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Article de revue

Hegel et la démocratie athénienne

Pages 41 à 50

Notes

  • [1]
    M. Bienenstock, présentation, in G.W.F. Hegel, La philosophie de l'histoire, éd. par M. Bienenstock, Librairie générale française, Paris 2009, p. 11. Cette édition présente le texte du premier cours donné par Hegel sur la philosophie de l'histoire, en 1822-1823, intégré par les introductions manuscrites de Hegel (1822 et 1830-1831) et par un dossier de textes complémentaires. Je prendrai en considération aussi l'édition allemande de G. Lasson (Philosophie der Weltgeschichte, II. Hälfte, Die griechische und römische Welt, in Hegels Sämtliche Werke, Band IX, hrsg. von Georg Lasson, Felix Meiner, Leipzig, 1923). Le texte de Lasson recueille les manuscrits hégéliens et les notes des auditeurs relatifs aux cours consacrés par Hegel à la philosophie de l'histoire à partir du semestre d'hiver de 1822-23, et répétés quatre fois à des intervalles réguliers de deux ans, sans permettre de distinguer les différentes sources et leur collocation chronologique. Il reste pourtant la version la plus riche. Pour l'histoire des éditions des leçons berlinoises voir Bienenstock, Présentation, op. cit., p. 28-32.
  • [2]
    R. Bodeüs, compte rendu à D. Janicaud, Hegel et le destin de la Grèce, Vrin, Paris 1975, in « Revue philosophique de Louvain », 1982, 80, issue 47, p. 525.
  • [3]
    J. D’Hondt, Hegel, philosophe de l’histoire vivante, PUF, Paris 1966 (2° ed. 1987), réédité en 2013 par les Éditions Delga.
  • [4]
    J. D’Hondt, Hegel, philosophe de l’histoire vivante, op. cit., p. 18ss. Jacques D’Hondt choisit de déplacer l’attention sur les écrits berlinois et en particulier sur les Leçons sur la philosophie de l’histoire aussi en réaction à la valorisation unilatérale des ouvrages de jeunesse et de la Phénoménologie de l’esprit, opérée par la lecture existentialiste ou phénoménologique de la Hegel-Renaissance française. Je me permets de renvoyer à F. Li Vigni, Jacques D’Hondt et le parcours de la raison hégélienne, L’Harmattan, Paris 2005.
  • [5]
    G.W.F. Hegel, Introduction à la philosophie de l’histoire, traduction, présentation, notes et index par M. Bienenstock et N. Waszek, Librairie générale française, 2001, p. 61.
  • [6]
    Les adversaires de la Révolution française avaient différemment employé la notion d’abstrait pour rejeter l’idée que la raison puisse déduire d’elle-même, libérée de toute autorité, les principes de la vie sociale. Hegel, par contre, met en valeur justement la nature philosophique de la Révolution, qui devient à ses yeux la première tentative de l’humanité d’établir le règne de la raison dans le monde historique. La notion d’abstrait intervient plutôt pour dénoncer une réalisation partielle du principe de la liberté. Je me permets de renvoyer à F. Li Vigni, Il concetto di astratto nel giudizio sulla Rivoluzione francese (Burke, Maistre, Cuoco, Hegel, Marx), Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, Napoli, 2006. Voir surtout le livre de D. Losurdo, Hegel et la catastrophe allemande, Albin Michel, Paris, 1994.
  • [7]
    Cette expression est utilisée par Hegel lui-même en réponse aux « historiens de profession » (Cfr. M. Bienestock, Présentation, op. cit., p. 16).
  • [8]
    Bien que la Spätaufklärung en Allemagne ait déjà enrichi considérablement l’interprétation des sophistes, l’opinion restait encore ancrée au préjudice de l’immoralité de leur doctrines. C’est à ce propos que Hegel ouvre un chemin tout à fait nouveau : les sophistes représentent le début de la culture (Bildung) en Grèce. Ils introduisent un élément de réflexion qui détermine une première fracture entre l’individu et le monde moral, politique et religieux. C’est l’émergence de la subjectivité libre, qui se fait jour nécessairement comme principe de corruption et dissolution de l’éthicité grecque. Voir F. Li Vigni, L’interpretazione hegeliana del nichilismo sofistico, in Idealismo tedesco e nichilismo, a cura di M. Biscuso e F. Li Vigni, « Il Cannocchiale. Rivista di studi filosofici », 2-3, 2012, p. 99-134. Sur le processus de rénovation de l’historiographie allemande de la seconde moitié du xviiie siècle, voir les indications de N. Waszek, Histoire pragmatique – histoire culturelle : de l’historiographie de l’Aufklärung à Hegel et son école, in Histoire culturelle, « Revue germanique internationale », 10, 1998, p. 12 n.
  • [9]
    Voir M. Montuori, Socrate. Fisiologia di un mito, Vita e Pensiero, Milano 1998, p. 48 ss.
  • [10]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 620.
  • [11]
    Ibidem, p. 627.
  • [12]
    Voir Claude Mossé, Périclès. L’inventeur de la démocratie, Payot & Rivages, Paris 2005 (ch. XII-XIV).
  • [13]
    Gorgias, 515e.
  • [14]
    Sur les institutions de la démocratie athénienne et leur développement voir M.H. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène : structure, principes et idéologie, Les Belles Lettres, Paris, 1993 ; K. A. Raaflaub, J. Ober, R. W. Wallace, Origins of Democracy in Ancient Greece, with chapters by P. Cartledge and C. Farrar, University of California Press, Berkeley and Los Angeles 2007.
