Couverture de LPM_019

Article de revue

Editorial

Vers un “nouveau” Moyen-Orient ?

Pages 4 à 5

Notes

  • [1]
    Elie Barnavi, “La guerre inévitable”, tribune au Nouvel Observateur n° 2179, du 10 au 16 août 2006. (NDA.)
  • [2]
    Robert Fisk, La Grande Guerre pour la civilisation : l’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005), Ed. La Découverte, 2005. (NDA.)

1Qui menace qui ? La guerre entre Israël et le Liban, qui était supposée selon Condoleezza Rice dessiner un “nouveau” Moyen-Orient et qui l’a en fin de compte profondément ravagé, amène à s’interroger.

2Israël était inquiété, le kidnapping de deux de ses soldats n’était pas acceptable et les tirs de roquettes en Galilée qui portaient atteinte aux populations civiles pas davantage tolérables. Mais cela peut-il justifier un tel déluge de feu, permettre à un Etat d’en détruire un autre et de succomber ainsi à l’ivresse de la force ?

3Israël et les Etats-Unis sont prisonniers d’une idéologie de la puissance, d’une vision du monde façonnée par la peur qui donne avant tout à l’action militaire, et non à l’action politique, le pouvoir de “faire le travail”. On peut observer en Irak les résultats mirifiques d’une telle idéologie fondée sur l’unilatéralisme diplomatique, l’hégémonie militaire et la suffisance politique. Il est assez facile d’imaginer que l’intervention militaire massive d’Israël au Liban aura des effets comparables. Quelle politique de gribouille !

4Raymond Aron avait jadis analysé dans un de ses textes sur la philosophie de la guerre l’“impuissance de la force”. L’exemple de l’armée française en Algérie, qui avait vaincu militairement mais perdu politiquement, en est une bonne illustration. C’est ce qui attend Israël au Moyen-Orient. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France et qui fut jadis un homme de “la paix maintenant”, peut bien claironner qu’il s’agissait d’une “guerre inévitable” [1]. Converti à cette nouvelle idéologie de la force, il justifie ainsi une guerre qui est sans doute un des pires actes commis par Israël dans la région et qui apparaît déjà comme une erreur politique majeure.

5Pourquoi ne pas retourner la carte, l’espace d’un instant, et se demander : qui menace qui ? Qui dispose de la principale puissance militaire au Moyen-Orient, des armes les plus sophistiquées (sans compter l’arme atomique), de la puissance économique, technologique et financière, de la légitimité politique internationale et du soutien indéfectible des Etats-Unis, première puissance mondiale ?

6La rhétorique de l’Etat d’Israël menacé, qui est obligé d’attaquer pour se défendre, commence à être usée jusqu’à la corde. La guerre préventive, en Irak comme au Liban, est illégitime en droit et dévastatrice en fait. Le “nouveau” Moyen-Orient qui veut ainsi être redessiné par la force des interventions militaires américano-israéliennes n’est pas annonciateur de liberté et de démocratie, mais bien au contraire de violence et de haine. “La grande guerre pour la civilisation” [2] qu’analyse avec justesse Robert Fisk est en train de se retourner en véritable faillite des valeurs au nom desquelles se fonde cette civilisation.

7L’obscurantisme gagne du terrain au Moyen-Orient, les forces politico-religieuses les plus intransigeantes et les plus contraires aux valeurs de liberté, de démocratie et de droits de l’homme deviennent de plus en plus populaires. Peut-on imaginer un seul instant que cela n’est pas étroitement relié à ces situations de guerre en Irak, en Palestine et au Liban ?

8Le principe de “la paix contre les territoires”, sur lequel devait se fonder le processus de paix israélo-palestinien, était juste et ouvrait une véritable perspective politique dans la région. Pourquoi n’a-t-il pas été respecté ? Pourquoi jamais autant de colonies n’ont-elles été construites que durant ces dix ans du processus d’Oslo ? Pourquoi ne pas avoir accepté la proposition de la Ligue arabe, lors de son sommet de 2002 au Liban justement, qui offrait une véritable reconnaissance politique à Israël en contrepartie de la restitution de tous les territoires occupés ?

9Un nouveau Moyen-Orient de paix aurait alors pu se dessiner. Mais il n’est pas possible de revenir sur les occasions manquées. Nous sommes entrés dans un nouveau cycle de violence et de guerre. Pourrons-nous en sortir ?

10L’Europe, qui a fait l’expérience dans son histoire de l’ivresse de la force et du vertige de la puissance, peut sans doute s’affirmer comme une puissance médiatrice dans la région. Le rôle actif de l’Italie, de l’Espagne et de la France, auxquels s’est joint la Turquie, dans la Finul au Sud-Liban, est un signe clair. Mais il faut aller plus loin, car le temps presse et le renoncement guette, alors que notre avenir se joue là.


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/lpm.019.0004

Notes

  • [1]
    Elie Barnavi, “La guerre inévitable”, tribune au Nouvel Observateur n° 2179, du 10 au 16 août 2006. (NDA.)
  • [2]
    Robert Fisk, La Grande Guerre pour la civilisation : l’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005), Ed. La Découverte, 2005. (NDA.)

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