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Article de revue

Le langage comme matière chez Thomas d’Aquin

Pages 164 à 176

Notes

  • [1]
    Irène Rosier-Catach, La Parole efficace, « Signe, rituel, sacré », avant-propos d’Alain de Libera, Paris, Seuil, coll. « Des Travaux », 2004 et « Signes et sacrements : Thomas d’Aquin et la grammaire spéculative » dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques, Vol. 74, n° 3, p. 392-436.
  • [2]
    H.-F. Dondaine, « La définition des sacrements dans la  “Somme théologique” », dans la Revue des sciences, philosophiques et théologiques, 31,1947, p. 213-228 (ici, p. 224 et 227), cité par Irène Rosier, art. cit.
  • [3]
    Magistri Petri de Ybernia Expositio et quaestiones in librum Aristotelis Peryermeneias seu de interpretatione, (ex cod. Vaticano latino 5988), éd. par Michael Dunne, suivi de la Determinatio magistralis, (ex cod. Ampl. F 335), éd. par Clemens Baeumker, Louvain-la-Neuve/Paris, Éditions de l’Institut supérieur de philosophie/Peeters (Philosophes médiévaux XXXIV), 1996.
  • [4]
    Voir Patrologie latine, tome 64, colonnes 301 et 419 pour les deux passages qui commentent la définition du nom, dans les deux versions de son commentaire.
  • [5]
    Voir La « Summa Duacensis » (Douai 434), éditée par Palémon Glorieux, Paris, Vrin, 1955, p. 102.
  • [6]
    Voir le beau livre de Peter Godman, The Silent Masters : Latin Literature and its Censors in the High Middle Ages, Princeton, Princeton University Press, 2000.
  • [7]
    Voir Antoine Dondaine, Secrétaires de saint Thomas, Rome, Commission Léonine, 1956.
  • [8]
    Adriano Oliva, Les Débuts de l’enseignement de Thomas d’Aquin et sa conception de la sacra doctrina avec l’édition du prologue de son « Commentaire des sentences », Paris, Vrin, 2006.
  • [9]
    Thomas d’Aquin, Expositio libri Peryermeneias, éd. par René Gauthier, tome I*/I (editio altera retractata, remplaçant celle de 1882) des Opera Omnia de Thomas d’Aquin, Rome, Commission Léonine, 1989.
  • [10]
    Hubert élie, Le Complexe significabile, Paris, Vrin, 1936. Je me permets une petite digression historiographique sur un cas étonnant : on a affaire à un érudit local qui a bien tourné ! Au début du xxesiècle ; un jeune Lorrain, licencié es lettres, entra dans la diplomatie et meubla ses loisirs par divers travaux, qui semblaient à la fois liés aux archives disponibles près de ses postes et au pays lorrain, sans autre unité thématique. L’un d’eux le conduisit à présenter une thèse en Sorbonne. Son étude décisive sur le complexe significabile était pour moitié consacrée au franciscain lorrain André de Neufchâteau, avec peut-être une envie de réparer un malentendu : l’érudition jusqu’à nos jours parle souvent de Novocastro, sans traduire du latin et parfois sans connaître le lieu d’origine, même dans les mentions en d’autres langues. Et il se trouvait que deux des plus grands protagonistes de la théologie de ce temps, Nicolas d’Autrécourt et Jean de Mirecourt, étaient lorrains. Cette motivation a donné lieu à une découverte remarquable, saluée depuis 1936. Gilles Deleuze, en 1969, dans sa Logique du sens, en fit un vibrant éloge (p. 30, note 8). L’intérêt redoubla avec la réédition de l’ouvrage en 2000, plus de 20  ans après le décès de l’auteur, sous un titre plus explicite : Le Signifiable par complexe. La proposition et son objet : Grégoire de Rimini, Meinong, Russell. L’affaire était pourtant mal partie : pendant quelques mois, la couverture portait La proportion et son objet. Une autre erreur est demeurée : sans doute pour obvier à l’absence de pedigree philosophique de l’auteur, l’éditeur le baptisa ancien élève de l’École des Chartes. Pourtant, la sortie d’élie hors du domaine lorrain s’était étendue : il avait été le traducteur principal des Logische Untersuchungen de Husserl, en collaboration avec Lothar Kelfel et René Schérer, philosophes patentés, mais marginaux. Cet itinéraire curieux peut évoquer celui d’un autre grand découvreur, Pierre Duhem.
  • [11]
    Jacques Bouveresse, Le Troisième monde. Signification, vérité et connaissance chez Frege, Paris, Collège de France (Philosophie de la connaissance), 2015.
  • [12]
    Cf. Gedeon Gal, « Adam Wodeham’s Question on the “Complexe Significabile” as the Immediate Object of Scientific Knowledge, » Franciscan Studies 37 (1977), p. 66-102) et Susan Brower-Toland, « Facts vs. Things : Adam Wodeham and the Later Medieval Debate about Objects of Judgment », The Review of Metaphysics, 60, 3 (2007), p. 597-642.
  • [13]
    Voir A. Boureau, « Un ange fractal. Des variations sur les anges de Richard de Mediavilla à Nicole Oresme : 1290-1360 », Cahiers de la revue de théologie et de philosophie [à paraître]. Mediavilla ajoutait à la dualité classique entre l’être réel ou objectif et l’être de raison ou être mental, l’être représenté ou exprimé, qu’il appelle aussi l’esse diminutum, que je traduis comme être en maquette. Cet esse diminutum peut correspondre à que Suarez appelle plus tard l’esse potentiale ou essentia possibilis obiectiva. Le mot d’esse diminutum se trouve chez Duns Scot (Ordinatio, I, qu. 43, art. unique, Vatican, I, VI, p. 355).
  • [14]
    Voir Alain de Libera, La Référence vide. Théories de la proposition, Paris, PUF, 2002 ; Laurent Cesalli, Le Réalisme propositionnel. Sémantique et ontologie des propositions chez Jean Duns Scot, Gauthier Burley, Richard Brinkley et Jean Wyclif, Vrin, Paris, 2007.
  • [15]
    Textes que j’ai découverts et que je publie aux Belles Lettres (Bibliothèque scolastique) : Nicole Oresme, Écrits métaphysiques et théologiques. La résompte de 1362. volumes 1 et 2. Questions sur les sentences de Pierre Lombard (sous presse).
  • [16]
    Sur l’équivalence entre accident, modus se habendi et conditio chez Oresme, voir Stefan Kirschner, « A Possible Trace of Oresme’s Condicio-Theory of Accidents in an Anonymous Commentary on Aristotle’s Meteorology », dans Vivarum 48 (3), 2010, p. 349-367.
  • [17]
    Stefano Caroti, « Les modi rerum»… encore une fois. Une source possible de Nicole Oresme : le commentaire sur le livre 1er des sentences de Jean de Mirecourt », dans Stefano Caroti et Jean Celeyrette (éds.) Quia Inter Doctores est magna dissensio : Les Débats de philosophie naturelle à Paris au xive siècle. L. S. Olschki, Florence, 2004, p. 195-222.
  • [18]
    Jacob Schmutz, « Les innovations conceptuelles de la métaphysique espagnole post-suarézienne : les status rerum selon Antonio Pérez et Sebastián Izquierdo », Quaestio, Journal of the History of Metaphysics, 2009, p. 61-99.
  • [19]
    Victor Klemperer LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996 (original de 1947).
  • [20]
    Alain Boureau, « Propositions pour une histoire restreinte des mentalités » dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 44ᵉ année, N. 6, 1989, p. 1491-1504.
  • [21]
    Alain Boureau, « L’adage “Vox populi, vox Dei” et l’invention de la nation anglaise viiie-xiie siècles », Annales, E.S.C., 1992, 4-5, p. 1071-1089 (ici, p. 1071).
    * Directeur d’études à l’EHESS.

