La cohésion et la réussite du partenariat demeurent liées au développement d’une vision globale, partagée et commune de la situation de l’enfant. Or, quels sont la place et le pouvoir réel des parents dans un contexte où les visions divergent et où celle des professionnels prédomine ? Promouvoir le pouvoir des parents, lorsque ceux-ci sont parfois eux-mêmes en situation de grande vulnérabilité, pose des défis de taille. Le choix du référentiel pour l’analyse de la situation qui pose problème revêt toute son importance lorsqu’il s’agit d’orienter les services, ces décisions ayant un impact majeur sur le devenir des enfants et de leur famille. Nous nous intéressons ici aux pratiques de partenariat entourant les services rendus aux jeunes en difficultés multiples.
2Dans ce secteur, les professionnels du système sociosanitaire sont de plus en plus confrontés à des demandes complexes découlant d’une combinaison de facteurs : multiplicité de problématiques familiales et sociales, absence ou rareté d’un diagnostic, manque de ressources appropriées, ratés dans l’offre de services elle-même, inefficacité des collaborations entre les établissements interpellés, etc. L’intervention auprès de ces jeunes renvoie donc à la complexité des problématiques comme du partenariat et confronte à des impasses diverses – cliniques, administratives, partenariales (Lemay/Giguère/Marchand, 2008).
3Depuis 2003, des équipes d’intervention jeunesse (ÉIJ) sont implantées dans différentes régions du Québec (Larivière/Dagenais, 2005). Mandatées par le ministère de la Santé et des services sociaux du Québec, les ÉIJ sont des mécanismes formels de coordination et d’intégration des services. Elles assurent la liaison entre les partenaires afin de favoriser l’accès, la continuité et la complémentarité des services aux jeunes en difficultés multiples. Les coordonnateurs d’ÉIJ facilitent le processus de concertation entre les établissements, les intervenants, les jeunes, leurs parents et le réseau de soutien naturel et communautaire (Lemay et al., 2008).
4L’importance accordée à la place de l’usager dans ces processus est au cœur des politiques sociales et des discours dans tous les champs d’intervention, qu’il s’agisse de la santé, des services sociaux ou de l’éducation. L’article soulève une réflexion autour des questions suivantes. Comment les professionnels engagés dans des pratiques partenariales favorisent-ils la participation des parents aux décisions entourant l’évaluation, la planification et la mise en œuvre des nombreux services requis dans la situation de leur enfant en difficultés multiples ? Quels référentiels orientent leur action ? Quels en sont les impacts sur le statut des parents : sont-ils usagers ou partenaires ? Un récit de pratique partenariale illustre l’importance d’adopter une posture réflexive quant au choix de nos référentiels de pratique et à leurs conséquences sur la vie de ces jeunes.
1. Partenariat parents-intervenants : du discours à la réalité
5Dans le domaine de la santé ou des services sociaux, diverses législations québécoises, canadiennes ou européennes mettent en avant le principe de participation des personnes aux décisions qui les concernent. La pertinence de la relation “expert-client” est largement remise en question dans les pratiques sociales. Au Québec, en vertu de la loi sur les services de santé et les services sociaux (art.10), tout usager des services a le droit de participer à toute décision qui affecte son état de santé ou de bien-être, notamment à l’élaboration de son plan de services individualisé. Or, comment ces principes fondateurs s’incarnent-ils dans des contextes particuliers de pratique sociale auprès des parents de jeunes présentant des problèmes multiples ? En dépit d’un discours axé sur les aspects de participation, de mobilisation et de soutien à l’autonomie des parents, les résultats des recherches et les observations sur le terrain témoignent souvent d’une autre réalité. La transformation des rapports professionnels-parents est plus lente à se manifester dans la pratique; nombre d’écrits mettent en relief l’écart qui existe entre le discours et la pratique des professionnels (Lemay, 2007).
