Couverture de LPM_022

Article de revue

Questions d'identité

Pages 173 à 176

Notes

  • [1]
    Se référer également au texte de Michel Guérin paru dans le numéro 21 de La pensée de midi sur “L’identité de la France”.
  • [2]
    “Quelles Régions pour demain ?” La pensée de midi n? 21, Actes Sud, juin 2007.

1Le 12 juillet dernier, le Festival d’Avignon (Hortense Archambault), la Région Paca (Alain Hayot) et La pensée de midi (Thierry Fabre) ont organisé à Avignon une table ronde pour débattre d’un sujet sensible : “Questions d’identité. Cultures, territoires et créations”. La récente création, inédite et jusqu’alors inimaginable en France, d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale méritait qu’on lui prêtât attention. En Avignon, l’heure était à la réflexion, à l’échange de témoignages et d’expériences : la notion d’“identité” y était interrogée au regard de celles de “territoire” et de “création”. Un historien, Benjamin Stora, un philosophe, Michel Guérin, et un géographe, Jacques Lévy, ont débattu, avant que ne leur succèdent les témoignages de créateurs : les écrivains Mohamed Kacimi et François Cervantes (aussi metteur en scène), le compositeur et pianiste Zad Moultaka, la photographe, critique musicale et directrice artistique Catherine Peillon.

“Constamment se réfléchir”

2Bien entendu, il convenait tout d’abord de définir ce que l’on entend par “identité”. L’identité n’est pas une forme d’adhérence, explique Michel Guérin. Elle doit plutôt être appréhendée comme une notion dynamique et ouverte : “Créer au sein du moi une distance critique permanente.” Pourtant, remarquait-il [1], le discours porté historiquement sur l’identité de la France aurait tendance à se focaliser sur une obsession, celle de ses frontières, donc du territoire, de la limite.

La politique du bouc émissaire

3Benjamin Stora, historien spécialiste du monde maghrébin et proche-oriental, est revenu ensuite sur cette spécificité française et prolongeait cette idée par une analyse très argumentée et incisive de son contexte contemporain : “Faire de l’immigré l’unique facteur moteur de la désagrégation et de la crise de l’idée de nation française est en faire un bouc émissaire [...]. C’est à mon sens un renvoi exclusif et dangereux.” Pour Benjamin Stora, l’Europe, l’utilisation d’une monnaie unique, la circulation des personnes, les phénomènes de la mondialisation, la perte progressive du modèle social qui faisait la spécificité de la France... sont d’autres paramètres bien plus importants qui mériteraient d’être interrogés : ce sont eux qui fabriquent l’identité.

4L’immigré se trouverait en revanche face à une situation paradoxale : “Il existe à la fois une attraction du modèle français, avec ses notions d’universalisme, d’égalité, et en même temps une persistance de l’attachement à l’identité d’origine”. C’est à cet endroit, soulignait l’historien, que se situerait une réflexion pertinente à proposer pour faire avancer le débat.

Désidéologiser le débat

5Jacques Lévy, géographe, rebondit sur les propos de Benjamin Stora en rappelant que l’histoire de la construction de la France s’est faite autour d’une petite entité géographique, le Bassin parisien, et s’est progressivement agrandie avec la volonté constante de conquérir des pouvoirs. Or cette agrégation de territoires n’est toujours pas complètement acceptée, ainsi que le montrent les mouvements occitanistes, bretons ou corses. Aussi cette situation d’attraction/attachement décrite par Benjamin Stora ne se limiterait pas seulement à l’immigré.

6Par ailleurs, “le fantasme du péril jaune” ne peut être pertinent : la migration internationale ne touche qu’environ 2 à 3 % de la population mondiale, mais “il ne faut pas non plus à l’inverse, rappelait-il, tomber dans l’idéologie du « nous sommes tous des frères »”. Ainsi “les identités bougent et la manière de fabriquer les identités change”.

L’Europe

7Aussi l’Europe n’a pas toujours existé, elle s’est construite au fil de l’histoire. Elle est aujourd’hui surtout un projet. On ne peut pas dissocier la question “êtes-vous européen ?” de celle “voulez-vous être européen ?”, notait judicieusement Jacques Lévy, rappelant que “ceux qui ne veulent pas de la Turquie parce que c’est un pays musulman sont obligés d’utiliser des arguments contre l’histoire, alors qu’il y a beaucoup d’autres pays, dont la France, qui ont encore vraiment du chemin à faire pour être européens”. Cette question essentielle de la construction politique européenne, de la forme, de l’identité-projet de cette union, devrait être prioritaire, accordait Michel Guérin, bien avant par exemple de débattre sur l’entrée de la Turquie en Europe. “Il faudrait passer d’une identité « résistance » à une identité « projet »”, suggéra-t-il.