1Thomas d’Aquin a défendu l’idée qu’on devait nécessairement préserver et comprendre le langage dans son aspect matériel, sans le déléguer exclusivement à une pure forme.

2Ce simple constat peut sembler banal et peu pertinent dans un colloque qui porte sur une métaphysique médiévale. En effet, pris en lui-même, le langage, substance indissociablement composée d’une matière sonore et/ou graphique et d’un sens, offrait l’occurrence facile et spontanée de l’hylémorphisme, cette doctrine élaborée par Aristote qui considérait que tout être (objet ou individu) était composé sans partage d’une matière et d’une forme. Nous sommes bien en deçà des durs combats menés par Thomas pour défendre et adapter la doctrine d’Aristote sur les rapports entre substance, matière et forme. En ce domaine du langage, on aurait peine à désigner des opposants, si manifestes dans la zone métaphysique (néoplatonisme, averroisme, pensée franciscaine, etc.). Cependant, j’espère rejoindre un propos métaphysique en observant la place ontologique singulière donnée au langage par Thomas et ses opposants, entre matière et forme, possible et réel, action et passion.

3Mais mon constat de départ présente une autre difficulté : on trouve bien une opposition forte à l’hylémorphisme du langage, où le langage rejoignait un troisième royaume situé au-delà de la matière et la forme. Il s’agissait des doctrines qui travaillaient le signifiable complexe et qui précisément reliaient de nouvelle façon la métaphysique et le langage, mais ces doctrines ne se développèrent que près d’un demi-siècle après la mort de Thomas, notamment chez Adam Wodeham et Grégoire de Rimini.

4Pourtant, sans reconnaître à Thomas un don de prémonition sur cette doctrine du xivesiècle, je voudrais montrer qu’il eut à réagir contre des tendances plus anciennes en développement constant : la valeur instrumentale du signe, prégnante chez Augustin, avait peu à peu cédé la place à une conception formelle, qui atteignit un sommet chez Duns Scot. Et, plus précisément, bien des auteurs, au moins depuis Guillaume d’Auvergne, accordaient au langage, qui devenait un quasi-sujet d’action, un pouvoir particulier, selon un statut éminent qui entendait dépasser la relation entre matière et sens. Les grands travaux d’Irène Rosier [1] ont bien montré comment le modèle des sacrements avait cristallisé cette tendance à donner un pouvoir, une force à des êtres de communication qui, jusque-là, dépendaient exclusivement du pouvoir divin.

5Or, Hyacinthe-François Dondaine a relevé une nette évolution de la pensée de Thomas entre le Scriptum sur les sentences et la Somme de théologie [2] : « Au lieu de s’élever d’emblée, comme dans le commentaire, à l’idée divine de sacrement, il préfère le présenter et le suivre dans son aspect immédiatement humain de signe. On a ainsi posé d’emblée, pour le sujet à étudier, un noyau d’intelligibilité consistant, accessible aux investigations du théologien, capable de guider la conduite du ministre et les initiatives de l’Église touchant les sacramentalia et la solemnitas qui donnent au sacrement ses pleines dimensions cultuelles. Accessible, dis-je, parce qu’analogue à cette chose éminemment humaine : les signes. »

6Pour Thomas, ce n’est pas le langage qui agit par soi, c’est l’homme qui agit sur et par le langage, en l’adoptant et l’adaptant, en l’articulant. Ici, je voudrais dans un premier temps examiner la généalogie de cette idée artisanale du langage humain en rapport avec des expériences existentielles. Puis, je présenterai les mirages formels qui ont fait miroiter le langage dans la génération qui a suivi, avant de conclure sur la permanence de cette tension repérée par Thomas.