6Nolan, Orlando et Liptak (2007) s’intéressent à la coordination des services aux enfants dans le secteur de la santé. Leur étude révèle que les parents accordent beaucoup d’importance à la communication avec les professionnels et à leur propre implication dans les prises de décision concernant leur enfant. Or, dans le secteur de l’éducation, Larose, Terrisse, Bédard et Couturier (2006) constatent que l’intervention repose parfois sur des postulats tels que l’inadéquation des compétences parentales et le faible niveau de validité des savoirs de sens commun des parents ; une révision profonde du statut des savoirs respectifs des acteurs s’impose donc. Différents facteurs contextuels, interpersonnels ou individuels, structurent les interactions entre intervenants et parents. Ces facteurs ne constituent pas toujours un contexte favorable au développement du pouvoir d’agir des parents.
7Dans le secteur communautaire en Angleterre, des programmes offerts aux parents dessinent des avenues prometteuses pour l’établissement de partenariats. Garbers,Tunstill, Allnock et Akhurst (2006) identifient trois styles parentaux – autonome, facilitant, conditionnel – pour faire référence à la façon dont les parents utilisent les services offerts. Chacun des styles implique une approche différente auprès des parents : leur laisser l’initiative de recourir eux-mêmes aux services, encourager ou faciliter leur participation ou s’adapter dans l’intervention et dans l’offre de services. L’adaptation des services fournit une réponse adéquate aux besoins des familles. En effet, une flexibilité dans l’offre de services et la prise en compte de la situation singulière des parents nous paraissent des conditions nécessaires à l’établissement de partenariats avec eux.
2. L’empowerment : un référentiel pour orienter l’intervention en partenariat
8La littérature sur le concept d’empowerment est abondante. Essentiellement, il renvoie à un processus par lequel les personnes développent des conditions leur permettant d’agir par elles-mêmes et d’exercer un plus grand contrôle sur des dimensions qu’elles jugent importantes dans leur vie (Rappaport, 1987). Nous avons déjà proposé les phases d’un processus d’empowerment (individuel ou collectif) qui caractérise cette approche fondée sur une conception particulière de l’humain, des problèmes et du changement (Lemay, 2007). Ce processus est continu, variable, dynamique et circulaire; il s’ajuste aux personnes concernées par le changement (individus, familles, groupes, collectivités) et renvoie essentiellement à un double mouvement d’action et de conscientisation requis pour produire le changement. Il inclut généralement les dimensions suivantes : 1) une conscientisation des dimensions structurelles et individuelles en jeu au regard d’une réalité problématique pour les personnes concernées ; 2) une décision concernant l’action transformatrice à mener ; 3) le développement des conditions requises (ressources, habiletés) en vue de l’action ; 4) la réalisation d’actions conscientes pour contrer les conditions “incapacitantes” ; 5) l’évaluation de l’action centrée sur la conscientisation des résultats et des conditions de réalisation de l’action et 6) le développement d’une nouvelle conscience de soi en tant qu’individu ou groupe, laquelle propulse à nouveau vers l’action.
9Enfin, pour soutenir l’accompagnement des personnes ou des collectivités dans une démarche de développement de leur pouvoir d’agir (DPA), Le Bossé (2003) propose une approche en quatre axes : 1) l’adoption d’une unité d’analyse “acteur en contexte” qui considère simultanément les dimensions individuelles et structurelles du changement social ; 2) l’inclusion du point de vue des personnes concernées et la négociation de la définition du problème et des solutions; 3) la prise en compte du contexte particulier d’intervention et de la situation singulière des personnes et 4) l’introduction d’une “démarche d’action conscientisante” axée sur l’analyse des liens d’interdépendance entre les facteurs individuels et structurels en jeu dans une situation donnée.
3. Quand les intervenants changent de lunettes : un récit de pratique qui en dit long
10Dans le contexte de la pratique sociale des ÉIJ, le plan de service individualisé (PSI) constitue le levier clinique pour coconstruire une offre de services ajustée à la situation de l’enfant. Le PSI s’inscrit dans un esprit de collaboration et reconnaît l’apport nécessaire des différents acteurs concernés – enfant, parents, partenaires. Il suppose: 1) que l’on développe une vision globale des besoins de l’enfant et des conditions parentales, familiales ou environnementales qui en influencent la réponse; 2) que l’on définisse les besoins et les cibles d’action prioritaires ; 3) que l’on identifie les services et responsabilités respectives des acteurs ; 4) que l’on assure la coordination des services et 5) que l’on révise de façon continue la situation de l’enfant et des services (Lemay et collaborateurs, 2007).