“Peut-on affirmer une identité a l’échelle régionale ?”

8Le débat avait été lancé par Thierry Fabre et Bruno Etienne lors du numéro de La pensée de midi consacré à l’avenir des Régions [2], et il s’agit bien d’un débat, puisque différents points de vue sont proposés dans ce numéro. Alors que, ainsi que le rappelait Thierry Fabre, Bruno Etienne défendrait plutôt l’idée d’une autonomie régionale, Michel Guérin propose un point de vue sensiblement différent. Bien qu’il conteste le monisme national, pour Michel Guérin, la Région est l’endroit où l’on vit, où l’on construit, c’est une forme d’appartenance, mais c’est un maillon qui nous unit à une entité plus grande. “La Région est une notion physique, affective. Le territoire est une question politique. La nation une notion transhistorique.”

9Pour Alain Hayot, la Région est dans un processus de construction historique tout autant que la nation. Ce qui ne serait pas en contradiction avec le processus de construction républicaine. Ici également “une logique de projet”, notamment de démocratie citoyenne, serait pour le sociologue bien plus porteuse que toute forme de résistance.

Création et identité

10Vint ensuite une réflexion menée autour des liens entre le processus de création et celui de la construction identitaire. Thierry Fabre posait le débat : l’un influence-t-il l’autre ? Les questions identitaires ressurgissent-elles inéluctablement lors de tout processus de création ? Doit-on les évacuer ou au contraire les travailler ? L’œuvre artistique peut-elle jouer un rôle dans le processus de construction identitaire ?

11Il était enrichissant pour cette deuxième table ronde de confronter le témoignage de créateurs issus de différentes disciplines, dont le parcours à la fois artistique et plus personnel n’avait eu de cesse de poser ces interrogations : Mohamed Kacimi, auteur d’origine algérienne, ayant adapté Kateb Yacine à la Comédie-Française ; Zad Moultaka, pianiste et compositeur d’origine libanaise, ayant étudié en France la musique classique occidentale avant d’effectuer un retour aux sources et de composer à partir de l’univers de la musique contemporaine occidentale et celui des traditions musicales proche-orientales ; François Cervantes, auteur, metteur en scène, qui a notamment publié une fiction, Voisins (Editions les Solitaires Intempestifs, 2005), construite à partir d’entretiens dans lesquels se racontaient les habitants d’un quartier près de Besançon, témoignages de personnes à qui la parole est rarement donnée et qui pourtant offrent à l’artiste matière pour créer une œuvre surprenante, éclatante d’humanité. Enfin il y eut le point de vue de Catherine Peillon, directrice artistique, photographe, auteure, qui côtoie et interroge depuis longtemps l’univers artistique musical, en particulier avec sa maison de disques L’empreinte digitale. A la recherche des viviers créatifs émanant des différentes traditions musicales, elle rappelait que ce n’est qu’après avoir fait paraître des enregistrements venus des quatre coins de la Méditerranée qu’elle a commencé à s’intéresser aux musiques de sa propre région, les musiques d’expression occitane. Aussi parcours professionnel et personnel se rejoignent parfois face à une histoire collective pour vivifier un processus créatif, lui donner une ébullition et une vérité. Les réflexions de la première table ronde trouvaient ici une parfaite illustration, plus personnelle, plus intime.

12A l’issue du débat, les auditeurs sortaient de l’“agora” du gymnase Saint-Joseph en continuant entre eux avec véhémence le débat lancé sur l’estrade. Susciter l’échange, réfléchir ensemble, guider la pensée par des points de vue argumentés, c’est bien ce que recherche La pensée de midi. En ce soixantième anniversaire du festival d’Avignon, rendant hommage à la haute figure de René Char, la citation du poète en exergue de chaque numéro de la revue était en ce 12 juillet dernier à nouveau fidèlement éclairante et mise à l’honneur : “Faire longuement rêver ceux qui ordinairement n’ont pas de songes et plonger dans l’actualité ceux dans l’esprit desquels prévalent les jeux perdus du sommeil.”


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/lpm.022.0173

Notes

  • [1]
    Se référer également au texte de Michel Guérin paru dans le numéro 21 de La pensée de midi sur “L’identité de la France”.
  • [2]
    “Quelles Régions pour demain ?” La pensée de midi n? 21, Actes Sud, juin 2007.

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