  • [15]
    Gorgias, 518e-519a.
  • [16]
    Pour la bibliographie relative au rapport entre le philosophe et le régime athénien voir Platone, Contro la democrazia, a cura di F. Ferrari, Bur, Milano 2008.
  • [17]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l'histoire, op. cit., p. 116.
  • [18]
    Thucydide, II, 34-46.
  • [19]
    Voir D. Musti, Democratía. Origini di un’idea, Roma-Bari, Laterza, 1995, p. VI.
  • [20]
    Sur le discours de Périclès en tant qu’image “mythique” douée d’une grande pouvoir de fascination voir C. Galli, Il disagio della democrazia, Einaudi, Torino 2011, p. 14.
  • [21]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 416.
  • [22]
    Thucydide, II. 65, 9.
  • [23]
    Pour une lecture centrée sur l’idée que Thucydide « démasque » ici le caractère véritable de la démocratie athénienne voir L. Canfora, Il mondo di Atene, Laterza, Roma-Bari 2011, parte I, ch. III, Pericle princeps, p. 113 ss.
  • [24]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 534.
  • [25]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 370.
  • [26]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 534.
  • [27]
    Ibidem, p. 566.
  • [28]
    Thucydide, II. 37, 1.
  • [29]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 418.
  • [30]
    Ibidem, p. 422.
  • [31]
    Une autre source utilisée par Hegel est certainement la Vie de Périclès de Plutarque. Il est intéressant de constater que Hegel y puise sélectivement ses informations. D’une part il fait sienne l’attribution à l’homme d’État d’un tempérament et d’un comportement toujours marqués par la modération et d’un caractère incorruptible (ce qui le distingue des démagogues) ; il le suit dans la description des rapports entretenus avec Anaxagore et les sophistes, pour souligner que Périclès est un homme « cultivé », avec référence à la Bildung en tant que « formation à l’universel » ; mais d’autre part, il n’adhère pas à l’argumentation de Plutarque dans la mesure où celui-ci accepte aussi les critiques adressées à Périclès, en particulier par rapport aux mesures d’indemnisation octroyées au peuple pour participer à la vie des institutions démocratiques, qui auraient provoqué la dérive du régime athénien.
  • [32]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 412.
  • [33]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 619. Voir chez Hérodote le célèbre colloque entre Xerxès et Démarate (VII, 103-104), où l’on trouve le contraste entre les soldats perses qui combattent pour un maître, contraints par les coups de fouet, et les libres citoyens grecs, qui n’obéissent qu’à la loi ; et encore l’ancrage de la supériorité militaire grecque dans la liberté égalitaire de la démocratie (V, 58).
  • [34]
    Thucydide, II, 38-40.
  • [35]
    Voir P. Vidal-Naquet e N. Loraux, La formation de l’Athènes bourgeoise, in La démocratie grecque vue d’ailleurs, Paris, 1990.
  • [36]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 414.
  • [37]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 630.
  • [38]
    Ibidem, p. 631.
  • [39]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 415.
  • [40]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 633.
  • [41]
    Ibidem, p. 634. Celle-ci est aussi dénoncée par Platon dans le livre VIII de la République, mais comme perte d’une pureté originaire, et non pas en tant que conséquence nécessaire d’un principe borné.
  • [42]
    Ibidem, p. 630.
  • [43]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l'histoire, op. cit., p. 414.
  • [44]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 632.
  • [45]
    Ibidem, p. 629.
  • [46]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 413.
  • [47]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 629.
  • [48]
    Voir E. Lévy, Sparte. Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Ėditions du Seuil, Paris 2003.
  • [49]
    On peut citer à ce propos le passage de l’Odyssée (XVII, 320 ss.), dans lequel le poète illustre la dégradation qui se produit à partir du moment où l’individu est réduit en esclavage : « Quand les maîtres n’exercent pas la même dureté, les esclaves ne veulent pas travailler comme ils le devraient. Zeus ôte en effet à l’homme la moitié de son arete (de sa vertu, de sa valeur) quand arrive pour lui le jour de l’esclavage. »
  • [50]
    G.W.F. Hegel, Introduction à la philosophie de l’histoire, op. cit., p. 60.
  • [51]
    Voir à ce propos J. Taminiaux, Naissance de la philosophie hégélienne de l’État. Commentaire et traduction de la Realphilosophie d’Iéna (1805-1806), Payot, Paris 1984, p. 57 ss.
  • [52]
    Je me réfère au titre de l’ouvrage de J. Taminiaux, La nostalgie de la Grèce à l’aube de l’idéalisme allemand : Kant et les Grecs dans l’itinéraire de Schiller, de Holderlin et de Hegel, M. Nijhoff, La Haye, 1967.
  • [53]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, cit., p. 528.
  • [54]
    Je me permets de renvoyer à F. Li Vigni, Protagora e l’arte della politica, La Scuola di Pitagora Editrice, Napoli, 2010.