11La cohésion et la réussite du partenariat demeurent liées au développement d’une vision globale, partagée et commune de la situation de l’enfant. Or, quelle est la place et quel est le pouvoir réel des parents dans un contexte où les visions divergent et où celles des professionnels prédominent ? L’exemple suivant illustre une telle situation de partenariat vécue dans le cadre d’une ÉIJ. Comme on le verra, l’analyse que les partenaires font de la situation module de façon significative les stratégies d’action mises en place. Un changement de référentiel aura un impact majeur sur le devenir de l’enfant et de sa famille.
La situation de AL, 7 ans
Suite à une impasse dans la prestation de services entourant la situation de AL, une travailleuse sociale du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) demande les services de l’ÉIJ. AL, 7 ans, est expulsé de l’école depuis 3 mois. Deux tentatives de réintégration scolaire ont échoué en raison de problèmes de comportement et de ses fugues répétées. La commission scolaire sollicite l’accès à des services de scolarisation au sein d’un centre de réadaptation qui héberge des jeunes en difficulté, mais ce dernier ne peut accéder à cette demande. L’enfant se retrouve donc assis “entre deux chaises”. Dans ce contexte d’inquiétude pour la sécurité et le développement de AL, un signalement est effectué et retenu par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). La mère de AL a deux enfants : AL, sept ans, et Ju, deux ans. Séparée du père, elle vit seule avec ses enfants. Elle habite un logement exigu où il n’y a qu’une chambre. AL dort avec elle et Mi dort dans un petit lit à côté. Son logement est sens dessus dessous. Elle semble désorganisée. La porte d’entrée, située dans un quartier à risque, ne présente aucune sécurité. Interpellé, le propriétaire n’aurait pas effectué les réparations nécessaires.
Avant la suspension scolaire de AL, la mère poursuivait des études de jour, pendant que AL allait à l’école et que Ju était à la garderie. Elle doit maintenant rester à la maison et a abandonné ses études. Pour survivre, elle travaille parfois la nuit et les enfants restent alors seuls. La voisine de palier en a été avisée et AL sait qu’il pourrait l’appeler. Enfin, la mère ne peut pas compter sur le soutien du père. Ce dernier ne peut pas être en contact direct avec ses enfants, sauf sous la supervision de la protection de la jeunesse. Outre la voisine, la mère n’a aucun soutien de son environnement familial ou social.
3. 1. Une première analyse : un verdict de placement
13En l’absence de la mère, les partenaires sont réunis afin de dénouer certaines impasses administratives ; ils s’inquiètent pour le développement de AL. La mère est jugée inapte à offrir un cadre sécurisant aux enfants et à prendre les bonnes décisions pour eux; les laisser seuls la nuit dans un logement non sécuritaire est inacceptable et dénote un manque de jugement. Selon les intervenants, AL est “contraint à jouer un rôle de parent” par rapport à sa sœur (qu’il doit protéger la nuit). On croit qu’il s’inquiète pour sa mère, ce qui expliquerait ses fugues scolaires. D’autres observations conduisent à une hypothèse de relation fusionnelle mère-enfant. L’analyse, essentiellement basée sur le développement des enfants et les capacités de la mère, oriente inévitablement l’offre de services vers un placement temporaire de AL afin de stabiliser l’enfant et d’organiser sa scolarisation. De plus, la mère devra s’inscrire à un programme de développement des compétences parentales.
14Lors d’une rencontre réunissant cette fois la mère et les intervenants, la mère se dit inquiète pour son fils et préoccupée surtout de son retour à l’école. L’intervenant du centre jeunesse signale l’importance de stabiliser et de scolariser AL, et, en ce sens, propose sa scolarisation, puis propose de recourir au placement. La mère, prise au dépourvu, est bouleversée; elle se lève et quitte la salle en pleurant. Une travailleuse sociale présente l’accompagne. La rencontre se termine avant que la mère ne revienne dans la salle. À son retour, la coordonnatrice ÉIJ lui transmet un message de la part de l’intervenant du centre jeunesse. Considérant l’émotion causée par la rencontre du matin et le temps restreint dont la mère dispose pour aller chercher son fils, l’intervenant lui offre de reporter la visite, supervisée par la protection de la jeunesse, de AL chez son père. La mère répond qu’elle ira tout de même, car elle sait que son fils tient à cette rencontre.
