Notes
- (1)Cf. pour une illustration : Vanneste (2017).
- (2)Georg Simmel (2013) a déjà montré au début du XXe siècle que la mode témoignait de deux processus : imitation et différenciation.
- (3)Joanne Jojczyk associe ces trois éléments pour étudier un processus participatif dans le cadre de Mons, Capitale européenne de la culture en 2015. Son évocation de la « bougie » qui accompagne les visiteurs lors de leur sortie d’une festivité permet de comprendre le résultat de la tension entre ces dimensions, qui se conjuguent pour créer une norme nécessaire, endogène, portant à l’explicite, mais aussi matérialisée et esthétique.
- (4)Le texte de Fannie Valois-Nadeau évoque clairement ce type de démarche dans le cas des festivités pour les 375 ans de Montréal : « Ces initiatives ont affecté le rôle et la place que souhaite jouer la Ville de Montréal en matière de développement culturel. À travers les discours de ses élus et ses politiques, la Ville se présente comme n’étant plus l’unique instance qui organise et qui initie les projets culturels, mais plutôt comme étant celle qui réunit, encourage et fédère les projets citoyens ».
- (5)Pour un développement de ce thème, cf. Scieur, Vanneste, 2015.
- (6)L’exemple du travail artistique à l’hôpital et des périmètres négociés des compétences entre les professionnels de la santé et les artistes est révélateur de cette mise à l’épreuve des identités professionnelles (cf. l’article de Chloé Langeard, Françoise Liot, Sarah Montero).
- (7)Le dispositif de médiation qu’évoque Chloé Colpé autour de la figure de Wajdi Mouawad aborde cette posture qui focalise l’action moins sur le dépositaire attendu des connaissances, que sur sa capacité à mettre en œuvre les conditions favorables d’échange et d’expérience entre le savoir et l’(es) apprenant(s).
- (8)D’autres figures de l’artiste sont déclinées au travers des mondes de l’art (Becker, 2006).
- (9)Pour une analyse de cette figure, cf. Scieur, Vanneste, 2014.
- (10)Vanneste et Scieur (2013) ont proposé une analyse détaillée des figures de médiation organisationnelle et professionnelle dans les centres culturels belges francophones.
- (11)Celui qui participe à plusieurs systèmes et réseaux d’action en relation et connexion (cf. Crozier, Friedberg, 1977, pour une définition du « marginal sécant »).
- (12)Agnès d’Arripe, Cédric Routier et Damien Vanneste montrent comment les objets « musique et chansons populaires » contribuent à créer du lien commun pour des personnes en situation de handicap, lien qui repose sur une tension dialogique entre singularité et identité collective.
- (13)Alix Didier Sarrouy montre que cette liberté n’est pas absolue et s’inscrit souvent dans un rapport que les jeunes musiciens vénézuéliens entretiennent avec la rue, lieu de jeux et de plaisirs mais aussi de jugements, de craintes et d’incertitudes.
- (14)
1Aujourd’hui, dans une société médiatique mondialisée, basée sur les échanges et la communication directe, les formes territorialisées du vivre ensemble (États, régions, villes…) fonctionnent de manière à la fois singulière et partagée. Par exemple, dans nombre de pays européens, depuis quelques années, la ville (ou l’entité communale) redevient un enjeu majeur pour les décideurs politiques, les acteurs du monde socioéconomique et culturel, et pour les citoyens. Elle représente une unité territoriale qui fait sens, celui de la proximité et de la capacité d’action rapide et visible ; et celui d’une certaine certitude, au regard d’un monde global, distant, non perceptible physiquement mais manifeste médiatiquement, fluctuant et incertain mais agissant au quotidien. Terrain d’action, la ville se pose vis-à-vis de cette globalisation comme un régulateur de ses effets mais aussi comme un acteur de son développement. Ainsi, la cité figure cette tension dialogique entre le local et la global, la proximité et la distance, l’endogène et l’exogène. Cette situation, décrite notamment par de nombreux travaux en sociologie (1), implique de reconsidérer, d’une part la définition d’une politique culturelle et d’autre part, subséquemment, les formes de médiation culturelle et artistique mises en œuvre au cœur des territoires.
