1Au Québec, on assiste depuis les années 1990 à une déprofessionnalisation du travail social. En effet, les réformes axées sur la nouvelle gestion publique ont réduit de manière significative l’autonomie et le jugement professionnel des travailleurs·euses sociauxales.
2Les nombreuses réformes opérées dans le réseau de la santé et des services sociaux depuis les vingt dernières années se sont réalisées dans le sillon de la Nouvelle gestion publique (NGP). Elles ont contribué à transformer la pratique d’intervention sociale individuelle dans les Centres locaux des services communautaires (CLSC). L’adoption du projet de loi 25 (Loi sur les agences de développement de réseaux locaux de services de santé et de services sociaux), et sa mise en œuvre en 2004 par la création des Centres de santé et de services sociaux (CSSS), a mis fin à l’autonomie des CLSC et renforcé la domination du champ social par celui de la santé (Larivière, sous presse). En 2015, avec le projet de loi 10, loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux – notamment par l’abolition des agences régionales – on assiste à un encadrement accru des établissements (Larivière, sous presse) et des intervenants (Grenier et Bourque, 2016 ; Bourque et Grenier, 2016). Le projet de loi 10 marque une transformation majeure du réseau public par la création d’un nombre réduit de mégaétablissements, en fusionnant ceux-ci par territoire en Centres intégrés de services de santé et de services sociaux (CISSS) : « La réforme de 2015 a entre autres mené à une plus grande centralisation des établissements avec la création de treize centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et de neuf centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS). » (Lemieux, 2018 : 47.)
3Cet article traite principalement des enjeux et des prospectives au regard du domaine du travail social. Dans la première partie, il vise principalement à discuter de la professionnalisation du travail social ; la seconde partie questionne les enjeux actuels liés à la déprofessionnalisation du travail social ; enfin, face à ces enjeux, sont abordés les défis à relever pour les acteurs et actants du travail social.
1. Professionnalisation et déprofessionnalisation : enjeux actuels pour le travail social
4Selon Albéa (2013), les notions de professionnalisation et de déprofessionnalisation s’inscrivent dans un rapport direct avec l’institution. Ainsi, pour lui, la professionnalisation « par le haut » ou « par le bas » est un processus toujours plus ou moins achevé, en construction, en tension avec les logiques institutionnelles qui prévalent. La professionnalisation des métiers découle des exigences de qualification ; la formation est donc au cœur de la qualification, de l’approfondissement et du renouvellement des savoirs.
5Selon Maubant et Roger (2013, p. 90), traiter de la déprofessionnalisation demande de discuter de la professionnalisation de l’activité professionnelle. Ils soulignent que les recherches se rapportant à la professionnalisation utilisent bien souvent « les théories d’analyse de l’activité du travail et les modèles de formation et/ou d’apprentissage ». Ces recherches se rapportant à la professionnalisation traitent, comme le mentionnent les auteurs :
« […] [des] contraintes ou obstacles à la mise en œuvre d’une visée de professionnalisation d’une politique ou d’un dispositif, en évoquant tout à la fois des effets ou des impacts négatifs sur les organisations et sur les travailleurs, mais aussi en révélant explicitement des indicateurs ou des formes de souffrances au travail ou de précarité dans les emplois et des difficultés dans l’exercice de l’activité du travail. […] La professionnalisation du travail concerne aussi le travailleur, non plus seulement son activité, mais davantage sa fonction, sa place dans l’organisation ou dans le collectif de travail, son identité sociale et professionnelle »
7Ainsi, discuter de professionnalisation exige d’interroger les enjeux de la profession : contraintes, obstacles, difficultés, tensions, indicateurs de souffrance liés à la profession, avenues permettant d’ouvrir sur la déprofessionnalisation. Or, depuis quelques années, on retrouve dans la littérature de nombreux éléments se rapportant à la déprofessionnalisation du travail social.