1Longtemps considérée comme « le grand titre de gloire de Hegel » – pour utiliser une expression de Myriam Bienenstock – la philosophie de l’histoire « semble en être devenue aujourd’hui le talon d’Achille »  [1]. Pourtant les leçons berlinoises sur la Weltgeschichte dilatent considérablement la possibilité d’explorer les sources et la direction des intérêts du philosophe : à condition, bien sûr, que l’on accepte d’ouvrir les yeux sur l’immense richesse de leur contenu et d’abandonner l’image d’un « réseau de formules idéales, étrangères à l’objet qu’elles prétendent exprimer »  [2].

2C’est à la philosophie de l’histoire que Jacques D’Hondt a consacré un de ses plus beaux ouvrages – Hegel, philosophe de l’histoire vivante  [3]. La thèse qu’il soutient dans ce livre est bien connue : la clef pour comprendre la conception hégélienne est l’expérience de jeunesse du contraste entre la Révolution française – irruption d’un monde nouveau, avec toute son énergie destructrice – et l’immobilisme de la situation allemande  [4]. Ce conflit nourrit la réflexion du jeune philosophe sur le devenir historique et sur la possibilité pour la pensée de le saisir, réflexion qui s’élargit jusqu’à l’ampleur de la Weltgeschichte en tant que « progrès de la conscience de la liberté »  [5]. En effet, l’ombre (ou la lumière) de la Révolution s’étend aussi sur la description hégélienne de la démocratie de la Grèce antique.

3Dans le processus historique qui conduit de la Grèce archaïque à la décadence des cités, Hegel porte son attention sur une période de soixante ans environ qui représente l’apogée de l’esprit grec, entre les guerres Médiques et la fin de la guerre du Péloponnèse : c’est ici que prennent forme une civilisation (Bildung) et une constitution politique (Verfassung) qui ne cessent de nous fasciner et de nous interroger. Bien qu’il affirme l’impossibilité de faire de la démocratie antique le modèle de l’État moderne, Hegel en reconnaît pourtant l’attrait : elle est l’œuvre libre d’individus rationnels, pour lesquels la société n’est pas une donnée naturelle, mais un produit de leur propre volonté, qu’ils honorent, et pour lequel ils doivent s’éduquer eux-mêmes. La réflexion sur la démocratie grecque devient également pour Hegel le moyen d’exprimer son appréciation nuancée de la Révolution française : il s’agit de souligner ce qui fait sa valeur – la volonté de fonder l’État sur des bases rationnelles et sur le principe de la volonté libre –, et de repousser en même temps ses « abstractions »  [6].

4En d’autres termes, on peut dire que les leçons berlinoises sur la philosophie de l’histoire présentent, aussi bien au niveau de l’étude du monde antique que dans la Phénoménologie de l’esprit, la même articulation vis-à-vis de la Révolution : sa signification qui fait époque dans l’histoire du monde et la traduction insuffisante de ses principes dans l’articulation sociale et politique de l’État. C’est ainsi que la Révolution consigne à sa postérité la tâche de la réalisation politique des principes qu’elle a avancés sur la nature de l’État et sur le respect de la dignité de l’homme.

5Or, dans la description de la démocratie de la Grèce antique, et en particulier du régime athénien, Hegel reconnaît le surgissement de la conscience de la liberté, qui se présente dans le monde antique avec la limitation qui lui est propre. À ce but, loin d’offrir une « affabulation a priori »  [7], il se réfère en large mesure à la représentation que la démocratie athénienne offre d’elle-même, et rejette par contre résolument les opinions des adversaires du régime, à travers un choix révélateur des sources antiques. Il dessine ainsi une image renouvelée de cette constitution : on peut suggérer en passant que cela va de pair avec le profond changement introduit dans l’évaluation des sophistes, qu’il intègre dans l’histoire de la philosophie. Hegel profitait certainement aussi des progrès de l’historiographie et de la philologie allemande de la deuxième moitié du xviiie siècle ; néanmoins il devançait de la sorte le tournant décisif, imprimé par George Grote à l’image d’Athènes, avec son History of Greece (1846-1856)  [8].

Périclès

6Il faut souligner, en premier lieu, la force avec laquelle Hegel repousse l’autorité de Platon, et cela à l’époque de sa redécouverte en Allemagne  [9]. Hegel rejette sans hésitation et d’une manière totale son évaluation de la démocratie : au même titre que Xénophon ou les socratiques, Platon a rendu son jugement à partir d’une idée préconstituée et unilatérale (nach einer vorgefaßten, einseitigen Idee)  [10], en écrivant quand le régime avait connu l’échec et la décadence. Ce n’est pas aux philosophes qu’il faut s’adresser, mais aux historiens – Hérodote et Thucydide –, et aux hommes qui ont guidé l’État, comme Périclès. Celui-ci est présenté dans les cours berlinois comme le plus grand homme politique que l’histoire antique et moderne ait connu  [11].

7Pour apprécier la force de ce jugement il faut considérer que la figure de Périclès, étroitement liée à celle de la démocratie athénienne, payait encore à l’époque de Hegel le prix d’une aversion profondément ancrée au fil des siècles. La transformation du portrait de l’homme politique a été analysée par Claude Mossé : même si, en relation avec la critique des régimes absolutistes, un intérêt nouveau pour l’expérience politique des Grecs se manifesta au xviiie siècle, la méfiance pour la démocratie athénienne continua à régner. On sait bien que Sparte restait encore, à l’époque de la Révolution, le modèle de référence et que Périclès était tout à fait absent de son panthéon  [12].

8Déjà pour Platon Périclès est l’homme politique qui, loin de rendre meilleurs ses concitoyens, a plutôt favorisé leur corruption, étant le premier à établir un salaire pour les fonctions publiques  [13]. Platon lui reproche ici une des mesures qui ont favorisé le plus l’élargissement de la participation populaire aux institutions de la cité  [14]. En général il est indiqué comme le responsable moral du malheureux destin d’Athènes avec les hommes politiques de sa génération ; pour flatter les masses et en obtenir la faveur, ils ont accordé leur préférence à la grandeur matérielle plutôt qu’à la justice et à la tempérance  [15]. L’attaque à Périclès s’inscrit chez le philosophe dans le projet d’une réforme radicale de la politique et de la culture de son époque qui va de pair avec une critique foncière de la démocratie  [16]. Or, c’est justement cette identification de Périclès avec le régime athénien qui reste valable pour Hegel, qui toutefois lui donne une évaluation bien différente.