Le langage comme pratique humaine

7Le tout jeune Thomas avait peut-être entendu un éloge de la pratique d’adaptation langagière, entre 1240 et 1245, dans l’enseignement de son premier maître napolitain, Pierre d’Irlande, à qui j’attache une importance spéciale dans l’histoire de la formation de Thomas. Il fut le maître ès arts de Thomas, chargé en fait de son premier enseignement intellectuel, après l’obscurité et le silence du couvent. Quoi qu’il en soit, Thomas lut plus tard ce maître peu connu, dans un texte où Pierre d’Irlande montrait la place structurale de l’adaptation. Quand il commenta [3] le Traité sur l’interprétation, le Peryermeneias d’Aristote, Pierre d’Irlande rencontra très vite une affirmation d’Aristote qui suscita un débat complexe chez lui : « le nom est un son vocal significatif qui existe par décision, sans précision de temps. » Il peut s’agir de logique ou de grammaire : Aristote décomposait d’abord le discours en éléments simples, le nom et le verbe. L’existence par décision (ad placitum) renvoyait à l’origine conventionnelle du langage, communément affirmée depuis le Cratyle de Platon. La temporalité, dans une expression, ne passe pas par le nom, mais par le verbe.

8Pierre joua d’abord le jeu grammatico-logique. Selon Boèce (début du vie siècle), auteur et commentateur de la traduction latine d’Aristote qu’utilisait Pierre d’Irlande, une définition logique se fait par le genre de la chose à définir et par sa différence spécifique [4]. Il le rappelle précisément en glosant la phase citée d’Aristote. Cette différence situe la chose dans une espèce. Rien ne se manifeste, mais tout change entre Aristote, Boèce et Pierre d’Irlande. Aristote ne s’intéressait pas à l’insertion du nom dans un genre, puisqu’il allait vers les unités de base du discours. Boèce pose la question essentiellement, je crois, parce que ces concepts arrivent d’un horizon obscur et qu’il faut se raccrocher à quelque chose. Mais le genre et l’espèce ne posent pas question ; ce sont des outils commodes de classement. Pour Pierre d’Irlande, en revanche, la considération du genre d’une chose supposait qu’elle soit déjà passée par le tamis qui distinguait la forme de la matière, problématique centrale du xiiie siècle. En effet, la ligne de démarcation entre matière et forme subissait des variations multiples : ainsi, à l’opposé de Thomas d’Aquin, Bonaventure attribuait la composition de forme et de matière aux substances spirituelles.

9La première interrogation qu’il formulait, c’était de voir si le nom, son-vocal-significatif, constituait une espèce du genre son vocal ou voix. Cette espèce (le son-vocal-significatif) existe-t-elle ? La voix est-elle un genre bien délimité ou une matière indéterminée ? Les exemples sont simples : l’homme constitue une espèce à partir d’un genre ; il est un animal rationnel. Le genre animal, ou être animé, produit par le biais d’une forme, la raison, une espèce, l’homme. La différenciation entre rationnel et non-rationnel s’effectue en aval de cette forme. Par ce barrage de la forme, le rationnel n’erre pas dans le genre être animé. Les médiévaux disaient que le genre ne descend pas dans l’espèce, comme on parle en médecine contemporaine de descente d’organes. Sinon, le même être animé pourrait être tantôt rationnel, tantôt non rationnel et la raison cesserait d’être une nature et deviendrait un état intermittent ; précisément Pierre en donnait comme exemple la santé ou la maladie ; implicitement, ces états affectaient le corps comme matière, qui ne pouvait se donner une forme-barrage.

10La voix semble alors échapper à la forme et donc au genre. Quand on passe de la collection (les voix) au cas limité de la voix dotée de sens, rien ne fait forme. Il le dit en termes techniques : selon Porphyre, philosophe païen du IIe siècle, grande autorité logicienne, la différence spécifique, constitutive de l’espèce, doit être disponible au genre. Or la signification n’est pas toujours là, en face des sons vocaux. La seconde objection fait varier la première : une différence vient d’une potentialité, puisque pour se poser elle n’a pas besoin d’être en acte. Ce qui veut dire que l’espèce son vocal significatif pourrait comprendre des mots sans signification, comme buba et butrix, donnés classiquement comme exemples de signifiants sans signifiés. Ils pourraient signifier potentiellement, car le nom se formait par décision. Puisque le temps n’était pas en question, il suffisait d’attendre pour que le son vocal signifie peut-être : « Un jour, mon mot viendra… »

11Mais cette conception était gênante. Il fallait retrouver et entretenir la forme. Le mot ne doit pas se faire attendre ; il doit être aux ordres, sinon la communauté disparaît. Pierre d’Irlande proposa une solution  : comme souvent en scolastique, il faut distinguer : il y a potentialité et potentialité. L’une est absolue, sans restriction, l’autre est dite « adaptation ou préparation à l’acte le plus puissant d’une espèce. » Il reprend son exemple : le rationnel se présente comme la différence spécifique de l’homme dans le genre animal. Or cette différence n’est pas immédiate, mais suppose, avant elle, une vertu préparatoire qui peut être bloquée par un empêchement, comme, dit-il, « l’accumulation et la multiplication d’humidité dans le cerveau, ou la multiplication des mouvements, de telle sorte qu’ils empêchent, chez les enfants, le raisonnement. » L’équivalent se trouve dans le langage, l’articulation est la potentialité adaptative qui conditionne et précède la signification.

