Caïman, Nanni Moretti ajoute une apostille, très amère. La scène finale lève un voile inquiétant sur l’avenir (ou sur le présent ?). Une foule de citoyens téléguidés agresse quelques serviteurs de l’État qui veulent faire respecter la loi. Des images sombres parlent de régression et de renversement de sens de la politique dans un monde dominé par le nouveau système médiatique : le sommeil de la passivité médiatique, dit Moretti, peut aussi générer des monstres.
Aux racines de l’insignifiance
18Il s’agit de comprendre comment, quand et pourquoi l’activité et le discours politique ont commencé à s’engager sur cette pente descendante. Il est entendu que les choses n’ont pas toujours été ainsi, qu’en d’autres temps de nombreux citoyens vivaient la politique et y participaient et que la politique a élaboré des projets conséquents et décisifs.
19La politique a joué un rôle extrêmement important au cours des longues années de croissance et de stabilité économique qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Les « Trente Glorieuses » dont a parlé Éric Hobsbawm ont été orientées et guidées par des choix politiques précis et importants. L’économie a été entraînée par l’intervention publique ; le mouvement des travailleurs rythmait les conquêtes sociales des citoyens ; l’inclusion sociale était favorisée par la croissance du pouvoir d’achat des travailleurs et de la construction pas à pas du statut social ; les institutions dans lesquelles les partis de masse et les syndicats jouaient un rôle déterminant garantissaient une représentation réelle des demandes et des intérêts sociaux les plus importants. Même le temps des mouvements radicaux qui a caractérisé la fin des années soixante et la première moitié des années soixante-dix portait le signe d’une politique forte et ambitieuse. La contestation plus intransigeante était inscrite dans un contexte fort de confiance dans la politique : « tout est politique », avions-nous coutume de dire ; et l’on pouvait ajouter : « soyons réalistes : demandons l’impossible » (ou encore, la variante italienne : « demandons tout et tout de suite »). La critique du pouvoir politique et la proposition d’une autre politique, plus répandue et plus radicale, s’inséraient sans solution de continuité dans le paradigme culturel qui a caractérisé les trente années de l’après-guerre.
20Vers la fin des années soixante-dix, une césure historique soudaine et profonde se prépare : le rôle des pouvoirs publics est redimensionné et la politique est remplacée. Le changement de climat peut se résumer par deux dates symboliques : la victoire de Margaret Thatcher en 1979 en Angleterre et l’élection de Ronald Reagan l’année suivante au poste de président des États-Unis. Dans un cas comme dans l’autre, les électeurs ont fait le choix de réduire le rôle de l’État et des pouvoirs publics : l’accent est mis sur l’initiative individuelle. Les événements de 1989, la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’empire soviétique donneront ensuite une impulsion pour consolider et généraliser les choix désormais engagés.
21Nous avons maintenant le recul nécessaire pour donner une évaluation historique d’ensemble de cet authentique tournant de l’histoire contemporaine. Au cours de ces années s’opère le passage de la première à la deuxième modernité : la société industrielle traditionnelle se transforme en société de la communication, ce qui revient à dire que la « cage d’acier » webérienne cède le pas à la « modernité liquide ». Dans ce nouveau scénario, la politique redéfinit précipitamment son propre rôle : elle se dégage des grandes narrations qui l’avaient accompagnée et soutenue, abandonne tout projet de transformation de la société ou de construction d’aménagements plus justes, se concentre sur l’objectif d’éliminer, dans une dimension globale, tout ce qui fait obstacle au marché et à la libre circulation des biens et des marchandises.
22Au centre de la scène, le marché et l’économie restent seuls. On parcourt à l’envers, à un rythme accéléré, la route de la modernité. On s’engage à reculons sur le chemin du bourgeois au citoyen. L’intérêt pour la polis (cité, ville) est mis de côté : au premier plan reste l’oikos, c’est-à-dire l’économie, le privé. La synthèse la plus brutale de l’esprit des temps nouveaux revient à Margaret Thatcher : « Je ne connais pas la société – disait le Premier ministre d’Angleterre –, je connais seulement l’individu. »
Dans ce monde enfermé dans la perspective de l’oikos et guidé par les intérêts privés du bourgeois, on en revient à raconter la fable mandevillienne sur les vices privés et les biens publics. La politique peut être réduite à ses fonctions minimales : garantir la sécurité et les conditions pour l’activité économique.
Un changement de paradigme ?
23Le scénario décrit ci-dessus se présente comme compact et inexorable. Il faut creuser en profondeur et élargir l’horizon pour entrevoir une situation plus agitée et contradictoire, annonciatrice d’évolutions possibles même dans cette ère de la rapidité, et pour se convaincre que le moment d’entonner le cantique funèbre de la politique n’est pas encore arrivé.