9Pour retrouver l’image fidèle de la démocratie il faut donc, pour le philosophe allemand, se confier aux réflexions que les peuples « font sur eux-mêmes »  [17] : les discours des hommes politiques dans l’œuvre de Thucydide deviennent la source privilégiée, et en particulier, pour ce qui concerne Périclès, l’oraison funèbre pour les soldats tombés lors de la guerre du Péloponnèse  [18]. Hegel accorde tout crédit à un document souvent considéré comme un véritable « manifeste » de la démocratie athénienne, ou mieux encore, de la démocratie tout court  [19] : or, ce qui ne laisse pas de surprendre, il l’assume comme témoignage tout à fait digne de foi, et non pas comme idéalisation du modèle athénien  [20].

10Dans les cours sur la philosophie de l’histoire, Périclès n’est pas considéré, en raison de la grandeur de sa personnalité, comme supérieur à la démocratie qu’il gouverna si longtemps. De cette démocratie il est d’une part le véritable père fondateur, avec l’abolition des prérogatives aristocratiques de l’Aréopage, d’autre part il se trouve « à la tête de l’État athénien », selon la logique propre d’un gouvernement républicain, qui doit produire un leadership qui la dirige  [21]. C’est une allusion au commentaire de Thucydide, qui, après avoir fait le portrait de la modération et de l’intelligence politique de Périclès, ajoutait que ce gouvernement portant le nom de démocratie était, en réalité, le gouvernement d’un seul homme  [22].

11Dans cette sentence Hegel ne voit pas la méfiance aristocratique envers une démocratie qui ne serait telle qu’en apparence  [23] ; il y reconnaît plutôt l’espace que le monde grec fait, selon son principe, à la « belle individualité », à l’« l’individualité autonome » (selbstständige Individualität)  [24]. C’est le caractère distinctif de la vie grecque : son commencement montre « un mélange, un métissage, et une migration des tribus et des peuples »  [25], qui déchire les liens de la société tribale et patriarcale et permet à l’esprit d’exister individuellement. En conséquence l’unification des individualités n’a pas lieu dans l’élément naturel de la famille, ou de la tribu, mais dans une loi et une coutume « spiritualisée »  [26], à partir de l’autonomie de sujets.

12L’individualité libre occupe pour Hegel une position intermédiaire entre le manque de personnalité de l’homme (Selbstlösigkeit des Menschen), propre du monde asiatique, et la « libre subjectivité ». Elle apparaît « conditionnée » dans sa liberté, qui conserve ici un lien essentiel avec les qualités naturelles de l’homme  [27]. Périclès apparaît alors à la tête de la cité en tant que personnalité « la plus sage, la plus libre, la plus vertueuse », en accord avec la tradition selon laquelle le pouvoir royal dans la Grèce archaïque était fondé sur des qualités personnelles et non pas seulement sur l’appartenance à une famille. Le principe démocratique de la sélection par le mérite, contenu également dans l’oraison funèbre  [28], appartient à cet univers conceptuel.

13Par contre la libre subjectivité se présente sous un double jour : celui de la conscience morale qui contraint tout individu, par la raison, à l’obéissance à des lois inconditionnées, un « tribunal intérieur, devant lequel tout ce qui a une valeur doit se justifier »  [29], et celui de l’intérêt personnel, des passions, de la cupidité qui conduit à la corruption. Dans les deux cas la tension entre la grande individualité libre – complètement extériorisée dans l’action – et la particularité subjective mine les bases de la cité antique. Pour cette raison la démocratie, qui se situe à la frontière entre l’acquisition de la culture (Bildung) et la corruption de l’éthicité, ne peut être que de courte durée : « l’individualité de Périclès fut sacrifiée »  [30].

14Si ses détracteurs assimilaient l’attitude politique de Périclès à celle de ses successeurs – aux démagogues sur le style de Cléon – Hegel, avec Thucydide, en fait donc un chef d’état qui agit uniquement pour le bien et l’honneur de sa patrie  [31] ; il maîtrise son peuple par la force de son éloquence et l’intelligence de son initiative. Il n’y a rien ici du mépris platonicien pour la rhétorique, l’art par lequel l’homme domine les foules grâce à l’adulation, et qui le domine à son tour.

15L’oraison funèbre de Périclès est pour Hegel l’expression de la conscience de soi de la cité. Elle fournit « le meilleur concept de l’esprit athénien »  [32]. Hegel en souligne en particulier le goût pour la beauté, pour la philosophie, pour le libre épanouissement de la personnalité humaine, qui ne se veut en contradiction ni avec les intérêts généraux, ni avec la valeur militaire. Ici le philosophe envisage la convergence entre Thucydide et Hérodote : le discours à la louange d’Athènes, prononcé à l’occasion de la guerre du Péloponnèse, se charge des valeurs de liberté de l’opposition grecque aux Perses dans les guerres Médiques : c’est la force spirituelle de la liberté qui l’emporte sur le despotisme oriental, la force spirituelle contre la « masse »  [33].