12Tout est déjà là dans les débats sur l’éducation : articuler ou exprimer. L’orthophoniste est devenu un personnage majeur de l’adaptation des enfants. Le bègue, le dyslexique, le taciturne sont à redresser. L’homme normal doit être un beau parleur. Les Américains, quand ils évoquent un inadapté, sans se limiter au langage, parlent souvent d’un être inarticulate.

13Pierre d’Irlande n’avait pas inventé la notion de potentialité d’adaptation. Dans un tout autre contexte, elle apparut vers 1220, chez l’auteur anonyme de la Summa duacensis [5], à propos de trois sortes de biens en action. Ces trois biens correspondaient à trois puissances ou potentialités d’où sortait l’action : la puissance matérielle, « l’aptitude ou puissance adaptée » et l’accès possible au bien de grâce. Par une incise, l’auteur note que ce dernier achèvement de la puissance « est appelé nécessité dans une autre faculté », qui ne peut être que la faculté des arts. Les savoirs se rejoignent. Le rapprochement avec la nécessité se comprend par le caractère terminal et suprême de cette puissance, qui se lie « immédiatement et nécessairement » à l’acte. Chez les naturalistes comme chez les théologiens, la potentialité terminale ne saurait jouer de rôle dans l’action immanente des hommes, sinon comme menace et comme limite ; la distinction effective est celle de la puissance matérielle et de l’adaptation.

14Chez Pierre d’Irlande, le nom ou la voix ne constituent pas un simple exemple dans l’argumentation, mais donnent lieu à un extraordinaire éloge de la parole qui adapte activement le sujet. Il donne d’ailleurs au sens auditif un statut éminent par rapport aux quatre autres sens. Davantage qu’eux, il exprime les états intérieurs de l’âme (littéralement, mais trompeusement, les passions) et plus que le son lui-même, c’est la voix qui exprime le sens. Pierre garde son point de vue de naturaliste : les états intérieurs provenant à la fois des choses et de l’âme, les manifestations de ces états doivent conjuguer ces deux aspects. Une cause de la voix se trouve bien dans les fonctions imaginatives et désirantes de l’âme, mais, en outre, la dimension sensible de la voix résulte d’« une percussion de l’air sur l’artère vocale ». Le sensible des autres sensations, en revanche, demeure à l’extérieur du corps. De ce fait aussi, « il nous appartient de donner forme à la voix quand nous le voulons et de ne pas lui donner forme quand nous le voulons ». En revanche, nous ne pouvons maîtriser la couleur ni la chaleur, contenus sensibles de la vision et du toucher. Avec la voix, le monde est en nous.

15Un dernier argument est emprunté aux textes naturalistes d’Aristote : la voix entre dans l’audition et sort par la parole. C’est pourquoi « celui qui est naturellement sourd est naturellement muet. Et c’est aussi pourquoi la voix est le principe de l’enseignement et de l’apprentissage ». Pierre insiste : le nom (comme son-vocal-significatif) est un symbole entre les choses et le sens, selon le mot d’Aristote, rare chez lui. À la logique du philosophe arabe Avicenne, il emprunte l’affirmation que « la parole procède de la pensée, et non seulement elle procède de la pensée, bien plus la pensée est la parole elle-même » Pierre d’Irlande commente : « c’est pourquoi l’âme qui pense aux choses, c’est comme si elle parlait d’elles. »

16Ces propos prirent sens pour Thomas d’Aquin, adolescent inadapté, vers 1240. L’enfant, abandonné à six ans au monastère bénédictin du Mont-Cassin, ne supportait pas la règle du silence. Il était un moinillon, un oblat inadapté. Au tribunal de la condition humaine, quand la cause est entendue, l’individu se tait. Pourquoi répéter constamment le constat de la contingence ? Pourquoi discourir d’une condamnation sans appel ? Seule vaut la psalmodie, supplication collective adressée vers Dieu, loin d’un dialogue possible. Une institution capitale, le monachisme, regroupait ceux qui gémissent (qui lugent), mais qui ne parlent pas. La psalmodie impliquait de couper les ponts d’une communication entre les hommes qui ne pouvait introduire que du bruit dans la montée des mots de louange et de douleur. Telle fut sans doute la raison de cette pratique étrange et monstrueuse, celle de la règle du silence.

17La communication entre les hommes ne pouvait plus passer que par le moyen différé de l’écrit (ou par le langage des signes qui a tellement intéressé les sémioticiens). Les moines, pendant des siècles, accumulèrent une masse énorme de textes, collectés, échangés et copiés. Ils en firent peu de chose, si l’on considère la proportion entre le temps disponible de l’étude, le nombre des textes et le résultat, même si l’on prend en compte l’exégèse et ce qu’on appelle un peu abusivement la « théologie monastique ». En revanche, le Moyen Âge central vit la réalisation de cet immense capital symbolique. Ce mouvement ne traduit pas seulement un mouvement vers une culture urbaine, puisque l’on peut parler d’une véritable théologie des cisterciens. Pierre le Vénérable et Bernard assurèrent un rôle de transition. La révolution scolastique consista à rompre le silence. La culture scolastique, fondée sur la dispute et le débat, privilégia l’oralité, mais une oralité qui absorbait et dominait l’écrit [6]. Elle passait à l’acte de parole.