3. 2. Une deuxième analyse : et si on regardait autrement…
15Aux yeux de la coordonnatrice, la réaction de la mère en faveur de la visite de AL chez son père remet en question l’hypothèse de fusion. Elle interpelle une professionnelle clinique du centre jeunesse pour lui faire part de son observation et lui propose de regarder autrement la situation. Elles reprennent la discussion, jetant un regard nouveau sur la situation de la mère. Vue sous un autre angle, cette situation constitue un véritable cercle vicieux. La mère essaie de s’en sortir pour subvenir aux besoins de la famille; elle a besoin de gagner sa vie. Les études de jour qu’elle avait entreprises ne démontrent-elles pas sa volonté d’évoluer ? Or, son travail de nuit, son isolement social et l’incapacité de trouver une gardienne ou de la payer sont autant d’obstacles qui l’empêchent de procurer un cadre sécurisant à ses enfants. Elle est situation de survie. Certes, les enfants ont besoin d’être protégés et éduqués ; ils ne peuvent rester seuls la nuit et on doit mieux comprendre les raisons de la désorganisation actuelle de l’enfant. AL n’a pas à porter la responsabilité de sa petite sœur. Il doit reprendre une vie normale d’enfant et être scolarisé. Mais comment aider AL, sa mère, la famille?
16Cette nouvelle analyse globale partagée renvoie à la détresse socioéconomique de la mère et met en évidence l’impact des conditions de vie sur sa capacité à répondre adéquatement aux besoins des enfants. Considérant désormais les facteurs familiaux et environnementaux en jeu, les partenaires envisagent des services adaptés à la fois aux besoins de l’enfant et à la situation de précarité de la mère. La mère sera non seulement soutenue dans le développement de ses compétences parentales, mais également dans ses démarches personnelles, ses projets d’autonomie, ses difficultés socioéconomiques et sociales. Au terme du processus, les enfants n’ont pas été placés, mais AL a fréquenté, de jour, une famille d’accueil où une enseignante itinérante, engagée par la commission scolaire, lui donnait des cours. Par la suite, AL a pu être intégré dans une école spécialisée. Le soutien apporté à la mère et aux enfants a été possible grâce à la qualité du travail de l’intervenante du réseau du centre jeunesse et des partenaires.
3. 3. Quand adopter l’unité d’analyse “acteur en contexte” fait toute la différence
17Dans cette situation, l’adoption de l’unité d’analyse “acteur en contexte” modifie de façon importante la position des acteurs, les stratégies d’action et la conscientisation de l’action. La première lecture de la situation s’inscrivait dans ce que Vallerie et Le Bossé (2003, p.144) nomment « l’hypothèse de carences », laquelle consiste à attribuer les difficultés d’adaptation d’une personne à ses manques « comme si la dégradation de la situation des familles pouvait s’expliquer par la somme des carences de ses membres ». En conséquence, les services proposés avaient pour but de favoriser le développement des capacités parentales et de mettre sur pied les services requis pour le développement des enfants : par exemple, un placement et la recherche de scolarisation pour AL. L’effet pervers de cette analyse est de faire porter tout le poids de la responsabilité sur la mère, la stigmatisant et la mettant dans une position de victime.
18En seconde analyse, la lecture globale de la situation permet de voir les liens d’interdépendance entre trois systèmes : les besoins de développement et de sécurité de l’enfant, les capacités parentales ainsi que les facteurs familiaux et environnementaux qui affectent la réponse à ces besoins. Considérer l’impact de la précarité économique et socioculturelle de la mère comme des facteurs susceptibles d’affecter ses compétences parentales induit de nouvelles stratégies d’action et fait basculer l’orientation initiale. D’intervenants experts qui devaient persuader la mère du bien-fondé du placement, ils deviennent des accompagnateurs du changement. La mère est appelée à mieux définir ses difficultés et ses besoins et à examiner l’impact de ses problèmes sur le bien-être des enfants. L’offre de services vise désormais à l’aider à s’affranchir de ses difficultés (logement, études, gardienne, etc.) et à développer son autonomie tout en améliorant ses compétences parentales.