Athènes et Sparte

16Hegel retrouve dans l’oraison funèbre toute la force de l’opposition entre le modèle athénien et celui de Sparte. Le jugement sur le second est d’une extrême sévérité et de fait, il nous suggère quelles sont les préoccupations de Hegel quand il traite de cette matière. On a vu qu’il faisait de Périclès l’homme politique le plus éminent de tout temps. Ainsi le philosophe ne s’éloignait pas seulement de Platon, et en général de la dévaluation du chef athénien qui va de pair avec le déclin de la démocratie athénienne, il s’opposait aussi à la modalité spécifique du « retour » au monde antique, tel qu’il se produit au cours du xviiie siècle, lorsque la méfiance par rapport à la démocratie conduit à privilégier le modèle lacédémonien ; mais il ne partage pas non plus la préférence accordée à Sparte par les révolutionnaires français du régime de la Terreur, qu’il mentionne ici explicitement.

17La description hégélienne de Sparte dans les leçons suit partiellement le discours de Périclès. Elle rejoint l’opposition entre les styles de vie, mais avec des accents qui ne sont pas présents chez Thucydide. À ce propos la comparaison concernerait plutôt un texte de Xénophon, La constitution des Lacédémoniens, qui avec son idéalisation de Sparte peut être considéré comme une réponse polémique à l’oraison de Périclès. Absentes du texte de Thucydide sont, par contre, les remarques sur le caractère différent de l’esclavage dans les deux cités : c’est ici que Hegel développe un thème qui appartient strictement à sa philosophie de l’histoire en tant que progrès dans la conscience de la liberté.

18Xénophon exalte les aspects communautaires du modèle lacédémonien – à partir de l’éducation jusqu’à l’institution des repas en commun – et fait l’éloge de la prohibition pour les hommes libres de se dédier aux activités à but lucratif ; l’égalité des Spartiates doit être sauvegardée avec un style de vie austère, loin du luxe et de la dissipation. Il trace ainsi une antithèse nette avec le discours de Périclès. Pour celui-ci à la liberté politique du régime démocratique correspond la liberté en vigueur dans les rapports quotidiens des citoyens : les relations privées sont caractérisées par une tolérance réciproque, qui va de pair avec le respect le plus rigoureux pour les lois, aussi bien pour les lois écrites que pour les lois non écrites. Contrairement à celui de Sparte, le style de vie athénien se distingue dans le discours de Périclès aussi pour l’espace donné aux fêtes publiques, au culte de la beauté, pour la possibilité de jouir des biens importés d’autres pays. La richesse est ici conçue comme une opportunité : on ne trouve pas au premier rang le statut social acquis, mais l’effort et la capacité d’initiative pour se soustraire à une condition de malaise. La conclusion est que l’attention prêtée aux intérêts privés n’est pas en conflit avec l’activité politique  [34].

19On a dans ces pages un tableau de la vie athénienne qui a de quoi nourrir l’image « bourgeoise » de la cité  [35]. Entre le texte de Thucydite et celui de Xénophon, Hegel s’insère avec une lecture de Sparte très actualisée : il vise en particulier l’égalité de la propriété, en référence à la législation de Lycurgue qui divisait la propriété foncière de manière à conserver l’égalité des fortunes. Non seulement ces dispositions ne suffirent pas à satisfaire ce but, affirme Hegel, mais elles finirent au contraire par créer « la plus grande inégalité »  [36]. C’est le principe même qu’il rejette : l’égalité dans la propriété est une « folie abstraite » (eine törichte Abstraktion oder eine abstrakte Torheit)  [37], qui détruit la liberté la plus essentielle, celle de la propriété. Derrière les Lacédémoniens on entrevoit le « dérapage » social de la Révolution...

20La limitation de la monnaie et des activités économiques, dont Xénophon fait l’éloge, devient chez Hegel l’activité (Regsamkeit)  [38] qui conduit à la culture (Bildung) : le philosophe établit donc un lien antipaupérise entre le développement économique, la floraison des arts et des sciences, et l’espace ouvert aux « pensées universelles »  [39]. La sévérité des coutumes se transforme en « vertu rigide et abstraite » (starre abstrakte Tugend)  [40], qui ne laisse aucune liberté à l’individu, de manière qu’ici la subjectivité ne peut se développer que dans la représentation d’une convoitise vulgaire et d’une vulgaire corruption  [41]. La polémique envers une « égalité forcée »  [42] rejoint en ce sens la dénonciation de la « vertu » incarnée par Robespierre, bien connue à partir de la Phénoménologie de l’esprit. Le rapprochement entre les Spartiates et le régime de la Terreur révolutionnaire à propos des institutions politiques lacédémoniennes devient tout à fait transparent. Hegel parle à ce propos des Éphores d’une manière qui nous renvoie au texte de Thucydide cité précédemment : « Ce gouvernement portant le nom de démocratie, en réalité c’était le gouvernement d’un seul homme ». Appliqué à Périclès, il indique l’opportunité d’un leadership démocratique conforme au principe de la valeur individuelle. Ici on en retrouve l’écho, mais avec une toute autre signification : « Plus tard nous trouvons des Éphores, qui sont mentionnés partout comme les personnes les plus éminentes de la cité, de sorte que Sparte n’avait de démocratique que le nom, et était en réalité une aristocratie ou une oligarchie »  [43]. La teneur du discours hégélien se fait encore plus claire si l’on compare ce passage du cours de 1822-1823 à quelques lignes présentes dans l’édition Lasson : Platon et Aristote – pouvons-nous lire – donnent aux Éphores le nom de « tyrans ». Ils l’étaient à la manière des hommes du Comité de salut public dans la nouvelle France, qui venaient du peuple et exerçaient la tyrannie  [44].