18Thomas contribua à ce basculement : l’inadaptation aux règles fixées du monachisme construisit en retour une théorie de l’adaptation par la parole, dans un autre cadre, celui des frères prêcheurs. Thomas, consulté pendant des siècles en ses écrits, fut un homme de l’oralité. La totalité de son œuvre s’attache à l’enseignement [7]. Le genre de la question disputée, certes bien répandu en scolastique, anime toute son œuvre. Les spécialistes, confirmés par le récent ouvrage d’Adriano Oliva [8], ont noté l’étrange indifférence de Thomas à ses écrits une fois achevés, comme si seul le dialogue impliqué dans la rédaction et la mise au point l’intéressait. On connaît l’importance, inhabituelle à l’époque, de ses secrétaires et la légende (ou réalité) de Thomas dictant plusieurs œuvres différentes à la fois à divers secrétaires. L’adaptation a été recherchée avec obstination dans la parole authentique, lieu de formation personnelle et d’autoréglage permanent, de travail de soi, dans une interaction de la généralité et de la subjectivité. La seule adaptation véritable vise le soi, toujours en fuite.

19Thomas a commenté lui-même le traité d’Aristote [9], bien plus tard, avec une sophistication technique qui manquait à Pierre d’Irlande. Mais il suivait Pierre quand, contre Boèce et toute une tradition, il refusait de considérer le texte d’Aristote comme un ouvrage sur les signes. Plus explicitement que son maître, il affirme que ce texte traite en fait de l’énonciation, donc du sujet dans la langue, avec la langue. Dans un premier temps, il rassembla les positions de Boèce, pour mieux les dépasser : « Mais comme la voix est une chose naturelle, mais que le nom n’est pas quelque chose de naturel, mais d’institué par les hommes, il semble qu’[Aristote] n’aurait pas dû poser que la voix, qui dérive de la nature, est le genre du nom, mais bien plutôt qu’elle en est le signe, qui provient de l’institution, afin qu’on puisse dire : le nom est un signe vocal, de même qu’on définirait plus adéquatement une écuelle, en disant que c’est un récipient de bois, plutôt que du bois formé en récipient. » Le nom superpose l’institution à la nature, et n’est pas du même ordre, du même genre. Nous serions dans la pure inculcation, le plâtras posé sur une nature.

20Il est frappant que, dans sa réfutation de Boèce, Thomas reprenne à Pierre l’idée d’un assemblage dans le nom, à la fois par la forme et par la matière. Thomas dépasse ce moment, précisément selon les termes de Pierre d’Irlande, mais avec trois couples de concepts, le sujet et l’accident d’une part, la substance et l’accident, d’autre part et enfin l’abstrait et le concret. La substance est l’être qui existe par lui-même et peut s’entourer d’accidents qui n’existent qu’en s’accrochant à lui. Le sujet est l’être qui reçoit les accidents. Les choses non naturelles, comme le nom, deviennent, à partir de leur matière, une substance qui accueille des accidents comme forme. La voix formée dans les noms est une substance et le nom garde en arrière-plan sa matière. Dans le concret, on a un sujet central (avec sa matière, son corps) et les accidents (formes sociales) qui s’y agrègent et dans l’abstrait, c’est l’inverse, plus adéquat à la philosophie qui s’exprime ici en assumant la matière de la voix. « Mais il faut dire que les choses artificielles sont dans le genre de la substance du côté de la matière, mais dans le genre des accidents du côté de la forme. Car les formes des choses artificielles sont des accidents et le nom signifie donc la forme accidentelle en tant qu’elle s’agrège au sujet. Et comme dans la définition de tout accident, il faut que soit posé un sujet, il est nécessaire que si les noms signifient l’accident dans l’abstrait en sorte que l’accident soit posé dans leur définition directement, comme un genre, mais que le sujet y soit posé indirectement, comme une différence. Si les noms signifient l’accident dans le concret, dans leur définition est posée la matière, ou le sujet, comme un genre et l’accident comme différence. » Le sujet est ce qui parle. Un transfert de Pierre d’Irlande à Thomas s’était produit avec l’avènement de la parole !

L’épisode du significabile complexe

21Le rapatriement du langage dans l’activité humaine prôné par Thomas se heurta à une opposition plus systématique, manifestée dans le débat sur le complexement signifiable (significabile complexe), ce concept étrange qui fascina les penseurs du début du xive siècle Cette notion oubliée a été remarquablement exhumée dans un livre d’Hubert élie en 1936 [10]. En analysant les commentaires du franciscain André de Neufchateau, élie nota qu’il discutait longuement une thèse du frère augustin Grégoire de Rimini (vers 1300-1358) : il s’agissait d’une nouvelle catégorie ontologique qui produisait non pas des propositions, mais la mention d’état de choses, hors du temps et de l’existence, exprimés dans des propositions infinitives non gouvernées par un verbe principal, c’est-à-dire par un sujet. Ce significabile complexe était donc indifférent à un référent : il pouvait porter sur du non-existant, sans être faux ni purement imaginaire. Le signifiable complexement constituait un état de choses connaissable (mais non connu en toute circonstance) dans la nécessité et l’éternité, insécable dans la globalité de ses éléments de signification (et c’est pour cela qu’il était dit complexe). La doctrine de Grégoire, face au dépouillement des énoncés selon le mode du significabile complexe, cantonnait le sujet à l’assentiment ou au refus du divin, dans un strict binarisme qui relevait d’une orientation mystique. Avec les apparences d’un être mental, ce type d’être était bien réel et n’avait donc pas besoin de se loger dans le mode du réel ni de l’idéel. Nous sommes non loin du troisième monde, du troisième royaume de Gottlob Frege (1848-1925), chez qui un domaine intemporel et indépendant des énonciations s’ajoutait au monde mental et à celui de la réalité extérieure, selon un processus clairement analysé par Jacques Bouveresse [11].