19A posteriori, on pourrait conclure que la prise en compte de “l’acteur en contexte” a marqué un tournant majeur dans la situation. La nouvelle lecture favorise l’adhésion et la mobilisation de la mère: elle se sent entendue dans sa réalité (individuelle et contextuelle) et comprise aussi dans ses besoins. La démarche prescriptive initiale se transforme en un processus de négociation quant aux solutions. Considérant les enjeux de l’enfant, de la mère et du contexte d’autorité qui caractérise l’intervention en protection de la jeunesse, certains aspects sont négociables (travail, études, revenus et moyens de soutien) alors que d’autres ne le sont pas (sécurité des enfants). En s’affranchissant de certaines contraintes structurelles, la mère est en mesure de retrouver sa dignité, tout en reprenant son rôle de protectrice.
4. Quelques défis pour la pratique partenariale
20Ce récit invite à adopter une posture réflexive et à questionner nos pratiques. Promouvoir le pouvoir des parents, lorsque ceux-ci sont parfois eux-mêmes en situation de grande vulnérabilité, pose des défis de taille. Le choix du référentiel pour l’analyse de la situation qui pose problème revêt toute son importance lorsqu’il s’agit d’orienter les services, ces décisions ayant un impact majeur sur le devenir des enfants et de leur famille.
21Adopter un référentiel axé sur le développement du pouvoir d’agir des parents confronte au défi de dépasser la centration unique sur les besoins des enfants et les capacités parentales pour considérer simultanément les contraintes familiales et environnementales en jeu. L’analyse de la situation ainsi que les solutions qui en émergent doivent être partagées et négociées avec eux. Coconstruire une offre de services requiert souplesse, créativité et collaboration continue afin qu’elle s’ajuste aux personnes et aux situations en constante évolution.
22À l’heure du partage des responsabilités entre chacun des acteurs impliqués, appelés à mobiliser leurs ressources pour atteindre une cible commune, il est fort légitime d’interpeller les parents.Tenus en premier lieu de répondre aux besoins de leur enfant, ils sont certes des acteurs de changement de premier ordre. Situés sur la ligne de front, ils doivent assumer au quotidien le suivi de leur enfant. Or, la multiplicité des partenaires en jeu se traduit aussi par des requêtes multiples : nombreux rendez-vous, participation à des activités de rééducation de l’enfant ou à des activités de développement parental, etc. Considérer les parents comme des “partenaires” et leur attribuer des responsabilités au même titre que les autres comporte le risque de créer une pression indue sur eux, de contribuer non intentionnellement à leur désengagement. Il est essentiel de reconnaître l’apport de leur savoir d’expérience, mais aussi de reconnaître que leur inclusion dans la famille installe un rapport de force différent de celui des partenaires de qui ils sont en droit de recevoir les services. Une réflexion critique sur le statut des parents s’impose. Les parents ont une position unique au sein de ce partenariat. À la fois acteurs en soutien à leur enfant et acteurs eux-mêmes en besoin de soutien, quel statut leur accorder : parents partenaires ou usagers des services ? Les réalités de partenariat sont complexes et supposent que l’on dépasse la dialectique des droits et des besoins des personnes accompagnées.
Conclusion
23Notre article visait à alimenter la réflexion autour des questions suivantes. Comment les professionnels engagés dans des pratiques partenariales intersectorielles favorisent-ils la participation des parents aux décisions entourant l’évaluation, la planification et la mise en œuvre des nombreux services requis dans la situation de leur enfant en difficultés multiples ? Quels référentiels orientent leur action et quels en sont les impacts sur le statut des parents : sont-ils usagers, collaborateurs, partenaires ? Le regard réflexif sur la pratique permet de confronter le discours dominant sur la participation des parents et de faire évoluer nos référentiels.