21L’éloge de Périclès et de la démocratie athénienne s’ajoute ainsi à la condamnation la plus nette du modèle lacédémonien : toutefois, sa signification spécifique du point de vue de la philosophie de l’histoire hégélienne prend tout son relief par rapport à la question de l’esclavage. Hegel met en évidence la différence de l’origine de cette institution dans les deux cités. La condition des Ilotes de Sparte est le résultat de la conquête des Doriens qui vinrent de Thessalie dans le Péloponnèse : le peuple autochtone fut réduit en esclavage, comme plus tard les Messéniens. Hegel souligne les aspects les plus repoussants de cette relation, comme la libre chasse aux Ilotes, qui manifeste l’« inhumanité » (unmenschliche Härte)  [45] des Spartiates ou la lâcheté avec laquelle ils les armaient en temps de guerre, pour les massacrer ensuite « sans vergogne »  [46]. Par contre les esclaves d’Athènes étaient « achetés au hasard et un par un » (zufällig und einzeln angekauft)  [47] et finissaient par faire partie de la famille. Bien que cette description puisse paraître unilatérale, il faut d’une part souligner que le caractère particulier de l’ilotisme est confirmé par les études modernes  [48], d’autre part que, dans ce cas aussi, Hegel répond aux critiques de la démocratie athénienne, qui lui reprochaient l’excessive liberté dont jouissaient les esclaves.

22Le philosophe parle ici évidemment des esclaves domestiques et ne tient pas compte, par exemple, de l’exploitation sur une grande échelle de ceux qui travaillaient dans les mines. Mais ceci est déjà le résultat d’une transformation qui intervient seulement à partir d’un certain moment de l’évolution économique de la Grèce, allant de pair avec un changement profond de la mentalité. C’est au cours de ce processus que s’établit la conception de l’esclave « par nature » d’Aristote. Avant cela, et pendant très longtemps, il n’y a pas de naturalisation de l’esclavage. C’est exactement sur cet aspect que Hegel attire l’attention à propos du contraste entre Sparte et Athènes. Les esclaves des Lacédémoniens s’identifient avec des peuples conquis : par contre à Athènes et dans la plupart des cités grecques l’esclavage est plutôt une condition contingente, résultat de circonstances particulières, toujours inscrites dans le cadre du droit que le plus fort a d’asservir le plus faible. L’esclave est tel puisqu’il s’est trouvé dans une condition d’infériorité : il a été fait prisonnier de guerre, il a été enlevé par les pirates, il a été vendu parce qu’il ne pouvait pas payer sa dette. Si l’esclave est, de toute manière, objet de mépris, en accord avec une éthique héritée de la période archaïque qui exaltait le succès et la force  [49], il ne s’agit pas en tout cas d’une supériorité raciale, d’une différence naturalisée. On retrouve également dans l’antithèse entre les Grecs et les Perses, définis comme des esclaves qui combattent sous les coups du fouet, la caractérisation liée aux conditions politiques et sociales – à une supériorité spirituelle – et non pas à la nature de ces populations.

23Cette différence établie entre l’esclavage à Sparte et à Athènes, il ne reste pas moins vrai que cette institution marque la véritable limite de l’expérience de la cité antique et de sa conception de la liberté. Le monde antique ne connaît pas la valeur infinie de la personnalité humaine : « C’est d’abord chez les Grecs que s’est levée la conscience de la liberté, et dès lors ils ont été libres. Mais les Grecs eux-mêmes, comme d’ailleurs les Romains, surent que quelques-uns seulement sont libres, non pas l’homme en tant que tel. Cela, Platon ne le sut pas, et Aristote non plus. C’est pourquoi les Grecs ont non seulement eu des esclaves – dont la vie et la persistance de leur chère liberté dépendaient – mais leur propre liberté ne fut elle-même, d’une part, qu’une fleur contingente, passagère, non travaillée et limitée, et en même temps, d’autre part, qu’une dure servitude de l’homme, de tout ce qui est humain »  [50].

24On a vu que la réflexion de Hegel sur la démocratie antique dans les leçons berlinoises s’appuie largement sur le contraste entre le modèle athénien et le modèle spartiate. Il est évident que ce contraste prend sa valeur en raison de son appréciation nuancée de la Révolution française. Le philosophe exprime clairement sa faveur pour une image très libérale du régime athénien, image qui, entre autres, semble s’éloigner sensiblement de la vision organique de l’éthicité grecque, esquissée dans les écrits d̓Iéna  [51].

25Il reste que la démocratie antique n’est pour Hegel que l’expression d’une étape délimitée du progrès de la conscience de la liberté et que ce régime n’a pas d’application possible dans le monde moderne. Hegel ne manque pas pourtant de l’évoquer dans les leçons berlinoises avec une certaine « nostalgie »  [52]. C’est que pour le philosophe, comme pour nous, la démocratie antique, dans sa courte durée et dans sa localisation géographique bien définie, offre l’illusion de pouvoir être embrassée du regard. Dans cette perspective elle apparaît comme une sorte d’expérience en laboratoire, où l’on peut observer le spectacle unique d’un peuple qui donne vie à ses institutions, les transforme, jette les bases d’un gouvernement fondé sur la loi, conçoit celle-ci comme une réponse humaine aux besoins humains, comprend la nécessité de s’éduquer à la vie politique, fait découler la participation à la décision collective de la conciliation possible entre le bien des citoyens et le bien de la cité. Dans les leçons berlinoises l’accent semble par conséquent se porter sur l’autonomie et l’immanence  [53] de la constitution antique. C’est le modèle esquissé par Périclès. On pourrait montrer que c’est également le programme avancé par Protagoras dans les dialogues de Platon  [54].