1. La transformation des politiques culturelles : de la gouvernance
2L’évolution des politiques culturelles se révèle par l’émergence d’un indicateur conceptuel : la gouvernance. Cette notion, envisagée dès le XIIIe siècle comme un synonyme de gouvernement (Casteigts, 2004), acquiert dans les années 1990 un nouveau statut épistémique – celui d’un concept aux multiples dimensions constitutives, qui permet d’analyser et de comprendre les configurations organisationnelles et décisionnelles en acte dans les entités gestionnaires des espaces de vie (la commune, la ville, la région…). Mais outre cette perspective scientifique, la gouvernance devient aussi un vocable – et un leitmotiv – qui rend compte d’une volonté des parties prenantes (autorités, acteurs socioéconomiques et culturels, citoyens) de penser et d’agir la ville autrement. Bagnasco et Le Galès (1997 : 38) la définiront comme « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions, pour atteindre des buts discutés collectivement dans des environnements fragmentés et incertains ». La gouvernance favorise ainsi un sens commun et partagé autour de l’idée de modernisation, d’innovation, de réforme, etc. – même si elle se traduit concrètement par des réalités spécifiques à chaque ville et qu’elle peut aussi relever de seuls effets de communication à des fins de conformité et de mode (2).
3On peut relever beaucoup de dimensions constitutives du concept de gouvernance ; ce n’est pas l’objet de cette contribution. Nous allons en examiner trois : la complexité, le politique et les finalités des systèmes d’action, qui nous paraissent opportunes au regard de la thématique du numéro de cette revue. La gouvernance témoigne de la complexité ; Morin (2005) conçoit cette dernière comme la mise en lien essentiellement de trois éléments : ordre, désordre et organisation (3). Dans le contexte qui nous occupe ici, cette triade, bien qu’elle avance comme principe l’interdépendance des acteurs dans un système construit, pourrait ne pas suffire, sur un plan explicatif, si le politique est envisagé seulement dans son modèle de fonctionnement représentatif et directif. Ce dernier, classique, continue certes à perdurer, mais trois autres modalités politiques d’action culturelle existent : la démarche participative (la codécision relative ou absolue par les décideurs élus et les citoyens) ; la démarche médiatrice (4) (le politique fédère les projets citoyens, les encourage, voire les soutient matériellement) ; et la démarche privée d’initiatives artistiques et culturelles (qui se situe en dehors d’un cadre soutenu par les pouvoirs publics). Ainsi, pour saisir de manière compréhensive les politiques culturelles des territoires, il convient d’envisager ces quatre systèmes d’action interdépendants et interagissant. Il importe aussi de s’interroger sur leurs finalités – multiples et diversifiées – qui peuvent se décliner en objectifs artistiques, culturels, mémoriels, de développement économique, de marketing urbain, etc., en se situant sans exclusive sur l’ensemble des échelles temporelles : passé, présent et avenir.
2. La transformation des médiations culturelles : des dispositifs
4Les nouvelles orientations de la gouvernance territoriale amènent donc à envisager la médiation culturelle dans sa complexité, au travers de ses finalités et des politiques menées. Dès lors, nous définissons la médiation culturelle (5) comme un dispositif complexe multidimensionnel (institutionnel, organisationnel, collectif et subjectif) de mises en relation d’objets et d’actes artistiques et culturels avec des personnes, visant à rencontrer les finalités multiples inhérentes à ces dimensions. À nouveau, en fonction des contributions de cette publication, nous examinons plus en détail les dimensions de médiations culturelles évoquées.