24Nos réflexions et nos efforts en recherche doivent se poursuivre afin d’enrichir nos connaissances et analyses des enjeux entourant le travail de partenariat avec les parents, afin aussi d’ajuster nos pratiques à des réalités complexes et de mieux cerner les conditions favorables et les obstacles aux pratiques promouvant le pouvoir et la participation de ces derniers. On ne peut faire l’économie d’une réflexion centrée sur la question du partenariat intervenants-parents et du pouvoir de ces derniers sur l’intervention qui les concerne; il est donc nécessaire de considérer le point de vue des parents eux-mêmes, premières personnes intéressées par l’intervention. Comment vivent-ils cette expérience? Ont-ils le sentiment d’avoir véritablement leur mot à dire et d’influencer le cours de l’intervention dans un contexte de pratique où ils doivent composer avec une multitude d’intervenants et d’organisations ?
25Deux projets de recherche en cours, dirigés par l’auteure, s’intéressent à ces questions. L’un a pour objet les pratiques partenariales et les pratiques de médiation intersectorielle des ÉIJ, et l’autre porte sur l’analyse des rapports de pouvoir entre intervenants et parents d’enfants en situation de négligence dans le champ de la protection de la jeunesse. Nous explorons les conditions relationnelles et structurelles requises pour l’implantation de pratiques axées sur le pouvoir des parents. Ces recherches qualitatives offrent en elles-mêmes l’opportunité de développer le pouvoir d’agir des parents, appelés à exercer, en toute confidentialité, leur pouvoir de dire et d’être entendus sur leur expérience de partenariat avec les intervenants, certains en contexte de pratique intersectorielle, d’autres, en contexte d’autorité.
Bibliographie
Bibliographie
- Garbers C., Tunstill J., Allnock D., Akhurst S., 2006, “Facilitating Access to Services for Children and Families : Lessons from sure start local programmes”, Child & Family Social Work, 11, 4, pp.287-296.
- Larivière C., Dagenais C., 2005, “Les équipes d’intervention jeunesse au Québec”, Les politiques sociales, n°3-4, pp.62-71.
- Larose F., Terrisse B., Bédard J., Couturier Y., 2006, “Les attentes des parents d’enfants d’âge préscolaire au regard des attitudes et des conduites éducatives des intervenants socio-éducatifs”, Enfances, Familles, Génération, 4, pp.1-17.
- Le Bossé Y., 2003, “De l’habilitation au pouvoir d’agir: Vers une appréhension plus circonscrite de la notion d’empowerment”, Nouvelles pratiques sociales, 16, 2, pp.30-51.
- Lemay L., 2007, “L’intervention en soutien à l’empowerment: du discours à la réalité. La question occultée du pouvoir entre acteurs au sein des pratiques d’aide”, Nouvelles pratiques sociales, 20, 1, pp. 165-180. Voir : http://www.erudit.org/revue/nps/2007/v20/n1/016983ar.pdf
- Lemay L., Giguère R., Marchand A., 2008, “La médiation partenariale en contexte intersectoriel : intervention sociale en émergence, codéveloppement professionnel et recherche”, Sociétés et jeunesses en difficulté, 6. Voir : http://sejed.revues.org/document4002.html
- Lemay et collaborateurs, 2007, Ensemble vers un même horizon : Manuel de référence pour la réalisation des Plans de services individualisés (PSI) et intersectoriels (PSII) à Laval-Volet jeunesse, Laval (Québec), Agence de la santé et de services sociaux de Laval. Voir : http://www.sssslaval.gouv.qc.ca/spip.php7article31
- Nolan W.K., Orlando M., Liptak S.G., 2007, “Care Coordination Services for Children with Special Health Care Needs: Are we family-centerer yet? ”, Families, Systems & Health, 25, 3, pp.293-306.
- Rappaport J., 1987, “Terms of empowerment / Examplars of Prevention: Toward a Theory for Community Psychology”, American Journal of Community Psychology, 15, 1, pp.121-148.
- Vallerie B., Le Bossé Y., 2003, “Le développement du pouvoir d’agir des personnes et des collectivités. Études appliquées à une situation de suppléance familiale”, Sauvegarde de l’enfance, 58, 4-5, pp.144-155.