Mise en ligne 22/03/2020

https://doi.org/10.3917/lp.378.0041

Notes

  • [1]
    M. Bienenstock, présentation, in G.W.F. Hegel, La philosophie de l'histoire, éd. par M. Bienenstock, Librairie générale française, Paris 2009, p. 11. Cette édition présente le texte du premier cours donné par Hegel sur la philosophie de l'histoire, en 1822-1823, intégré par les introductions manuscrites de Hegel (1822 et 1830-1831) et par un dossier de textes complémentaires. Je prendrai en considération aussi l'édition allemande de G. Lasson (Philosophie der Weltgeschichte, II. Hälfte, Die griechische und römische Welt, in Hegels Sämtliche Werke, Band IX, hrsg. von Georg Lasson, Felix Meiner, Leipzig, 1923). Le texte de Lasson recueille les manuscrits hégéliens et les notes des auditeurs relatifs aux cours consacrés par Hegel à la philosophie de l'histoire à partir du semestre d'hiver de 1822-23, et répétés quatre fois à des intervalles réguliers de deux ans, sans permettre de distinguer les différentes sources et leur collocation chronologique. Il reste pourtant la version la plus riche. Pour l'histoire des éditions des leçons berlinoises voir Bienenstock, Présentation, op. cit., p. 28-32.
  • [2]
    R. Bodeüs, compte rendu à D. Janicaud, Hegel et le destin de la Grèce, Vrin, Paris 1975, in « Revue philosophique de Louvain », 1982, 80, issue 47, p. 525.
  • [3]
    J. D’Hondt, Hegel, philosophe de l’histoire vivante, PUF, Paris 1966 (2° ed. 1987), réédité en 2013 par les Éditions Delga.
  • [4]
    J. D’Hondt, Hegel, philosophe de l’histoire vivante, op. cit., p. 18ss. Jacques D’Hondt choisit de déplacer l’attention sur les écrits berlinois et en particulier sur les Leçons sur la philosophie de l’histoire aussi en réaction à la valorisation unilatérale des ouvrages de jeunesse et de la Phénoménologie de l’esprit, opérée par la lecture existentialiste ou phénoménologique de la Hegel-Renaissance française. Je me permets de renvoyer à F. Li Vigni, Jacques D’Hondt et le parcours de la raison hégélienne, L’Harmattan, Paris 2005.
  • [5]
    G.W.F. Hegel, Introduction à la philosophie de l’histoire, traduction, présentation, notes et index par M. Bienenstock et N. Waszek, Librairie générale française, 2001, p. 61.
  • [6]
    Les adversaires de la Révolution française avaient différemment employé la notion d’abstrait pour rejeter l’idée que la raison puisse déduire d’elle-même, libérée de toute autorité, les principes de la vie sociale. Hegel, par contre, met en valeur justement la nature philosophique de la Révolution, qui devient à ses yeux la première tentative de l’humanité d’établir le règne de la raison dans le monde historique. La notion d’abstrait intervient plutôt pour dénoncer une réalisation partielle du principe de la liberté. Je me permets de renvoyer à F. Li Vigni, Il concetto di astratto nel giudizio sulla Rivoluzione francese (Burke, Maistre, Cuoco, Hegel, Marx), Istituto Italiano per gli Studi Filosofici, Napoli, 2006. Voir surtout le livre de D. Losurdo, Hegel et la catastrophe allemande, Albin Michel, Paris, 1994.
  • [7]
    Cette expression est utilisée par Hegel lui-même en réponse aux « historiens de profession » (Cfr. M. Bienestock, Présentation, op. cit., p. 16).
  • [8]
    Bien que la Spätaufklärung en Allemagne ait déjà enrichi considérablement l’interprétation des sophistes, l’opinion restait encore ancrée au préjudice de l’immoralité de leur doctrines. C’est à ce propos que Hegel ouvre un chemin tout à fait nouveau : les sophistes représentent le début de la culture (Bildung) en Grèce. Ils introduisent un élément de réflexion qui détermine une première fracture entre l’individu et le monde moral, politique et religieux. C’est l’émergence de la subjectivité libre, qui se fait jour nécessairement comme principe de corruption et dissolution de l’éthicité grecque. Voir F. Li Vigni, L’interpretazione hegeliana del nichilismo sofistico, in Idealismo tedesco e nichilismo, a cura di M. Biscuso e F. Li Vigni, « Il Cannocchiale. Rivista di studi filosofici », 2-3, 2012, p. 99-134. Sur le processus de rénovation de l’historiographie allemande de la seconde moitié du xviiie siècle, voir les indications de N. Waszek, Histoire pragmatique – histoire culturelle : de l’historiographie de l’Aufklärung à Hegel et son école, in Histoire culturelle, « Revue germanique internationale », 10, 1998, p. 12 n.
  • [9]
    Voir M. Montuori, Socrate. Fisiologia di un mito, Vita e Pensiero, Milano 1998, p. 48 ss.
  • [10]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 620.
  • [11]
    Ibidem, p. 627.
  • [12]
    Voir Claude Mossé, Périclès. L’inventeur de la démocratie, Payot & Rivages, Paris 2005 (ch. XII-XIV).
  • [13]
    Gorgias, 515e.
  • [14]
    Sur les institutions de la démocratie athénienne et leur développement voir M.H. Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène : structure, principes et idéologie, Les Belles Lettres, Paris, 1993 ; K. A. Raaflaub, J. Ober, R. W. Wallace, Origins of Democracy in Ancient Greece, with chapters by P. Cartledge and C. Farrar, University of California Press, Berkeley and Los Angeles 2007.