2. La déprofessionnalisation du travail social
8Tel que mentionné plus haut, depuis la fin des années 1980, de nombreuses réformes ont été mises en place dans le réseau de la Santé et des Services sociaux, se rapprochant toujours un peu plus des valeurs fondamentales de la Nouvelle gestion publique. On assiste dans les institutions publiques à une métamorphose du système des valeurs et des objectifs (Kertudo et Vanoni, 2014) ; comme le rapportent ces derniers, les décideurs politiques se sont rapprochés des institutions sociales, soulevant du même coup la question de la légitimité des professionnels en travail social par « la pénétration dans le champ de l’intervention sociale des logiques institutionnelles, au détriment des logiques professionnelles » (p. 13). Parallèlement, on assiste à l’implantation de nouvelles méthodes de gestion dans les institutions, soit « des logiques d’entreprise mettant l’accent sur les objectifs propres de l’institution et sur l’inscription des agents dans ceux-ci, leur ôtant toute autonomie dans la définition des actions. [… avec un risque] d’appauvrissement de leurs tâches désormais plus circonscrites / restreintes, mais aussi de remise en question de la légitimité de leur action » (p. 13). Apparaît ici un « glissement des pratiques », au profit de l’institution et au détriment des professionnels – instrumentalisés – et des publics – fragilisés et précaires ; « L’écoute devient secondaire, et le projet soumis aux lois des dispositifs et de la rationalité gestionnaire de ces derniers » (p. 16). Les réformes ont donc eu des effets directs sur les pratiques de travail social et sur l’autonomie des intervenant·e·s.
9La littérature scientifique fait largement état – et ce dans plusieurs pays – des impacts des réformes sur les intervenant·e·s en travail social ; « perte de sens » du travail, souffrance éthique, psychique, morale, épuisement professionnel chez les intervenant·e·s du champ du social et de la santé ont été documentés (Gonin, Grenier et Lapierre, 2012 ; Grenier, Bourque et St-Amour, 2015). Gonin, Grenier et Lapierre (2012) rapportent un malaise généralisé chez les intervenant·e·s sociaux·ales. Les professions du champ du social et de la santé sont en pleine crise identitaire – et plus particulièrement le travail social, en raison du contexte organisationnel (Albéa, 2013).
3. La perte de l’autonomie dans un contexte de pratique prudentielle
10La perte d’autonomie des professionnels est au cœur de cette tension avec l’univers institutionnel. Dans les années 1980, les institutions ont réaffirmé leur hégémonie en leur rappelant leur statut de salarié, mais cette emprise des institutions s’est aussi exercée sur les professionnels de la santé libéraux œuvrant dans des cadres institutionnalisés. La volonté d’autonomie des professionnels sera de plus en plus contestée par les employeurs, qui exigent qu’ils se conforment aux normes et principes inscrits dans les statuts de l’institution. Le but étant, entre autres, de « renforcer la redevabilité de leurs activités » (Barrier, 2011), et donc d’induire une responsabilité (de laquelle ils doivent rendre compte) face aux objectifs ciblés par l’institution. L’objectif étant de surcroît de contrôler les coûts, les objectifs et la qualité des activités. Une visée d’efficience est donc recherchée.
11Aujourd’hui encore, les pratiques de travail social dans les services publics sont fortement encadrées par les standards et les règles de performance et d’efficience, et par les contrôles de la Nouvelle gestion publique (Grenier et Bourgeault, 2016). Ces standards et ces règles s’inscrivent dans une logique comptable exigeant – tel que mentionné plus haut – une imputabilité et une reddition des comptes détaillées, limitant l’autonomie des professionnels. La récente recherche de Bourque et al. arrive également à cette conclusion sur la perte d’autonomie (Grenier, Bourque et St-Amour, 2016).
12L’autonomie au travail s’est donc transformée avec le contexte organisationnel. Selon Parazelli et Ruelland (2018), elle peut être vue comme « un acte de résistance (d’appropriation et d’affirmation de soi) contre l’ordre de l’organisation, soit contre la prise en charge des salariés, à titre individuel et collectif, des défaillances de l’organisation formelle, soit comme les deux à la fois » (p. 84). Selon ces mêmes auteurs, l’autonomie s’inscrirait dans deux dimensions principales : la capacité d’agir indépendamment des règles imposées par l’organisation, et la capacité de réaliser des actions efficaces au regard des finalités visées.