22De fait, la découverte d’Hubert élie s’appuyait sur un saisissant parallèle avec la pensée du philosophe autrichien Alexius Meinong (1853-1920) : l’existence ou la non-existence d’un objet est indépendante de sa constitution interne ; l’être (Sein) d’un objet n’est jamais déductible de son être-tel (Sosein) : un objet est toujours extérieur à l’être (außerseiend, « hors de l’être »). Meinong appelait représentation (das Vorstellen) l’activité mentale adaptée à cette catégorie ontologique. Depuis cette découverte de 1936, on a avancé un peu la date de production du significabile complexe en le repérant chez Adam Wodeham (1298-1358) [12]. J’avance encore cet emploi en repérant son esquisse chez Richard de Mediavilla [13]. Mais chez ces deux penseurs, l’élaboration de la notion demeurait dans le domaine cognitif, sans les conclusions théologiques de Grégoire de Rimini : dans cette nouvelle construction de la certitude qui réduisait la liberté à l’assentiment ou au dissentiment, Adam Wodehamn ménageait une troisième possibilité, celle de l’hésitation (hesitandum).

23Ce qu’Alain de Libera et Laurent Cesalli [14] ont fort bien nommé réalisme propositonnel occupa fort les pensées au début du xive siècle comme alternative au réalisme usé et dépassé et au nominalisme inquiétant et arbitraire. Et puis, cette théorie prenait le relais de toutes les doctrines du « pouvoir des mots », elles aussi essoufflées par trop d’usage. Il fallait trouver une réalité des énoncés à l’écart de tout néoplatonisme.

Retour à la fabrique humaine du langage : Nicole Oresme

24Nicole Oresme s’intéressa fort à cette notion qui revint fréquemment, dans ses neuf questions sur les Sentences[15]. Oresme eut l’intuition remarquable d’une liaison entre l’abstraction logicienne et le rigorisme religieux, dont il redoutait l’envol dans le logicisme des théologiens, constamment dénoncé et moqué par lui : il pratiquait une vigoureuse contestation de la logique aristotélicienne, du moins telle qu’elle était comprise alors. Oresme a toujours admiré la science naturaliste d’Aristote, mais c’est la logique qui lui était imputée qu’il rejetait. Ainsi, ce qui devint le fameux carré logique était fondé sur les divers modes de l’opposition avec les notions de contradiction (opposition binaire et exclusive), de contrariété (opposition non exclusive) et de privatio (absence dans une paire de ce qui marque le premier membre de l’opposition). Mais il faut préciser que ces oppositions concernaient des propositions logiques. C’est là que pour Oresme, et pour la bien plus tardive logique contemporaine, le bât blessait : la notion de contradiction n’avait pas de prise sur le réel. Oresme visait à tout faire passer du côté de la contrariété, susceptible de degrés et de variation, en attachant ces notions non plus à des propositions, mais à des qualités et des actions. En fait, les deux objectifs critiques d’Oresme convergeaient : toute une fraction de la théologie du xive siècle, notamment franciscaine, trouvait un appui considérable dans une logique qui avait la vertu de se passer de la nature et d’irréaliser les discours humains. Le troisième article de la question 1 d’Oresme est consacré à une remise en cause du Premier Principe, conçu comme principe de non-contradiction, pierre jetée dans le jardin de Duns Scot qui avait rédigé un Traité du Premier Principe, où ce principe consistait en une adéquation de l’Être à Dieu, à grand renfort de logique. Cette tendance se poursuit jusqu’à nos jours où des « sémioticiens » chrétiens se firent virtuoses du carré logique, à la suite d’A. J. Greimas.

25Un paragraphe fulgurant de la question 6 montre et chasse cette liaison dangereuse : « Je réponds donc à l’argument qui dit qu’il est impossible qu’un tel déplacement d’un terme d’une contradiction, etc. se passe sans une chose nouvelle qui soit un signifiable complexement ou incomplèxement » : il s’agit de rendre compte de l’élection ou de la damnation qui sont des termes contradictoires et qui sont annoncées successivement par Dieu pour le même sujet ; l’action de Dieu relèverait de la contradiction, qui traditionnellement est impossible à Dieu, même en son pouvoir absolu. L’argument de l’opposant à Oresme consisterait à lever la contradiction en faisant de la décision finale la simple manifestation d’une réalité inconnue, mais connaissable, le développement d’un signifiable, dont l’apparition (la nouveauté) se ferait dans la réalité. Puis Oresme infléchit le sens de la notion : « et pour ma part, j’appelle chose complexement signifiable un temps nouveau, un mouvement nouveau et même un nouveau mode de fonctionnement (modum aliud se habendi) et ainsi de suite. » Le signifiable complexe devenait un accident [16].

26Autrement dit, on passe à une équivalence, attestée ailleurs, et notamment dans son commentaire sur la Physique d’Aristote, entre le signifiable complexe et les modi rerum, « les modes des choses », c’est-à-dire à la variation réelle de l’invariable en nature. Stefano Caroti, dans un article important, s’est demandé pourquoi la notion de modi rerum disparaissait de l’œuvre d’Oresme après le commentaire sur la Physique, daté du milieu des années 1340, sans plus de précision possible [17]. Il l’explique par les condamnations de 1347 contre Jean de Mirecourt, qui avaient élaboré fortement le modum se habendi rerum dans son ontologie de retrait par rapport à la puissance absolue de Dieu. Oresme aurait pu la reprendre dans ses questions de 1361 : il l’avait tue sans l’oublier, car il y tenait : pour Oresme, il s’agissait à la fois de neutraliser le concept dangereux de signifiable complexe sans larguer sa nouveauté éclairante (les énoncés sont des choses et peuvent agir) et de le modifier radicalement, en y logeant les convictions d’Oresme sur la faiblesse de l’opposition entre substance et accident et sur la transformation homéostatique du réel (son autoréparation).