24Avant toute chose, il faut regarder au-delà de l’Europe. Le voile de tristesse qui semble envelopper le discours politique européen est contredit par l’intensité et la vivacité des processus qui surviennent dans d’autres parties du monde, notamment en Asie et en Amérique latine. Des continents entiers sont en train de construire leur démocratie et leur développement en se dégageant du contrôle du « vieil » Occident : la politique anime et entraîne ces imposantes transformations. Au fond, les difficultés de la politique en Europe sont peut-être justement imputables aux répercussions du redimensionnement du rôle de l’Europe dans le monde. Après cinq siècles de domination sur le monde, l’Europe est contrainte de se repositionner non sans douleur, et de repenser ses propres fonctions et positions dans un monde qui connaît des changements tumultueux.
25Mais même au cœur de la vieille Europe, on perçoit nettement, au-delà du calme plat, des vaguelettes, des tensions latentes, synonymes de dynamiques nouvelles possibles. De grandes interrogations sont en train de se profiler. Elles concernent l’avenir de notre planète, mais également les aspects essentiels de notre vie sociale. Face à ces questions, le marché et l’idéologie puissante qui l’a soutenu au cours de ce quart de siècle sont incapables de répondre et finissent dans une impasse. Il s’agit de défis difficiles à relever, qui demandent une longue réflexion et une capacité de projection, et proposent de nouveau une vision convaincante de l’intérêt général et du bien commun. La politique, éloignée brutalement et peu élégamment, semble destinée à refaire son apparition.
26Des interrogations dramatiques sur l’avenir de notre planète, le changement de climat, la découverte de sources d’énergie, apparaissent à un rythme infernal. C’est un signal d’alarme nouveau par son intensité et sa continuité, qui s’amplifie de jour en jour : nous sommes en train d’épuiser notre planète et nous n’en avons pas d’autre en réserve. Ce signal a pour effet de relancer le débat sur un problème de fond : les limites et l’inadéquation du marché. La crise environnementale s’annonce comme la mise en échec du marché et comme la plus puissante des sollicitations pour reconstruire des projets soutenus par la participation et la volonté des citoyens.
27L’image lisse et élégante du consommateur spectateur ne suffit pas à cacher d’autres questions complexes. Le malaise social et l’insécurité sont diffus. Ils enfoncent les racines dans la précarité et la flexibilité de la structure productive et dans la rupture des liens sociaux qui caractérisaient la société industrielle. Et encore : nous devons régler nos comptes avec la nouvelle frontière de la vie commune multiethnique. Aucun pays européen n’est à l’abri de l’aspect radical de ce défi, en train de changer la composition démographique. La pluralité ethnique, linguistique, religieuse et culturelle, est en train de bouleverser les aménagements les plus profonds de notre société. La révolte des banlieues ne peut pas s’oublier facilement et la situation n’évoluera pas de façon indolore même dans les pays comme l’Italie, devenus, depuis quelques années, des terres d’immigration.
28Certains malaises alimentent une sensation diffuse d’insécurité, un peu comme si, nous suggère Zigmunt Baumann, nous étions dans un avion sans pilote. À l’heure actuelle, le malaise ne trouve pas de catalyseur social et ne se transforme pas en projet politique rénové pour lequel cela vaut la peine de s’engager et de participer. Il risque au contraire d’alimenter un terrain de culture de populismes dangereux : l’Europe est traversée par de multiples expérimentations politiques qui portent justement ce signe.
29Dans un avenir très proche, le véritable défi sera le suivant : comment éviter que l’invocation d’une direction politique forte n’emprunte la voie de la dérive populiste et antidémocratique. L’individu passif et isolé qui émerge de la longue période de déclin de la politique a besoin de retrouver des intermédiaires avec lesquels reconstruire le dialogue et des canaux de participation. Et surtout, il a besoin de cadres qui permettent de réunir ses inquiétudes dans un contexte qui ait du sens. La question la plus grave héritée du passé récent est la dissolution de l’idée même que des cadres différents peuvent et doivent exister, et donc, que le conflit politique et social est possible et positif. L’idée qu’il est permis d’envisager des projets différents, d’avoir des cultures différentes et de représenter des forces différentes, a disparu. L’uniformisation du système médiatique a ici produit ses effets les plus néfastes.
Pour défaire ce nœud, la leçon de Machiavel nous aide. Dans des pages mémorables, le grand maître florentin explique la force de la République romaine et le conflit entre patriciens et plébéiens : « Que la désunion de la Plèbe et du Sénat rendit cette république libre et puissante », écrit-il dans les Discours. Pour vivre et prospérer, les sociétés ont besoin de grandes passions civiles, remarquait Machiavel. Les sociétés dans lesquelles une oligarchie commande et le peuple obéit perdent vitalité et cohésion. Comme on le sait, Machiavel élaborait ces réflexions sur la société italienne qui passait des Communes au Principat et qui entrevoyait les premiers signes de la décadence. Les réflexions du secrétaire florentin sont toujours d’actualité : elles nous mettent en garde contre l’élitisme, le conformisme et la passivité de nos sociétés, et contre les conséquences qui pourraient en découler pour l’Italie et pour l’Europe.