13Aujourd’hui, avec l’emprise qu’exercent les organisations sur le travail des intervenant·e·s, l’autonomie se définirait davantage comme « la capacité d’agir efficacement pour le fonctionnement de l’organisation » (p. 85). On réfère donc à une « autonomie enjointe des normes d’efficacité ». De fait, les intervenant·e·s jouiraient d’une plus grande autonomie au travail lorsque les objectifs seraient atteints et, a contrario, verraient leur autonomie réduite par des « épreuves de contrôle » personnelles (Pararazelli et Ruelland, 2018, p. 85). L’atteinte de l’efficacité reposerait sur l’autonomie, les capacités des personnes et non plus sur les forces collectives de l’équipe. D’ailleurs, les modèles de gestion plus collective et participative auraient fait place à un modèle où l’autonomie des personnes est centrale (Pararazelli et Ruelland, 2018) : une autonomie synonyme d’imputabilité et de responsabilité. La valeur de solidarité du collectif qui s’inscrivait dans une logique de collaboration aurait fait place à une « logique instrumentale d’efficacité des services » (p. 86). Les logiques « d’organisation bureaucratique fondée sur un contrôle managérial » (e.g. Kornhauser, 1962 ; Scott, 1965, cité par Barrier, p.2) s’inscrivent en tension avec la logique professionnelle. Les professionnels y voient une perte de contrôle sur leurs activités, mais plus encore sur leur autonomie (Grenier, Bourque et St-Amour, 2016). Cette perte d’autonomie est l’une des sources de la souffrance vécue au travail : des formes de contrôle et de surveillance du travail peuvent y conduire à du harcèlement moral (Supiot, 2015), et dès lors à une souffrance morale.
14Le travail social exige une autonomie, une marge réflexive et une liberté d’action pour agir avec prudence, car il requiert une pratique prudentielle, une « approche prudentielle » (Champy, 2011, p. 148) où la prudence est de mise pour « opérer avec discernement des choix d’activités portant sur les fins de l’activité » (Champy, 2011, p. 146). Souvent, les professionnels n’ont pas l’autonomie de décision et de réflexion nécessaire pour agir et exercer leur jugement avec toute la liberté requise au regard des critères d’efficacité. La mince marge de manœuvre dont ils disposent constitue un enjeu majeur pour la qualité des services destinés aux personnes aidées (Champy, 2011).
15Par ailleurs, dans le contexte de la performance attendue – tel que rapporté plus haut – comment, comme le questionne Champy (2017), peut-on toujours être à la fois plus performant et attentif à la complexité des situations ? C’est tout l’aspect du bien-fondé de la décision prise dans le travail professionnel qui est ici en question (Champy, 2011). Ainsi apparaissent des pratiques contraires aux critères de qualité attendus, voire à une éthique professionnelle (Bourque, 2017).
16Aussi est-il intéressant de souligner un commentaire d’Aballéa (2013, p. 20) mentionnant que « […] ce retour de l’institution se manifeste partout par des changements managériaux et organisationnels analogues. Les objectifs sont reprécisés et définis à court terme. Les contrôles, souvent intégrés dans les outils, les logiciels par exemple, se développent. » Or, au-delà des statistiques qui permettent de suivre le rendement des intervenant·e·s et leur mise en concurrence à partir de leurs performances, un outil de cheminement clinique informatisé (OCCI) a été récemment implanté comme un outil d’aide à la décision pour les intervenant·e·s sociaux·ales. Le ministère de la Santé et des Services sociaux le présente comme une démarche « pour une réponse individualisée aux besoins de la personne et de sa famille, basée sur les processus cliniques et sur des données probantes » (voir http://www.msss.gouv.qc.ca/professionnels/documents/forum-usagers-chsld-sad/15-OCCI.pdf).