Pérennité du troisième royaume

27On aurait tort de cantonner ce rêve d’un « troisième royaume » à un épisode long de cinquante ans, même si après 1370 la notion semble disparaître dans les sables jusqu’à sa résurrection du xixe siècle. En effet, un bel article de Jacob Schmutz [18] a montré comment le jésuite espagnol Sebastián Izquierdo, notamment dans son Pharus Scientiarum (1659), avait retrouvé la notion de status rerum (état de choses) qui constituait une zone des possibles purs, sans les amarres de l’existence. Et, dans cette seconde scolastique, une réaction, contre cette doctrine séduisante vint des thomistes.

28L’historien ne saurait donc se contenter d’observer des ricochets de l’histoire qui feraient sauter de Grégoire de Rimini à Meinong : il faudrait observer une permanence humaine (la fascination du formel et le rêve d’évacuer le réel) et d’autre part des reprises historiques de structures globales : les aspirations théocratiques de Grégoire de Rimini et sa volonté de faire capter le langage par la divinité ont quelque rapport avec le pangermanisme de l’Autrichien Meinong et son désir de traiter l’Autriche en objet signifié sans être doté d’existence. Les énoncés de son troisième royaume (Frege parlait d’un dritte Reich) pourraient annoncer la LTI, Lingua Tertii Imperii, si fortement analysée par Victor Klemperer [19].

29Cependant, cette vision noire du destin du signifiable complexe ne doit pas masquer les possibles et riches usages rationnels de la notion ; on l’avait vu chez Oresme, mais il faut aussi considérer le cas de Freud, contemporain de Meinong, qui entreprenait d’analyser des énoncés qui signifient sans forcément exister, mais dont le miroitement trouble la raison.

30La période contemporaine, sans référence métaphysique nécessaire, a entretenu cette fascination du langage comme pure création, du livre sur rien, depuis les savantes et poétiques élaborations de Mallarmé jusqu’au quotidien louangeur des chroniques littéraires. Et je dois reconnaître que pour ma part j’ai donné dans cette tendance à traiter le langage comme action fondatrice, en élaborant la notion d’énoncé collectif [20] que je définissais ainsi : « j’appelle… énoncé collectif…un fragment verbal (ou iconique), qui crée autour de lui une certaine convergence des langages et des pensées, par le jeu d’un flou structurel susceptible de capter une thématique encore implicite et d’accueillir les projections et les appropriations les plus diverses. De tels énoncés ont une vie active brève, avant de se fossiliser en lieux communs, en catégories ou en emblèmes. » [21]. Sans renier ces propos, j’en mesure les risques ou les dérives formalistes, si nettement analysés par Thomas d’Aquin.ν