5Le dispositif institutionnel relève généralement des politiques publiques, et donc des modes de gouvernance évoqués dans la première section de cet article. Il s’inscrit dans la tension dialogique de leurs finalités, en termes de démocratisation de la culture (la mise à la disposition de tous de l’art et de la culture) et de démocratie culturelle (le soutien à l’expression artistique et culturelle de tous, particulièrement aux personnes hors des lieux institués et hors du marché). Le dispositif d’action organisationnelle témoigne de configurations structurelles et relationnelles spécifiques qui font finalement de chaque projet culturel une expérience originale. Cette originalité n’est pas neutre. En amont du dispositif, il y a des décisions d’individus et d’organes disposant souvent d’une réelle marge de manœuvre sur les modalités d’actions. En aval, le projet peut reconfigurer les périmètres de fonctions des différents acteurs concernés et en connexion, tout en questionnant ou mettant à l’épreuve leurs identités professionnelles (6). Ainsi, c’est la forme d’expertise du médiateur et ses figures – non mutuellement exclusives, mais aussi potentiellement conflictuelles – qui sont discutées : le connaissant et la figure du savoir institué ; le médiatique et la figure emblématique du monde de l’opinion (Boltanski et Thévenot, 1991) ; le « maître ignorant », pour reprendre l’expression de Jacques Rancière (1987) (7), et la figure du pédagogue constructiviste et émancipateur ; l’artiste et la figure du professionnel de la création (8) ; le militant et la figure de l’intervenant social (9) ; le politique et la figure du fédérateur ; le programmateur et la figure du sélectionneur-diffuseur ; le coordinateur de projet et la figure réticulaire (10) ; le gestionnaire médiatique et la figure technologique ; ou encore le communicateur et la figure du marginal sécant (11).
6Les dimensions collectives et subjectives sont intimement liées, tout en étant distinctes. La différence tient principalement à la spécificité subjective de chaque individu, par ce qu’il sait, ce qu’il est, et ce qu’il perçoit et ressent. La médiation consiste ici en une relation – organisée ou spontanée – entre un objet ou un acte artistique ou culturel, et une ou plusieurs personne(s). Cette relation implique donc trois conséquences théoriques : 1) il y a un échange et une interaction qui portent sur l’apprentissage de connaissances et le partage de sensible ; 2) l’objet et l’acte artistique ou culturel ne prennent sens que dans leurs interactions avec des personnes ; 3) l’objet et l’acte artistique ou culturel proposent par principe une signification plurielle, et ils disposent d’une capacité relationnelle intrinsèque et latente (Fevry, 2015). La médiation opère comme un révélateur, sans pour autant produire un seul et même effet, étant donné la diversité et la singularité des destinataires. Autrement dit, l’interaction construit à la fois l’œuvre et le sujet, voire le groupe lorsqu’il y a collectivisation (échanges entre plusieurs personnes autour de l’œuvre) et/ou patrimonialisation (référence à – ou – création d’une communauté de sens) (12).
En guise de conclusion
7Ainsi, la médiation culturelle est constitutive de lien social, d’apprentissage et d’émancipation ; à condition, bien-sûr, qu’elle opère dans un contexte de démocratie et de liberté (13). Elle permet à chaque personne de se constituer en sujet agissant (14) par le jeu de la distanciation (objectivation) et de l’engagement (implication émotionnelle) ; ceux-ci concernant, selon Elias (1993), toute relation de connaissance (de soi, des autres, de sens, scientifiques…) entre un phénomène et un individu socialisé, inscrit dans une temporalité et un territoire partagés avec d’autres.
Bibliographie
Bibliographie
- Bagnasco, A., & Le Galès P. (dir.) (1997). Villes en Europe. Paris : La Découverte.
- Becker, H. (2006). Les Mondes de l’art. Paris : Flammarion.
- Boltanski, L., & Thévenot L. (1991). De la justification. Les économies de la grandeur. Paris : Gallimard.
- Casteigts, M. (2004). La gouvernance urbaine entre science et idéologie. In R. Le Duff et J.-J. Rigal (dir.), Démocratie et management local. Paris : Dalloz, 143-157.
- Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système. Paris : Seuil.
- Elias, N. (1993). Engagement et distanciation. Paris : Fayard.
- Févry, S. (2015). Vers une approche relationnelle de la culture européenne. Le cas de Mons 2015 et des capitales européennes de la culture. In Lingue Culture Mediazioni – Languages Cultures Mediation (LCM Journal), Vol. 2, n° 2, 85-104.
- Morin, E. (2005). Introduction à la pensée complexe. Paris : Seuil.