4. Intelligence artificielle et intervention sociale
17Le ministère précité a mis en place ce nouveau logiciel utilisé lors des évaluations à domicile, mais qui ne fait pas l’unanimité dans un contexte de relation d’aide. L’Outil de cheminement clinique informatisé (OCCI) crée en effet un malaise chez plusieurs intervenant·e·s. Le formulaire, qui compte une cinquantaine de pages comprenant différents types de questions, nécessiterait pour le compléter entre deux à six heures, selon le profil de la personne évaluée. Le malaise ressenti par les professionnels découlerait donc principalement de la lourdeur de ce questionnaire utilisé pour une clientèle hétérogène. Le processus et les modalités à respecter pour compléter le formulaire ne permettraient pas, selon les intervenant·e·s, de faire une véritable évaluation clinique impliquant une écoute attentive, comme le requiert la relation d’aide. Par ailleurs, le logiciel générerait des recommandations à partir des données brutes introduites dans le formulaire, « l’objectif étant d’aider les intervenant·e·s à cerner des besoins qui auraient pu leur échapper » (Touchette, 2018). Or, à partir d’un sondage réalisé par l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) sur l’usage de ce logiciel, la moitié des répondant·e·s a affirmé ne pas être en accord avec la synthèse produite, et a relevé que l’algorithme produisait des erreurs en identifiant des problèmes alors qu’il n’y en avait pas.
18Ces deux exemples soulèvent des enjeux majeurs quant au jugement clinique des travailleurs sociaux. Comme le mentionne Angelo Soares, ce logiciel, utilisé et « présenté comme un outil d’aide à la décision, risque de mener à une simplification et à un appauvrissement des évaluations qui reposent sur des compétences émotionnelles et sociales qui échappent à l’algorithme. » (Touchette, 2018). Du côté du ministère, on défend l’usage de ce logiciel en mentionnant que la synthèse des facteurs de risque qu’il produit est un outil d’aide à la décision qui permet d’appuyer le jugement clinique. L’intervenant·e est à même, selon le ministère, de retirer certains éléments de la synthèse selon les besoins et problèmes identifiés chez la personne usagère. Pour les intervenant·e·s, ce temps passé avec un tel logiciel à évaluer et rectifier le contenu constituerait un surplus de lourdeur administrative, déjà trop présente. Ce type d’outil sert normalement à améliorer l’efficience et à guider la décision dans les actions à poser, alors qu’ici, on cherche surtout à normaliser, à baliser et à standardiser les pratiques ; il devient donc objet de contrôle.
19Son usage constitue une dérive et un ancrage de plus vers la NGP. L’évaluation ne relève pas d’un acte mécanique mais bien de la sagesse pratique, de la sensibilité et de l’intelligence relationnelle et émotionnelle de l’intervenant·e, de sa connaissance et de sa compréhension du contexte et des enjeux humains. Ces éléments sont mis en acte durant tout le processus d’évaluation. Comme le mentionne Champy (2017, p. 153) : « La sagesse pratique s’oppose notamment à toute application mécanique de règles trop abstraites (c’est-à-dire qui n’ont pas été pensées assez précisément par référence aux cas ou situations auxquels elles doivent s’appliquer), de procédures formalisées, de savoirs scientifiques ou de routines. Elle requiert donc notamment une attention particulière aux caractéristiques concrètes de ces cas ou situations, en sorte de saisir la complexité et la singularité. »
5. Prospectives en termes de défis pour l’avenir pour le travail social et les métiers du social
20Les intervenant·e·s font face à un contexte où la reddition de compte s’alourdit, avec une demande de productivité dans un travail complexe (Grenier et Chénard, 2013) où la réflexivité, la sagesse pratique – l’approche prudentielle – sont requises. Les défis sont nombreux : les unités de formation en travail social doivent former des intervenant·e·s solides sur les plans théorique, pratique, méthodologique et éthique pour faire face aux enjeux organisationnels, et les acteurs de terrain doivent se réapproprier leur pratique, comme le mentionne Bourgeault (2019). Pour eux, la sagesse pratique équivaut, pour être en bonne intelligence avec les valeurs du travail social et répondre aux devoirs et obligations de la profession, à « réclamer des conditions de travail respectueuses de leurs devoirs professionnels et de leur autonomie professionnelle » (Richard, 2013, p. 129). Cela, sachant justement qu’il y a obligation pour l’employeur de s’assurer que le·la travailleur·euse social·e puisse respecter son code de déontologie dans l’exercice de ses fonctions pour la protection du public (Bégin, 2017 ; Richard, 2013).