Mots-clés éditeurs : langage, matière, Thomas d’Aquin

Mise en ligne 28/08/2020

https://doi.org/10.3917/lp.402.0164

Notes

  • [1]
    Irène Rosier-Catach, La Parole efficace, « Signe, rituel, sacré », avant-propos d’Alain de Libera, Paris, Seuil, coll. « Des Travaux », 2004 et « Signes et sacrements : Thomas d’Aquin et la grammaire spéculative » dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques, Vol. 74, n° 3, p. 392-436.
  • [2]
    H.-F. Dondaine, « La définition des sacrements dans la  “Somme théologique” », dans la Revue des sciences, philosophiques et théologiques, 31,1947, p. 213-228 (ici, p. 224 et 227), cité par Irène Rosier, art. cit.
  • [3]
    Magistri Petri de Ybernia Expositio et quaestiones in librum Aristotelis Peryermeneias seu de interpretatione, (ex cod. Vaticano latino 5988), éd. par Michael Dunne, suivi de la Determinatio magistralis, (ex cod. Ampl. F 335), éd. par Clemens Baeumker, Louvain-la-Neuve/Paris, Éditions de l’Institut supérieur de philosophie/Peeters (Philosophes médiévaux XXXIV), 1996.
  • [4]
    Voir Patrologie latine, tome 64, colonnes 301 et 419 pour les deux passages qui commentent la définition du nom, dans les deux versions de son commentaire.
  • [5]
    Voir La « Summa Duacensis » (Douai 434), éditée par Palémon Glorieux, Paris, Vrin, 1955, p. 102.
  • [6]
    Voir le beau livre de Peter Godman, The Silent Masters : Latin Literature and its Censors in the High Middle Ages, Princeton, Princeton University Press, 2000.
  • [7]
    Voir Antoine Dondaine, Secrétaires de saint Thomas, Rome, Commission Léonine, 1956.
  • [8]
    Adriano Oliva, Les Débuts de l’enseignement de Thomas d’Aquin et sa conception de la sacra doctrina avec l’édition du prologue de son « Commentaire des sentences », Paris, Vrin, 2006.
  • [9]
    Thomas d’Aquin, Expositio libri Peryermeneias, éd. par René Gauthier, tome I*/I (editio altera retractata, remplaçant celle de 1882) des Opera Omnia de Thomas d’Aquin, Rome, Commission Léonine, 1989.
  • [10]
    Hubert élie, Le Complexe significabile, Paris, Vrin, 1936. Je me permets une petite digression historiographique sur un cas étonnant : on a affaire à un érudit local qui a bien tourné ! Au début du xxesiècle ; un jeune Lorrain, licencié es lettres, entra dans la diplomatie et meubla ses loisirs par divers travaux, qui semblaient à la fois liés aux archives disponibles près de ses postes et au pays lorrain, sans autre unité thématique. L’un d’eux le conduisit à présenter une thèse en Sorbonne. Son étude décisive sur le complexe significabile était pour moitié consacrée au franciscain lorrain André de Neufchâteau, avec peut-être une envie de réparer un malentendu : l’érudition jusqu’à nos jours parle souvent de Novocastro, sans traduire du latin et parfois sans connaître le lieu d’origine, même dans les mentions en d’autres langues. Et il se trouvait que deux des plus grands protagonistes de la théologie de ce temps, Nicolas d’Autrécourt et Jean de Mirecourt, étaient lorrains. Cette motivation a donné lieu à une découverte remarquable, saluée depuis 1936. Gilles Deleuze, en 1969, dans sa Logique du sens, en fit un vibrant éloge (p. 30, note 8). L’intérêt redoubla avec la réédition de l’ouvrage en 2000, plus de 20  ans après le décès de l’auteur, sous un titre plus explicite : Le Signifiable par complexe. La proposition et son objet : Grégoire de Rimini, Meinong, Russell. L’affaire était pourtant mal partie : pendant quelques mois, la couverture portait La proportion et son objet. Une autre erreur est demeurée : sans doute pour obvier à l’absence de pedigree philosophique de l’auteur, l’éditeur le baptisa ancien élève de l’École des Chartes. Pourtant, la sortie d’élie hors du domaine lorrain s’était étendue : il avait été le traducteur principal des Logische Untersuchungen de Husserl, en collaboration avec Lothar Kelfel et René Schérer, philosophes patentés, mais marginaux. Cet itinéraire curieux peut évoquer celui d’un autre grand découvreur, Pierre Duhem.
  • [11]
    Jacques Bouveresse, Le Troisième monde. Signification, vérité et connaissance chez Frege, Paris, Collège de France (Philosophie de la connaissance), 2015.
  • [12]
    Cf. Gedeon Gal, « Adam Wodeham’s Question on the “Complexe Significabile” as the Immediate Object of Scientific Knowledge, » Franciscan Studies 37 (1977), p. 66-102) et Susan Brower-Toland, « Facts vs. Things : Adam Wodeham and the Later Medieval Debate about Objects of Judgment », The Review of Metaphysics, 60, 3 (2007), p. 597-642.
  • [13]
    Voir A. Boureau, « Un ange fractal. Des variations sur les anges de Richard de Mediavilla à Nicole Oresme : 1290-1360 », Cahiers de la revue de théologie et de philosophie [à paraître]. Mediavilla ajoutait à la dualité classique entre l’être réel ou objectif et l’être de raison ou être mental, l’être représenté ou exprimé, qu’il appelle aussi l’esse diminutum, que je traduis comme être en maquette. Cet esse diminutum peut correspondre à que Suarez appelle plus tard l’esse potentiale ou essentia possibilis obiectiva. Le mot d’esse diminutum se trouve chez Duns Scot (Ordinatio, I, qu. 43, art. unique, Vatican, I, VI, p. 355).
  • [14]
    Voir Alain de Libera, La Référence vide. Théories de la proposition, Paris, PUF, 2002 ; Laurent Cesalli, Le Réalisme propositionnel. Sémantique et ontologie des propositions chez Jean Duns Scot, Gauthier Burley, Richard Brinkley et Jean Wyclif, Vrin, Paris, 2007.
  • [15]
    Textes que j’ai découverts et que je publie aux Belles Lettres (Bibliothèque scolastique) : Nicole Oresme, Écrits métaphysiques et théologiques. La résompte de 1362. volumes 1 et 2. Questions sur les sentences de Pierre Lombard (sous presse).
  • [16]
    Sur l’équivalence entre accident, modus se habendi et conditio chez Oresme, voir Stefan Kirschner, « A Possible Trace of Oresme’s Condicio-Theory of Accidents in an Anonymous Commentary on Aristotle’s Meteorology », dans Vivarum 48 (3), 2010, p. 349-367.
  • [17]
    Stefano Caroti, « Les modi rerum»… encore une fois. Une source possible de Nicole Oresme : le commentaire sur le livre 1er des sentences de Jean de Mirecourt », dans Stefano Caroti et Jean Celeyrette (éds.) Quia Inter Doctores est magna dissensio : Les Débats de philosophie naturelle à Paris au xive siècle. L. S. Olschki, Florence, 2004, p. 195-222.
  • [18]
    Jacob Schmutz, « Les innovations conceptuelles de la métaphysique espagnole post-suarézienne : les status rerum selon Antonio Pérez et Sebastián Izquierdo », Quaestio, Journal of the History of Metaphysics, 2009, p. 61-99.
  • [19]
    Victor Klemperer LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996 (original de 1947).
  • [20]
    Alain Boureau, « Propositions pour une histoire restreinte des mentalités » dans Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 44ᵉ année, N. 6, 1989, p. 1491-1504.
  • [21]
    Alain Boureau, « L’adage “Vox populi, vox Dei” et l’invention de la nation anglaise viiie-xiie siècles », Annales, E.S.C., 1992, 4-5, p. 1071-1089 (ici, p. 1071).
    * Directeur d’études à l’EHESS.
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