- Rancière, J. (1987). Le Maître ignorant. Paris : Fayard.
- Simmel, G. (2013). Philosophie de la mode. Paris : Allia.
- Scieur, Ph., & Vanneste, D. (2014). L’intervention sociale : au cœur ou à distance de la médiation culturelle ? Le cas des centres culturels francophones belges. In G. Ferréol, B. Laffort, & A. Pagès (dir.), L’intervention sociale en débats. Nouveaux métiers, nouvelles compétences ? Bruxelles : EME Éditions – InterCommunications, 227-240.
- Scieur, Ph., & Vanneste, D. (2015). La médiation artistique et culturelle : cadrage théorique et approche sociologique. In Repères (Observatoire des Politiques culturelles), n° 6, mars, 5-30.
- Vanneste, D. (2017). Petites villes et démocratie. Les chemins de mise en œuvre de politiques urbaines en Wallonie. Louvain-la-Neuve : Presses universitaires de Louvain.
- Vanneste D., & Scieur Ph. (2013). Faire médiation culturelle – évolution et orientations des métiers de l’animation en centre culturels (Communauté française de Belgique). In Études (Observatoire des Politiques culturelles), n° 2, novembre, 6-99.
Notes
- (1)Cf. pour une illustration : Vanneste (2017).
- (2)Georg Simmel (2013) a déjà montré au début du XXe siècle que la mode témoignait de deux processus : imitation et différenciation.
- (3)Joanne Jojczyk associe ces trois éléments pour étudier un processus participatif dans le cadre de Mons, Capitale européenne de la culture en 2015. Son évocation de la « bougie » qui accompagne les visiteurs lors de leur sortie d’une festivité permet de comprendre le résultat de la tension entre ces dimensions, qui se conjuguent pour créer une norme nécessaire, endogène, portant à l’explicite, mais aussi matérialisée et esthétique.
- (4)Le texte de Fannie Valois-Nadeau évoque clairement ce type de démarche dans le cas des festivités pour les 375 ans de Montréal : « Ces initiatives ont affecté le rôle et la place que souhaite jouer la Ville de Montréal en matière de développement culturel. À travers les discours de ses élus et ses politiques, la Ville se présente comme n’étant plus l’unique instance qui organise et qui initie les projets culturels, mais plutôt comme étant celle qui réunit, encourage et fédère les projets citoyens ».
- (5)Pour un développement de ce thème, cf. Scieur, Vanneste, 2015.
- (6)L’exemple du travail artistique à l’hôpital et des périmètres négociés des compétences entre les professionnels de la santé et les artistes est révélateur de cette mise à l’épreuve des identités professionnelles (cf. l’article de Chloé Langeard, Françoise Liot, Sarah Montero).
- (7)Le dispositif de médiation qu’évoque Chloé Colpé autour de la figure de Wajdi Mouawad aborde cette posture qui focalise l’action moins sur le dépositaire attendu des connaissances, que sur sa capacité à mettre en œuvre les conditions favorables d’échange et d’expérience entre le savoir et l’(es) apprenant(s).
- (8)D’autres figures de l’artiste sont déclinées au travers des mondes de l’art (Becker, 2006).
- (9)Pour une analyse de cette figure, cf. Scieur, Vanneste, 2014.
- (10)Vanneste et Scieur (2013) ont proposé une analyse détaillée des figures de médiation organisationnelle et professionnelle dans les centres culturels belges francophones.
- (11)Celui qui participe à plusieurs systèmes et réseaux d’action en relation et connexion (cf. Crozier, Friedberg, 1977, pour une définition du « marginal sécant »).
- (12)Agnès d’Arripe, Cédric Routier et Damien Vanneste montrent comment les objets « musique et chansons populaires » contribuent à créer du lien commun pour des personnes en situation de handicap, lien qui repose sur une tension dialogique entre singularité et identité collective.
- (13)Alix Didier Sarrouy montre que cette liberté n’est pas absolue et s’inscrit souvent dans un rapport que les jeunes musiciens vénézuéliens entretiennent avec la rue, lieu de jeux et de plaisirs mais aussi de jugements, de craintes et d’incertitudes.
- (14)