21Or cet aspect constitue toujours un enjeu de taille. Champy (2011, p. 160-162) soulève une question fort intéressante : « Comment rendre compte du fait que certaines professions, dont l’objet se prête à une approche prudentielle, sont effectivement parvenues à conquérir un statut leur fournissant des protections, et d’autres non ? […] Pourquoi certains métiers dont l’activité est propice à une conduite prudentielle n’ont-ils pas su construire les conditions de leur autonomie ? » L’autonomie, en ce qui concerne le travail social, est limitée par la mission et les conditions d’exercice au sein des établissements. Les intervenant·e·s sont soumis à des règles bureaucratiques et au contrôle hiérarchique au sein même de ces établissements chargés d’appliquer des politiques sociales dans un cadre administratif (Champy, 2011). Mais cela ne veut pas dire que les intervenant·e·s, devant les impératifs rencontrés, n’ont pas développé de nouveaux espaces d’action pour la défense de leur autonomie (Barrier, 2019) et de nouvelles formes de solidarité au travail.
Conclusion
22Si la professionnalisation du travail social est directement liée à l’État providence, la déprofessionnalisation quant à elle peut être associée à la transformation de l’ensemble de la protection sociale (Chauvière, 2018). Les réformes du réseau de la santé et des services sociaux ont transformé les pratiques de travail social. Ces transformations ont eu des incidences directes sur les professionnels et les personnes usagères. On assiste, depuis plusieurs années déjà, à une déprofessionnalisation du travail social se rapportant principalement à la perte d’autonomie des professionnels, encadrés par des méthodes de gestion de plus en plus coercitives et par la mise en place d’outils informatiques que l’on croit capables de remplacer le jugement clinique humain. Dans un tel contexte, la reconnaissance et l’identité du travail social sont mises à mal, conduisant à de nombreuses insatisfactions et mal-être au travail. Les taux élevés de l’absentéisme et du départ des professionnels constituent des indices d’un grand malaise dans le milieu de la santé et des services sociaux. Par ailleurs, selon Champy (2011), ce serait la méconnaissance de la nature du travail prudentiel qui l’a rendu vulnérable, entre autres par les exigences de productivité émanant du management public et de l’État. L’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ) doit montrer la vraie nature du travail social et démontrer la nécessité d’une autonomie de réflexion et d’action.
23Par ailleurs, l’évaluation de l’intervention professionnelle par le biais de statistiques n’a aucune pertinence pour bien évaluer le travail ; cela est bien connu, alors pour quelle raison poursuivre dans cette direction ? Le contrôle pervertit l’action et sa finalité ; « […] dès qu’une action est soumise à un contrôle, le but profond de celui qui agit n’est plus l’action même, mais il conçoit d’abord la prévision du contrôle, la mise en échec des moyens de contrôle. » (Paul Valéry, 1955, cité par Supiot, 2015, p. 260.) Le témoignage d’une intervenante parle de lui-même : « Certains [clients] ont envie de me parler de choses du quotidien, même si je sais que ça va établir un lien de confiance pour les prochaines rencontres, je n’ai pas le temps… les familles ont l’impression de me déranger. Ils s’assoient en me disant : est-ce qu’on prend de ton temps… (R4) » (Grenier, Bourque, St-Amour, 2016, p. 15.) Cette situation représente une « atteinte à la professionnalité des travailleurs sociaux » (Kertudo et Vanoni, 2104, p. 15), qui se retrouvent en tension entre le temps nécessaire pour accomplir un travail moralement acceptable et la norme gestionnaire. La gouvernance par les nombres, comme le démontre Supiot (2015), conduit à la dépossession de soi, des organisations et des peuples.
Bibliographie
Bibliographie
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