  • [15]
    Gorgias, 518e-519a.
  • [16]
    Pour la bibliographie relative au rapport entre le philosophe et le régime athénien voir Platone, Contro la democrazia, a cura di F. Ferrari, Bur, Milano 2008.
  • [17]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l'histoire, op. cit., p. 116.
  • [18]
    Thucydide, II, 34-46.
  • [19]
    Voir D. Musti, Democratía. Origini di un’idea, Roma-Bari, Laterza, 1995, p. VI.
  • [20]
    Sur le discours de Périclès en tant qu’image “mythique” douée d’une grande pouvoir de fascination voir C. Galli, Il disagio della democrazia, Einaudi, Torino 2011, p. 14.
  • [21]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 416.
  • [22]
    Thucydide, II. 65, 9.
  • [23]
    Pour une lecture centrée sur l’idée que Thucydide « démasque » ici le caractère véritable de la démocratie athénienne voir L. Canfora, Il mondo di Atene, Laterza, Roma-Bari 2011, parte I, ch. III, Pericle princeps, p. 113 ss.
  • [24]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 534.
  • [25]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 370.
  • [26]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 534.
  • [27]
    Ibidem, p. 566.
  • [28]
    Thucydide, II. 37, 1.
  • [29]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 418.
  • [30]
    Ibidem, p. 422.
  • [31]
    Une autre source utilisée par Hegel est certainement la Vie de Périclès de Plutarque. Il est intéressant de constater que Hegel y puise sélectivement ses informations. D’une part il fait sienne l’attribution à l’homme d’État d’un tempérament et d’un comportement toujours marqués par la modération et d’un caractère incorruptible (ce qui le distingue des démagogues) ; il le suit dans la description des rapports entretenus avec Anaxagore et les sophistes, pour souligner que Périclès est un homme « cultivé », avec référence à la Bildung en tant que « formation à l’universel » ; mais d’autre part, il n’adhère pas à l’argumentation de Plutarque dans la mesure où celui-ci accepte aussi les critiques adressées à Périclès, en particulier par rapport aux mesures d’indemnisation octroyées au peuple pour participer à la vie des institutions démocratiques, qui auraient provoqué la dérive du régime athénien.
  • [32]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 412.
  • [33]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 619. Voir chez Hérodote le célèbre colloque entre Xerxès et Démarate (VII, 103-104), où l’on trouve le contraste entre les soldats perses qui combattent pour un maître, contraints par les coups de fouet, et les libres citoyens grecs, qui n’obéissent qu’à la loi ; et encore l’ancrage de la supériorité militaire grecque dans la liberté égalitaire de la démocratie (V, 58).
  • [34]
    Thucydide, II, 38-40.
  • [35]
    Voir P. Vidal-Naquet e N. Loraux, La formation de l’Athènes bourgeoise, in La démocratie grecque vue d’ailleurs, Paris, 1990.
  • [36]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 414.
  • [37]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 630.
  • [38]
    Ibidem, p. 631.
  • [39]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 415.
  • [40]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 633.
  • [41]
    Ibidem, p. 634. Celle-ci est aussi dénoncée par Platon dans le livre VIII de la République, mais comme perte d’une pureté originaire, et non pas en tant que conséquence nécessaire d’un principe borné.
  • [42]
    Ibidem, p. 630.
  • [43]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l'histoire, op. cit., p. 414.
  • [44]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 632.
  • [45]
    Ibidem, p. 629.
  • [46]
    G.W.F. Hegel, La philosophie de l’histoire, op. cit., p. 413.
  • [47]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, op. cit., p. 629.
  • [48]
    Voir E. Lévy, Sparte. Histoire politique et sociale jusqu’à la conquête romaine, Ėditions du Seuil, Paris 2003.
  • [49]
    On peut citer à ce propos le passage de l’Odyssée (XVII, 320 ss.), dans lequel le poète illustre la dégradation qui se produit à partir du moment où l’individu est réduit en esclavage : « Quand les maîtres n’exercent pas la même dureté, les esclaves ne veulent pas travailler comme ils le devraient. Zeus ôte en effet à l’homme la moitié de son arete (de sa vertu, de sa valeur) quand arrive pour lui le jour de l’esclavage. »
  • [50]
    G.W.F. Hegel, Introduction à la philosophie de l’histoire, op. cit., p. 60.
  • [51]
    Voir à ce propos J. Taminiaux, Naissance de la philosophie hégélienne de l’État. Commentaire et traduction de la Realphilosophie d’Iéna (1805-1806), Payot, Paris 1984, p. 57 ss.
  • [52]
    Je me réfère au titre de l’ouvrage de J. Taminiaux, La nostalgie de la Grèce à l’aube de l’idéalisme allemand : Kant et les Grecs dans l’itinéraire de Schiller, de Holderlin et de Hegel, M. Nijhoff, La Haye, 1967.
  • [53]
    G.W.F. Hegel, Philosophie der Weltgeschichte, cit., p. 528.
  • [54]
    Je me permets de renvoyer à F. Li Vigni, Protagora e l’arte della politica, La Scuola di Pitagora Editrice, Napoli, 2010.
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